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Décisions

CA Colmar, 1re ch. civ. B, 28 mai 2009, n° 09/01019

COLMAR

Arrêt

PARTIES

Défendeur :

PARIS 6 (SCI), BELLUS (SCI)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. LITIQUE

Conseillers :

M. CUENOT, M. ALLARD

Avocats :

Me HEICHELBECH, Me SPIESER

TGI STRASBOURG, du 27 fév. 2009

27 février 2009

Ayant pour associées, suite l'Assemblée Générale du 1er avril 2006, Mme Jeanne ULPIANO à raison de 125 parts et la SAS ULPIANO à raison de 3625 parts, et pour gérante Mme Jeanne ULPIANO, elle-même présidente de la SAS ULPIANO, la SARL AU [...] qui exploite un commerce de linge de maison, petit électro-ménager, articles culinaires, petits meubles, vannerie, gadgets, articles de Paris et en général tous objets de décoration pour la maison, qui avait signé le 2 avril 2002 deux baux commerciaux, l'un avec la SCI PARIS 6 pour des locaux situés [...], l'autre avec la SCI BELLUS pour des locaux situés [...], locaux communiquant par une cour, faisait signifier le 8 décembre 2008 à ses bailleurs l'annonce que sa gérante avait demandé à bénéficier de ses droits à retraite et entendait céder son droit au bail pour un commerce d'habillement.

En application de l'article L.145-51 du Code de commerce, la SCI PARIS 6 et la SCI BELLUS ont dès lors assigné le 6 février 2009 la SARL AU [...] en sollicitant du Tribunal qu'il interdise la cession du bail hors la cession du fonds de commerce pour une autre activité et interdise ainsi le projet qui leur était soumis, soutenant en particulier que les dispositions de l'article L.145-51 du Code de commerce n'étaient pas remplies, Mme Jeanne ULPIANO n'étant pas la gérante majoritaire de la SARL.

Par jugement du 27 février 2009 , la juridiction saisie, considérant que si le régime institué par cet article et favorable au locataire pouvait être étendu à un gérant minoritaire qui disposait, par un montage juridique, du contrôle réel de la SARL, le montage élaboré par Jeanne ULPIANO lui permettant de bénéficier, du moins apparemment, d'une protection sociale, faisait qu'elle en supporte les conséquences et ne pouvait donc prétendre bénéficier, en sus et artificiellement, des dispositions réservées aux gérants majoritaires faisant valoir leurs droits à la retraite, en conséquence a statué comme suit :

'FAIT interdiction à la SARL AU [...] de céder son bail en dehors d'une cession de son fonds de commerce, pour une autre activité que celle résultant des baux existants,

Lui FAIT ainsi interdiction de mener à son terme le projet de cession de bail signifié aux bailleresses le 8 décembre 2008,

CONDAMNE la SARL AU [...] aux entiers dépens de la présente procédure, et, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, la CONDAMNE à payer 1.000 euros (mille euros) à la SCI PARIS 6 et 500 euros (cinq cents euros) à la SCI BELLUS,

DECLARE le présent jugement exécutoire par provision.'

A l'encontre de cette décision la SARL AU [...] a interjeté appel par déclaration déposée le 2 mars 2009 , puis présenté une requête en assignation à jour fixe sur le fondement de l'article 917 du code de procédure civile auquel il a été fait droit par ordonnance du 4 mars 2009 .

Se référant à ses conclusions du 2 mars 2009 , la SARL AU [...] conclut à l'infirmation du jugement entrepris, à l'irrecevabilité des demandes des bailleresses, à leur débouté, à voir constater qu'elle peut se prévaloir des dispositions de l'article 145-51 du Code du commerce, à l'autorisation de la cession projetée du droit au bail des locaux loués respectivement à la SCI BELLUS et à la SCI PARIS 6, enfin à la condamnation des bailleresses au paiement, outre les dépens, d'un montant de 3.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en faisant valoir pour l'essentiel que :

- les demandes sont irrecevables dès lors que le bailleur doit, pour saisir le Tribunal dans les conditions prévues à l'article L.145-51 alinéa 1er du Code de commerce, signifier sa demande à la fois à la personne morale et au gérant personne physique.

- subsidiairement, alors qu'aucun texte, et notamment l'article L.145-51 du Code de commerce, ne donne de définition de la qualité de gérant majoritaire d'une SARL, la restriction mise par le Tribunal ajoute au texte et, en toute hypothèse, n'est pas conforme à la jurisprudence concernant cette notion.

- cette appréciation nouvelle du Tribunal constitue un revirement de jurisprudence contraire à l'article 6-1 de la CEDH, l'effet rétroactif d'une disposition légale, justifiable uniquement par un intérêt général et impérieux, n'étant pas applicable en l'espèce.

- au regard de tous les organismes sociaux, Mme ULPIANO était considérée comme gérante majoritaire de la SARL AU [...], ses contributions sociales étant toujours calculées sur la base de ce statut.

Se référant à ses derniers écrits du 18 mars 2009 , la SCI BELLUS conclut au rejet de l'appel, à la confirmation du jugement entrepris et à la condamnation de l'appelante au paiement, outre les dépens, d'un montant de 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en soutenant en substance que :

- le régime protecteur de l'article L.145-51 n'est pas édicté au bénéfice des dirigeants de SA. Admettre le contraire serait faire fi de la personnalité juridique distincte des sociétés.

- on ne peut en effet pas raccrocher deux régimes distincts et opposés pour tenter d'en faire un seul et vouloir ainsi bénéficier des avantages de la gérance minoritaire, de la faveur accordée au seul gérant majoritaire et du pouvoir de l'actionnaire majoritaire.

- il apparaît logique que Mme ULPIANO, personne physique et gérante très minoritaire au sein de la SARL AU [...], ne puisse prétendre à bénéficier d'avantages réservés à un gérant majoritaire par le biais de ses actions détenues dans une autre société quand bien même cette dernière serait-elle, elle-même, majoritaire dans la société locataire.

Bien que régulièrement assignée par exploit remis à l'étude d'huissier le 9 mars 2009 , la SCI PARIS 6 n'a pas constitué avocat devant la Cour.

Enfin, dans une note en délibéré du 30 mars 2009 déposée à la demande de la Cour, la SARL AU [...] précise l'identité de l'acquéreur du droit au bail, à savoir Mme Bendul OZKABALAK agissant tant en son nom personnel qu'en sa qualité de gérante et d'associée unique de la FAC en cours d'immatriculation au Registre du Commerce et des Sociétés de STRASBOURG et que Mme ULPIANO a cotisé au régime social des indépendants depuis le 1er avril 2006, date à laquelle aux termes du procès-verbal de l'Assemblée Générale extraordinaire et ordinaire du 1er avril 2006 elle a été nommée gérante de la SARL AU [...].

Dans une note en réplique en date du 2 avril 2009 , la SCI BELLUS précise que les raisons de substituer une société écran à une personne physique dans les membres d'une autre société peuvent avoir plusieurs raisons en dehors même des avantages du salariat.

SUR QUOI LA COUR :

Vu la procédure, les pièces régulièrement versées aux débats et les écrits des parties auxquels il est référé pour plus ample exposé de leurs moyens et arguments :

L'appel interjeté dans des conditions de forme et de délai dont la validité n'est pas contestée est recevable.

I) Sur l'irrecevabilité des demandes :

Il résulte du dossier de première instance que l'assignation des sociétés bailleresses a été délivrée le 6 février 2009 à 'la SARL AU [...] ayant son siège [...] prise en la personne de son gérant en exercice audit siège' et délivrée 'à Mme ULPIANO Jeanne, gérante, qui a déclaré être le représentant légal'.

Au regard de l'article L.147-51 du Code du commerce, cette signification est régulière et suffisante, si bien que la demande des sociétés bailleresses est recevable.

II) Sur l'applicabilité de l'article L.145-51 alinéa 2 du Code du commerce :

Il est constant que cet article, ni d'ailleurs le Code de commerce, ne donne de définition exacte de la notion de gérant majoritaire d'une SARL. Les principes régissant le décompte des parts sociales détenues dans une SARL sont fixés par les articles L.311-2 et L.311-3 11° du Code de la sécurité sociale en application desquels les gérants (associés ou non) majoritaires relèvent du régime social des indépendants (RSI), régime obligatoire de Sécurité Sociale assurant la couverture maladie et retraite des artisans et de commerçants.

Il résulte des pièces que Mme ULPIANO a cotisé au régime social des indépendants (RSI) depuis le 1er avril 2006 selon attestation de ce régime, c'est-à-dire depuis la date à laquelle, selon procès-verbal de l'Assemblée Générale du 1er avril 2006, elle était nommée gérante de la société appelante.

Enfin, selon la jurisprudence, n'a pas la qualité de gérant minoritaire un gérant de SARL titulaire de moins de la moitié du capital social dès lors qu'il est également le gérant d'une autre SARL possédant la majeure partie des parts de la première société et que, étant unique gérant de chacune d'elle, il contrôlait étroitement les deux sociétés et n'était minoritaire qu'en apparence (Cass. 22.02.1973).

En l'espèce, Mme ULPIANO détenait dans la SAS ULPIANO 5420 actions, soit

80 % du capital social, alors que cette société était elle-même détentrice de 3625 parts sociales, soit 97 % des parts sociales de la SARL appelante. Elle disposait donc de la quasi totalité du capital de la société associée et, ayant demandé à être affiliée au régime social des indépendants (RSI) selon courrier de cet organisme du 2 décembre 2008, elle doit pouvoir bénéficier des dispositions relatives à la retraite contenues dans l'article L.145-51 du Code de commerce, devant être considérée comme gérante majoritaire depuis le 1er avril 2006, soit depuis plus de deux ans, de la SARL appelante titulaire des baux commerciaux la liant aux deux SCI intimées.

En conséquence, le jugement sera infirmé en toutes ses dispositions et la cession projetée du droit au bail notifiée le 8 décembre 2008 sera autorisée.

III) Pour le surplus :

Les intimées succombant supporteront les dépens des deux instances et leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ne saurait prospérer.

En outre, l'équité commande de les faire participer à concurrence de 2.500 euros aux frais irrépétibles qu'a dû exposer l'appelante.

PA R C E S M O T I F S

LA COUR,

- DECLARE l'appel régulier et recevable en la forme

- Au fond, le DIT bien fondé

- INFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions

- DECLARE recevables les demandes des SCI PARIS 6 et BELLUS

- Les DIT mal fondées et les REJETTE

- AUTORISE la cession projetée du droit au bail des locaux loués respectivement par la SCI BELLUS et par la SCI PARIS 6 dans les termes de la notification du 8 décembre 2008 en application des dispositions de l'article L.145-51 dernier alinéa du Code de commerce

- CONDAMNE solidairement les SCI PARIS 6 et BELLUS aux dépens des deux instances

- les CONDAMNE en outre solidairement à payer à la SARL appelante un montant de 2.500 euros (deux mille cinq cents euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile.