Livv
Décisions

CA Pau, 2e ch. sect. 1, 23 janvier 2020, n° 18/01230

PAU

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

ETM (SARL)

Défendeur :

Distribution Peintures Industrielles (DPI) (SARL), Participation Pyrénées Atlantique (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Darracq

Conseiller :

M. Magnon

Avocats :

Me Ligney, Me Hardouin, Me Jacquot

TGI Pau, du 9 mars 2018

9 mars 2018

FAITS PROCEDURE PRETENTIONS et MOYENS DES PARTIES

Dans le cadre de la diversification de ses activités, la SARL équipements travaux maritimes (ci-après la société ETM), dirigée par M. B, qui a pour activité principale l'ingénierie maritime et l'équipement portuaire, domiciliée à Gujan Mestras, s'est intéressée au fonds de commerce de vente en gros et détail de peintures exploité par la SARL Société nouvelle peintures Pyrénées Atlantiques dans des locaux loués à la SCI Poujat, au ..., toutes deux dirigées par M. K G.

M. G dirige également les sociétés familiales LG Horti et LD distribution, spécialisées dans l'activité de grossiste en fourniture horticole, qui exercent leurs activités dans ces mêmes locaux.

Suivant acte notarié du 16/10/2012, la société ETM a acquis le fonds de commerce et le droit au bail au prix de 80.000 euros.

Il était inséré dans l'acte une clause de non-concurrence dans une activité de même nature, d'une durée de 10 ans et dans un rayon de 200 km à vol d'oiseau du lieu d'exploitation.

Le contrat de travail de M. L H, commercial, était également repris par le cessionnaire.

Enfin, les locaux d'exploitation faisaient l'objet de trois baux distincts régularisés, à effet au 01/10/2012, au profit du cessionnaire et des sociétés LH Horti et LD distribution.

Le 18/11/2013, la société Société nouvelle peintures Pyrénées Atlantiques a modifié sa dénomination sociale, devenant la société participation Pyrénées Atlantiques (ci-après la société PPA), ainsi que son objet social désormais défini pour l'activité de holding.

Et, elle est devenue l'associé unique des sociétés LG Horti et LD distribution, M. K G étant à la tête du groupe.

Le 13/03/2015, la société ETM a donné congé au bailleur, à effet au 30/09/2015, après avoir signé un compromis de vente en date du 23/12/2014 en vue d'acquérir des locaux industriels à Lons.

Le 24/03/2015, M. H a donné sa démission à effet au 24/04/2015.

Le 29/04/2015, M. H et M. E G, lui-même associé de la société PPA et fils de M. K G, ont constitué la SARL Distribution peintures industrielles (ci-après la société DPI), poursuivant un objet social identique à celui de la société ETM.

Cette nouvelle société a été immatriculée le 04/05/2015.

La société ETM a renoncé à son acquisition et fermé son établissement lescarien à compter du mois de juillet 2015.

Leur reprochant des actes de concurrence interdite ou déloyale ayant précipité la cessation de son activité amputée de 50% de son chiffre d'affaires dès le mois d'avril 2015, et suivant exploits des 16/11/2015, la société ETM et M. Descos ont fait assigner par devant le tribunal de grande instance de Pau :

- la société PPA

- la société DPI

- la société LG Horti

- M. K G

- M. E G

- M. L H en responsabilité et indemnisation de leur préjudice.

Par jugement du 09/03/2018, auquel il convient expressément de se référer pour un plus ample exposé des faits et des prétentions et moyens initiaux des parties, le tribunal a :

- débouté la société PPA de sa demande tendant à être mise hors de cause

- débouté la société ETM et M. Descos de leurs demandes

- condamné solidairement les requérants à payer la somme de 350 euros à chacun des défendeurs.

Par déclaration au greffe faite le 13/04/2018, la société ETM a relevé appel de ce jugement en intimant la société PPA et la société DPI tout en mentionnant que ce jugement a été rendu par le tribunal de grande instance de Tarbes.

L'appelant a régularisé le même jour une seconde déclaration d'appel.

Les deux procédures ont été jointes le 26/10/2018.

La société DPI a prononcé sa liquidation amiable.

La procédure a été clôturée par ordonnance du 09/10/2019.

***

Vu les dernières conclusions notifiées le 07/10/2019 par la société ETM qui a demandé à la cour, au visa des articles 1626 et suivants du code civil, 1382 et 1383, devenus 1240 et 1241 du code civil et des articles 1134 et 1147 du code civil de :

- la déclarer recevable en ses demandes à l'encontre de la société PPA

- constater que la société PPA n'a pas respecté la clause de non-concurrence prévue à l'acte de cession du fonds de commerce

- constater que la société DPI s'est rendue coupable de fautes délictuelles à l'encontre de la société ETM

- condamner solidairement la société DPI et la société PPA à lui payer la somme de 270.128 euros en réparation du préjudice causé

- débouter les intimées de leurs demandes et les condamner au paiement d'une indemnité de 20.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

*

Vu les dernières conclusions notifiées le 08/10/2019 par la société PPA et la société DPI, qui ont demandé, au visa des articles 1606, 1623 et 1382, devenu 1240 du code civil, de :

A titre principal :

- constater le caractère irrecevable des demandes formées à l'encontre de la société PPA

- constater le caractère mal fondé des demandes formées à l'encontre de la société DPI

- en conséquence :

- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté la requérante de ses demandes

- l'infirmer en ce qu'il a déclaré recevable la demande formée contre la société PPA et déclarer l'appelante irrecevable en sa demande contre la société PPA

A titre subsidiaire :

- débouter la société ETM de l'ensemble de ses demandes

- confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions

En tout état de cause :

- condamner la société ETM à payer la somme de 3.000 euros à chaque intimée.

Motifs

MOTIFS

1 - sur la recevabilité des demandes formées contre la société PPA

Le premier alinéa de l'article 4 du code de procédure civile dispose que l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties. Le second aliéna précise que ces prétentions sont fixées par l'acte introductif d'instance et par les conclusions en défense. Toutefois l'objet du litige peut être modifié par des demandes incidentes lorsque celles-ci se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant.

La société PPA relève que l'assignation qui lui a été délivrée le 16/11/2015 par la société ETM ne contient aucune prétention à son encontre. Elle en déduit que les prétentions formées à son encontre par voie de conclusions du 01/02/2017 sont irrecevables en application des dispositions de l'article 4 alinéa 2 du code de procédure civile comme un principe d'immutabilité du litige.

Mais, si une partie n'est pas recevable, en application de l'article 30 du code de procédure civile, à agir en justice sans soumettre au juge une prétention contre la partie défenderesse, cette fin de non-recevoir peut-être régularisée par voie de demande incidente jusqu'au moment où le juge statue, en application des articles 4 et 126 du code de procédure civile.

En l'espèce, en demandant, dans ses dernières conclusions du 01/02/2017, la condamnation de la société PPA à réparer son préjudice du fait des actes de concurrence interdite ou déloyale reprochés aux autres défendeurs, la société PPA ayant pu répliquer à cette demande avant la clôture des débats intervenue le 29/11/2017, la société ETM a valablement régularisé la fin de non-recevoir qui affectait son assignation à l'égard de la société PPA.

Il convient donc, après avoir réparé l'omission matérielle qui affecte son dispositif, de confirmer le jugement déféré qui a rejeté cette fin de non-recevoir.

2 - sur les demandes dirigées contre la société PPA

La société ETM a fondé ses demandes sur le terrain contractuel, d'abord, pour violation de la clause de non-concurrence, au visa des articles 1134 et 1147 du code civil, dans sa version antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, ensuite au titre de la garantie d'éviction due par le vendeur du fonds de commerce, au visa des articles 1626 et suivants du code civil.

2-1 - sur la violation de la clause de non-concurrence

La clause de non-concurrence insérée dans l'acte de cession du fonds de commerce stipule :

« Le cédant s'interdit expressément la faculté de créer ou faire valoir, directement ou indirectement, aucun fonds de commerce similaire en tout ou partie à celui cédé, comme aussi d'être associé ou intéressé, même à titre de commanditaire, dans une activité de cette nature, pendant une durée de 10 années, à compter de la date de signature, et dans un rayon de 200 kilomètres à vol d'oiseau du lieu d'exploitation du fonds de commerce cédé, à peine de tous dommages et intérêts envers le cessionnaire [...].».

Par cette clause qu'elle a personnellement souscrite, la société PPA s'est obligée à s'abstenir de créer et exploiter un fonds de commerce similaire même indirectement, ce qui exclut notamment la constitution d'une société par elle-même ou par son associé dirigeant, M. K G, non tenu par la clause de non-concurrence mais qui serait dans ce cas considéré comme une personne interposée.

La violation de la clause est caractérisée par la constatation de l'exercice d'une activité prohibée sans qu'il soit nécessaire de démontrer l'emploi de procédés déloyaux.

En l'espèce, il est constant que M. E G et M. H, ancien salarié d'ETM, ont constitué le 29/04/2015 la société DPI, immatriculée le 04/05/2015, alors domiciliée à Lons, à trois kilomètres de l'établissement de Lescar, et poursuivant un objet social identique à celui de la société ETM.

Selon l'appelante, la clause de non-concurrence insérée dans l'acte de cession doit être étendue à M. E G en sa qualité d'associé et de fils du dirigeant de la société cédante et de sa compagne, Mme D, elle-même associée, tous vivant sous le même toit dans une communauté de vie et d'intérêts. Elle soutient que M. E G doit être considéré « au mieux comme un prête nom, au pire comme une personne interposée » qui a permis à la société PPA de détourner le fonds de commerce cédé à la société ETM au profit de la société DPI.

En outre, elle reproche à la société PPA, devenue holding, d'être entrée au capital des sociétés familiales LG Horti et LD Distribution, arguant qu'elles exercent une activité concurrente et font illicitement usage de la ligne de fax 05 59 81 38 59 incluse dans l'acte de cession du fonds de commerce, afin d'orienter la clientèle vers la société DPI nouvellement créée.

Avant d'examiner les moyens de l'appelante, il faut dissocier la question de savoir si la clause de non-concurrence souscrite par la société PPA doit être étendue à M. E G de celle de savoir si celui-ci doit être regardé comme une personne interposée par la société PPA, ces deux questions, confusément imbriquées par l'appelante, étant indépendantes l'une de l'autre.

En effet, M. E G peut être une personne interposée sans être tenu à une obligation de non-concurrence.

En application de l'effet relatif des conventions régi par l'article 1165 du code civil, dans sa version antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, la clause de non-concurrence souscrite par la société PPA seule ne peut être étendue à ses associés et notamment à M. E G qui ne l'a pas personnellement acceptée, peu important sa qualité d'associé et de fils du dirigeant partageant une communauté de vie et d'intérêts.

S'agissant de la question de son interposition, celle-ci ne saurait se déduire de la seule qualité d'associé et de fils du dirigeant de la société PPA, partageant une communauté de vie et d'intérêts, alors qu'aucun élément ne permet de remettre en cause le caractère personnel et indépendant de sa décision de constituer, avec M. H, la société DPI pour en devenir co-gérant alors qu'il était âgé de 25 ans, avait travaillé en 2013 dans l'entreprise comme vendeur magasinier, et justifie, contrairement aux allégations de l'appelante, du financement personnel de son apport en numéraire à la société DPI.

La société ETM ne rapporte pas la preuve de faits de nature à établir que la société PPA se serait intéressée, directement ou indirectement, à la création de la société DPI notamment à travers un montage financier ou la fourniture d'une assistance à M. E G ni que la société PPA aurait dirigé de fait la société DPI.

A cet égard, l'attestation de M. Z, commercial de la société Hempel, fournisseur ETM, rapportant des propos de M. X, magasinier ETM, qui lui aurait confié qu'un commercial de la société Maestria, potentiel fournisseur concurrent, était régulièrement reçu par M. K G depuis le mois de février 2015 n'est pas probante dès lors que M. X a, dans une autre attestation, catégoriquement réfuté avoir tenu ces propos ni constaté les faits rapportés par M. A

S'agissant de la prise de contrôle en 2013 par la société PPA, devenue holding, des sociétés LG Horti et LD distribution, il importe de constater que ces deux sociétés exercent exclusivement des activités horticoles, ce qui invalide l'essentiel du raisonnement de l'appelante soutenant que LD distribution exerçait une activité concurrente.

S'il est exact que ces sociétés ont continué à faire figurer sur les bons de commande le numéro de la ligne de fax cédée avec le fonds de commerce acquis par la société ETM, cela résultait de la mise en commun de cette ligne qui a été maintenue après la cession en raison du partage des locaux d'exploitation au ..., à J, sans que cela pose de difficultés pendant près de trois années, d'autant qu'il est établi, par les attestations X et Y, que l'ordinateur recevant les fax était installé dans la partie accueil des locaux occupés par ETM et que seuls les salariés de celle-ci disposaient des codes d'accès à l'ordinateur.

Au surplus, les bons de commande produits aux débats, mentionnant cette ligne fax, concernent exclusivement des produits horticoles.

L'appelante n'a produit aucun élément de nature à démontrer si et comment des clients potentiels d'ETM avaient pu, à compter d'avril ou mai 2015, entrer en relation avec ces sociétés, via cette ligne de fax, et être orientés vers la société DPI.

Il suit de l'ensemble des considérations qui précèdent que la société ETM ne rapporte pas la preuve que la société PPA aurait commis, directement ou par personne interposée, des actes de concurrence interdite par la clause insérée dans l'acte de cession.

2-2 - sur la garantie d'éviction

L'article 1626 du code civil emporte pour le vendeur d'un fonds de commerce de devoir s'abstenir de tout acte de nature à diminuer l'achalandage et à détourner la clientèle du fonds cédé.

Si le vendeur est une personne morale, cette obligation pèse non seulement sur elle, mais aussi sur son dirigeant ou les personnes qu'il pourrait interposer.

Il ne peut, par des moyens détournés, tenter de conserver une partie ou la totalité de ce qu'il a cédé. Il lui est interdit d'effectuer des actes visant à détourner la clientèle, même par des moyens loyaux.

En l'espèce, les faits invoqués au soutien de la violation de la garantie d'éviction étant identiques à ceux examinés au titre de la violation de la clause de non-concurrence, et dès lors qu'aucun acte de concurrence ne peut être imputé à la société PPA, personnellement ou par personne interposée, les demandes d'indemnisation formées à son encontre doivent être rejetées.

En définitive, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a débouté la société ETM de ses demandes contre la société PPA mais infirmé sur les frais irrépétibles, la société PPA étant déboutée de ce chef de demande, tant au titre des frais irrépétibles de première instance que d'appel.

3 - sur la concurrence déloyale de la société DPI

Le principe de la liberté du commerce et de l'industrie permet aux entreprises de se concurrencer librement en attirant à elles la clientèle de ses concurrents, sous la seule limite de ne pas recourir à des procédés déloyaux qu'il incombe à celui qui s'en prétend victime de démontrer.

Le fait générateur de la responsabilité en matière de concurrence déloyale, sur le fondement de l'article 1382, devenu 1240 du code civil, doit non seulement résider dans un acte de concurrence mais encore dans son caractère fautif.

Enfin, dans ce cadre légal, il appartient à celui qui se dit victime de concurrence déloyale de rapporter la preuve de son préjudice en lien direct avec la faute établie.

En l'espèce, la société ETM recherche la responsabilité délictuelle de la société DPI pour concurrence déloyale pour avoir été constituée entre M. H, son ancien salarié démissionnaire, seul et unique commercial de l'agence de J, et M. E G, associé et fils du dirigeant de la société PPA, s'être établie à trois kilomètres de son propre établissement de Lescar, désorganisant l'entreprise par l'embauche de M. H qui avait accès à ses données sensibles et stratégiques tirées du fichier clients qu'il a pu copier et des commandes en cours, de sa connaissance des fournisseurs, organisant le démarchage et le détournement de la clientèle cédée favorisée par la confusion entretenue entre les deux entités et des actes de parasitisme. L'appelante déduit encore les actes de concurrence déloyale de la concomitance entre le décollage immédiat en terme de chiffre d'affaires de la société DPI et la chute brutale et vertigineuse de son propre chiffre d'affaires qui a accusé une baisse de plus de 50 % entre avril mai juin 2015 par rapport à avril mai juin 2014, voyant sa clientèle siphonnée par la société DPI, ce qui l'a contrainte à renoncer à son acquisition, via une SCI, de locaux d'exploitation, fermer l'établissement de Lescar et se recentrer sur ses activités girondines.

La société DPI conteste les faits et la valeur probante des pièces produites aux débats par l'appelante en faisant valoir qu'elle s'est bornée à librement exercer une activité certes concurrente mais sans recourir aux procédés déloyaux allégués par l'appelante qui, en réalité, est à l'origine de la baisse de son chiffre d'affaires dès lors qu'elle a licencié dès la fin du mois d'avril le commercial embauché à l'essai sans le remplacer se désintéressant de sa clientèle et qu'elle avait décidé de fermer l'établissement de Lescar pour rapatrier ses activités en Gironde, ce qui est attesté par le congé donné le 13/03/2015 à effet au 30/09/2015.

Ceci posé, il est constant que :

- M. H, entré dans l'entreprise en 2004, a démissionné le 24/03/2015 à effet au 24/04/2015

- la société DPI a été constituée le 29/04/2015 et immatriculée le 04/05/2015, son siège étant alors fixé à Lons, puis après le départ de ETM, fixé au ...

- en remplacement de M. H, M. Y a été embauché à l'essai le 13/04/2015 et licencié le 29/04/2015

- la société ETM a fermé son établissement de Lescar en juillet 2015.

Sur la plan chronologique, il n'est pas sans intérêt de constater que la démission de M. H et la création de DPI, installée à Lons, sont contemporains du congé donné par la société ETM qui allait libérer les locaux loués à la SCI dirigée par M. K G, partagés avec les deux autres sociétés du groupe G, et s'inscrivait non pas dans un projet de rapatriement des activités en gironde mais d'installation de son activité béarnaise dans de nouveaux locaux, à Lons, en cours d'acquisition suivant acte sous conditions suspensives en date du 23/12/2014.

S'il est exact que, non tenus par une quelconque clause de non-concurrence, messieurs H et G pouvaient créer une activité directement concurrente de la société ETM, voire s'installer à proximité de celle-ci, les conditions et les circonstances ayant entouré la création et l'exploitation de leur entreprise témoignent d'un exercice abusif de la liberté de commerce visant principalement à détourner la clientèle de la société ETM, avant son départ de J, par une action concertée et préméditée révélée par la concomitance de l'effondrement du chiffre d'affaires et le départ de clients vers DPI.

En effet, la comparaison de l'évolution mensuelle du chiffre d'affaires réalisé sur les exercices clos au 30/09/2014 et au 30/09/2015, synthétisée par l'appelante dans sa pièce 24 et détaillée par ventes de produits dans la pièce 71, sur la base de données comptables corroborées à suffisance par les pièces 34 à 37 ainsi que par les pièces 55 à 64 relatives aux bilans desdits exercices qui détaillent les ventes propres à chacun des deux établissements exploités par la société ETM, que les chiffres d'affaires des mois de mars et avril 2015 sont respectivement passés de 66.580 à 34.684 euros et de 54.437 à 29.176 euros, le décrochage se poursuivant inexorablement dans les mois suivants : mai passe de 44.472 à 13.651 euros et juin de 44.264 euros à 6.572 euros.

En prenant le seul trimestre avril mai juin, le chiffre d'affaires comparé 2014-2015 est passé de 143.173 euros à 49.389 euros.

Selon les propres observations de l'intimée, tirées des exercices comptables en pièces 55 et 60 de l'appelant, le chiffre d'affaires annuel de l'activité de J est passé de 450.093 euros à 306.212 euros, soit une baisse de 143.881 euros voisine de la perte chiffrée par l'appelante à 140.128 euros.

La preuve d'une intervention déloyale auprès des clients, dès avant le début de l'exploitation de la société DPI, se déduit implacablement de la concomitance de la baisse massive et brutale des commandes au cours du délai de préavis de M. H qui, tirant avantage de sa position privilégiée d'unique commercial historique de la société PPA puis ETM, depuis 2004 a manifestement su inciter des clients à différer leurs commandes dans l'attente de la création de DPI, cette manœuvre étant révélée dans toute son ampleur par le départ de clients majeurs tels que la société Fitte et les établissements I, l'appelante ayant démontré que ceux-ci ayant passé leurs commandes auprès de DPI dès les mois de juin (I) et juillet (Fitte) (pièces 31, 31-2, 32), l'attestation de I déniant tout démarchage étant, à l'évidence, de pure complaisance.

Si, s'agissant précisément des établissements I, l'appelante commet une erreur en indiquant que ce client représentait un chiffre d'affaires de plus de 800.000 euros, il ressort de la pièce 59, tirée des grands livres de comptes clients, que ce client pesait 177.932 euros de chiffres d'affaires en 2012-2013, 87.696 euros en 2013-2014 et encore 116.724,97 en 2014-2015, malgré l'arrêt de commandes à compter de mai 2015, seule subsistant une poignée symbolique d'achats dérisoires avant la fermeture de l'établissement de Lescar.

Alors que ces éléments attestent d'un départ de clients historiques vers DPI, cette dernière s'est abstenue, malgré les demandes de l'appelante, de combattre ces présomptions graves, précises et concordantes tendant à caractériser un détournement illicite de la clientèle en produisant son grand livre clients.

L'ensemble des constatations qui précèdent démontrent que la création de la société DPI procède d'un projet concerté de messieurs H et G visant à organiser méthodiquement, grâce aux informations stratégiques dont ils disposaient sur leur concurrente et alors que celle-ci était fragilisée par la démission de son commercial, la captation de la clientèle exploitée par la société ETM alors que celle-ci, au vu des résultats positifs dégagés lors du précédent exercice, confirmés en début d'année 2015, s'était engagée dans une opération d'acquisition de locaux d'exploitation à Lons à laquelle elle a dû renoncer, malgré l'obtention d'un prêt, après avoir compris que son fonds de commerce se vidait de sa substance dans des proportions compromettant la rentabilité de son projet d'acquisition de locaux d'exploitation, ce qui l'a contrainte à renoncer à ce projet moyennant une indemnité de dédit, ainsi que cela ressort des pièces 20 à 23.

Et, dès après la fin de bail, la société DPI a fixé son siège social au ..., à Lecar, recréant ainsi la configuration locative antérieure avec les deux autres sociétés.

Enfin, il ne peut être tiré aucun argument de ce que la société ETM, dans un courrier du 16/07/2015 adressé à un client, ait invoqué « la conjoncture actuelle » comme motif de rapatriement de ses activités en gironde, s'agissant d'une formulation neutre et générale.

Il s'ensuit qu'il sera dit, infirmant en toutes ses autres dispositions le jugement déféré, que la société DPI a commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société ETM.

4 - sur le préjudice

La société ETM estime avoir perdu une chance de pouvoir exploiter normalement son fonds de commerce. Elle réclame la réparation de la perte du chiffre d'affaires de l'établissement de Lescar entre les exercices 2014 à 2015, soit la somme de 140.128 euros, ainsi que la réparation de la perte du fonds de commerce, soit la somme de 80.000 euros correspondant au prix d'acquisition du fonds, et la réparation des divers frais engagés en raison des multiples déplacements entre Bordeaux et J au vu de l'effondrement du chiffre d'affaires consécutif au départ de M. H, de la désorganisation de l'entreprise et du stress subi par son dirigeant qui a eu un impact sur les activités de la société, soit une somme de 50.000 euros.

S'agissant de la fermeture de l'établissement de Lescar, il est certain que le détournement illicite d'une partie substantielle de la clientèle a altéré la viabilité de l'exploitation du fonds de commerce de la société ETM justifiant le non-recrutement d'un commercial et la fermeture de cet établissement.

Le fonds de commerce, acquis au prix de 65.000 euros, hors éléments corporels n'entrant pas dans la valeur du fonds, a subi une évidente dépréciation patrimoniale qui, s'analysant en une perte subie, sera réparée par l'allocation d'une somme de 45.000 euros à titre de dommages et intérêts.

S'agissant de la perte de chiffre d'affaires sur l'exercice 2014-2015, s'analysant en un gain manqué distinct de la dépréciation de la valeur du fonds de commerce, contrairement à ce que soutient l'intimée, l'indemnisation ne saurait être égale au montant du chiffre d'affaires non réalisé mais calculée sur la base de la marge moyenne réalisée par la société ETM lors des exercices antérieurs pris globalement.

La perte estimée à 140.128 euros est voisine de la somme de 143.881 euros se déduisant des observations de l'intimée sur l'évolution comparative des chiffres d'affaires.

Il résulte du détail des soldes de gestions intermédiaires (bilan au 30/09/2015, pièce 55) que la marge réalisée en 2014 était de 31,63 % et de 35,08 % en 2015, soit une marge moyenne de 33,35 %.

En limitant à 90 %, tenant compte des aléas d'exploitation, la part de la perte incontestablement imputable aux actes de concurrence déloyale, le préjudice d'exploitation sera réparé à hauteur de 42.059 euros arrondis.

S'agissant des frais divers engagés, dont certains concernent le dirigeant et non la société, cette demande sera rejetée à défaut de production de justificatifs en attestant le bien fondé.

La société DPI sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel et à payer à la société ETM une indemnité de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Dispositif

PAR CES MOTIFS la cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

COMPLETE l'omission matérielle affectant le dispositif du jugement déféré en ce sens qu'est rejetée la fin de non-recevoir des demandes de la SARL ETM contre la SARL PPA,

CONFIRME le jugement déféré en ce qu'il a déclaré recevables les demandes de la société ETM à l'égard de la société PPA et débouté la société ETM de ses demandes à l'égard de celle-ci,

INFIRME le jugement déféré pour le surplus de ses dispositions, et statuant à nouveau,

DIT que la SARL Distribution peintures industrielles a commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de la SARL ETM,

CONDAMNE la SARL Distribution peintures industrielles, en cours de liquidation amiable, à payer à la SARL ETM :

- la somme de 45.000 euros en réparation de la dépréciation du fonds de commerce

- la somme de 42.059 euros en réparation du préjudice d'exploitation

DEBOUTE la SARL ETM du surplus de sa demande d'indemnisation,

CONDAMNE la SARL Distribution peintures industrielles aux dépens de première instance et d'appel,

DEBOUTE la SARL PPA de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile, tant en première instance qu'en appel,

CONDAMNE la SARL Distribution peintures industrielles à payer à la SARL ETM une indemnité de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.