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Décisions

CA Toulouse, 2e ch., 21 mars 2018, n° 16/03491

TOULOUSE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Anyware Services (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Penavayre

Conseillers :

M. Sonneville, M. Truche

T. com. Toulouse, du 30 mai 2016, n° 201…

30 mai 2016

EXPOSE DU LITIGE

La SAS ANYWERE SERVICES est issue de la reprise d'une partie de l'activité de la société ANYWERE TECHNOLOGIES, division du groupe Sierra Wireless.

Elle a été créée le 15 septembre 2009 par 15 associés dont 12 anciens salariés de cette société pour exploiter une de ses branches d'activité, dite Service Web.

Madame Sylvie P. épouse S. qui détient 26,67 % du capital social a été désignée comme présidente de la société.

À la demande de 13 associés sur 15, une Assemblée générale s'est réunie le 22 avril 2014, pour intégrer deux nouveaux membres au Conseil d'administration, Messieurs Raphaël F. et Frédéric R. et modifier l'article 18-4 des statuts relatifs aux modalités de convocation du Conseil d'administration.

Le 8 mai 2014, quatre administrateurs, Messieurs Cédric D., Gauthier U., Raphaël F. et Frédéric R. ont sollicité la tenue d'un Conseil d'administration avec comme ordre du jour «l'examen de la révocation du président».

Le Conseil d'administration qui s'est tenu le 19 mai 2014 en présence d'un huissier de justice désigné sur requête du président du tribunal de Commerce de Toulouse, a décidé, à la majorité des voix, de révoquer Madame S. et de désigner Monsieur D. pour la remplacer.

Par acte d'huissier des 8 et 10 octobre 2014, Madame Sylvie S. a assigné la société ANYWERE SERVICES et Messieurs Cédric D., Gauthier U., Raphaël F. et Frédéric R. devant le tribunal de commerce de Toulouse pour obtenir, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil et de l'article 18.3 des statuts , leur condamnation solidaire à lui payer la somme de 81 145 € au titre de l'indemnité de révocation statutaire et 160 000 € à titre de dommages et intérêts complémentaires, outre une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par jugement du 30 mai 2016, le tribunal de commerce de Toulouse a :

- dit que les motifs de révocation de Madame S. de ses fonctions de présidente ne caractérisaient pas une faute de gestion grave ayant une incidence sur le bon fonctionnement de la société de nature à la priver de l'indemnité prévue par l'article 18.3 des statuts,

- condamné en conséquence la société ANYWERE SERVICES à lui payer la somme de 81 145 € en réparation de son préjudice et 20 000 € à titre de préjudice complémentaire outre la somme de 3000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- rejeté le surplus des demandes,

- mis hors de cause les membres du conseil d'administration à titre personnel, le tout sous le bénéfice de l'exécution provisoire.

La société ANYWERE SERVICES a interjeté appel de cette décision le 12 juillet 2016.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 4 juillet 2017, la SAS ANYWERE SERVICES demande à la cour :

à titre liminaire,

- de déclarer irrecevables les prétentions nouvelles formées par l'intimée relatives aux intérêts de retard sur l'indemnité de révocation statutaire à compter du 19 mai 2014 jusqu'au 11 juillet 2016, date à laquelle les condamnations ont été réglées,

à titre principal,

- d'infirmer le jugement du tribunal de commerce du 30 mai 2016 en ce qu'il l'a condamnée à verser différentes indemnités à Madame S.,

- de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Madame S. de ses demandes à l'encontre des administrateurs, Messieurs D., U., F. et R.,

- de dire que les fautes de gestion commises par Madame S. sont graves et ont mis en péril le bon fonctionnement de la société,

- de dire que la révocation de ses fonctions de présidente n'a eu aucun caractère abusif ni vexatoire,

- de dire juste et bien fondée la révocation prononcée le 19 mai 2014,

- de débouter Madame S. de l'intégralité de ses demandes y compris de son appel incident,

- de dire recevable et bien fondée sa demande reconventionnelle,

- de condamner Madame S. à lui rembourser les sommes indûment perçues pour un montant total de 93 908,09 outre les intérêts au taux légal à compter de la décision intervenir,

à titre subsidiaire,

-d'annuler la clause de révocation ou à tout le moins, de la réduire à de plus justes proportions en tout état de cause,

- de compenser toute indemnité éventuellement allouée à Madame S. avec les sommes dues à la société ANYWERE SERVICES et de mettre à la charge de l'intimée la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Madame Sylvie S. a notifié ses conclusions récapitulatives le 21 juillet 2017.

Elle demande de confirmer le jugement du 30 mai 2016 sauf en ce qu'il a limité à la somme de 20 000 € les dommages-intérêts alloués, et statuant à nouveau :

- de condamner la société ANYWERE SERVICES au paiement des intérêts de retard au taux légal pour la période du 19 mai 2014 au 11 juillet 2016

-de condamner la société ANYWERE SERVICES à lui verser la somme de 160 000 € à titre de dommages-intérêts,

- de déclarer irrecevable la demande reconventionnelle de la société appelante qui constitue une demande nouvelle prohibée ou à défaut, de la rejeter comme étant infondée,

- de condamner la société ANYWERE SERVICES à lui verser la somme de 20 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les entiers dépens de l'instance.

Il y a lieu de se reporter expressément aux conclusions susvisées pour plus ample informé sur les faits de la cause, moyens et prétentions des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture est en date du 28 juillet 2017.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur les fautes de gestion reprochées à la présidente :

Les statuts de la société ANYWERE SERVICES stipulent que la révocation du président résulte d'une décision du Conseil d'administration.

Elle ouvre droit au versement d'une indemnité dont le montant est précisé à l'article 18-3 qui est rédigé ainsi :

« La révocation du président, personne physique, non motivée par une faute de gestion grave ayant une incidence sur le bon fonctionnement de la société, ouvre droit à son profit, à titre d'indemnisation des dommages consécutifs à la cessation de ses fonctions, au versement immédiat d'une somme forfaitaire équivalant à huit mois de traitement, plus un tiers de mois par année d'ancienneté, sans que cette indemnité puisse être supérieure à 24 mois de traitement ».

Selon les explications fournies qui ne sont pas contestées par la société appelante, l'indemnisation de cessation de fonction est justifiée par le fait qu'en sa qualité de dirigeant social, Madame S. ne bénéficie pas d'un contrat de travail, ce qui la prive de tout droit à l'assurance-chômage en cas de cessation de ses fonctions.

Pour s'opposer au versement de l'indemnité à laquelle elle a droit en vertu des statuts , la société ANYWERE SERVICES doit établir que le dirigeant social a commis une faute de gestion susceptible d'être qualifiée de grave qui, de surcroît, a une incidence sur le bon fonctionnement de la société.

La faute doit être qualifiée et il ne suffit pas qu'il y ait de justes motifs.

La charge de la preuve lui en incombe.

La société ANYWERE SERVICES reproche trois séries de griefs à Madame S. :

- d'avoir réduit à néant les fonctions du Conseil d'administration,

- d'avoir engagé pour son propre compte des frais injustifiés qui ont été réglés par la société ANYWERE SERVICES, tant en ce qui concerne les éléments de sa rémunération que le contrat d'assurance GSC et le contrat d'assurance-vie souscrits auprès du GAN que les frais d'essence et la mise à disposition d'un véhicule de fonction,

- d'avoir mené une stratégie éphémère et risquée en faisant de fausses déclarations à l'administration fiscale dans le but de la faire bénéficier, en tant que Jeune Entreprise Innovante, de subventions indues au titre des crédits d'impôt recherche (CIR), ce qui a eu pour effet de fausser le modèle économique de la société.

1 - sur le premier grief :

Il est reproché à Madame S., qui avait le pouvoir de convoquer le Conseil d'administration, de ne l'avoir réuni que quatre fois depuis la constitution de la société, avec pour seul objet de déterminer sa rémunération ainsi que les avantages perçus dans le cadre de son mandat, ce qui a été privé le Conseil des tâches fondamentales de surveillance et de conseil pour lequel il a été institué.

Selon les statuts, la SAS dispose d'un Conseil d'administration composé de deux à six membres (en l'espèce Messieurs Cédric D., Gauthier U. et Guillaume R. outre la présidente) qui a pour mission de surveiller l'évolution économique et financière de la société et de conseiller le président. Il fixe la rémunération du président, est consulté et donne son avis sur le budget annuel et le plan de financement prévisionnel et étudie toute question que le président peut lui soumettre.

Les décisions sont prises à la majorité des voix. Une décision peut être prise sans obligation de réunion si elle est constatée par un acte signé par tous les membres.

La société dispose en outre d'un comité de direction qui comprend les mêmes personnes (à l'exception de Monsieur R. mais avec la participation de M F.) - qui détiennent la proportion la plus significative du capital social et ont la double casquette d'associés et de directeurs-salariés.

C'est au sein de ce comité que sont débattues les principales décisions y compris les décisions stratégiques et financières.

Ce mode de gestion a fonctionné pendant cinq ans sans critique ni remise en cause particulière jusqu'au début de l'année 2014 où 13 associés sur 15 ont souhaité la tenue d'une assemblée générale pour modifier la composition du Conseil d'administration et l'article 18-4 des statuts.

Les statuts ne fixent pas le rythme des réunions du Conseil d'administration mais, selon les informations fournies, il s'est réuni une fois par an à compter de la constitution de la société courant septembre 2009, soit les 30 septembre 2009, 30 juillet 2010, 2 novembre 2011, 3 septembre 2012 et le 27 février 2014, ce qui relève d'un fonctionnement normal.

Il n'est justifié d'aucune demande de réunion complémentaire à laquelle la présidente n'aurait pas déféré, ce qui démontre que ce fonctionnement ne faisait l'objet d'aucune remise en cause.

Par ailleurs, une décision peut être prise, sans obligation de réunion, si elle est constatée par un acte signé de tous les membres.

Enfin il sera relevé que trois des quatre membres du Conseil d'administration (à l'exception de Monsieur R. qui avait la double qualité de membre du Conseil d'administration et de consultant indépendant en gestion d'entreprise) se réunissaient quasiment toutes les semaines avec la présidente, dans le cadre d'un comité de direction, pour évoquer les questions financières et stratégiques (notamment les rapports financiers), que les échanges y étaient nourris et qu'en conséquence la réunion à un rythme plus soutenu du Conseil d'administration ne s'imposait pas, sauf pour statuer sur les questions qui relevaient de sa compétence propre.

Si les budgets annuels et le plan de financement prévisionnel n'ont effectivement pas été soumis aux Conseils d'administration (à l'exception de celui du 20 mars 2014), ils ont cependant été débattus dans le cadre du comité de direction qui fonctionnait de fait comme l'organe de contrôle et de surveillance de la société.

Il n'est pas sérieux de prétendre que dans ces conditions l'intimée détenait seule toutes les informations dévolues au Conseil d'administration et qu'elle a sciemment fait obstacle à la réunion du celui-ci dans un contexte marqué par la dégradation des résultats, puisque chaque membre en était informé, Monsieur R. parce que c'est lui qui fournissait l'essentiel de l'information en sa qualité de consultant en gestion d'entreprise et Messieurs D. et U. parce qu'ils participaient au comité de direction.

Dès lors le grief concernant le prétendu dévoiement du rôle du Conseil d'administration imputé à la présidente alors qu'il relève d'un choix partagé des principaux associés, ne peut prospérer et c'est à bon droit que le tribunal de commerce a écarté ce moyen.

2 - sur le deuxième grief :

Il est reproché à Madame S. d'avoir fait supporter à la société ANYWERE SERVICES des charges financières injustifiées et de n'avoir pas respecté, pour la fixation de sa rémunération, la procédure de contrôle des conventions réglementées prévues aux articles L. 227'10 et suivants du code de commerce.

La SAS dispose d'une grande liberté d'organisation qui est fixée par les statuts.

En l'espèce les statuts prévoient que c'est le Conseil d'administration qui fixe la rémunération du président et il en a été fait ainsi chaque année. Il est en outre indiqué que Madame S. aurait droit au remboursement de ses frais de mission et de réception sur justificatifs de ceux-ci.

Lorsque la rémunération du dirigeant est décidée par un organe désigné par les statuts, elle ne relève pas de la procédure de contrôle prévue pour les conventions réglementées, contrairement à ce que soutient la société ANYWERE SERVICES.

En effet dans un tel cas, elle ne peut être qualifiée de convention intervenue directement entre la société et son président et n'a pas un caractère contractuel, au sens de l'article L. 227'10 du code de commerce.

Dès lors c'est à bon droit qu'il n'en est pas fait mention dans le rapport spécial du président aux associés (contrairement au contrat liant la société à Monsieur R. par exemple).

En ce qui concerne la souscription de l'assurance GSC, il sera observé que l'assurance a été souscrite dès sa prise de fonction et que ces sommes étaient individualisées dans les comptes de la société. Il en est de même pour l'assurance vie souscrite auprès du GAN.

La prise en charge de l'assurance du dirigeant par la société est un avantage en nature et la contrepartie de son statut, ce qui est confirmé par le fait que les nouveaux dirigeants Messieurs D. et U. ont souscrit la même convention d'assurance-chômage depuis qu'ils ont pris la tête de la société.

Lors de la constitution de la société, Madame S. a bénéficié d'un véhicule de fonction qui était en location financière et ce contrat a été renouvelé à l'issue de vie du contrat.

En l'absence de dissimulation de cet avantage dans les comptes de la société qui ont été dûment approuvés par la collectivité des associés, la qualification de faute grave de gestion ne peut être retenue.

Enfin en ce qui concerne les frais d'essence et les frais de mission dont Madame S. bénéficiait, elle était en droit d'en obtenir le remboursement sur justificatif.

Si la rigueur exigeait qu'elle puisse en justifier à première demande, au fur et à mesure et en tout état de cause lors de l'établissement des comptes annuels, il ne peut toutefois être considéré qu'il s'agit d'une faute de nature à mettre en péril le fonctionnement de la société compte tenu du caractère modique des sommes en jeu (de l'ordre de 1500€ par an pour une société dégageant un chiffre d'affaires de 1 366K€) alors qu'il n'est pas contesté qu'elle devait effectuer en sus de ses trajets professionnels, des déplacements entre son domicile et le siège social de la société et que d'autres personnes dans l'entreprise pouvaient utiliser le véhicule.

3 - sur le troisième grief :

La société ANYWERE SERVICES reproche à Madame S. d'avoir fait courir des risques à l'entreprise en effectuant des déclarations erronées au titre du crédit d'impôt recherche dans le but de la faire bénéficier de subventions indues.

Elle explique que selon l'expertise amiable qu'elle a fait diligenter par Monsieur B., les comptes révèlent un gonflement des avantages fiscaux grâce à la majoration des heures de travail des salariés concernés et, de telles falsifications faisaient encourir à la société un risque de redressement fiscal et fragilisait son modèle économique. Elle produit également des attestations desdits salariés qui attestent qu’ils n’ont pas effectué le nombre d'heures requis.

Madame S. a sollicité le statut de jeune entreprise innovante (JEI) pour la société ANYWERE SERVICES qui lui a été accordé le 11 janvier 2011, ce qui lui a permis d'embaucher des salariés pour développer des projets nouveaux et de bénéficier d'un crédit d'impôt recherche (CIR).

Pour sécuriser le dispositif, elle a pris soin de solliciter l'avis de l'administration fiscale et a obtenu un rescrit fiscal qui est opposable.

Ce statut n'a jamais été remis en cause depuis 2011 et l'entreprise n'a fait l'objet d'aucune procédure de contrôle ni de redressement en sorte que c'est en vain qu'il est soutenu qu'elle a commis une faute grave de ce chef alors qu'il s'agit d'un choix de gestion partagé au sein de l'équipe de direction et que le risque qui n'était qu'éventuel, ne s'est pas réalisé.

En tout état de cause, en l'état du rapport présenté par l'expert-comptable lors du conseil d'administration du 20 mars 2014 et des observations présentées par Monsieur Guillaume R. dans son mail du 16 mars 2014 qui souligne que la santé financière de la société est solide (avec des fonds propres de 389K€ , un endettement nul et une trésorerie de 355K€ au 31/12/2013), il n'est pas démontré que les agissements imputés à Madame S. aient été susceptibles de remettre en cause la pérennité de la société ni de compromettre son fonctionnement, même si la majorité des associés aspirait à la mise en place d'un mode de gouvernance plus transparent et en tout état de cause plus collégial, afin de réorienter la stratégie de la société dans la perspective de la fin du statut JEI et des subventions CIR en vue de sécuriser son avenir.

En définitive, il y a lieu d'approuver la décision des premiers juges qui ont à bon droit dit que Madame S. avait droit à l'indemnité prévue et calculée par l'article 18'3 des statuts.

Cette indemnité de nature contractuelle ne peut être modérée par le juge car il ne s'agit ni d'une clause pénale au sens de l'article 1152 du code civil ni de dommages et intérêts venant sanctionner un comportement fautif pour lequel il dispose d'un pouvoir d'appréciation.

La clause n'encourt aucune nullité et, contrairement à ce qui est soutenu, elle n'est pas de nature à dissuader la société de révoquer le mandataire social. Elle traduit seulement la volonté des associés fondateurs de préciser dans quelles conditions et pour quels motifs elle est susceptible d'intervenir.

En conséquence, il y a lieu de condamner la société ANYWERE SERVICES à payer à Madame S. une indemnité de 81 145 €, somme qui n'est pas contestée en son quantum.

La demande formée par Madame S. au titre des intérêts de retard qui ont couru jusqu'au 11 juillet 2016, date à laquelle les condamnations ont été réglées en vertu de l'exécution provisoire, est parfaitement recevable sur le fondement de l'article 566 du code de procédure civile en ce qu'elle est l'accessoire ou le complément de la créance fixée en première instance.

Cette somme ne peut produire intérêts à la date de révocation mais seulement à compter de la sommation de payer soit en l'espèce de l'assignation en justice du 10 octobre 2014, conformément à l'article 1153 du Code civil.

Sur la demande de dommages-intérêts du fait des circonstances de la révocation :

Madame S. prétend que la révocation est intervenue dans des conditions abusives et vexatoires car à aucun moment il ne lui a été fait part des griefs qui lui étaient reprochés, ce qui l'a privée de la possibilité de se défendre. Elle explique qu'elle a fait l'objet d'un véritable complot ourdi par un petit groupe d'associés dans le seul intérêt personnel de ces derniers et non pas dans l'intérêt de la société.

Il est toujours loisible de procéder à la révocation d'un dirigeant mais elle ne doit pas intervenir dans des circonstances vexatoires ou injurieuses.

L'ordre du jour doit mentionner qu'il a pour objet la révocation du président et le dirigeant doit être informé des griefs mettant en cause sa gestion. Il doit être en mesure de présenter ses observations avant que la décision de révocation n'intervienne.

En l'espèce Madame S. a bien été informée de l'ordre du jour de la réunion du Conseil d'administration lors de la convocation du 8 mai 2014 mais aucun grief ne lui a été communiqué, les discussions précédentes ayant essentiellement porté sur l'opportunité de réunir une assemblée générale pour débattre de la situation économique de la société, ce à quoi elle s'opposait, préférant réunir un conseil d'administration (et préalablement un comité de direction) qui lui paraissait être l'organe le plus approprié pour en débattre.

Selon le compte rendu effectué par Me P., huissier de justice mandaté par le président du tribunal de commerce qui a assisté à la réunion, Monsieur F. à l'ouverture des débats a donné lecture d'un argumentaire écrit qui n'a pas été préalablement communiqué à Madame S. afin de créer un effet de surprise, dans le but de l'empêcher d'organiser sa réponse de façon structurée.

Il ne peut être sérieusement soutenu que Madame S. était parfaitement informée des motifs de sa révocation alors que lors de la précédente réunion du 27 février 2014, il lui avait été formellement indiqué que cette question n'était nullement à l'ordre du jour et ses interrogations à ce sujet relevaient « d'un procès d'intention ».

Le court laps de temps qui lui a été laissé ne peut constituer un délai suffisant pour préparer sa défense sur des motifs non exprimés précédemment, même si cette dernière avait anticipé les événements en préparant un projet de réponse afin de se tenir prête à toute éventualité.

Par contre il n'est pas justifié d'une volonté délibérée de nuire ou de procéder de façon vexatoire à son endroit de la part des nouveaux dirigeants de la société, même s'ils ont agi de façon concertée après avoir pris soin de faire rentrer de nouveaux membres pour créer un rapport de force défavorable et rendre inévitable la révocation qu'ils souhaitaient.

Dès lors il y a lieu de condamner la société ANYWERE SERVICES à indemniser Madame S. du préjudice subi tel qu'arbitré par le tribunal de commerce pour tenir compte du fait qu'elle a été mise en demeure de quitter la société avec effet immédiat, sans lui laisser le temps d'organiser son départ alors que rien ne justifiait une telle précipitation.

Sur la demande reconventionnelle de la société ANYWERE SERVICES :

Cette demande se rattache aux prétentions initiales par un lien suffisant contrairement à ce qui est soutenu par l'intimée. En effet la SAS ANYWERE SERVICES qui invoquait en première instance la prise en charge de frais injustifiés pour s'opposer au paiement de l'indemnité de cessation de fonction est recevable à en solliciter le remboursement dès lors que cette demande tend aux mêmes fins, nonobstant la différence de fondement juridique.

La société ANYWERE SERVICES indique que Madame S. lui a fait supporter des avantages et des frais indus qui ont été rejetés par la majorité des associés au cours des assemblées générales du 30 juin 2014 et 29 juin 2015.

Elle réclame le remboursement de ces frais à hauteur de 93 908,09 euros augmentés des intérêts à compter de la décision à intervenir.

Il s'agit essentiellement des frais d'assurance dirigeant GSC et du contrat d'assurance-vie GAN (35 437 €), des frais d'essence non justifiés

(6979,09 euros), du prix de la location et de l'entretien du véhicule de fonction (30 277 €) des charges patronales et taxes (5563 €), des primes de résultat indûment perçus au titre de l'exercice 2012/2013 à la suite du conseil d'administration du 20 mars 2014 (11 238 €) et des charges patronales y afférents (4416 €).

Dès lors qu'il a été jugé que ces frais exposés en complément de salaire au bénéfice de la dirigeante avaient été comptabilisés dans la société et qu’ils n’avaient été nullement dissimulés, il y a lieu de rejeter les réclamations formées de ce chef.

En ce qui concerne les primes de résultat, il entrait dans les attributions du Conseil d'administration de les voter, même s'il s'est réuni le 20 mars 2014 dans un contexte peu propice puisque les principaux associés ont fait part de leur refus de s'y présenter.

Madame S. fait valoir à bon droit qu'en vertu des statuts, c'est le conseil d'administration qui dispose du pouvoir de fixer la rémunération du dirigeant et non pas l'assemblée générale des associés et que les délibérations prises en ce sens postérieurement à sa révocation sont dépourvues de tout effet dès lors que la fixation de la rémunération du dirigeant n'est pas soumise à la procédure des conventions réglementées prévues par l'article L. 227'10 et suivants du code de commerce.

L'assemblée générale des associés qui n'a pas le pouvoir de fixer la rémunération du président, n'a pas non plus le pouvoir de la remettre en cause.

Enfin il n'est pas établi que la prime ait été obtenue sur la foi de fausses informations sur les comptes de résultat des exercices 2012 et 2013 (au motif qu'une sur-provision de 86 753 € aurait été enregistrée artificiellement sur l'exercice 2012 sans la contrepartie des charges réelles et que sans cela les résultats auraient été négatifs) les parties étant contraires en fait à cet égard et l'expert-comptable de la société ayant validé les informations fournies au Conseil d'administration lors de la réunion du 20 mars 2014.

Dès lors il y a lieu de rejeter l'ensemble des prétentions formées de ce chef par la société ANYWERE SERVICES.

Sur les autres demandes :

Il y a lieu de confirmer la décision des premiers juges qui ont alloué à Madame S. la somme de 3000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, sans qu'il soit nécessaire d'allouer des sommes complémentaires en cause d'appel.

La partie qui succombe ne peut prétendre au remboursement de ses frais irrépétibles et doit supporter les entiers dépens de l'instance.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant après en avoir délibéré,

Confirme le jugement du 30 mai 2016 en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne la société ANYWERE SERVICES à payer à Madame Sylvie S. les intérêts au taux légal sur le montant de l'indemnité statutaire de révocation, à compter de l'assignation en justice du 10 octobre 2014 jusqu'au 11 juillet 2016,

Déboute Madame Sylvie S. de ses autres demandes,

Reçoit la société ANYWERE SERVICES en sa demande reconventionnelle,

Déboute la société ANYWERE SERVICES de toutes ses demandes au titre des frais indûment supportés du chef de Madame S.,

La déboute de ses demandes d'annulation et de réduction de la clause de révocation statutaire,

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de la société ANYWERE SERVICES,

Condamne la société ANYWERE SERVICES aux entiers dépens de l'instance.