CA Caen, 2e ch. civ. et com., 29 juin 2017, n° 16/03682
CAEN
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Defenseolia (Association), La Porte du Soleil (SCI)
Défendeur :
JP Holding (SARL), Peleia 1 (SAS), Peleia 4 (SAS), Fidorg Audit (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Briand
Conseillers :
Mme Boissel Dombreval, Mme Heijmeijer
Avocat :
Selarl Lexlinea
L'association Defenseolia, ainsi que les 23 autres appelants dont l'identité est rappelée en tête de l'arrêt, ont interjeté appel de l'ordonnance rendue le 21 septembre 2016 par le Président du tribunal de commerce de Caen, statuant en référé, qui a :
- débouté l'Association Defenseolia ainsi que l'ensemble des demandeurs de toutes leurs demandes,
- condamné l'Association Defenseolia ainsi que l'ensemble des demandeurs à payer aux sociétés JP Holding, Peleia1 et Peleia 4, unies d'intérêts la somme de 5 000 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Exposant que les sociétés Peleia 1 et Peleia 4 créées respectivement en 2004 et 2005 pour exploiter des éoliennes, sont dirigées par la SARL JP Holding dont M. Jean-Louis N. est le dirigeant, et soutenant qu'au fil des exercices les associés ont constaté des procédés anormaux de la part de leur Président qui utiliserait notamment la trésorerie des sociétés à des fins personnelles, ou engagerait des charges d'exploitation n'ayant pas de contrepartie, l'Association Defenseolia et les associés demandeurs, ont, par actes d'huissier du 27 avril 2016, fait assigner les sociétés JP Holding, Peleia 1 et Peleia 4, ainsi que la SAS Fidorg Audit aux fins de voir désigner un expert judiciaire ayant pour mission de :
- se rendre au siège social des sociétés Peleia 1 et 4 ;
- se faire remettre les pièces et informations suivantes :
' Comptes sociaux des sociétés Peleia 1 et 4 depuis la création de ces sociétés, soit actif/passif et compte de résultat, détaillé et en liste, outre une copie dématérialisée des journaux des cinq derniers exercices ;
' L'ensemble des livres et registres légaux créés pour les sociétés Peleia 1 et 4, soit à minima le registre d'assemblées générales et le registre de mouvements de titres à jour, le livre-journal, le grand livre et le livre d'inventaire ;
' L'ensemble des documents établis lors des assemblées générales (procès-verbaux, rapports généraux et spéciaux, rapport de gestion) ;
' L'ensemble des conventions conclues entre les sociétés Peleia 1 ou 4, et les sociétés détenues par M. Jean-Louis N., directement ou indirectement, dans les conditions de l'article L 227-10 du code de commerce, en ce compris toutes les conventions de trésorerie ou de mise à disposition de fonds, ainsi que les sommes mises à disposition au titre de compte courant d'associés ;
- Plus généralement, se faire remettre tous les documents, pièces ou informations qu'il jugera utiles à la bonne exécution de sa mission ;
- Donner son avis sur :
' L'ensemble des conventions conclues entre les sociétés Peleia 1 et 4 et les sociétés détenues directement ou indirectement par M. Jean-Louis N., qu'elles soient écrites ou orales ; préciser à chaque fois si l'intérêt de la société Peleia 1 ou 4 selon le cas, commandait que ladite convention soit conclue (si tel n'est pas le cas, dire quelle société en profite) et si elle a fait l'objet d'une dénonciation préalable aux associés dans les conditions de l'article L 227-10 du code de commerce ;
' Les offres de rachat faites par M. Jean-Louis N. à l'ensemble des associés minoritaires depuis mars 2015, au vu notamment de la description de l'activité qui accompagnait ces offres et au vu du refus de M. N. d'accorder son agrément à toute cession à d'autres personnes qu'à lui-même ;
' Le bon accomplissement des diligences du Commissaire aux comptes au regard notamment des dispositions des articles L. 823-9 et L. 823-12 al.2 du code de commerce ; Dire si M. Le Commissaire aux comptes aurait pu mieux compléter ses rapports et permettre ainsi une information plus complète des associés minoritaires '
- Chiffrer le préjudice financier subi par les sociétés Peleia 1 et 4 du fait des décisions de gestion contestées par les associés minoritaires, manque à gagner et perte de chance incluses ; à tout le moins, donner son avis sur les estimations qui seront communiquées par les parties pour chiffrer les préjudices ;
- plus généralement, donner tous éléments permettant au juge du fond, le cas échéant, de trancher les responsabilités, les dédommagements susceptibles d'être fixés ;
- dire que l'expert, s'il constate la conciliation des parties, en fera communication au Magistrat qui lui a confié la mission ;
- indiquer le délai dans lequel, sauf par prorogation dûment sollicitée en temps utile auprès du Juge, l'Expert devra déposer son rapport ;
- subordonner l'exécution de la décision à intervenir, en ce qui concerne l'expertise, à la consignation d'une somme dont il conviendra de fixer le quantum ;
- dire que faute de consignation dans le délai, la désignation de l'expert sera caduque et privée de tous effets ;
Désigner un administrateur judiciaire qui disposera de tous les pouvoirs attribués au Président de la société par la loi et les statuts ;
Dire que l'administrateur judiciaire nommé pourra se faire assister par toutes personnes de son choix ;
Donner pour mission à l'administrateur judiciaire désigner de :
Gérer les sociétés Peleia 1 et 4 durant les opérations d'expertise financière et le temps que la juridiction du fond puisse se prononcer sur les responsabilités et les préjudices ;
Rechercher avec les actionnaires minoritaires les irrégularités ayant affecté la gestion des sociétés Peleia 1 et 4 jusqu'à sa désignation, et, en cas de préjudice avéré pour les sociétés Peleia 1 et 4, faire le nécessaire pour que le trouble cesse, y compris en mettant un terme aux conventions litigieuses conclues avec les sociétés détenues directement ou indirectement par M. Jean-Louis N., et en demandant le remboursement immédiat, principal, intérêts et accessoires compris, des sommes mises ainsi à dispositions desdites sociétés sans autorisation préalable de l'assemblée générale et des associés ;
Condamner la société JP Holding au paiement de la somme de 10 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Les sociétés défenderesses ont soulevé divers moyens d'irrecevabilité.
Les Sociétés JP Holding, Peleia 1 et Peleia 4 ont en outre sollicité des dommages et intérêts pour procédure abusive et des indemnités fondées sur l'article 700 du code de procédure civile.
C'est dans ces conditions que l'ordonnance déférée a été rendue.
En cause d'appel, la cour est saisie des prétentions et moyens des parties exposés dans les conclusions déposées le 9 mai 2017 par l'Association Defenselolia et les 23 autres appelants, le 4 mai 2017 par la SARL JP Holding, la société Peleia 1 et la société Peleia 4, et le 10 mars 2017 par la SAS Fidorg Audit.
Les appelants concluent à l'infirmation de l'ordonnance et au débouté de l'ensemble des demandes des intimés et sollicitent à titre principal la désignation d'un administrateur provisoire, à titre subsidiaire sur le fondement de l'article L. 225-31 du code de commerce, ou 145 du code de procédure civile, une mesure d'expertise judiciaire, l'expert ayant la même mission que celle sollicitée devant le premier juge.
A titre infiniment subsidiaire, ils demandent qu'il soit enjoint à la société JP Holding et à la SAS Fidorg Audit de communiquer, sous astreinte de 300 € par jour de retard :
' Les comptes sociaux détaillés et en liste, des sociétés Peleia 1 et Peleia 4 depuis la création de ces sociétés, avec les annexes, soit actif/passif et compte de résultats, outre une copie dématérialisée des journaux des cinq derniers exercices ;
' L'ensemble des livres et registres légaux créés pour les sociétés Peleia 1 et Peleia 4, soit à minima le registre d'assemblées générales et le registre de mouvements de titres à jour, le livre-journal, le grand livre et le livre d'inventaire ;
' L'ensemble des documents établis lors des assemblées générales (procès-verbaux, rapport généraux et spéciaux, rapport de gestion) depuis la constitution des sociétés ;
' L'ensemble des conventions conclues entre les sociétés Peleia 1 ou Peleia 4 et les sociétés détenues par M. N., directement ou indirectement, dans les conditions de l'article L. 227-10 du code de commerce, en ce compris toutes les conventions de trésorerie ou de mise à disposition de fonds, ainsi que les sommes mises à disposition au titre de compte courant d'associés, et ce depuis la constitution des sociétés ;
Les sociétés JP Holding, Peleia 1 et Peleia 4 soulèvent à titre principal divers moyens d'irrecevabilité, et à être subsidiaire concluent au rejet des demandes.
En tout état de cause, elles sollicitent des dommages et intérêts pour procédure abusive et des indemnités fondées sur l'article 700 du code de procédure civile.
La société Fidorg Audit conclut à la confirmation de l'ordonnance.
SUR CE,
- Sur les moyens d'irrecevabilité
La société Peleia 1 et la société Peleia 4 font justement valoir que seuls les associés de chacune d'elle sont recevables en leurs demandes les visant.
Ainsi, à défaut d'être associés de la SAS Peleia 1 Philippe L., Marc L.Patrick R., Catherine R., Charles S., Julie S., Michel S., François S., François M. et Jean-Marie S. sont irrecevables en leurs demande interessant la SAS Peleia 1.
Et à défaut d'être associés de la SAS Peleia 4 Ludovic D., Gérard D., Pierre F., Didier L., Michel M., Calogéro M., Jean R., la société M. Investissement, la SCI de la Porte du soleil et M. Jean-Marie S. sont irrecevables en leurs demandes intéressant la SAS Peleia 4.
S'agissant du moyen d'irrecevabilité fondé sur les dispositions des articles 960 et 961 du code de procédure civile tenant à l'absence de précision dans les conclusions de la profession des appelants personnes physiques, et pour M. M. de son domicile, il sera relevé qu'aux termes de leurs conclusions en date du 9 mai 2017, les précisions imposées par les dispositions légales ont été apportées par les appelants de sorte que ce moyen ne peut être accueilli.
S'agissant de la demande formée à titre principal par les appelants tendant à la désignation d'un administrateur provisoire, il sera relevé qu'il s'agit d'une mesure exceptionnelle qui ne peut être envisagée qu'en cas de crise aigüe rendant impossible le fonctionnement normal de la société, notamment lorsque la gestion de la société est entravée soit du fait des organes sociaux soit du fait des associés.
En l'espèce, aucun péril imminent susceptible d'affecter le fonctionnement de la société n'est démontré.
C'est donc à juste titre que cette demande a été rejetée.
Les sociétés Peleia 1, Peleia 4 et JP Holding soulèvent également l'irrecevabilité des demandes fondées sur les dispositions de l'article L. 225-231 du code de commerce au motif, d'une part, que l'association Defenseolia ne remplit pas les conditions de l'article L. 225-120 du code de commerce de sorte qu'elle ne pourrait pas représenter les associés de Peleia 1 et Peleia 4 pour poser des questions écrites et, d'autre part que seul le Président du tribunal de commerce saisi et statuant en la forme des référés est habilité à appliquer l'article L. 225-231 du code de commerce.
Les appelants font valoir qu'ils représentent 26,54 % de Peleia 1 et 44,30 % de Peleia 4, soit largement plus de 5 % et qu'en signant les statuts, ils ont donné pouvoir à son président, comme à l'avocat rédacteur d'agir en leur nom.
Ils ajoutent que les investisseurs personnes physiques sont intervenus à l'instance.
Les dispositions de l'article L. 225-231 du code de commerce permettent à un ou plusieurs actionnaires représentant 5 % du capital social, soit individuellement soit en se groupant sous quelque forme que ce soit, de poser des questions par écrit sur les opérations de gestion de la société.
Il n'est pas contesté que les membres de l'association, demandeurs représentent pour chaque société plus de 5 % du capital social.
Les dispositions de l'article L. 225-120 qui ne concernent que les sociétés dont les actions sont admises sur les marchés réglementés ne sont pas applicables en l'espèce.
L'association Defenseolia avait donc qualité pour poser des questions écrites sur la gestion des sociétés Peleia 1 et Peleia 4, et l'action en justice a été introduite conjointement avec l'association par les associés des deux sociétés personnes physiques.
Ce moyen sera en conséquence écarté.
Aux termes de l'article R. 225-163 du code de commerce, la demande d'expertise de gestion doit être présentée devant le président du tribunal de commerce statuant en la forme des référés.
Le président du tribunal de commerce statue alors comme juge du fond, et non comme juge des référés, après que le greffe ait convoqué les représentants de la société.
Le juge des référés n'ayant pas les pouvoirs du juge statuant en la forme des référés doit relever d'office l'irrecevabilité des demandes présentées devant lui, puisque ces attributions de pouvoir sont d'ordre public.
Les demandes d'expertise de gestion présentées devant le juge des référés sur le fondement de l'article L. 225-231 du code civil sont en conséquence irrecevables tant à l'égard de la société Peleia 1 que de la société Peleia 4.
S'agissant de la demande d'expertise fondée sur les dispositions de l'article 145 du code de procédure civile, il sera relevé que la mesure d'instruction sollicitée s'analyse en une mesure générale d'investigation portant sur l'ensemble de l'activité et la gestion des sociétés Peleia 1 et Peleia 4 depuis leur création, qui excède les prévisions de l'article 145 du code de procédure civile, une telle mesure ne pouvant être ordonnée pour permettre aux demandeurs de découvrir un fondement juridique pour une demande en justice postérieure, ou d'obtenir un avis d'ordre juridique sur la validité de conventions qui n'entre pas dans la mission d'un expert.
Il sera relevé en outre que les offres de rachat des parts sociales émanaient de la société JPEE non-partie à l'instance, et que les demandeurs n'ont pas cédé leurs titres, de sorte qu'aucune mesure d'instruction ne peut être ordonnée de ce chef, faute d'intérêt.
S'agissant de la demande de communication de pièces, elle n'est pas motivée par les appelants.
En application des dispositions de l'article 227-1 du code de commerce, les articles L. 225-103 à L. 1225-126 concernant les sociétés anonymes ne sont pas applicables aux sociétés par actions simplifiées. Il en est notamment ainsi des articles L. 225-115, L. 225-116 et L. 225-117 relatifs au droit de communication des actionnaires.
Il convient donc de se référer aux statuts des SAS Peleia 1 et Peleia 4 et notamment à l'article 24 qui prévoit les modalités du droit d'information permanent des associés.
Cet article ne prévoit pas la possibilité de se faire substituer par un mandataire pour la consultation des pièces de sorte que le refus opposé à M. R. non associé de la société Peleia 1 pour la consultation des pièces de cette société est fondé.
L'article L. 238-1 du code de commerce ne permet de demander au juge des référés que la communication des pièces limitativement énumérées par les articles qu'il vise.
Il ressort de la pièce n° 46 des appelants que M. R. a eu communication des pièces concernant la société Peleia 4 dont il pouvait légalement obtenir communication.
S'agissant de la société Peleia 1, les dernières conventions de Trésorerie ont été produites par cette société et figurent en pièce 50 du bordereau des appelants.
Les associés de la société Peleia 1 ne justifient pas avoir fait personnellement une demande régulière de pièce conformément aux dispositions des statuts qui limitent la consultation des documents aux trois derniers exercices sociaux.
Dans ces conditions, les demandes de communication de pièces présentées par les appelants seront rejetées.
Le caractère abusif de la procédure n'étant pas démontré, il n'y a pas lieu à dommages et intérêts au bénéfice des sociétés intimées.
En équité, il sera alloué une somme complémentaire de 3 000 € aux sociétés Peleia 1, Peleia 4 et JP Holding unies d'intérêts sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Déclare irrecevables en leurs demandes formées à l'égard de la SAS Peleia 4 les appelants non associés de cette société.
Déclare irrecevables en leurs demandes formées à l'égard de la SAS Peleia 1 les appelants non associés de cette société.
Déclare les appelants irrecevables en leurs demandes d'expertise fondées sur les dispositions de l'article L 225-231 du code de commerce.
Confirme pour le surplus l'ordonnance déférée, notamment en ce qu'elle a débouté les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes.
Rejette la demande de communication de pièces présentée à titre infiniment subsidiaire par les appelants.
Condamne in solidum les appelants à payer à la SAS Peleia 1, à la SAS Peleia 4 et à la société JP Holding unies d'intérêt, une somme complémentaire de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamne in solidum les appelants aux dépens.