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Décisions

CE, 9e et 10e ch. réunies, 22 janvier 2020, n° 421914

CONSEIL D'ÉTAT

Arrêt

Annulation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Rapporteur :

M. Humbert

Rapporteur public :

Mme Bokdam-Tognetti

Avocat :

SCP Célice, Soltner, Texidor, Perier

CE n° 421914

22 janvier 2020

Vu les procédures suivantes :

1° L'Etat du Koweït a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge des cotisations d'impôt sur les sociétés auxquelles il a été assujetti au titre des années 2010 à 2013, ainsi que des intérêts de retard correspondants. Par un jugement n° 1603799 du 10 juillet 2017, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 17VE02900 du 3 mai 2018, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par l'Etat du Koweït contre ce jugement.

Sous le numéro 421914, par un pourvoi sommaire et deux mémoires complémentaires, enregistrés les 2 juillet et 2 octobre 2018 et le 20 février 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Etat du Koweït demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° L'Etat du Koweït a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge des cotisations d'impôt sur les sociétés auxquelles il a été assujetti au titre des années 2010 à 2013, ainsi que des intérêts de retard correspondants. Par un jugement n° 1603810 du 10 juillet 2017, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 17VE02901 du 3 mai 2018, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par l'Etat du Koweït contre ce jugement.

Sous le numéro 421915, par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 2 juillet et 2 octobre 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Etat du Koweït demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Sylvain Humbert, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Célice, Soltner, Texidor, Perier, avocat de l'Etat du Koweit ;

Considérant ce qui suit :

1. Les deux pourvois de l'Etat du Koweït présentent à juger les mêmes questions. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

2. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la SCI des Champs et la SCI Aigle, dont l'Etat du Koweït détient 99,99 % du capital et qui donnent chacune en location nue des biens immobiliers à Paris et aux Ulis, ont fait l'objet d'une vérification de comptabilité au titre de la période du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2012 et d'un contrôle sur pièces au titre de la période couvrant 2013, à l'issue desquels l'administration fiscale a mis à la charge de l'Etat du Koweït des cotisations d'impôt sur les sociétés au titre des exercices clos de 2010 à 2013. Le tribunal administratif de Montreuil a, par deux jugements du 10 juillet 2017, rejeté sa demande de décharge de ces cotisations. L'Etat du Koweït se pourvoit en cassation contre les deux arrêts du 3 mars 2018 par lesquels la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté ses appels contre les deux jugements du tribunal administratif de Montreuil.

3. Aux termes de l'article 8 du code général des impôts : " (...) les associés des sociétés en nom collectif et les commandités des sociétés en commandite simple sont, lorsque ces sociétés n'ont pas opté pour le régime fiscal des sociétés de capitaux, personnellement soumis à l'impôt sur le revenu pour la part de bénéfices sociaux correspondant à leurs droits dans la société. (...) / Il en est de même, sous les mêmes conditions : 1° Des membres des sociétés civiles qui ne revêtent pas, en droit ou en fait, l'une des formes de sociétés visées au 1 de l'article 206 et qui, sous réserve des exceptions prévues à l'article 239 ter, ne se livrent pas à une exploitation ou à des opérations visées aux articles 34 et 35 ; (...) ". Aux termes de l'article 206 du même code : " 1. Sous réserve des dispositions des articles 8 ter, 239 bis AA, 239 bis AB et 1655 ter, sont passibles de l'impôt sur les sociétés, quel que soit leur objet, les sociétés anonymes, les sociétés en commandite par actions, les sociétés à responsabilité limitée n'ayant pas opté pour le régime fiscal des sociétés de personnes dans les conditions prévues au IV de l'article 3 du décret n° 55-594 du 20 mai 1955 modifié, les sociétés coopératives et leurs unions ainsi que, sous réserve des dispositions des 6° et 6° bis du 1 de l'article 207, les établissements publics, les organismes de l'Etat jouissant de l'autonomie financière, les organismes des départements et des communes et toutes autres personnes morales se livrant à une exploitation ou à des opérations de caractère lucratif. (...) 2. Sous réserve des dispositions de l'article 239 ter, les sociétés civiles sont également passibles dudit impôt, même lorsqu'elles ne revêtent pas l'une des formes visées au 1, si elles se livrent à une exploitation ou à des opérations visées aux articles 34 et 35. (...) 3. Sont soumis à l'impôt sur les sociétés s'ils optent pour leur assujettissement à cet impôt dans les conditions prévues à l'article 239 : (...) b. Les sociétés civiles mentionnées au 1° de l'article 8 ; (...) ". Aux termes de l'article 218 bis du même code : " Les sociétés ou personnes morales passibles de l'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 206, à l'exception de celles désignées au 5 de l'article précité, sont personnellement soumises audit impôt à raison de la part des bénéfices correspondant aux droits qu'elles détiennent, dans les conditions prévues aux articles 8,8 quater, 8 quinquies et 1655 ter, en qualité d'associées en nom ou commanditées ou de membres de sociétés visées auxdits articles. " Enfin, aux termes du I de l'article 238 bis K du même code, dans sa rédaction applicable au litige : " Lorsque des droits dans une société ou un groupement mentionnés aux articles 8, 8 quinquies, 239 quater, 239 quater B, 239 quater C ou 239 quater D sont inscrits à l'actif d'une personne morale passible de l'impôt sur les sociétés dans les conditions de droit commun (...), la part de bénéfice correspondant à ces droits est déterminée selon les règles applicables au bénéfice réalisé par la personne ou l'entreprise qui détient ces droits (...) ".

4. Il résulte de ces dispositions que l'associé d'une société régie par l'article 8 du code général des impôts qui n'a pas opté pour son assujettissement à l'impôt sur les sociétés ou n'y est pas assujettie de plein droit, n'est soumis à l'impôt sur les sociétés sur la part des bénéfices réalisés par la société, à proportion des droits qu'il y détient, que s'il est lui-même assujetti à cet impôt.

5. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la SCI des Champs et la SCI Aigle, qui ont la nature de sociétés civiles pour l'application du 1° de l'article 8 du code général des impôts, n'ont pas opté pour leur assujettissement à l'impôt sur les sociétés. L'activité de location immobilière de locaux nus qu'elles exercent ne constitue pas une activité commerciale relevant des articles 34 et 35 du code général des impôts. L'Etat du Koweït ne saurait être imposé à l'impôt sur les sociétés en tant qu'associé de ces deux SCI qu'en vertu des dispositions combinées des articles 8, 218 bis et 238 bis K du code général des impôts. Par suite, en se fondant sur le 1 de l'article 206 du code général des impôts pour juger que l'Etat du Koweït était imposable à l'impôt sur les sociétés sur la part qui lui revient des résultats des deux SCI, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit.

6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens des pourvois, que les arrêts attaqués doivent être annulés. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros à verser à l'Etat du Koweït au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : Les arrêts du 3 mai 2018 de la cour administrative de Versailles sont annulés.

Article 2 : Les deux affaires sont renvoyées à la cour administrative d'appel de Versailles.

Article 3 : L'Etat versera à l'Etat du Koweït une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à l'Etat du Koweït et au ministre de l'action et des comptes publics.