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Décisions

CA Aix-en-Provence, 2e ch., 8 mars 2018, n° 17/16900

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Défendeur :

Bâtisseurs du Moulin Saint-Paul (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Aimar

Conseillers :

M. Fohlen, M. Prieur

T. com. Tarascon, du 25 août 2017, n° 20…

25 août 2017

F A I T S - P R O C E D U R E - D E M A N D E S :

Les statuts de l'E.U.R.L. MACONNERIE MAXIME M. ont été signés le 22 novembre 2013 avec pour associé unique et gérant Monsieur Maxime M. ; le capital initial de 5 parts a été porté à 150 parts le 30 avril 2016 ; cette société est devenue le même jour une S.A.S., et le 24 mai la S.A.S. BATISSEURS DU MOULIN SAINT PAUL avec un capital de 900 actions, dont 450 soit 50 % pour Monsieur M. toujours gérant, et 2 nouveaux associés : pour 34 % soit 306 actions Monsieur Geoffrey A. devenu son directeur général, et pour 16 % soit 144 actions Madame Maryse M..

Les statuts de la société modifiés ce même jour stipulent dans leur article 35 alinéa 1 : 'Toutes les contestations qui pourraient s'élever pendant la durée de la Société (...) soit entre la Société et les associés titulaires de ses actions, soit entre les associés titulaires d'actions eux-mêmes, concernant les affaires sociales, l'interprétation ou l'exécution des présents statuts, seront soumises à la procédure d'arbitrage'.

L'assemblée générale ordinaire de la société BATISSEURS DU MOULIN SAINT PAUL s'est tenue le 31 mai 2017, et le procès-verbal contient les bilans, comptes et annexes de l'exercice du 1er mai 2016 au 30 avril 2017. Les associés ont été convoqués le 30 mai, avec en pièce jointe le rapport de gestion, pour une assemblée générale ordinaire fixée au 16 juin avec pour ordre du jour notamment l'approbation des comptes annuels clos le 30 avril.

Monsieur A., qui avait à plusieurs reprises en mai et juin 2017 fait par écrit des observations et réclamations à la société BATISSEURS DU MOULIN SAINT PAUL, a sommé par Huissier de Justice le 19 juin l'expert-comptable de celle-ci de lui communiquer les pièces comptables, les grands livres de compte et les inventaires pour les années 2015, 2016 et 2017. Mais un refus lui a été notifié le 7 juillet.

Le 4 juillet 2017 Monsieur A. avait fait assigner pour l'audience du 21 Monsieur M. et la société BATISSEURS DU MOULIN SAINT PAUL afin que les documents précités lui soient transmis, au visa des articles 872 et suivants et 145 du Code de Procédure Civile ainsi que L. 238-1 du Code de Commerce. Le 19 Monsieur M. a transmis les pièces comptables et bilans du 1er janvier 2015 au 30 avril 2017 à Monsieur A., qui le 2 août n'en a pas été satisfait. Le Président du Tribunal de Commerce de TARASCON-SUR-RHONE, après audience le 4 août, et par une ordonnance de référé du 25 août 2017 réputée contradictoire vu l'absence de cette société, au visa des articles 145, 872, 1448 et 1449 du Code de Procédure Civile :

* a déclaré Monsieur M. recevable en son exception [d'arbitrage] ;

* y faisant droit, s'est déclaré incompétent ;

* a dit qu'il appartient aux associés de mettre en oeuvre la procédure arbitrale prévues par les dispositions des statuts de la société BATISSEURS DU MOULIN SAINT PAUL, et les a renvoyés à mieux se pourvoir ;

* a débouté les parties de leurs conclusions plus amples ou contraires ;

* a dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

* a dit que les dépens resteront à la charge de la partie demanderesse.

Les associés de la société BATISSEURS DU MOULIN SAINT PAUL ont été convoqués le 1er septembre 2017, avec en pièce jointe le rapport de gestion et le bilan, pour une assemblée générale ordinaire de celle-ci fixée au 20 suivant dont l'ordre du jour est notamment l'approbation des comptes annuels clos le 30 avril. A assisté à cette assemblée, en vertu d'une ordonnance du 19 septembre rendue sur requête de Monsieur A. , un Huissier de Justice qui a établi le jour même un procès-verbal de constat.

Une ordonnance rendue le 19 octobre 2017 a désigné la S.C.P. G. & ASSOCIES prise en la personne de Maître Vincent G. ès qualités de mandataire ad hoc de la société BATISSEURS DU MOULIN SAINT PAUL, lequel sera notamment en charge de convoquer une assemblée générale extraordinaire en vue de décider la liquidation amiable.

Monsieur Geoffrey A. avait régulièrement interjeté appel de l'ordonnance de référé le 15 septembre 2017 de la totalité des chefs de l'ordonnance de référé dont le débouté de ses demandes, et par ordonnance du 18 septembre 2017 a été autorisé à assigner à jour fixe conformément à l'article 917 du Code de Procédure Civile. Par conclusions du 7 février 2018 l'appelant soutient notamment que :

- devant le Président du Tribunal de Commerce Monsieur M. n'a pas soulevé in limine litis l'exception d'incompétence, ayant précédemment présenté une défense au fond, et en application de l'article 74 alinéa 1 du Code de Procédure Civile est irrecevable en cette exception ; le même, en remettant le 19 juillet 2017 divers documents à Monsieur A. ce qui constitue un aveu judiciaire, a reconnu cette juridiction compétente ;

- Monsieur M. n'a pas désigné la juridiction selon lui compétente, laquelle n'existe pas puisque le tribunal d'arbitrage n'a pas été constitué ;

- la clause compromissoire n'exclut pas la possibilité, en l'absence de cette constitution, de saisir le juge des référés ;

- le premier juge a apprécié l'opposabilité à lui-même de cette clause alors qu'il n'était pas saisi de ce problème, ce qui caractérise un excès de pouvoir ;

-le même a commis une erreur de droit en retenant une absence d'urgence, laquelle n'est prévue ni par l'article 1449 du Code de Procédure Civile, ni par l'article 145 ;

- il y a eu erreur manifeste d'appréciation du juge des référés ; lui-même, que ce soit comme directeur général et comme associé minoritaire de la société BATISSEURS DU MOULIN SAINT PAUL, est légitime à demander des informations permanentes sur celle-ci, ayant constaté de nombreuses anomalies sur les relevés de compte et les différents bilans des exercices clos au 30 avril 2016 et au 30 avril 2017 pour les rémunérations accordées à Monsieur M. et des immobilisations ; le gérant de la société BATISSEURS DU MOULIN SAINT PAUL ne lui a jamais apporté aucune réponse à ses demandes et questions ; la convocation à l'assemblée générale du 20 septembre 2017 ne comporte toujours pas les pièces comptables litigieuses ;

- il y a urgence pour lui à obtenir ces dernières, incomplètement transmises à ce jour, car il est sciemment écarté de la gestion de la société ; Monsieur M. ne prouve pas avoir respecté son obligation de l'article 1353 du Code Civil de communiquer l'ensemble desdites pièces sollicitées ; il n'y a pas eu d'inventaire en 2017, ni de documents relatifs à la rémunération du gérant ; l'expert-comptable de la société lui a refusé l'accès aux documents comptables ; Monsieur M. lui refuse tout droit d'associé ;

- le bilan de l'exercice 2016-2017 n'a toujours pas été régularisé, ni déposé au Greffe du Tribunal de Commerce.

L'appelant demande à la Cour, vu les articles 145, 872 et suivants du Code de Procédure Civile, de :

- dire bien fondé l'appel formé par lui ;

- infirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance de référé ;

- rejeter toute exception d'incompétence ;

- statuant à nouveau ;

- se déclarer compétente afin de statuer sur le présent appel ;

- prendre acte que Monsieur M. n'a transmis en première instance qu'une seule partie des pièces sociales et comptables sollicitées, insuffisantes à justifier ou non de la régularité des écritures comptables ;

- en conséquence ;

- ordonner solidairement à Monsieur M. ès qualités et à la société BATISSEURS DU MOULIN SAINT PAUL la transmission :

. de l'intégralité des documents comptables des exercices 2015, 2016 et 2017 de la société BATISSEURS DU MOULIN SAINT PAUL ;

. des inventaires des exercices 2015, 2016 et 2017 ;

. des documents sociaux des exercices 2015, 2016 et 2017 ;

. des pièces justificatives ayant permis de procéder aux écritures comptables ;

- dire que la communication des documents et pièces justificatives sera assortie d'une astreinte de 200 euros 00 par jour de retard à compter de la décision à intervenir ;

- se réserver le droit de liquider l'astreinte suivant la condamnation ;

- en tout état de cause :

. débouter le cas échéant Monsieur M. ès qualités et la société BATISSEURS DU MOULIN SAINT PAUL de l'ensemble de leurs demandes ;

. condamner Monsieur M. au paiement de Ia somme de 2 000 euros 00 au bénéfice de Monsieur A. sur Ie fondement des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

Concluant le 11 janvier 2018 Monsieur Maxime M. ès qualité de présidente de la S.A.S. BATISSEURS DU MOULIN SAINT PAUL, et la S.A.S. BATISSEURS DU MOULIN SAINT PAUL, répondent notamment que :

- l'assignation mentionne des contestations concernant les affaires de cette société, que les statuts soumettent à une procédure d'arbitrage préalable à toute procédure judiciaire ;

- Monsieur M. ès qualité a présenté une demande de communication de pièces qui ne saurait être assimilée à une défense au fond ; en procédure orale une demande n'est valable que soutenue oralement à l'audience des débats ; devant le premier juge Monsieur M. ès qualité a systématiquement renvoyé à l'article 35 des statuts de la société BATISSEURS DU MOULIN SAINT PAUL ;

- le juge des référés est incompétent au regard de la disparition de l'objet de la procédure, Monsieur M. ès qualité ayant communiqué les documents comptables sollicités par Monsieur A. ; la demande de ce dernier ne comporte plus d'évidence, et encore moins une quelconque urgence.

Les intimés demandent à la Cour de :

- confirmer purement et simplement l'ordonnance de référé entreprise en ce qu'elle a reçu l'exception d'incompétence soulevée avant tout débat au fond par Monsieur M. ès qualités ;

* à titre principal :

- constater l'existence objective entre les parties de contestations relatives aux affaires sociales ;

- constater l'opposabilité des dispositions de l'article 35 des statuts de la société BATISSEURS DU MOULIN SAINT PAUL ;

- constater qu'une procédure d'arbitrage aurait dû être mise en oeuvre par les parties :

- constater l'existence des modalités de mise en oeuvre de la procédure arbitrale opposable aux parties aux termes de l'article 35 des statuts de la société BATISSEURS DU MOULIN SAINT PAUL ;

- constater que Monsieur M. ès qualités a soulevé l'exception d'incompétence avant toute défense au fond lors de l'audience de référés du 4 août 2017 ;

- dire et juger recevable l'exception d'incompétence soulevée par Monsieur M. ès qualités :

- dire et juger le Juge des Référés purement et simplement incompétent ;

* à titre subsidiaire, si par extraordinaire la Cour devait écarter l'exception d'incompétence soulevée par Monsieur M. et l'opposabilité aux parties de l'article 35 des statuts de la société BATISSEURS DU MOULIN SAINT PAUL :

- prendre acte de la communication par Monsieur M. ès qualités de l'ensemble des documents comptables sollicités par Monsieur A. dans le cadre de son assignation ;

- constater que l'objet de la présente procédure de référé, tendant dans la communication des éléments comptables susvisés et dûment communiqués, a disparu ;

- constater l'absence de toute évidence et de toute urgence justifiant le maintien d'une procédure de référés ;

- dire et juger le juge des référés purement et simplement incompétent ;

- rejeter purement et simplement toutes les demandes de Monsieur A. ;

* condamner Monsieur A. à payer au titre des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile :

- au profit de Monsieur M. ès qualités la somme totale de 3 000 euros 00 ;

- au profit de la société BATISSEURS DU MOULIN SAINT PAUL la somme totale de 3 000 euros 00.

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M O T I F S D E L ' A R R E T :

Sur l'arbitrage :

Monsieur M., après avoir été assigné le 4 juillet 2017 devant le Président du Tribunal de Commerce par Monsieur A., a transmis le 19 divers documents à ce dernier ce qui caractérise expressément sa reconnaissance de la compétence de cette juridiction au détriment de la procédure d'arbitrage.

Par ailleurs la clause compromissoire n'exclut pas la possibilité, vu l'absence actuelle de constitution de la juridiction arbitrale stipulée à l'article 35 alinéa 1 des statuts de la société BATISSEURS DU MOULIN SAINT PAUL, de saisir le juge des référés en application de l'article 1449 du Code de Procédure Civile'aux fins d'obtenir (...) une mesure provisoire ou conservatoire'.

C'est donc à tort que le Président du Tribunal de Commerce s'est déclaré incompétent, a dit qu'il appartient aux associés de mettre en oeuvre la procédure arbitrale prévues par les dispositions des statuts de la société BATISSEURS DU MOULIN SAINT PAUL, et les a renvoyés à mieux se pourvoir.

Sur le fond :

L'article L. 238-1 du Code de Commerce permet à Monsieur A., en sa qualité d'associé même minoritaire de la société BATISSEURS DU MOULIN SAINT PAUL, de demander en référé 'la production, la communication ou la transmission des documents' comptables de celle-ci, sans nécessité d'une situation d'urgence. Mais cette dernière est requise par l'article 1449 précité pour les mesures telles que demandées par Monsieur A., même si elle n'est pas visée par l'article 145 du même Code.

Aujourd'hui mars 2018 il est urgent que Monsieur A. puisse obtenir les documents pour les exercices 2015, 2016 et 2017 de la société BATISSEURS DU MOULIN SAINT PAUL, que celle-ci ne lui a toujours pas transmis en totalité alors qu'elle en a l'obligation vu sa double qualité d'associé et de directeur général, et que l'expert-comptable de la même refuse de lui communiquer.

Par suite la Cour fait droit aux demandes de Monsieur A., sauf pour la liquidation de l'astreinte qui est de la compétence naturelle du Juge de l'Exécution, ainsi qu'au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile pour des raisons d'équité.

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D E C I S I O N

La Cour, statuant en dernier ressort et par arrêt contradictoire.

Réforme l'ordonnance de référé du 25 août 2017.

Juge compétente la juridiction judiciaire.

Condamne in solidum Monsieur Maxime M. ès qualités de gérant de la S.A.S. BATISSEURS DU MOULIN SAINT PAUL, et la S.A.S. BATISSEURS DU MOULIN SAINT PAUL, à transmettre à Monsieur Geoffrey A., l'intégralité des documents comptables, des inventaires et des documents sociaux de la S.A.S. BATISSEURS DU MOULIN SAINT PAUL pour les exercices 2015, 2016 et 2017, ainsi que des pièces justificatives ayant permis de procéder aux écritures comptables, le tout sous astreinte provisoire de 200 euros 00 par jour de retard à compter du lendemain de la signification du présent arrêt.

Condamne Monsieur Maxime M. aux dépens de première instance et d'appel, avec application de l'article 699 du Code de Procédure Civile.

Rejette toutes autres demandes.