CA Papeete, ch. com., 5 février 2015, n° 11/00470
PAPEETE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Morgan Vernex (Sté)
Défendeur :
Oba Pub (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Vouaux-Massel
Conseillers :
Mme Teheiura, Mme Lassus-Ignacio
OBJET DU LITIGE :
A la fin de l'année 2003 et à la suite d'une procédure d'appel d'offre, la société MORGAN VERNEX a été autorisée par la Polynésie française à importer sur le territoire plusieurs milliers de tonnes de riz longs grains.
Il résulte d'une facture en date du 30 novembre 2003 que la SARL OBA PUB a été chargée par la société MORGAN VERNEX de la recherche du nom et de la conception de la maquette de l'emballage, pour un prix de 275.000 FCP. Le riz était alors commercialisé en Polynésie française sous le nom de Sun Riz.
La société RICEGROWER'S COOPERATIVE Ltd, propriétaire des marques Sun Rice et Sun Long, était autorisé par ordonnance du président du Tribunal de première instance de Papeete, à faire pratiquer une saisie contrefaçon de la marchandise et engageait, courant mars 2014, devant le Tribunal de première instance, une action à l'encontre la société MORGAN VERNEX visant au constat d'actes de contrefaçon et à la cessation de la commercialisation du riz sous marque Sun Riz.
Courant avril 2004, un accord transactionnel intervenait entre la société MORGAN VERNEX et la SOCIETE RICEGROWER'S COOPERATIVE Ltd prévoyant, d'une part, une indemnisation de cette dernière à hauteur de 65.000 USD pour des d'actes de contrefaçons qu'aurait commis la société MORGAN VERNEX et, d'autre part, la poursuite par celle-ci de la vente du riz néanmoins sous certaines conditions financières.
Suivant acte du 29 mai 2009, la société MORGAN VERNEX a fait assigner la SARL OBA PUB afin que celle-ci soit condamnée à lui verser les somme de 250.000 FCP à titre de remboursement du prix des prestations publicitaires, 65.000 USD ou sa contrepartie en francs pacifiques, au titre de l'indemnité versée à la SOCIETE RICEGROWER'S COOPERATIVE LTD en réparation des actes de contrefaçon, 540.800 CFP au titre des honoraires réglés au conseil en propriété intellectuelle, 165.000 FCP au titre des honoraires d'avocat réglés dans le cadre de la procédure initiée devant le Tribunal de première instance 3.000.000 CFP au titre du préjudice d'image et 250.000 CFP sur le fondement de sur le fondement de l'article 407 du Code de procédure civile de la Polynésie française.
Suivant jugement en date du 17 juin 2011, le Tribunal de commerce a rejeté les demandes présentées par la société MORGAN VERNEX contre la SARL OBA PUB et a condamné la société MORGAN VERNEX à verser à la SARL OBA PUB une indemnité de 220.000 CFP sur le fondement de l'article 407 du Code de procédure civile de la Polynésie française ainsi qu'à supporter les dépens.
Suivant requête en date du 2 septembre 2011, la société MORGAN VERNEX a interjeté appel de ce jugement.
La société MORGAN VERNEX qui conclut à l'infirmation du jugement, a sollicité la condamnation de la SARL OBA PUB à lui verser l'intégralité des sommes réclamées en première instance, outre celle de 350.000 CFP sur le fondement de l'article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française.
A l'appui de ses prétentions, la société MORGAN VERNEX a notamment soutenu :
- que la SARL OBA PUB a manqué à ses obligations contractuelles envers la société MORGAN VERNEX, en créant un packaging qui était de nature à contrevenir aux droits de la Société RICEGROWER'S COOPERATIVE Ltd et qu'elle est dès lors tenue de réparer le préjudice subi par la société MORGAN VERNEX du fait de ce manquement ;
- que la SARL OBA PUB qui a nécessairement cédé à la société MORGAN VERNEX, en vue de leur exploitation, les droits qu'elle détenait sur le logo et le nom créés par ses soins, est tenue, dès lors qu'ils se sont avérés contrefaisants, de garantir la société MORGAN VERNEX de l'éviction qu'elle souffre dans la totalité des droits cédés, et ce, par application des dispositions de l'article 1626 du Code civil ; que l'indemnisation à laquelle la société MORGAN VERNEX a droit, est dès lors celle prévue à l'article 1630 dudit code ;
- que l'autorité de la chose jugée attachée à la transaction ne vaut qu'entre ses signataires et ne saurait interdire à la société MORGAN VERNEX d'agir à l'encontre d'un tiers ; qu'il ne s'agit pas d'une action récursoire, mais d'une action par voie principale visant à engager la garantie de la SARL OBA PUB du fait de l'éviction et de sa responsabilité contractuelle ;
- qu'en tout état de cause, la juridiction a toute compétence pour apprécier si la SARL OBA PUB a commis une faute contractuelle en créant un packaging de nature à contrevenir aux droits de la société RICEGROWER'S COOPERATIVE Ltd ; qu'à cet égard, un cabinet spécialisé en propriété intellectuelle, consulté, indique que sont sérieuses les chances de succès d'une incrimination sur la base des marques Sun Rice/Sun Riz.
La SARL OBA PUB conclut, à titre principal, à la confirmation du jugement entrepris, en ce qu'il a débouté de la société MORGAN VERNEX de ses demandes tendant à la mise en cause de la responsabilité contractuelle de la SARL OBA PUB sur le fondement d'une soit-disant contrefaçon.
A cet égard, la SARL OBA PUB soutient notamment :
- que la question de savoir si la marque « Sun Riz » et le logo créés par la SARL OBA PUB à la demande de la société MORGAN VERNEX constitue ou non une contrefaçon, n'a jamais été tranchée par une juridiction ;
- que la société MORGAN VERNEX a décidé de reconnaître spontanément, de son propre chef, l'existence d'une contrefaçon, dans le cadre d'une transaction conclue avec la société RICEGROWER'S COOPERATIVE Ltd ; que, par application des articles 2051 et 1165 du Code civil, cette transaction est parfaitement inopposable aux tiers et notamment à la SARL OBA PUB qui n'a jamais été invitée à négocier cette transaction et qui n'y a jamais été partie ;
- que la transaction définitive ayant mis un terme au procès et ayant, conformément à l'article 2052 du code civil autorité de chose jugée entre les parties à ladite transaction, il est juridiquement impossible pour la société MORGAN VERNEX de faire statuer a posteriori le tribunal de commerce sur l'existence de la transaction ;
- qu'en tout état de cause, la marque « Sun Riz » et le logo créé par la SARL OBA PUB pour le compte de la société MORGAN VERNEX ne constituent pas une contrefaçon au sens des articles L713-2 et L713-3 du code de la propriété intellectuelle ; qu'en particulier la marque Sun Rice déposée dans l'Union européenne par la société de droit australien RICEGROWER'S COOPERATIVE Ltd, non encore enregistrée dans la mesure où elle fait l'objet d'une procédure d'opposition, ne réunissait pas l'une des deux conditions essentielles pour être considérée comme une marque valide, à savoir l'antériorité et l'originalité ;
- que la SARL OBA PUB a, en tout cas, rempli parfaitement ses obligations contractuelles vis-à-vis de la société MORGAN VERNEX, notamment en vérifiant que la marque « Sun Riz » n'était pas déposée auprès de l'INPI en 2004, état de fait qui n'est pas contesté ;
- qu'il y a lieu de considérer, à titre infiniment subsidiaire, que la société MORGAN VERNEX ne saurait se prévaloir de sa propre turpitude ; qu'en effet la société MORGAN VERNEX était a minima consciente du caractère potentiellement litigieux de la marque « Sun Riz » et du logo qu'elle a demandé à la SARL OBA PUB de créer en exigeant qu'ils ressemblent à ceux de son prédécesseur sur le marché polynésien ; qu'elle ne peut dès lors solliciter la réparation des préjudices que lui a causés l'utilisation, en connaissance de cause, d'une marque potentiellement litigieuse au regard des droits de la société RICEGROWER'S COOPERATIVE Ltd ; que dans cette hypothèse, le seul préjudice que la société MORGAN VERNEX pourrait, le cas échéant, se voir indemniser, devrait se limiter à 1 CFP au titre de l'indemnisation que la société RICEGROWER'S COOPERATIVE Ltd réclamait dans son action en contrefaçon (cf. requête déposée devant le Tribunal mixte de commerce de Papeete), à 150.000 CFP au titre des frais irrépétibles qui auraient vraisemblablement pu être accordés à la société RICEGROWER'S COOPERATIVE Ltd, ainsi qu'aux frais de reconditionnement des sacs de riz qui avaient d'ores et déjà été conditionnés dans des sacs estampillés sous la marque « Sun Riz » au jour de la saisie conservatoire.
La SARL OBA PUB sollicite la condamnation de la société MORGAN VERNEX à lui verser une indemnité de 440.000 CFP sur le fondement de l'article 407 du Code de procédure civile de la Polynésie française, ainsi que sa condamnation aux entiers dépens.
MOTIFS DE LA DECISION :
Aux termes de l'article 1626 du Code civil, quoique lors de la vente il n'ait été fait aucune stipulation sur la garantie, le vendeur est obligé de droit à garantir l'acquéreur de l'éviction qu'il souffre dans la totalité ou partie de l'objet vendu, ou des charges prétendues sur cet objet, et non déclarées lors de la vente.
Il est considéré que l'acquéreur a alors le choix entre, d'une part, l'exercice d'une action en garantie incidente, en appelant son vendeur en garantie au cours du procès qui l'oppose au tiers revendiquant et, d'autre part, l'exercice d'une action principale en garantie contre son vendeur, une fois l'éviction consommée.
Dans l'hypothèse d'une action en garantie par voie principale, les dispositions de l'article 1640 du Code civil énoncent : la garantie pour cause d'éviction cesse lorsque l'acquéreur s'est laissé condamner par un jugement en dernier ressort, ou dont l'appel n'est plus recevable, sans appeler son vendeur, si celui-ci prouve qu'il existait des moyens suffisants pour faire rejeter la demande.
En l'espèce, la société MORGAN VERNEX estime que la SARL OBA PUB qui lui a cédé, en vue de leur exploitation, les droits qu'elle détenait sur le logo et le nom créés par ses soins, est tenue, dès lors que ceux-ci se sont avérés contrefaisants, de garantir la société MORGAN VERNEX, cessionnaire, de l'éviction qu'elle souffre dans la totalité des droits cédés, et ce, par application des dispositions précitées de l'article 1626 du Code civil.
Or, il est constant que si la société de droit australien RICEGROWER'S COOPERATIVE Ltd a engagé à l'encontre de la société MORGAN VERNEX une action en contrefaçon au motif qu'il existerait une ressemblance entre, d'une part, le logo et le nom (Sun Riz) utilisés par cette dernière pour la commercialisation de riz en Polynésie française et, d'autre part, le logo et le nom « Sun Rice » dont se prévaut la société australienne, la société MORGAN VERNEX n'a nullement appelé au procès qui l'opposait à ce tiers, la SARL OBA PUB qu'elle avait chargé du choix du nom et de la conception de la maquette de l'emballage de cette denrée alimentaire.
Il est constant également qu'en cours de procès, la société MORGAN VERNEX et la société RICEGROWER'S COOPERATIVE Ltd ont signé une transaction, du reste non versée aux débats, qui aurait fait le constat de l'existence d'une contrefaçon, aurait fixé le montant de la réparation du préjudice causé, outre une compensation à la charge de la société MORGAN VERNEX en contrepartie d'une autorisation temporaire de poursuivre la commercialisation du stock de riz restant.
Il n'est pas contesté qu'en aucun cas, la SARL OBA PUB n'a davantage été appelé aux négociations ou à la signature de cette transaction.
Cette transaction, comme l'a rappelé à juste titre le premier juge, est inopposable à la SARL OBA PUB, tant en raison de l'effet relatif des contrats que par application de l'article 2051 du Code civil. Est, de ce fait, inopposable à la SARL OBA PUB la constatation d'une contrefaçon qu'aurait consacrée cette transaction et qui serait à l'origine de l'éviction de la société MORGAN VERNEX d'exploiter ses droits sur le nom et sur le logo, de sorte que la dite société ne peut plus agir en garantie à titre principal contre la société qui lui a cédé ces droits.
Même à considérer que la transaction qui a autorité de chose jugée entre les deux parties signataires, équivaudrait à un jugement en dernier ressort au sens de l'article 1640 précitée du Code civil - à ceci près toutefois qu'à la différence d'un jugement, elle ne contient pas de motivation - , la SARL OBA PUB avance un certains nombre d'éléments tendant à démontrer qu'il existait des moyens suffisants pour rejeter la demande. En effet, même à supposer établie une certaine ressemblance entre l'appellation et le logo, il résulte des pièces produites que la marque Sun Rice dont se prévalait la société de droit australien RICEGROWER'S CO-OPERATIVE Ltd, n'était pas encore enregistrée dans la mesure où elle faisait l'objet d'une procédure d'opposition de la part d'une société allemande titulaire d'une marque identique et qu'il n'apparaît dès lors pas qu'elle réunissait les conditions de l'antériorité et de l'originalité pour être valide.
Il convient en conséquence de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a, d'une part, débouté la société MORGAN VERNEX de toutes ses demandes et, d'autre part, condamné cette dernière à verser à la SARL OBA PUB une indemnité sur le fondement de l'article 407 du Code de procédure civile de la Polynésie française.
Il est équitable, par application de cette dernière disposition, d'allouer à la SARL OBA PUB une indemnité complémentaire au titre des frais, non compris dans les dépens, qu'elle a dû exposer en cause d'appel pour assurer sa défense.
DECISION :
Par ces motifs,
La Cour,
Déclare recevable en la forme l'appel interjeté par la société MORGAN VERNEX,
Au fond,
Confirme en toutes ses dispositions le jugement entrepris ;
A ajoutant,
Condamne la société MORGAN VERNEX à verser à la SARL OBA PUB une indemnité complémentaire de 180.000 CFP sur le fondement de l'article 407 du Code de procédure civile de la Polynésie française ;
Condamne la société MORGAN VERNEX aux dépens.
Prononcé à Papeete, le 5 février 2015.