CA Aix-en-Provence, 11e ch. b, 29 octobre 2015, n° 14/14444
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Confirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme COLENO
Conseillers :
Mme PELTIER, Mme FILLIOUX
Par acte du 25 mars 1961, Monsieur B., aux droits duquel est venue Madame Jeannine D., a consenti à Monsieur N., aux droits duquel est venue Madame Odile P.-R., un bail commercial à usage de parfumerie dans des locaux situés [...].
Par acte du 10 avril 2009, la locataire a sollicité le renouvellement du bail.
Par acte du 9 juillet 2009, Madame Jeannine D. a accepté le renouvellement mais en sollicitant le déplafonnement du loyer.
Par jugement du 22 juin 2011confirmé par un arrêt du 17 juin 2014, le juge des loyers a rejeté la demande de déplafonnement et a fixé le loyer plafonné à 10 970€ au jour du jugement,
Le 14 août 2012, Madame Odile P.-R. a fait signifier à Madame Jeannine D. une promesse de cession de son droit au bail à Monsieur G. dans le cadre des dispositions de l'article L145-51 du code de commerce.
Par acte du 12 octobre 2012 , Madame D. a fait citer Madame P.-R. devant le tribunal de grande instance de Nice afin de voir rejeter sa demande d'autorisation de cession et de déspécialisation en raison de son départ à la retraite.
Par jugement contradictoire du 23 juin 2014, la juridiction saisie a débouté la bailleresse de sa demande de résiliation aux torts de la locataire et l'a condamné au paiement d'une somme de 100.000€ à titre de dommages et intérêts dont 30 000€ avec exécution provisoire et 3 500€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La juridiction a retenu que la demande de résiliation du bail pour défaut d'exploitation personnelle ne pouvait prospérer en l'absence d'une clause au bail exigeant un exercice du commerce effectif par la locataire et a estimé que le refus de cession du bail opposé par la bailleresse ne reposait pas sur un motif légitime.
Le 22 juillet 2014, Madame Jeannine D. a interjeté appel à l'encontre de cette décision.
Par conclusions déposées et notifiées le 11 août 2015, elle demande à la cour de :
*infirmer le jugement entrepris,
*débouter Madame P. de ses demandes,
*la condamner à lui restituer les sommes versées au titre de l'exécution provisoire et à lui payer la somme de 5 000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle fait valoir :
- qu'à la réception de l'acte de cession du droit au bail par la locataire sous condition de l'obtention de prêts, elle a émis plusieurs réserves tenant notamment aux capacités du repreneur et au fait que Madame P., qui avait mis le fonds de commerce en location gérance, ne bénéficiait plus du statut de la propriété commerciale attachée au bail,
- que lorsque le cessionnaire, qui avait signé un compromis de vente sous la condition de l'obtention de prêts au plus tard le 30 septembre 2012, n'a pas obtenu à la date prévue les fonds lui permettant d'envisager l'achat du droit au bail, de sorte que Madame P. ne peut arguer d'une faute de la bailleresse puisqu'en tout état de cause, le cessionnaire était dans l'incapacité d'acquérir le fonds de commerce,
- que Madame P., qui sollicitait l'application des dispositions de l'article L145-51 du code de commerce n'a pas justifié, lors de la signification du compromis de cession, avoir déposé une demande à bénéficier de ses droits à la retraite ainsi que les textes l'exigent,
- qu'elle établit devant la cour avoir fait valoir ses droits à la retraite le 1er avril 2011 mais cependant il n'en reste pas moins vrai qu'elle n'en a pas informé sa bailleresse lors de la signification de l'acte ou lors des pourparlers ultérieurs, créant ainsi une suspicion légitime,
- qu'en omettant de préciser sa situation, elle a induit en erreur la bailleresse dont l'attitude, en l'absence d'information utile, ne peut être qualifiée de fautive.
Par conclusions notifiées et déposées le 11 août 2015, Madame P. demande à la cour de :
*confirmer le jugement querellé,
*débouter Madame D. de ses demandes,
*de la condamner à lui payer la somme de 10 000€ à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et 4 000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle fait valoir :
- que les clauses du bail du 25 mars 1961 ne prévoyaient pas l'agrément du bailleur en cas de cession du droit au bail, de sorte que la procédure initiée est particulièrement abusive,
- qu'elle a, du fait des manœuvres dilatoires de la bailleresse, perdu un candidat acquéreur lui causant un préjudice certain,
- qu'ayant mis son fond en location gérance, elle n'avait nullement à justifier d'une immatriculation au registre du commerce et des sociétés pour bénéficier du statut des baux commerciaux, ainsi qu'en dispose clairement l'article L145-II du code de commerce,
- qu'en tout état de cause, elle était régulièrement immatriculée et le fonds était exploité au jour de la cession,
- que le fond était garni et exploité et qu'au surplus aucune clause du bail n'imposait l'exploitation effective du fonds sous peine de résiliation du bail,
- que la procédure diligentée de façon abusive par la bailleresse a échaudé le candidat repreneur qu'elle a perdu ainsi une chance de pouvoir céder son droit au bail moyennant une somme de 200.000€, qu'il s'agit de la perte d'une éventualité favorable de sorte que les arguments sur l'absence d'obtention des prêts sont inopérants.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 3 septembre 2015.
MOTIFS
Attendu que le bail conclu le 25 mars 1961, pour l'exercice d'une activité de parfumerie dans les lieux loués ne prévoit aucune clause restrictive de cession du droit au bail, que le principe étant la liberté de cession, le silence du bail vaut affirmation de ce principe ;
Attendu que les dispositions de l'article L 145-51 du code de commerce permettent au locataire qui bénéficie d'une pension de retraite, de céder son droit au bail, sans qu'aucune restriction puisse être apportée par la bailleresse, et avec une faculté de déspécialisation ; qu'il s'agit d'une faculté particulière de déspécialisation permettant au locataire désireux de prendre sa retraite de céder son seul droit au bail avec un changement d'activité ;
Attendu qu'en invoquant les dispositions de l'article L 145-51 du code de commerce , la locataire a fait signifier le 14 août 2012 à la bailleresse par d'acte d'huissier, un compromis en vue d'une cession de son droit au bail intervenu le 30 juillet 2012 au profit de Monsieur G. pour un prix proposé de 200 000€ sous les conditions suspensives de l'obtention d'un prêt de 250 000€ avant le 30 septembre 2012, l'absence de justification de démarches réalisées en ce sens entraînant l'effet attaché à la réalisation de cette condition et de l'absence d'obstacle à une déspécialisation, le cessionnaire envisageant d'exercer une activité de prêt à porter au lieu et place de l'activité de parfumerie initialement prévue au bail ;
Attendu qu'en vertu des dispositions de l'article L 145-51 du code de commerce, le bailleur dispose d'un délai de deux mois pour faire valoir une priorité de rachat aux conditions fixées dans la signification ou dans le même délai pour saisir le tribunal de grande instance d'opposition à l'acte, notamment en raison de son refus de la déspécialisation envisagée au motif que la nature des activités dont l'exercice est envisagé n'est pas compatible avec la destination, les caractères et la situation de l'immeuble ;
Attendu que par assignation du 12 octobre 2012 enrôlée le 29 octobre 2012, dont la validité n'est pas contestée, la bailleresse a saisi le tribunal de grande instance de Nice afin de voir rejeter la demande de cession projetée par la locataire ;
Attendu qu'il convient de souligner que la faculté offerte par l'article L 145-51 du code de commerce est réservée au seul locataire ayant demandé à bénéficier de ses droits à la retraite ou ayant été admis à en bénéficier, qu'il est acquis par la production d'un décompte établi par le régime social des indépendants que Madame R., au demeurant âgée de 70 ans au jour de la signification, bénéficiait d'une pension de retraite depuis au moins le 1er avril 2011, de sorte que ce motif de contestation ne pouvait prospérer ;
Attendu que, selon un protocole d'accord signé le 12 mars 2013, Monsieur G., cessionnaire et Madame R., cédant, ont mis un terme à leur engagement du 30 juillet 2012 au motif que le refus de la transaction par la bailleresse rendait l'opération impossible ;
Attendu que l'activité de prêt à porter envisagée par le cessionnaire n'était manifestement pas incompatible avec la destination, les caractères et la situation de l'immeuble, que la contestation injustifiée du projet de cession par la bailleresse, qui a agi avec une légèreté blâmable, a contribué à l'échec de cette cession et entraîné un préjudice, caractérisé par une perte de chance ;
Attendu que si la preuve d'un lien de causalité entre le refus de la bailleresse et l'état de santé actuelle de la locataire n'est pas rapportée et si cette contestation n'a pas entraîné la perte du droit au bail pour la locataire qui n'établit pas une impossibilité actuelle de cession, il est néanmoins acquis que Madame R. n'a pas pu mener à bien son projet initial en raison de l'attitude de sa bailleresse, que le retard apporté dans la concrétisation d'un projet de cession est dû à la procédure engagée abusivement par la bailleresse, Madame D. et Monsieur G. ne voulant pas prendre le risque, en l'absence d'une décision de justice définitive, de s'engager;
Attendu que la réparation de la perte d'une chance ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré la chance si elle s'était réalisée et doit s'apprécier à l'aune de la chance perdue réalisée ;
Attendu qu'il n'est nullement établi qu'au 30 septembre 2012, soit préalablement à l'assignation mais dans les délais prévus à l'acte du 30 juillet 2012, le cessionnaire pressenti avait obtenu ou au moins effectué des démarches afin d'obtenir un prêt de 250 000€ lui permettant d'envisager l'achat du droit au bail ; de sorte qu'il n'est pas acquis que le cessionnaire aurait été capable, s'il avait obtenu l'accord de la bailleresse, d'acquérir le fonds et que seule l'opposition de la bailleresse lui aurait fait perdre la possibilité de céder son droit au bail ;
Attendu qu'il convient de confirmer la décision de première instance ;
Attendu que la décision des premiers juges sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile doit également être confirmée ; que la somme de 1 500€ doit être allouée en sus à l'appelante au titre des frais irrépétibles exposés en appel;
PAR CES MOTIFS
LA COUR :
Par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Condamne Madame Jeannine D. à payer à Madame Odile P.-R. la somme de 1500€ titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne Madame Jeannine D. aux dépens d'appel.