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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 3, 13 janvier 2017, n° 14/24747

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

AZILIS (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme BARTHOLIN

Conseillers :

Mme GALLEN, Mme FREMONT

Avocats :

SELARL RECAMIER AVOCATS ASSOCIES, SELASU ADVOCATIS

Paris, du 13 nov. 2014

13 novembre 2014

Suivant acte sous seing privé en date du 29 octobre 2012, Monsieur Michel H. a consenti à la société Malia J un bail commercial portant sur une boutique avec arrière-magasin sur cour et réserve au sous-sol à usage de création et vente de tenues de cérémonies, robes de mariées, accessoires, équipement de la personne, représentant le lot de copropriété n° 2 d'un immeuble situé [...], pour une durée de neuf années à compter du 1er novembre 2012.

Le 26 juillet 2013, la société Malia J a cédé son droit au bail à la SARL Azilis, avec entrée en jouissance au 1er octobre 2013.

Par acte d'huissier du 8 août 2013 visant les dispositions de l'article L. 145-51 du code de commerce, la société Malia J a fait signifier à Monsieur H. son intention de céder son bail commercial moyennant un prix de 5.000 euros pour l'exercice de l'activité de galerie d'art, vente et exposition d''œuvres d'art.

Par acte du 2 octobre 2013, Monsieur H. a fait signifier à la société Malia J sa volonté d'user de la priorité d'achat conférée par l'article L. 145-51 du code de commerce, son opposition à la cession envisagée et son offre de payer le prix de cession de 5.000 euros.

C'est dans ces circonstances que la société Azilis a fait assigner Monsieur H. devant le tribunal de grande instance de Paris par acte d'huissier du 22 novembre 2013, aux fins de voir constater l'inopposabilité de l'acte du 2 octobre 2013 et condamner Monsieur H. à lui payer la somme de 40.000 euros à titre de dommages-intérêts, outre une somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par jugement en date du 13 novembre 2014, le tribunal de grande instance de Paris a :

- dit que l'acte extrajudiciaire du 2 octobre 2013 délivré à la requête de Monsieur H. est opposable à la société Azilis,

- dit que la cession de bail intervenue entre la société Malia J et la société Azilis par acte du 26 juillet 2013 est inopposable à Monsieur H.,

- dit que Monsieur H. a accepté 1'offre de cession faite par acte extrajudiciaire du 8 août 2013 et qu'il est devenu cessionnaire du bail à compter du 2 octobre 2013,

- dit que la société Azilis occupe le lot n° 2, objet du bail commercial passé le 29 octobre 2012, sans droit ni titre,

- autorisé en conséquence l'expulsion de la société Azilis et de tout occupant de son chef avec 1'assistance si nécessaire de la force publique à 1'expiration du délai d'un mois à compter de la signification du jugement,

- dit qu'en cas de besoin, le sort des meubles se trouvant dans les lieux suivra celui prévu par les articles L. 433-1 et suivants et R. 433-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution,

- condamné la société Azilis à payer à Monsieur H. une indemnité d'occupation mensuelle de 3.000 euros, outre une provision sur charge de 100 euros par mois, à compter du 1er octobre 2013 et jusqu'à la libération effective des lieux par la restitution des clés,

- condamné la société Azilis à payer à Monsieur H. la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté les parties du surplus de leurs demandes,

- condamné la société Azilis aux dépens,

- ordonné l'exécution provisoire.

La société Azilis a relevé appel de ce jugement le 5 décembre 2014.

Le 11 juin 2015, le juge de l'exécution a rejeté la demande de délai pour libérer le local litigieux formulée par la société Azilis.

La société Azilis a été expulsée le 17 juillet 2015, les locaux ayant préalablement été libérés.

Par ordonnance du 26 octobre 2016 rendue au visa de l'article 910 du code de procédure civile, le magistrat de la mise en état a déclaré irrecevables comme tardifs les développements contenus dans les conclusions signifiées par la société Azilis le 6 septembre 2016 en ce qu'ils constituent une réponse à l'appel incident de l'intimé Michel H. figurant dans ses conclusions signifiées le 4 mai 2015, sans qu'il y ait lieu au rejet de ces conclusions dans leur ensemble, dit n'y avoir lieu d'écarter les pièces jointes à ces conclusions, débouté les parties de leurs autres demandes et dit que le sort des dépens de l'incident suivra celui de l'instance au fond.

Par ses dernières conclusions signifiées le 5 septembre 2016 (datées du 6 septembre 2016) au visa des articles 1134 suivants du code civil, L.145-51 du code de commerce, elle demande à la cour :

- d'infirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris,

À titre principal :

- dire que le droit de préférence usité par M. H. est irrégulier, faute d'avoir été notifié régulièrement dans le délai de deux mois à compter de la signification de l'acte de cession du 26 juillet 2013,

À titre subsidiaire :

- dire que la violation du droit de préférence institué par l'article L. 145-51 du code de commerce, disposition ayant pour finalité de faciliter le départ du locataire, est exclusivement imputable au cédant,

- dire que la violation du droit de préférence précité se résout en l'allocation de dommages et intérêts dont est seul débiteur le cédant,

- dire qu'il appartient éventuellement au bailleur de rechercher la responsabilité de la société Malia J et l'agence immobilière LM Transaction pour avoir omis de purger le droit de préférence prévu par l'article L. 145-51 du code de commerce,

En tout état de cause :

- condamner Monsieur H. à verser à l'appelante la somme de 40.000 euros en réparation de son préjudice du fait de l'exercice irrégulier de son droit de préférence et de l'exécution abusive du jugement rendu le 14 novembre 2014,

- débouter Monsieur H. de l'ensemble de ses demandes, et notamment de sa demande de condamnation de la société Azilis à payer des dommages et intérêts pour préjudice moral et de sa demande de rappel d'indemnité d'occupation,

- condamner Monsieur H. à payer la somme de 5.000 euros au titre des frais irrépétibles, ainsi qu'aux entiers dépens sur le fondement de l'article 699 du code de procédure civile.

Par ses dernières conclusions signifiées le 2 septembre 2016 au visa des articles L. 145-51 du code de commerce, 1382 du code civil, Monsieur H. demande quant à lui à la cour de :

- rejeter toutes fins, moyens ou conclusions contraires,

- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a condamné la société Azilis à lui payer une indemnité d'occupation mensuelle de 3.000 euros, outre une provision sur charge de 100 euros par mois, à compter du 1er octobre 2013 et jusqu'à la libération effective des lieux par la restitution des clés, et l'a débouté de ses autres demandes,

- débouter la société Azilis de l'intégralité de ses demandes,

- déclarer sa demande en fixation de l'indemnité d'occupation recevable et bien fondée,

- fixer l'indemnité d'occupation à la somme mensuelle de 7.600 euros TTC provision sur charges comprise jusqu'à complet déménagement et restitution des clés, à effet du 1er octobre 2013,

- condamner la société Azilis à lui payer un rappel d'indemnité d'occupation arrêté à la somme de 94.168 euros pour la période du 1er octobre 2013 au 17 juillet 2015, date d'expulsion,

- condamner la société Azilis à lui payer la somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral souffert,

- condamner la société Azilis à lui payer la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens qui seront directement recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du même code.

SUR CE

:

L'appelante soutient que Monsieur H. a abusivement exercé son droit de préférence puisqu'il n'en a pas valablement fait usage ni saisi le tribunal dans le délai de deux mois à compter de la signification de l'acte de cession, laissant la société locataire opérer le changement de destination des lieux à usage de galerie d'art.

Selon elle, le bailleur s'est prévalu de ce droit dans le seul but de contraindre la société Azilis à accepter une augmentation du montant du loyer de 16,5 % et le versement d'un pas de porte de 10.000 euros ; en toute hypothèse, les termes de l'acte du 2 octobre 2013 n'emporteraient pas exercice valable du droit.

Elle fait état des conséquences préjudiciables de son expulsion forcée en exécution du jugement entrepris, notamment l'annulation des évènements programmés dans les lieux, la baisse constante de son chiffre d'affaires et les implications d'une telle situation économique sur la santé de son gérant pour solliciter l'octroi d'une somme de 40.000 euros en réparation du préjudice causé par l'abus de droit du bailleur. Elle s'oppose au surplus à toute condamnation au paiement de dommages et intérêts pour préjudice moral causé à Monsieur H., ce dernier ne rapportant pas la preuve de la faute et du dommage allégué.

A titre subsidiaire, elle soutient que le bailleur ne peut faire annuler l'acte de cession passé en fraude de ses droits et se substituer à l'acquéreur qu'à la condition que le cessionnaire ait eu connaissance de l'existence du pacte de préférence et de l'intention du bénéficiaire de s'en prévaloir. Au cas présent, elle affirme qu'elle était acquéreur de bonne foi et n'avait pas connaissance de l'omission du rédacteur de l'acte qui n'avait pas sollicité le bailleur dans les conditions de l'article L. 145-51 du code de commerce au jour de la signature.

Sur l'indemnité d'occupation, elle demande la confirmation du jugement entrepris et relève que la partie adverse ne justifie pas de ses prétentions à ce titre.

L'intimé soutient que la demande adverse tendant à voir juger que l'exercice par le bailleur de son droit de priorité est irrégulier, est nouvelle en cause d'appel et partant irrecevable sur le fondement de l'article 564 du code de procédure civile ;

Or dès l'origine de l'instance, la SARL Azilis a demandé de voir dire que la signification par Monsieur H. de son droit de priorité ne lui était pas opposable, au motif qu'il avait exercé son droit de façon abusive, le moyen tiré de ce que les modalités d'exercice de ce droit n'ont pas été valablement respectées ne constituant pas une prétention au sens de l'article 34 du code de procédure civile et au demeurant n'est pas une nouvelle prétention qui tend aux mêmes fins que la demande d'origine.

L'article L 145-51 du code de commerce prévoit que lorsque le locataire ayant demandé à bénéficier de ses droits à la retraite, a signifié à son propriétaire et aux créanciers inscrits sur le fonds de commerce, son intention de céder son bail en précisant la nature des activités dont l'exercice est envisagé ainsi que le prix proposé, le bailleur a dans un délai de deux mois une priorité de rachat aux conditions fixées dans la signification. A défaut d'usage de ce droit par le bailleur, son accord est réputé acquis si, dans le délai de deux mois, il n'a pas saisi le tribunal de grande instance.

Or il résulte des pièces versées aux débats que la locataire la société Malia J a signifié le 8 août 2013 à la bailleresse qu'ayant demandé à bénéficier de ses droits à la retraite, elle entendait céder son droit au bail moyennant le prix de 5000 euros pour l'exercice dans les lieux loués d'une activité de galerie d'art, négoce, vente et exposition d'œuvres d'art ;

Le bailleur a fait signifier le 2 octobre suivant qu'il entendait user de son droit de priorité d'achat résultant des dispositions de l'article L 145-51 du code de commerce en s'opposant en conséquence à la cession et en offrant de payer le prix proposé.

Vainement la société Azilis prétend-elle que suivant le procès-verbal de signification, l'acte délivré par l'huissier instrumentaire à la locataire concernerait en réalité une 'signification de demande d'adjonction d'activités' alors que l'acte d'huissier du 2 octobre 2013 mentionne clairement que le bailleur entend exercer son droit de priorité par application de l'article L 145-51 du code de commerce en réponse à la signification faite par la locataire de son intention de céder son droit au bail.

La circonstance alléguée que dans le délai compris entre la signification par la locataire de son intention de céder son bail et l'exercice par le bailleur de son droit de priorité, des négociations seraient intervenues entre le bailleur et le candidat cessionnaire au sujet du prix du loyer, le bailleur ayant tenté selon la société Azilis d'obtenir un loyer supérieur et un droit d'entrée, ne valent pas renonciation du bailleur à l'exercice d'un droit qu'il tient de la loi et du reste, il n'est nullement établi que de telles négociations auraient été entreprises avant l'exercice par le bailleur de son droit.

La lettre du 13 novembre 2013 qui évoque ces négociations et que la société Azilis adresse au bailleur est en effet postérieure à l'exercice par le bailleur de son droit et elle y indique que ni la cédante ni son agent ne l'avaient avisée de cette faculté pour le bailleur d'exercer son droit de priorité, et qu'ils l'ont laissé entreprendre des travaux importants pour aménager les locaux, la société Azilis admettant ainsi que ce sont l'agent du bailleur et son avocat qui l'ont avisée de l'existence de ce droit de priorité.

La société ne démontre pas en conséquence que le bailleur avait en quelque sorte acquiescé à la cession en l'autorisant à s'installer dans les lieux et à y accomplir des travaux, aucune autorisation de travaux n'ayant été requise ni accordée.

Il s'ensuit que les premiers juges ont à bon droit retenu que le bailleur avait exercé son droit de priorité dans le délai imparti et que cette signification par le bailleur de l'exercice de son droit régulièrement effectuée était opposable à la société Azilis de sorte que celle-ci était occupante sans droit ni titre des lieux à compter du 2 octobre 2013.

La société Azilis est mal fondée dans ces conditions à se prévaloir du préjudice que lui cause son départ des lieux alors qu'elle s'y est installée à ses risques et péril et tout en soutenant que ni la cédante ni son agent ne l'avaient avisée du risque encouru par l'exercice par le bailleur de son droit de priorité, elle n'a formé à leur encontre aucune demande d'indemnisation qu'elle dirige à tort contre le bailleur.

Sur l'indemnité d'occupation, le bailleur rappelle que le tribunal lui a reproché de ne pas démontrer le bien-fondé de ses prétentions relatives à la valeur locative des lieux et au montant de l'indemnité due par l'occupante. Il se prévaut en cause d'appel d'une étude du marché locatif commercial réalisée en avril 2015 dans un rayon d'1km des locaux litigieux pour des superficies comprises entre 95 et 105 m², faisant ressortir selon lui une valeur basse de 7.500 euros / mois qu'il demande à la cour d'entériner à titre d'indemnité d'occupation outre 100 euros de provision pour charges, soit la somme de 7.600 euros à effet du 1er octobre 2013.

Or le document produit concerne une étude de marché des loyers commerciaux dans un rayon de 1 km autour du local de la [...], évoquant des emplacements dans des rues dont la commercialité n'a rien de comparable avec celle de la rue où est situé le local et en s'abstenant au surplus de décrire les caractéristiques du local et celles de l'immeuble dans lequel il est situé.

Dans ces conditions, le premier juge a à juste titre retenu que le préjudice résultant pour le bailleur du maintien dans les lieux de la société Azilis était suffisamment compensé par l'allocation d'une indemnité égale au montant du loyer et des charges ; Monsieur H. ne justifie pas en outre de l'existence d'un préjudice moral distinct, aucune pièce n'attestant de l'atteinte morale prétendument causée par le maintien dans les lieux de la société Azilis qui doit supporter les frais d'expulsion exposés, le fait pour Monsieur H. d'être retraité ne valant pas au surplus démonstration de la précarité alléguée.

La société Azilis qui succombe supportera les dépens et paiera à Monsieur H. la somme de 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement déféré,

Déboute les parties de leurs autres demandes,

Condamne la société Azilis aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile et à payer à Monsieur Michel H. la somme de 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du même code.