Cass. 3e civ., 4 juillet 1979, n° 78-11.725
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Cazals
Rapporteur :
M. Roche
Avocat général :
M. Dussert
Avocat :
Me Luc-Thaler
Premier moyen: "Violation des articles 1134 et suivants du Code civil, 455 et 458 du nouveau Code de procédure civile, défaut de motifs et manque de base légale, en ce que l'arrêt attaqué a condamné le vendeur d'un terrain à indemniser l'acheteur du préjudice subi à la suite du déplacement de la construction projetée en raison de l'existence d'une canalisation, au motif que si l'acte comportait une clause de non-garantie du fait de toute servitude, le vendeur y avait déclaré qu'il n'existait pas d'autre servitude que celles résultant des titres et pièces d'urbanisme et de la situation naturelle des lieux, et avait dissimulé l'existence de la canalisation aménagée par la Commune, alors que le vendeur n'a pas commis de faute en n'attirant pas spécialement l'attention de l'acquéreur sur une canalisation que la présence de regards rendait apparente pour les professionnels l'accompagnant; qu'à défaut de faute, la clause de non garantie devait recevoir application;"
Deuxième moyen: "Violation des articles 1382 du Code civil, 7 de la loi du 20 avril 1810, 455 et 458 du nouveau Code de procédure civile, défaut de motifs et manque de base légale, en ce que l'arrêt attaqué a condamné le défendeur à 2.000 francs de dommages-intérêts pour "procédure abusive et vexatoire", sans fournir aucun motif, alors que le droit de résister à une demande d'indemnité ne dégénère en abus qu'en présence d'une mauvaise foi ou d'une intention de nuire, non relevées par les juges du fond; que, tout au contraire, ceux-ci se sont contredits en déclarant abusive la résistance du défendeur et légitime l'usage du droit d'appel;"
Troisième moyen: "Violation des articles 1382 du Code civil, 455 et 458 du nouveau Code de procédure civile, défaut de motifs et manque de base légale, en ce que l'arrêt attaqué a débouté le vendeur de son action contre l'architecte, au motif que celui-ci n'aurait pas commis de faute en ne recherchant pas les canalisations et en ne constatant pas l'existence de regards en révélant l'existence; qu'au surplus le vendeur était mal venu à demander réparation d'un préjudice issu de sa propre faute, alors que l'architecte a commis une faute professionnelle, tant en ne remarquant pas l'existence de regards lors de sa visite des lieux, qu'en s'abstenant de rechercher le lieu des canalisations existantes; que cette faute se trouve bien à l'origine du préjudice invoqué et engage donc sa responsabilité concurremment avec celle du vendeur, qui peut donc s'en prévaloir".
Sur quoi, LA COUR, en l'audience publique de ce jour.
Donne défaut contre Lévy et Benchitrit;
Donne acte à dame veuve Griset, à Claude Maurice Griset, à Michel Louis Griset et à Serge Paul Griset de leur reprise d'instance en qualité d'héritiers de Maurice Griset, décédé le 19 mai 1978;
Sur le premier moyen:
Attendu, selon l'arrêt confirmatif attaqué (Paris, 8 mars 1978) que les époux Griset, aux droits desquels sont les consorts Griset, ont en 1967 vendu à Lévy un terrain à bâtir, sous la condition, qui a été réalisée, de l'obtention par l'acquéreur d'un permis de construire; que l'acte de vente stipulait que "l'acheteur supportera les servitudes passives de toute nature, apparentes ou occultes, continues ou discontinues pouvant grever le bien vendu, le tout à ses risques et périls" et contenait déclaration par les vendeurs qu'à leur connaissance il n'existait pas d'autres servitudes que celles résultant de l'acte de vente, de la situation naturelle des lieux, de leur alignement, des titres de propriété et des plans d'urbanisme de la région ou de la commune; que cependant les époux Griset qui avaient été informés en 1950 de l'établissement, sur la parcelle vendue, par un syndicat intercommunal, d'une importante canalisation enterrée d'écoulement d'eaux pluviales longeant la limite Nord du terrain, n'ont pas dénoncé à l'acquéreur cette servitude, qui a nécessité la modification du projet pour lequel ce dernier avait obtenu le permis de construire; que Lévy a demandé aux vendeurs la réparation du préjudice subi; que les époux Griset ont formé une action en garantie contre Benchitrit, architecte chargé par Lévy des études préliminaires et de l'établissement des plans de son immeuble;
Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt d'avoir condamné les vendeurs à indemniser l'acheteur alors, selon le moyen, "que le vendeur n'a pas commis de faute en n'attirant pas spécialement l'attention de l'acquéreur sur une canalisation que la présence de regards rendait apparente pour les professionnels l'accompagnant, qu'à défaut de faute, la clause de non-garantie devait recevoir application";
Mais attendu que, par motifs propres et adoptés, l'arrêt retient que la canalisation se signale seulement par les regards d'extrémité, situés au niveau du sol, et qui se trouvent, l'un sur la limite Est de la parcelle vendue, l'autre sur la voie publique, que les époux Griset, qui connaissaient son existence, ses dimensions et son tracé exact, n'ont pas fait reporter les regards sur le plan de division de leur propriété, établi en vue de la vente; que les plans de bornage et de nivellement dressés par le géomètre de l'acquéreur ne font pas mention du regard situé sur la limite Est, enfin que Lévy, simple particulier sans connaissances spéciales, ne pouvait pas découvrir la canalisation avant que sa présence ne fût révélée par les fouilles de fondation; que, de cette appréciation souveraine du caractère non apparent de la servitude, la Cour d'appel a pu déduire que les vendeurs, qui avaient l'obligation de la révéler loyalement à l'acquéreur, mais lui en avaient au contraire de mauvaise foi, dissimulé l'existence, ne pouvaient se prévaloir de la clause d'exonération de garantie insérée dans l'acte de vente; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé;
Sur le troisième moyen:
Attendu qu'il est encore reproché à l'arrêt d'avoir rejeté l'action récursoire formée par les époux Griset contre l'architecte Benchitrit, alors, selon le moyen, "que l'architecte a commis une faute professionnelle, tant en ne remarquant pas l'existence de regards lors de sa visite des lieux qu'en s'abstenant de rechercher le lieu des canalisations existantes, que cette faute se trouve bien à l'origine du préjudice invoqué et engage donc sa responsabilité concurremment avec celle du vendeur, qui peut donc s'en prévaloir";
Mais attendu que l'arrêt relève que les plans de division et de nivellement communiqués par les époux Griset à Lévy et à son architecte ne faisaient pas état de la canalisation xxxxx, qu'il en était de même des documents administratifs portés à la connaissance de Benchitrit avant les travaux de construction, que le seul regard existant sur le terrain vendu était situé à cheval sur sa limite Est, qu'il n'était pas nécessaire pour l'architecte de rechercher, en vue de l'implantation du bâtiment sur la limite Nord, l'existence d'un regard en limite Est, qu'enfin les plans primitifs de Benchitrit ont été approuvés par l'Administration, qui a délivré sans observation ni réserves le permis de construire, xxxxx alors qu'elle connaissait l'existence et le tracé de la canalisation; que, de ces constatations et énonciations et énonciations, la Cour d'appel a pu déduire que Benchitrit n'avait commis aucune faute;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé;
Rejette les premier et troisième moyens;
Mais sur le deuxième moyen:
Vu l'article 455 du nouveau Code de procédure civile,
Attendu que tout jugement xxxxx doit être motivé; que la contradiction des motifs équivaut à l'absence de motifs;
Attendu que l'arrêt a, d'une part, confirmé la décision des premiers juges qui avaient condamné les époux Griset à verser à Lévy 2 000 francs de dommages-intérêts pour "résistance abusive et dilatoire" à l'action engagée par ce dernier, et, d'autre part, rejeté la demande de dommages-intérêts pour abus du droit d'appel, formée par Lévy, en retenant qu'il ne résulte pas des éléments de la cause qu'en relevant appel les époux Griset aient commis une faute de nature à faire dégénérer en abus le droit d'exercer une voie de recours; en quoi la Cour d'appel s'est contredite.
PAR CES MOTIFS:
CASSE ET ANNULE, mais seulement dans la limite du deuxième moyen, l'arrêt rendu le 8 mars 1978 entre les parties, par la Cour d'appel de Paris; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties, au même et semblable état où elles étaient avant ledit arrêt, et pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Versailles, à ce désignée par délibération spéciale, prise en la Chambre du conseil.