Cass. 2e civ., 16 juillet 2020, n° 18-20.796
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Pireyre
Rapporteur :
M. Talabardon
Avocat général :
M. Grignon Dumoulin
Avocats :
SCP Bernard Hémery, Carole Thomas-Raquin, Martin Le Guerer, SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret
Faits et procédure
1. Selon l'ordonnance attaquée rendue par le premier président d'une cour d'appel (Aix-en-Provence, 29 mai 2018) et les productions, au cours de l'année 2014, M. R... a confié la défense de ses intérêts dans plusieurs affaires le concernant à M. L... (l'avocat) qui, en raison d'un différend sur sa rémunération dans deux dossiers, a saisi le bâtonnier de l'ordre d'une demande en fixation des honoraires lui restant dus.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
2. M. R... fait grief à l'ordonnance d'annuler la décision du bâtonnier rejetant la demande de l'avocat, de fixer les honoraires de celui-ci à la somme de 8 640 euros TTC, de dire qu'après déduction de la provision de 1 300 euros versée, il reste devoir à l'avocat la somme de 7 430 euros, qu'il sera condamné à lui payer en deniers ou quittances, et de rejeter ses propres demandes, alors « qu'à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait ; qu'en déclarant recevable le recours formé par Maître L... contre l'ordonnance rendue le 12 octobre 2016 par le bâtonnier de l'ordre des avocats du barreau de Draguignan et en fixant les honoraires prétendument dus par M. R... à Maître L... à la somme de 8 640 euros TTC, correspondant, d'une part, à « la procédure dirigée contre la SCI IMEFA 59 », de deuxième part, à « la procédure contre la société SOGECAP et la Société générale », de troisième part, à « la procédure l'opposant à la société Nexity » et, de quatrième part, à « la procédure contre la GMF suite à un accident de la circulation » (...) quand M. L... ne demandait au Bâtonnier que la fixation et le recouvrement de la somme de 5 246 euros TTC correspondant seulement aux honoraires relatifs à deux de ces quatre affaires, le premier président, qui a ainsi déclaré recevables et fait partiellement droit à des demandes nouvelles, a violé l'article 564 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
3. Si, dans ses conclusions soutenues à l'audience, M. R... soulignait que certaines des prétentions formées par l'avocat, au soutien de son recours contre la décision du bâtonnier rejetant sa demande en fixation de ses honoraires, étaient nouvelles, il n'a pas soulevé l'irrecevabilité de ces prétentions mais a conclu à leur rejet comme étant non-fondées.
4. Par ailleurs, l'article 564 du code de procédure civile ne conférant au juge que la simple faculté de relever d'office la fin de non-recevoir tirée de la nouveauté d'une demande en appel, laquelle n'est pas d'ordre public, il ne peut être fait grief au premier président de n'avoir pas relevé d'office l'irrecevabilité de certaines des prétentions de l'avocat comme étant nouvelles.
5. Dès lors, le moyen de cassation, pris de ce que certaines des demandes, auxquelles ce magistrat a partiellement fait droit, étaient irrecevables comme nouvelles, est lui-même nouveau, mélangé de fait et de droit et, comme tel, irrecevable.
Mais sur le moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
6. M. R... formule le même grief contre l'ordonnance, alors « que tout jugement doit être motivé et que le défaut de réponse à conclusions constitue un défaut de motif ; qu'en l'espèce, M. R... faisait valoir dans ses conclusions qu'il résultait notamment du courriel qui lui avait été adressé par le cabinet de Maître L... le 3 avril 2014 (...) que les honoraires pour le dossier SOGECAP - Société générale avait été forfaitairement fixés à la somme de 1 500 euros et avaient été réglés (...) ; qu'en retenant néanmoins qu'« il n'est produit aucun document émanant de Me H... L... confirmant son accord » sur « une rémunération forfaitaire de 1 500 € par dossier » (...) sans répondre aux conclusions de M. R... sur ce point, le premier président a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 455 et 458 du code de procédure civile :
7. Tout jugement doit être motivé à peine de nullité et le défaut de réponse à conclusions constitue un défaut de motifs.
8. Au soutien de sa défense devant le premier président de la cour d'appel, M. R... arguait de ce que, dans quatre des dossiers confiés à son avocat, il avait été convenu d'une rémunération forfaitaire et, pour en justifier, il produisait, en pièce n° 9 annexée à ses conclusions écrites, un courrier électronique que le cabinet de son conseil lui avait adressé le 3 avril 2014 pour lui confirmer que l'intervention de celui-ci lui avait été facturée à la somme globale de 1 500 euros TTC.
9. Pour écarter cette argumentation et faire partiellement droit aux prétentions de l'avocat, qui réclamait des honoraires en fonction des diligences accomplies, l'ordonnance retient que, si M. R... se prévaut d'un courrier qu'il a lui-même adressé à son conseil le 10 février 2014 pour soutenir que les affaires qu'il lui avait confiées devaient faire l'objet d'une rémunération forfaitaire de 1 500 euros par dossier, il ne produit aucun document, émanant de l'avocat, confirmant l'accord de celui-ci sur un tel mode de rémunération.
10. En statuant ainsi, sans répondre aux conclusions soutenues à l'audience, par lesquelles M. R... faisait valoir que le courrier électronique que lui avait adressé le cabinet d'avocat, le 3 avril 2014, était de nature à accréditer ses allégations quant à l'existence d'un accord de son conseil sur une rémunération forfaitaire de ses diverses interventions, le premier président n'a pas satisfait aux exigences des textes susvisés.
Et sur le moyen, pris en sa quatrième branche
Enoncé du moyen
11. M. R... formule le même grief contre l'ordonnance, alors « que le juge est tenu de trancher le litige dont il est saisi et ne peut se contenter de prononcer une condamnation en deniers ou quittances lorsqu'il existe une contestation sur le montant des sommes déjà versées ; qu'en retenant en l'espèce qu'en l'état de la contradiction existant entre les parties sur les sommes déjà réglées par M. R..., celui-ci « sout[enant] avoir réglé la somme totale de 5 100 euros » et Maître L... « ne reconnaiss[ant] que le paiement d'une somme de 1 300 € TTC » (...), il convenait de condamner M. R... à payer « en deniers ou quittances à Maître L... la somme de 7 340 € TTC (8 640 – 1 300) au titre du solde de ses honoraires », le premier président a méconnu son office, en violation des articles 4 du code civil et 4 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 4 du code civil :
12. Il résulte de ce texte que la juge ne peut refuser de statuer en se fondant sur l'insuffisance des preuves qui lui sont soumises par les parties.
12. Après avoir fixé à 8 640 euros TTC le montant des honoraires dus à l'avocat pour son intervention dans quatre procédures, l'ordonnance énonce que M. R... soutient avoir déjà réglé la somme de 5 100 euros, quand l'avocat ne reconnaît le paiement que d'une somme de 1 300 euros. La décision en déduit qu'en l'état de cette contradiction, il convient de condamner M. R... à payer à l'avocat, « en deniers ou quittances », la somme de 7 340 euros TTC au titre du solde de ses honoraires.
13. En statuant ainsi, alors qu'il lui appartenait de trancher lui-même la contestation opposant les parties sur le montant des sommes déjà versées par M. R... et, partant, sur le solde d'honoraires restant du à l'avocat, le premier président, qui a méconnu son office, a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
14. La censure de l'ordonnance attaquée sur la deuxième branche du moyen unique proposé justifie la cassation de la décision en toutes ses dispositions autres que celles déclarant recevable le recours de l'avocat et annulant la décision du bâtonnier, contre lesquelles aucun grief n'a été articulé. En effet, si le courrier électronique du 3 avril 2014, sur lequel le premier président a omis à tort de se prononcer, ne concernait qu'une des procédures au titre desquelles l'avocat sollicitait la fixation de ses honoraires, M. R... invoquait cette pièce pour accréditer ses allégations selon lesquelles il avait été convenu d'une rémunération forfaitaire de son conseil dans l'ensemble de ces procédures.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la troisième branche du moyen, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'elle déclare recevable le recours formé contre la décision du bâtonnier et prononce l'annulation de cette décision, l'ordonnance rendue le 29 mai 2018, entre les parties, par le premier président de la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cette ordonnance et les renvoie devant la juridiction du premier président de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée.