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Décisions

Cass. soc., 1 juillet 2020, n° 18-24.011

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Huglo

Rapporteur :

M. Rinuy

Avocats :

SCP Delvolvé et Trichet, SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol

Paris, du 5 sept. 2018

5 septembre 2018

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 5 septembre 2018), M. Z... a été engagé par la société BDF Nivéa, devenue par la suite la société [...], suivant contrat de travail à durée indéterminée à compter du 1er septembre 1986, en qualité de chef de secteur. Par avenant signé le 21 août 2002, le salarié a été détaché auprès de la société [...] pour la période comprise entre le 1er septembre 2002 et le 31 août 2005, en qualité de « middle east Nivéa beauté marketing and sales manager ». Par un second avenant signé le 22 août 2002, il était précisé que ce détachement pourrait être prolongé pour une durée de deux ans. Par avenant signé le 29 juin 2005, le détachement du salarié auprès de la société [...] a été prolongé pour une durée de deux ans, soit jusqu'au 31 août 2007. Informé, le 2 janvier 2006, des intentions de la société [...] de le promouvoir en qualité de « marketing director BDFME », le salarié a, par courriel du 31 octobre 2006, exprimé à la société [...] le souhait de mettre fin à son contrat de travail. Le 25 juin 2009, il a signé un contrat de travail avec la société [...], avec prise d'effet au 1er septembre 2006, pour le poste de ''marketing director''. Par lettre du 28 mai 2013, il a été licencié par la société [...] avec laquelle il a conclu, le 18 mars 2014, un protocole transactionnel.

2. Revendiquant une continuité de son contrat de travail avec la société [...] jusqu'au 28 mai 2013, l'intéressé a saisi, le 2 août 2013, la juridiction prud'homale.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

3. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de toutes ses demandes, alors « que, à peine de nullité, tout jugement doit être motivé en langue française ; qu'en l'espèce, après avoir reproduit le courriel, rédigé en langue étrangère, adressé par M. Z... à la société [...], le 31 octobre 2006, la cour d'appel a qualifié les termes employés dans ce courriel de ''clairs et non équivoques'' et a considéré qu'il en résultait que son envoi mettait fin au contrat de travail conclu avec la société [...] ; qu'en se déterminant ainsi, sans procéder à la traduction de ce courriel, dont elle a déduit la démission du salarié, la cour d'appel a méconnu les articles 455 et 458 du code de procédure civile, 111 de l'ordonnance de Villers-Cotterêts d'août 1539 et 2 de la Constitution de 1958. »
Réponse de la Cour

4. Tout jugement doit, à peine de nullité, être motivé en langue française. Lorsque le juge retient un document rédigé en langue étrangère, il n'est tenu que d'en préciser la signification en français.

5. La cour d'appel, après avoir cité le courriel du 31 octobre 2006, libellé en anglais, par lequel le salarié avait exprimé son souhait de mettre fin à son contrat de travail, a souligné que les termes employés étaient clairs et non équivoques et qu'il ressortait de ce courriel que son envoi mettait fin au contrat de travail conclu avec la société [...].

6. Il en résulte que le moyen n'est pas fondé.

Mais sur le moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

7. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de toutes ses demandes alors « que, en application de l'article L. 1231-5 du code du travail, lorsqu'un salarié, mis, par la société au service de laquelle il était engagé, à la disposition d'une filiale étrangère à laquelle il est lié par un contrat de travail, est licencié par cette filiale, la société mère doit assurer son rapatriement et lui procurer un nouvel emploi compatible avec l'importance de ses précédentes fonctions au sein de la société mère, ce texte ne subordonnant pas son application au maintien d'un contrat de travail entre le salarié et la société mère ; et qu'en qualifiant d'inopérants les moyens tirés de la violation par la société [...] de l'obligation de reclassement impartie par
l'article L. 1231-5 du code du travail, sous prétexte de la démission du salarié intervenue le 31 octobre 2006, la cour d'appel a violé ce texte. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

8. La société [...] conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient que
la critique invoque un moyen contraire aux conclusions d'appel du salarié, dans lesquelles il avait prétendu que sa démission du 31 octobre 2006 était équivoque et devait en tout état de cause être privée d'effet et qu'il était donc toujours employé par la société [...] SA jusqu'au prononcé de son licenciement par la société [...], en sorte que son licenciement aurait dû être prononcé par [...], qui était au surplus tenue à une obligation de rapatriement qu'elle n'a pas respectée.

9. Cependant, l'application des dispositions de l'article L. 1231-5 du code du travail, évoquée à titre subsidiaire par le salarié dans ses conclusions d'appel, n'est pas contraire à ses écritures et se trouvait incluse dans le débat.
10. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article L. 1231-5, premier alinéa, du code du travail :

11. Aux termes de ce texte, lorsqu'un salarié engagé par une société mère a été mis à la disposition d'une filiale étrangère et qu'un contrat de travail a été conclu avec cette dernière, la société mère assure son rapatriement en cas de licenciement par la filiale et lui procure un nouvel emploi compatible avec l'importance de ses précédentes fonctions en son sein. Ce texte ne subordonne pas son application au maintien d'un contrat de travail entre le salarié et la société-mère.

12. Pour débouter le salarié de ses demandes, la cour d'appel retient que la démission de celui-ci a produit tous ses effets, ce qui rend inopérants les moyens tirés de la violation par la société d'une obligation de reclassement dans le cadre d'un détachement.

13. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que la prolongation du contrat d'expatriation du salarié avait été signée par les parties le 29 juin 2005, dans le contexte de discussions sur la création d'une filiale de la société [...] à Dubaï, puis que, dans le cadre de la création de cette filiale, le salarié avait été promu au poste de ''middle east marketing director'' à compter de janvier 2006 au sein de la société [...] et que cette promotion s'était concrétisée par la conclusion d'un contrat local, ce dont elle aurait dû déduire que le salarié avait été mis à la disposition d'une filiale étrangère par la société [...] et que les dispositions de l'article L. 1231-5, premier alinéa, du code du travail étaient applicables, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le moyen, pris en sa troisième branche, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 5 septembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.