CA Riom, 3e ch. civ. et com. réunies, 22 juin 2016, n° 15/02160
RIOM
Arrêt
Infirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Lafon
Conseillers :
M. Riffaud, M. Juillard
EXPOSÉ DU LITIGE :
Le capital social de la société par actions simplifiée (SAS) VILLETTES PLASTIQUES est détenu à hauteur de 60 % par la société OLIVIER V. PLASTIQUES (OVP), ayant pour président M. Olivier V., de 20 % par Mme Aurore M. et de 20 % par M. Hubert B., ces derniers étant les enfants du fondateur de cette société.
La SAS VILLETTES PLASTIQUES a pour président M. V..
Par acte du 17 avril 2015 , Mme M. et M. B. ont fait assigner M. V., « en qualité de président de la société VILLETTES PLASTIQUES », devant le président du tribunal de commerce du Puy-en-Velay, statuant en référé, aux fins d'obtenir qu'il lui soit ordonné, « en qualité de président de la société », de leur communiquer sous astreinte les rapports spéciaux du commissaire aux comptes sur les conventions réglementées des exercices clos les 31 mars 2008, 31 mars 2009, 31 mars 2010 et 31 mars 2011, ces documents devant leur permettre de connaître le montant des redevances de prestations de services servies par la SAS VILLETTES PLASTIQUES à la société OVP.
Par ordonnance de référé en date du 15 juin 2015, Mme M. et M. B. ont été déboutés de leurs demandes, au motif qu'il était établi que ces rapports spéciaux avaient été présentés et approuvés à chaque assemblée générale et que, selon le commissaire aux comptes de la société VILLETTES PLASTIQUES, aucune prestation de service n'avait été facturée à la société VILLETTES PLASTIQUES par la société OVP.
Dans cette ordonnance, le juge des référés a relevé que la société VILLETTES PLASTIQUES n'était pas partie à l'instance.
Mme M. et M. B. ont relevé appel de cette ordonnance.
Leur déclaration d'appel désigne comme partie intimée M. V., sans mention de sa qualité de président de la société VILLETTES PLASTIQUES.
Saisi par M. V. de conclusions d'incident tendant à ce que cet appel soit déclaré irrecevable pour avoir été interjeté à son encontre à titre personnel, le conseiller de la mise en état a, par ordonnance du 4 février 2016, déclaré, au visa des articles 547 et 117 du code de procédure civile , Mme M. et M. B. irrecevables en leur appel.
Cette ordonnance lui ayant été déférée, la cour l'a, par un arrêt rendu le 4 mai 2016, infirmée et a déclaré l'appel recevable.
Aux termes de leurs dernières écritures notifiées le 10 mai 2016 au moyen du RPVA, Mme Aurore M. et M. Hubert B., demandent à la cour, au visa des articles 11, 142 et 145 du code de procédure civile et L. 227-10 du code de commerce de réformer l'ordonnance critiquée et de :
- ordonner à M. Olivier V., en sa qualité de président de la société VILLETTES PLASTIQUES, la communication, sous astreinte de 200 euros par jour de retard commençant à courir huit jours après la signification de l'arrêt à intervenir :
* du rapport spécial du commissaire aux comptes sur les conventions réglementées de l'exercice clos le 31 mars 2011 de la société VILLETTES PLASTIQUES,
* du rapport spécial du commissaire aux comptes sur les conventions réglementées de l'exercice clos le 31 mars 2010 de la société VILLETTES PLASTIQUES,
* du rapport spécial du commissaire aux comptes sur les conventions réglementées de l'exercice clos le 31 mars 2009 de la société VILLETTES PLASTIQUES,
* du rapport spécial du commissaire aux comptes sur les conventions réglementées de l'exercice clos le 31 mars 2008 de la société VILLETTES PLASTIQUES,
- condamner M. V. aux dépens et à leur payer une somme de 2 500 euros au titre de leurs frais de procès.
Ils exposent qu'il résulte de l'assemblée générale des associés du 22 septembre 2009 qu'un rapport du commissaire aux comptes a été établi sur les conventions réglementées visées par l'article L. 227-10 du code de commerce et qu'ils sont ainsi fondés à obtenir la communication des différents rapports spéciaux du commissaire aux comptes qui ne leur pas été assurée.
Aux termes de ses écritures notifiées le 24 décembre 2015 au moyen du RPVA, M. Olivier V. demande à la cour, au visa des articles 145 du code de procédure civile et L. 225-115, L. 225-117, L. 225-40, R. 225-83 et R. 225-88 du code de commerce de :
- retenir que les consorts M.-B. ne peuvent réclamer la communication du rapport spécial du commissaire aux comptes pour des exercices antérieurs au trois derniers exercices ;
- retenir que les consorts M.-B. ont eu une parfaite information et connaissance des rémunérations qui lui ont été allouées dans le cadre des procès-verbaux des assemblées générales des exercices 2008 à 2014 et qu'ils ne justifient pas de l'existence d'un motif légitime au sens de l'article 145 sus-visé ;
- confirmer l'ordonnance en toutes ses dispositions ;
- condamner solidairement les appelants aux entiers dépens de l'instance, dont distraction au bénéfice de Maître L., avocate et à lui payer, chacun, une indemnité de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Il expose qu'à la suite des demandes présentées par lettres recommandées du 22 septembre 2014, Mme M. et M. B. ont, en application des dispositions de l'article L. 225-117 du code de commerce, obtenu, par une lettre recommandée du 22 septembre 2014, la communication des documents portant sur les exercices clos les 31 mars 2012, 2013 et 2014.
Il soutient que les rapports spéciaux du commissaire aux comptes pour les exercices clos entre 2008 et 2011 ont été présentés et adoptés par les assemblées générales desdits exercices comptables et que, de surcroît, dans le but de clarifier la situation, la société a fait réaliser par son commissaire aux comptes un contrôle, qui a constaté, le 30 avril 2015, l'absence de facturation de prestations de services, par la société OVP à la société VILLETTES PLASTIQUES pour la période du 1er avril 2007 au 31 mars 2011, contrairement à ce que prétendent Mme M. et M. B..
En raison du déféré portant sur l'ordonnance rendue par le conseiller de la mise en état, la clôture de l'instruction, initialement prévue le 3 mars 2016 en vue d'une audience à tenir le 18 mai suivant, a été différée, d'abord au 12 mai puis au 17 mai 2016, la date des plaidoiries demeurant inchangée pour tenir compte du fait que la procédure relève des dispositions de l'article 905 du code de procédure civile.
A l'audience du 18 mai 2016, M. Olivier V. a sollicité la révocation de l'ordonnance de clôture afin d'obtenir que les conclusions en réplique, qu'il avait fait notifier le jour même, soient déclarées recevables.
Les consorts M.-B. ont indiqué ne pas s'opposer à cette demande.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur la révocation de l'ordonnance de clôture
En raison de la grande proximité entre la décision rendue par la cour sur la recevabilité de l'appel et la date prévue pour les plaidoiries au fond, de la date des dernières écritures des appelants et du fait que l'intimé a bénéficié d'un délai insuffisant pour conclure sur le fond, il y a lieu de faire droit à la demande de révocation de l'ordonnance de clôture, qui ne soulève pas de contestation adverse et d'admettre aux débats les écritures notifiées par M. V. le 18 mai 2016, lesquelles ne contiennent pas de demandes autres que celles déjà formulées dans ses écritures du 24 décembre 2015.
Sur la demande de communication de pièces
La société VILLETTES PLASTIQUES constituant une société par actions simplifiée, il convient de déterminer si les règles du droit des sociétés, qui sont invoquées par Mme M. et M. B., sont susceptibles de constituer le fondement de leur demande de communication de pièces.
A cet égard, si l'article L. 227-10 du code de commerce, qu'ils invoquent dans leurs écritures, prévoit que le commissaire aux comptes présente aux associés un rapport sur les conventions intervenues directement ou par personne interposée entre la société et son président et que les associés statuent sur ce rapport, ce texte est néanmoins muet quant à la communication de ce rapport et quant au délai qui s'y appliquerait.
Par ailleurs, si M. V. évoque, pour les écarter et, partant, repousser un raisonnement par analogie, les dispositions des articles L. 225-115, L. 225-117 et L. 225-40 du même code relatives aux sociétés anonymes, il apparaît que l'article L. 227-1 propres aux sociétés par actions simplifiées vient, précisément, spécifier en son alinéa 2 que les règles posées par les articles L. 225-17 à L. 225-102-2 et L. 225-103 à L. 225-126, ne s'appliquent à de telles sociétés.
Dès lors, force est de constater que ni le droit de communication des associés requérants préalablement à une assemblée générale, ni leur droit de communication permanent, n'est réglementé par le code de commerce et que le pouvoir d'injonction, ouvert au président du tribunal par les dispositions de l'article L. 238-1 de ce code, ne peut trouver à s'exercer.
S'agissant des statuts de la société VILLETTES PLASTIQUES, leur article 17 prévoit que le président doit informer les commissaires aux comptes des conventions intervenues directement entre lui ou par personne interposée et la société et que, lors de l'approbation des comptes annuels, les commissaires aux comptes présentent aux associés un rapport sur ces conventions à l'exception de celles qui, en raison de leur objet ou de leurs implications financières ne sont pas significatives pour aucune des parties.
Pour M. V., cette disposition statutaire ne vise que la communication du rapport du commissaire aux comptes lors de l'approbation des comptes annuels de la personne morale et n'autoriserait pas d'autre communication.
Au soutien de leurs demandes, les associés minoritaires, qui discutent du montant de la rémunération de l'associé majoritaire et dirigeant social, indiquent que le calcul de cette part variable est, selon eux et en toute vraisemblance, l'application d'une convention réglementée votée lors de l'assemblée générale du 22 septembre 2009 et qui resterait en vigueur à défaut de nouvelle convention réglementée adoptée à l'occasion des exercices ultérieurs. Ainsi, toutes leurs demandes de communication des rapports spéciaux des commissaires aux comptes tendent à obtenir la remise de cette convention réglementée.
L'examen du procès-verbal de l'assemblée générale sus-visée (pièce n° 6 des appelants), dont l'ordre du jour portait notamment sur l'approbation des conventions visées à l'article L. 227-10 du code de commerce et la fixation de la rémunération variable du président montre qu'y est expressément mentionné le rapport du commissaire aux comptes sur lesdites conventions et que l'assemblée, à la majorité des voix, les associés minoritaires ayant voté contre, a, après avoir pris connaissance du rapport spécial du commissaire aux comptes, approuvé la convention énoncée dans ce rapport qui est, par ailleurs, cité parmi les pièces mises à la disposition de l'assemblée ; le procès-verbal, dont l'authenticité n'est pas contestée, spécifiant que les rapports des commissaires aux comptes ont été tenus à la disposition des associés au siège social à compter de la convocation de l'assemblée, adressée selon le même procès-verbal le 7 septembre 2009.
Par ailleurs, le procès-verbal de l'assemblée générale du 30 septembre 2008 (pièce n° 2 de l'intimé), dont l'ordre du jour portait également sur l'approbation des conventions réglementées et l'approbation des rapports des commissaires aux comptes, précise que lesdits rapports ont été mis à la disposition des associés dans les mêmes conditions que celles qui viennent d'être énoncées et, dans sa quatrième résolution, que les conventions réglementées, soumises à un vote distinct, auquel n'a pas pris part l'associé intéressé, ont été approuvées à l'unanimité des autres associés.
Il n'est pas, par ailleurs, établi que les appelants auraient sollicité la communication de ces pièces avant les deux assemblées générales sus-visées et qu'elle leur aurait alors été refusée par le président de la société.
Ainsi, il résulte de ces constatations, que le fondement de la demande de communication de pièces formée par M. B. et Mme M., ne peut plus être trouvé dans un manquement à la communication prévue par les statuts de la société VILLETTES PLASTIQUES.
Les dispositions de l'article 145 du code de procédure civile étant, par ailleurs, invoquées par les appelants, il convient de déterminer s'ils justifient, avant tout procès, d'un motif légitime de conserver ou d'établir la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige et si les mesures qu'ils sollicitent sont légalement admissibles.
A cet égard, il est habituellement admis que les dispositions de l'article sus-visé puissent être invoquées à l'appui d'une demande tendant à obtenir la production de pièces.
Il est effectif qu'il n'existe pas de procès en cours et que les associés minoritaires, qui discutent de l'absence de distribution de dividendes depuis plusieurs exercices alors que la société est bénéficiaire et de la rémunération du dirigeant social, qui sont votés par l'actionnaire OVP dont le dirigeant est également M. V., dénoncent un abus de majorité.
Si M. V. invoque la prescription triennale, il n'en demeure pas moins que M. B. et Mme M. se plaignent d'une situation qui a perduré à l'occasion des exercices ultérieurs à ceux à l'occasion desquels ils forment leur demande de communication et, les procès-verbaux des assemblées générales versés aux débats montrent qu'il n'est pas intervenu de nouvelle convention visée par l'article L. 227-10 du code de commerce entre la société et son dirigeant depuis l'exercice clos le 31 mars 2009.
Il apparaît ainsi, que la convention - évoquée dans la quatrième résolution du procès-verbal d'assemblée générale du 22 septembre 2009 qui, curieusement, en son premier alinéa indique que cette assemblée prend acte « qu'au cours de l'exercice clos le 31 mars 2009, aucune convention de la nature de celles visées à l'article L. 227-10 du code de commerce n'a été conclue ou renouvelée » avant, d'indiquer que cette résolution mise aux voix est modifiée pour indiquer, en son troisième alinéa, que «L'assemblée générale, connaissance prise du rapport spécial du commissaire aux comptes sur la convention visée à l'article L. 227-10 du Code de commerce, et statuant sur ce rapport, déclare approuver la convention qui y est énoncée » - non approuvée par les associés minoritaires et dont les effets se reproduisent à l'occasion des exercices ultérieurs, est susceptible d'avoir porté préjudice à leurs droits.
En conséquence, la communication du rapport spécial du commissaire aux comptes, qui reproduit cette convention, dont la présentation a été faite à l'occasion de cette assemblée, qui constitue une pièce dont la communication ordinaire est prévue par les statuts de la personne morale et dont les associés minoritaires demandent légitimement la remise, sera ordonnée à peine d'une astreinte dont les modalités seront spécifiées dans le dispositif du présent arrêt.
Le surplus des demandes de communication, qui ne procède pas d'un intérêt légitime, sera rejeté.
M. V., en sa qualité de président de la société VILLETTES PLASTIQUES, sera condamné aux dépens de première instance et d'appel et à payer à M. B. et à Mme M. une indemnité unique de 2 000 euros au titre de leurs frais de procès.
PAR CES MOTIFS :
La cour, après en avoir délibéré, statuant en matière de référé, par arrêt contradictoire et en dernier ressort, mis à la disposition des parties au greffe de la juridiction ;
Ordonne la révocation de l'ordonnance de clôture et déclare recevables les écritures notifiées par M. Olivier V. le 18 mai 2016 ;
Vu les dispositions de l'article 145 du code de procédure civile,
Infirme l'ordonnance déférée et statuant à nouveau,
Ordonne à M. Olivier V., en sa qualité de président de la SAS VILLETTES PLASTIQUES, de communiquer à M. Hubert B. et à Mme Aurore M., dans le délai de dix jours à compter la signification du présent arrêt et à peine d'une astreinte provisoire de 200 euros par jour de retard, le rapport spécial du commissaire aux comptes sur les conventions réglementées de l'exercice clos le 31 mars 2009 de la SAS VILLETTES PLASTIQUES ;
Rejette le surplus des demandes de communication de pièces ;
Condamne M. Olivier V., en sa qualité de président de la SAS VILLETTES PLASTIQUES, aux dépens de première instance et d'appel et à payer à M. Hubert B. et à Mme Aurore M. une indemnité de 2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.