CA Paris, Pôle 1 ch. 3, 25 février 2014, n° 13/03271
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Interhold (SA)
Défendeur :
Banque Delubac & Cie (SCS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Girerd
Conseillers :
Mme Bodard Hermant, Mme Bouvier
Avocats :
Me Bettan, Me de Guillenchmidt, Me Ingold, Me Boulanger
La société INTERHOLD est associée commanditaire de la Banque DELUBAC, société en commandite simple (SCS) et détient 20% du capital.
Affirmant que les gérants de la Banque DELUBAC, qui détiennent la majorité du capital et des droits de vote, refusent la communication de nombreuses informations sur leurs actes de gestion et violent, ce faisant, le droit à l'information de tout associé d'une société commerciale, par acte d'huissier du 9 mars 2012, INTERHOLD a assigné la Banque DELUBAC devant le juge des référés du tribunal de commerce de Paris à l'effet d'obtenir sous astreinte, sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, des documents et informations sur diverses opérations menées par la Banque DELUBAC, actes, procédures et rapports la concernant.
Par ordonnance de référé du 7 février 2013, le président du tribunal de commerce de Paris, saisi d'une exception d'incompétence territoriale et matérielle, retenant que le siège social de la défenderesse, la Banque DELUBAC, est situé 16 place Saléon Teras au Cheylard et qu'au surplus les pièces dont la communication est demandée s'inscrivent dans le cadre d'un conflit entre associés qui relève de l'application de la clause compromissoire et estiment, sur la demande de dommages - intérêts, que la juridiction des référés dont les pouvoirs sont limitativement fixés par la loi et les décisions toujours provisoires, est incompétente pour statuer sur ce chef de demande, s'est déclaré incompétent pour connaître des demandes de la société INTERHOLD et invité les parties à mieux se pourvoir.
La société INTERHOLD a interjeté appel de cette ordonnance.
Par ses dernières conclusions transmises le 13 janvier 2014, INTERHOLD demande à la cour, au visa de l'article 145 du code de procédure civile, d'infirmer la décision déférée et, statuant à nouveau, de rejeter, pour défaut de grief, l'exception de nullité de l'assignation introductive d'instance, soulevée par la Banque DELUBAC.
Elle demande à la cour de rejeter les exceptions d'incompétence invoquées par la Banque DELUBAC et de lui faire injonction d'avoir, dans le délai de 48 heures à compter de la notification de la décision à intervenir, et sous astreinte de 10.000 € par jour de retard à compter de l'expiration de ce délai, à communiquer à la société INTERHOLD diverses informations et documents mentionnés au dispositif de ses conclusions.
Elle demande enfin à la cour de se réserver, le cas échéant, le contentieux de la liquidation de l'astreinte, de condamner la société Banque DELUBAC à lui payer 30.000 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et au paiement des entiers dépens.
L'appelante fait valoir, sur les exceptions d'incompétence retenues par le premier juge, que le siège social de la Banque DELUBAC est situé à l'établissement parisien, au 152 Boulevard Haussmann, qu'en tout état de cause, la jurisprudence dite des gares principales autorise l’assignation d’une personne morale devant la juridiction compétente dans le ressort duquel se situe un établissement secondaire dès lors que celui-ci dispose d'une autonomie suffisante par rapport au siège social, ce qui est le cas en l'espèce ; qu'enfin le demandeur peut toujours saisir le juge du lieu où les mesures doivent être prises ou exécutées, en l'occurrence le lieu où se trouvent les documents demandés.
Sur la compétence matérielle exclusive de la juridiction arbitrale, l'appelante soutient que, tant que le tribunal arbitral n'est pas constitué, l'existence d'une clause compromissoire n'exclut pas la faculté de saisir le juge des référés aux fins de mesures provisoires ou conservatoires, fondées sur l'article 145 du code de procédure civile, que dès lors c'est à tort que le président du tribunal de commerce s'est déclaré incompétent au profit du tribunal arbitral.
Elle fait valoir que, si l'assignation délivrée devant la juridiction de première instance ne comportait pas l'adresse au CHEYLARD de DELUBAC, une telle irrégularité ne pouvait entraîner l'annulation de l'acte en l'absence de grief, la défenderesse ayant comparu et ayant pu exercer les droits de la défense.
Au principal, sur la demande de communication de pièces, elle soutient qu'elle a bien un motif légitime à l'obtenir en sa qualité d'associé commanditaire d'une SCS, associé non gérant mais qui dispose d'un droit étendu à une telle communication, en application des articles L. 222-7 et R. 221-8 du code de commerce, qu'elle n'a jamais obtenu de réponse à ses questions écrites posées à la gérance, que ces pièces et informations lui permettront, le cas échéant, d'établir la preuve des fautes de gestion et actes contraires à l'intérêt social de la société et des associés. Sur la recevabilité de ses demandes, elle affirme pouvoir demander en cause d'appel des documents non visés en première instance dès lors qu'ils sont complémentaires et se rapportent tous à la gestion de la Banque DELUBAC et aux agissements des associés commanditaires qui ont pris le contrôle de cette société et dissimulent des informations sur la gestion de la Banque.
La banque DELUBAC, intimée et appelante incidente, par ses conclusions transmises le 13 janvier 2014, demande à la cour :
In limine litis, de confirmer la décision déférée en ce qu'elle s'est déclarée incompétente à connaître des demandes de la société INTERHOLD et, vu les articles 42 et suivants, 75 et suivants du code de procédure civile et 35 des statuts de la banque DELUBAC et CIE, demande à titre principal à la cour de faire droit à l'exception d'incompétence territoriale qu'elle soulève et de se déclarer incompétent rationae loc i pour connaître de la demande formée par la société INTERHOLD au profit du président du tribunal de commerce d'AUBENAS.
A titre subsidiaire, elle demande à la cour de dire et juger que la question de la fictivité du siège social soulevée par INTERHOLD relève du juge du fond et de renvoyer en conséquence cette dernière à mieux se pourvoir, de dire et juger que le litige constitue une contestation entre associés et en conséquence (et) de se déclarer incompétent rationae materiae pour connaître de la demande formée par la société INTERHOLD au profit de la juridiction arbitrale ;
Vu les articles145 du code de procédure civile, 564 du code de procédure civile et 29.5.4 des statuts de la banque DELUBAC et CIE, vu l'absence d'urgence, de dire et juger que les demandes formées par la Société INTERHOLD sont mal fondées et qu'il n'y a pas lieu à référé sur les demandes de la société INTERHOLD.
A titre reconventionnel et en tout état de cause, l'intimée demande la condamnation de l'appelante à lui payer une somme de 30.000 € à titre de dommages intérêts pour procédure abusive, de 50.000,00 € en application de l'article 700 du du code de procédure civile et de la condamner aux dépens.
La BANQUE DELUBAC, au soutien de l'exception d'incompétence territoriale qu'elle développe en cause d’appel, affirme que son siège social se situe bien au Cheylard , et produit pour en attester un procès-verbal d'huissier du 13 novembre 2012, que l'incompétence des juridictions parisiennes au regard de son siège social a été retenue à de nombreuses reprises par la cour d'appel de Paris, qu'enfin, la théorie des gares principales ne peut s’appliquer à l’espèce dès lors que le litige n’a pas trait à l'activité de son établissement secondaire parisien.
A titre subsidiaire et toujours à titre liminaire, elle soutient l'incompétence matérielle de la juridiction commerciale, en se prévalant de la clause compromissoire sus mentionnée qui précise que le juge des référés n'est compétent qu'en cas d'urgence, qui n'est pas caractérisée en l'espèce, que cette clause n'est pas manifestement nulle et doit dès lors trouver application (article 1458, alinéa 2, du code de procédure civile).
Au principal enfin, elle fait valoir qu' INTERHOLD ne justifie pas d'un motif légitime en ce qu'elle n'a pas fait usage de son droit de se rendre au siège social pour aller y consulter la documentation, alors même qu'existe une procédure conventionnelle de consultation au bénéfice des associés (art 29-5-4 des statuts) , qu'en outre, l'appelante demande en cause d'appel, la communication de documents nouveaux ce qui démontre qu'elle a bien eu l'information, objet de la demande en première instance, une demande nouvelle étant irrecevable en application de l'article 564 du code de procédure civile.
SUR CE LA COUR
Sur la nullité de l'assignation en première instance :
Considérant que l'article 56 du code de procédure civile prévoit que :
L’assignation contient à peine de nullité, outre les mentions prescrites pour les actes d’huissier de justice :
1° L'indication de la juridiction devant laquelle la demande est portée ;
2° L'objet de la demande avec un exposé des moyens en fait et en droit ;
3° L'indication des modalités de comparution devant la juridiction et la précision que, faute pour le défendeur de comparaître, il s'expose à ce qu'un jugement soit rendu contre lui sur les seuls éléments fournis par son adversaire ;
4° Le cas échéant, les mentions relatives à la désignation des immeubles exigées pour la publication au fichier immobilier.
Elle comprend en outre l'indication des pièces sur lesquelles la demande est fondée. Ces pièces sont énumérées sur un bordereau qui lui est annexé.
Elle vaut conclusions' ;
Considérant que l'article 855 du même code relatif à la procédure devant le tribunal de commerce indique quant à lui que :
L’assignation contient, à peine de nullité, outre les mentions prescrites par l’article 56 :
1° Les lieu, jour et heure de l'audience à laquelle l'affaire sera appelée ;
2° Si le demandeur réside à l'étranger, les nom, prénoms et adresse de la personne chez qui il élit domicile en France.
L'acte introductif d'instance mentionne en outre les conditions dans lesquelles le défendeur peut se faire assister ou représenter, s'il y a lieu, le nom du représentant du demandeur ainsi que, lorsqu'il contient une demande en paiement, les dispositions de l'article 861-2.' ;
Considérant que l'article 114 prévoit, enfin, que :
Aucun acte de procédure ne peut être déclaré nul pour vice de forme si la nullité n en est pas expressément prévue par la loi, sauf en cas d'inobservation d'une formalité substantielle ou d'ordre public.
La nullité ne peut être prononcée qu'à charge pour l'adversaire qui l'invoque de prouver le grief que lui cause l'irrégularité, même lorsqu'il s'agit d'une formalité substantielle ou d'ordre public.' ;
Considérant qu'en l'espèce, s'il n'est pas contesté que l'assignation délivrée à la demande de INTERHOLD devant la juridiction de première instance ne comportait pas l'adresse au CHEYLARD de la Banque DELUBAC, celle-ci a comparu devant le premier juge et a pu exercer les droits de la défense ; qu'elle ne justifie pas dès lors du grief que lui aurait causé la mention de l'adresse de son établissement parisien sur l'acte litigieux ;
Que le grief tiré de la nullité de l'assignation est en conséquence inopérant ; qu'il convient de le rejeter ;
Sur la compétence matérielle de la juridiction commerciale :
Considérant qu'il n'est pas contesté qu'aux termes de la clause compromissoire figurant à l'article 35 des statuts de la SNC Banque DELUBAC :'Toutes questions qui peuvent s'élever au cours de l'existence de la Société ou après sa dissolution pendant le cours des opérations de liquidation, soit entre les associés et la Société, soit entre les associés eux-mêmes, relativement aux affaires sociales ou à l'exécution des dispositions statutaires, sont soumises à des arbitres respectivement choisis par chacune des parties ;
Considérant toutefois que l'article 1449 du code civil, modifié par le décret n° 2011-48 du 13 janvier 2011, dans sa rédaction applicable à l'espèce, l'assignation en justice délivrée à la demande de la société INTERHOLD étant en date du 15 mars 2012, prévoit en son premier alinéa que l’existence d'une convention d'arbitrage ne fait pas obstacle, tant que le tribunal arbitral n'est pas constitué, à ce qu'une partie saisisse une juridiction de l'Etat aux fins d'obtenir une mesure d'instruction ou une mesure provisoire ou conservatoire.
Sous réserve des dispositions régissant les saisies conservatoires et les sûretés judiciaires, la demande est portée devant le président du tribunal de grande instance ou de commerce, qui statue sur les mesures d'instruction dans les conditions prévues à l'article 145 et, en cas d'urgence, sur les mesures provisoires ou conservatoires sollicitées par les parties à la convention d'arbitrage.' ;
Que dès lors, le tribunal arbitral n'étant pas saisi, en application de la clause compromissoire sus mentionnée, à la date de l’assignation à comparaître, c'est à bon droit que la société INTERHOLD a saisi le président du tribunal de commerce, dans le cadre du litige l'opposant aux associés gérants, sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, d'une demande de mesure d'instruction en l'espèce, la communication de diverses pièces par la Banque Delubac :
Sur la compétence territoriale du tribunal de commerce de Paris :
Considérant qu'il résulte des dispositions combinées des articles 42 et 43 du code de procédure civile, applicables à la présente action, que la juridiction compétente est celle du lieu du domicile ou, à défaut, du lieu de résidence du défendeur s'il s'agit d'une personne physique ou d'établissement s'il s'agit d'une personne morale ;
Considérant que la société INTERHOLD soutient que le tribunal de commerce de Paris est territorialement compétent, le siège réel de la Banque DELUBAC étant situé à son établissement parisien, au 152, boulevard Haussmann, et non au Cheylard et invoque en outre l'application à l'espèce de la théorie des gares principales ;
Considérant que la cour relève que les statuts de la SCS Banque DELUBAC & Cie (pièce 2 de l'intimée) , immatriculée au greffe du tribunal de commerce d'Aubenas, fixent son siège social au 16 place Saléon Teras 07160 Le Cheylard et qu'il en est de même de l'extrait Kbis de la SCS versé aux débats (pièce 1 de l'intimée) ;
Qu'en outre, par procès-verbal dressé le 13 novembre 2012 (pièce 43 de l'intimée), maître Isabelle M.P., huissier de justice, constate que, dans les bureaux de la Banque DELUBAC au 16 Saléon Teras au Cheylard, se trouvent sept personnes, deux autres employés étant en congés et, dans l'annexe située à 150 mètres de là, Place de la Guinguette, sont installés de soixante-six collaborateurs, deux agents d'entretien, deux collaborateurs en congés payés et un collaborateur en arrêt maladie ; que ces salariés sont répartis au Cheylard en douze services dont ceux de la Direction , du Service Moyens de paiement Traitement de chèques , du Secrétariat Banque Engagement' et du Service Paie ;
Qu'il résulte de l'ensemble de ces constatations, avec l'évidence requise en référé, que le siège social de la Banque DELUBAC se situe au Cheylard, où sont centralisées les fonctions d'administration et de gestion de la Banque, comme en attestent les documents sus mentionnés et la mention figurant en bas des correspondances de la Banque, et non à Paris, contrairement à ce que soutient l'appelante, peu important au demeurant la mention, à l'en tête des correspondances produites par INTERHOLD, de l'adresse de l'établissement de la Banque au 152, boulevard Haussmann, ou sur des communiqués de la gérance, ou encore le lieu où se sont tenues des assemblées générales de la Banque ;
Considérant que l'appelante ne saurait utilement invoquer dans la présente instance la théorie des gares principales, dès lors qu'elle ne justifie pas d'un lien suffisant entre l'objet du litige et l'activité de l'établissement parisien de la Banque DELUBAC, les demandes de la société INTERHOLD, en sa qualité d'associé commanditaire, étant fondées sur les dysfonctionnements allégués de la Banque DELUBAC et de ses gérants et portant sur la communication de pièces et informations relatives aux intérêts généraux et au fonctionnement de la SCS ;
Considérant qu'en conséquence, il convient d'accueillir l'exception d'incompétence territoriale soulevée par la Banque DELUBAC et d'infirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a retenu l'incompétence matérielle de la juridiction commerciale et renvoyé les parties à mieux se pourvoir et, statuant à nouveau, de rejeter l'exception de compétence matérielle soulevée au profit du tribunal arbitral, de dire territorialement incompétent le tribunal de commerce de Paris, de renvoyer les parties devant le tribunal de commerce d'Aubenas, juridiction matériellement et territorialement compétente, et de débouter en conséquence l'appelante de l'ensemble de ses demandes;
Considérant que l'exercice d'une action en justice de même que la défense à une telle action constitue en principe un droit et ne dégénère en abus pouvant donner lieu à l'octroi de dommages intérêts que dans le cas de malice, mauvaise foi ou erreur grossière équipollente au dol ; qu'en l'espèce, un tel comportement de la part de la société INTERHOLD n'est pas suffisamment caractérisé ; que la demande de la Banque DELUBAC est rejetée ;
Considérant que l'équité commande de faire droit à la demande de la Banque DELUBAC présentée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ; que la société INTERHOLD est condamnée à lui verser à ce titre la somme visée au dispositif de la présente décision ;
Considérant que, partie perdante, la société INTERHOLD ne saurait prétendre à l'allocation de frais irrépétibles et doit supporter les dépens ;
PAR CES MOTIFS
Infirme l'ordonnance entreprise,
Et statuant à nouveau,
Rejette l'exception de nullité de l'assignation introductive d'instance,
Rejette l'exception de compétence matérielle soulevée au profit du tribunal arbitral,
Déclare le tribunal de commerce de Paris territorialement incompétent,
Et renvoie les parties à mieux se pourvoir devant le tribunal de commerce d'Aubenas, matériellement et territorialement compétent,
Déboute les parties du surplus de leurs demandes,
Condamne la SA INTERHOLD à payer à la SCS Banque DELUBAC la somme de 2.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Rejette la demande présentée par SA INTERHOLD sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne aux entiers dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.