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Décisions

CA Douai, ch. soc., 26 octobre 2018, n° 18/01394

DOUAI

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Destock Logistique (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Collière

Conseillers :

Mme Goutas, Mme Pachter Wald

Avocats :

Me Joly, Me Cortier

Cons. prud’h. Saint-Omer, du 9 mai 2018,…

9 mai 2018

M. Frédéric L. a été embauché par contrat à durée déterminée du 3 septembre 2007 au 29 février 2008 par la société Daher, avec laquelle la relation de travail s'est ensuite poursuivie. Il a été engagé à compter du 1er juin 2013 par la SAS Destock logistique dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée à l'occasion du transfert d'activité de la société Daher, avec maintien de l'ancienneté depuis le 3 septembre 2007, en qualité d'agent de transit coefficient 125 de la convention collective des transports routiers de marchandises et des activités auxiliaires de transport.

Convoqué le 9 octobre 2017 à un entretien préalable fixé au 20 octobre suivant, son licenciement pour faute grave lui a été notifié le 26 octobre 2017.

Le 23 novembre 2017, M. L. a saisi le conseil de prud'hommes de Saint Omer pour contester cette mesure, en excipant des dispositions de l'article 47 du code de procédure civile. L'employeur a, in limine litis, soulevé l'incompétence de cette juridiction au profit du conseil de prud'hommes de Dunkerque. Par jugement du 9 mai 2018, la juridiction prud'homale de Saint Omer s'est déclarée territorialement compétente.

La société Destock logistique a formé appel de ladite ordonnance le 17 mai 2018.

Autorisée à assigner à jour fixe M. L. par ordonnance du 31 mai 2018 pour l'audience du 13 septembre suivant, la société Destock logistique lui a fait délivrer un acte d'huissier de justice à cette fin le 18 juin 2018.

Par dernières conclusions déposées le 17 mai 2018 et reprises dans l'assignation à jour fixe, elle demande à la cour d'infirmer la décision déférée et de :

- la recevoir en son exception d'incompétence territoriale,

- renvoyer les parties devant le conseil de prud'hommes de Dunkerque territorialement compétent,

- condamner M. L. au paiement d'une somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre sa condamnation aux dépens.

Elle soutient en substance que :

- le siège de la société et l'emploi de M. L. sont situés à Dunkerque et le salarié y est domicilié;

- l'article 47 du code de procédure civile concerne uniquement les parties au litige, ce qui n'est pas le cas de M. P. qui est certes conseiller au conseil de prud'hommes de Dunkerque et a procédé au licenciement de M. L., mais n'est pas le représentant légal de la société lequel est le président ;

- M. D., président de la SAS, n'est quant à lui pas conseiller prud'hommes;

- la cour d'appel de Douai a déjà, dans un arrêt du 30 novembre 2011, considéré que 'les dispositions de l'article 6 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme invoquées par le salarié ne permettent pas à une partie à une instance de présumer de l'atteinte qui pourrait être portée à son droit à un procès équitable par suite de la partialité hypothétique des juges composant la juridiction, dont l'indépendance juridictionnelle assure par principe que le lien qui lie un membre de la juridiction à une partie au litige est sans incidence sur la manière dont ils traiteront le litige.'

M. L. demande à la cour de rejeter l'exception d'incompétence soulevée par la société Destock logistique et de la condamner à lui payer la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Il soutient en synthèse que :

- s'il réside à Dunkerque où la société a son siège, la procédure de licenciement a été mise en oeuvre par M. P. lequel est conseiller au conseil de prud'hommes de cette ville;

- le fait que l'auteur du licenciement siège en qualité de président d'une des deux formations du conseil de prud'hommes appelée à statuer sur le bienfondé du licenciement est à tout le moins de nature à créer un doute sur l'impartialité objective de la juridiction, ce qui justifie de faire application de l'article 47 du code de procédure civile;

- il existe en tout état de cause un risque certain d'impartialité de nature à violer les dispositions de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme.

MOTIFS :

En vertu de l'article 6. 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal indépendant et impartial.

L'article 47 du code de procédure civile dispose : « lorsqu'un magistrat ou un auxiliaire de justice est partie à un litige qui relève de la compétence d'une juridiction dans le ressort de laquelle il exerce ses fonctions, le demandeur peut saisir une juridiction située dans un ressort limitrophe. »

Un conseiller prud'homal a la qualité de magistrat au sens de ce texte qui n'est ainsi applicable que lorsque le conseiller est parti au litige soit en son nom personnel soit en sa qualité de représentant légal d'une partie.

L'exigence d'impartialité aux termes de laquelle toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal indépendant et impartial, au visa de ces textes, impose de ne pas interpréter de façon restrictive la notion de représentant légal de l'employeur personne morale devant le juge social.

Selon l'article L. 226-7 du code de commerce, la société par actions simplifiée 'est représentée à l'égard des tiers par un président ....Les statuts peuvent prévoir les conditions dans lesquelles une ou plusieurs personnes autres que le président, portant le titre de directeur général ou de directeur général délégué, peuvent exercer les pouvoirs confiés à ce dernier.'

Par ailleurs, en vertu de l'article R.123-54 du code commerce, la société déclare au registre du commerce et des sociétés (RCS) : '(...) 2° Les nom, (...) des :

a) Directeurs généraux, directeurs généraux délégués, membres du directoire, président du directoire ou, le cas échéant, directeur général unique, associés et tiers ayant le pouvoir de diriger, gérer ou engager à titre habituel la société avec l'indication, pour chacun d'eux lorsqu'il s'agit d'une société commerciale, qu'ils engagent seuls ou conjointement la société vis-à- vis des tiers (...)'

Ainsi, les directeurs généraux ou directeurs généraux délégués peuvent se voir investis d'un pouvoir de représentation de la société identique à celui du président à la double condition que cette délégation soit prévue par les statuts et déclarée au RCS avec mention sur l'extrait Kbis, ce qui exclut l'inscription d'un titulaire d'une délégation dite «spéciale» ou «fonctionnelle» limitée à l'accomplissement d'actes ou catégories d'actes déterminés. Dès lors que doit être déclaré au RCS, au titre des personnes ayant le pouvoir d'engager «à titre habituel» la SAS, le directeur désigné conformément aux statuts, il s'en déduit que la désignation dans les statuts est un préalable à l'inscription.

Par ailleurs, l'article L. 1441-4 2° du code du travail dispose que sont électeurs employeurs « les directeurs, les cadres détenant sur un service, un département ou un établissement de l'entreprise, une délégation particulière d'autorité permettant de les assimiler à l'employeur.»

Enfin, le code du travail ne vise comme auteur possible de la convocation à l'entretien préalable au licenciement (article L. 1232-2), puis comme auteur possible de la notification du licenciement (article L. 1232-6) que 'l'employeur', sans davantage de précision.

En l'espèce, il n'est pas contesté que le litige dont est saisi le conseil de prud'hommes qui porte sur la rupture du contrat de travail de M. L. et oppose ce dernier à la SAS Destock logistique, relève de la compétence du conseil de prud'hommes de Dunkerque au sein duquel M. P. exerce des fonctions de conseiller prud'hommes, collège employeur, depuis 1987.

Il n'est pas davantage contesté que le président de la SAS est M. D., mais que M. P. a directement pris part au processus de rupture du contrat de travail de M. L. en sa qualité de directeur de la société, et qu'il disposait pour ce faire d'une délégation.

M. D. atteste à ce titre le 29 décembre 2017 avoir délégué le pouvoir de licencier M. L. à M. P. qui n'est pas 'actionnaire et n'exerce aucun mandat au titre de la société'.

Si les statuts actualisés de la société ne sont pas communiqués (seuls les statuts d'origine du 29 mai 2015 déposés en vue de la transformation de la société en SAS le 5 janvier 2006 sont produits), il ressort cependant du dossier que :

- il n'est fait pas fait mention d'une délégation «spéciale» ou «fonctionnelle» tant dans la convocation à l'entretien préalable que dans la lettre de licenciement signées par le directeur en sa qualité de représentant de l'employeur, sans plus de précision ;

- il résulte de l'extrait Kbis du 4 décembre 2017 que l'intéressé est mentionné aux côtés du président et des commissaires aux comptes titulaire et suppléant dans la rubrique 'gestion, direction, administration, contrôle, associé et membre', où il figure comme portant le titre de directeur unique de la société Destock logistique.

Il s'en déduit que M. P. ne bénéficie pas uniquement d'une délégation «spéciale» ou «fonctionnelle» limitée à l'accomplissement d'actes ou catégories d'actes déterminés, mais figure au titre des personnes ayant le pouvoir d'engager à titre habituel la SAS dans le cadre des articles susvisés du code de commerce, et qu'il doit dès lors être considéré comme un représentant légal de la société Destock logistique, partie au litige au sens du texte invoqué.

Dans ces conditions, M. L. étant en situation de bénéficier des dispositions de l'article 47 du code de procédure civile, le premier juge se devait de l'appliquer, et le jugement querellé sera confirmé.

Aucune considération d'équité ne commande l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de l'une quelconque des parties.

La société Destock logistique supportera les entiers dépens.

PAR CES MOTIFS :

LA COUR,

Confirme la décision déférée,

Y ajoutant,

Renvoie l'affaire devant le conseil de prud'hommes de Saint Omer pour poursuite de l'instance;

Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Destock logistique aux entiers dépens.