CA Paris, Pôle 5 ch. 8, 26 juin 2018, n° 17/03617
PARIS
Arrêt
Infirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Hebert Pageot
Conseillers :
Mme Rohart Messager, M. Bedouet
Avocats :
Me Lallement, Me Feldman
Mme L. était devenue seule associée de la société civile KL, laquelle détenait, d'une part, 364 parts sur les 400 parts sociales composant le capital de de la SARL Hôtel de France, qui exploite un hôtel, et, d'autre part, l' intégralité des parts de la SARL Société De Construction et D'Hôtels Modernes, propriétaire des murs de l'hôtel.
Mme L. était seule gérante de la société civile KL, mais lors de l'assemblée générale extraordinaire du 12 novembre 2009, M. Marcel G. a été désigné co gérant à ses côtés.
Par ailleurs il a été désigné gérant de la société Hôtel de France et de la société de Construction et d'Hôtels Modernes.
Alors qu'en 2012 Mme L. était âgée de 98 ans et que suite à diverses hospitalisations elle résidait en maison de retraite médicalisée, par assemblée générale du 23 juillet 2012, il était mis fin aux fonctions de cogérant de M. G. de la société civile KL à compter du 31 août 2012 et M. Maurice A. était désigné cogérant en ses lieu et place.
M. G. n'était pas présent lors de cette assemblée générale et par courrier du 10 septembre 2012, le conseil de la société civile KL informait M. G. de cette décision de révocation et lui demandait de remettre l'ensemble de la comptabilité et des pièces en sa possession au domicile du nouveau cogérant.
Concomitamment, invoquant l'âge et l'état de santé de sa mère, Mme L., M. G. avait, après avoir fait examiner celle ci par un psychiatre, le docteur G., puis avoir fait procéder le 19 juillet 2012 par un expert judiciaire à une expertise psychiatrique de sa mère concluant à la nécessité d'une mise sous tutelle, sollicité le 26 juillet suivant l'ouverture d'un régime de protection au profit de sa mère.
C'est ainsi que par jugement du 3 décembre 2012, le juge des tutelles du tribunal d'instance de Saint-Ouen a décidé du placement sous tutelle de Mme L. et désigné Mme D. en qualité de tuteur.
Par ordonnance du 9 avril 2013, le délégataire du premier président de la cour d'appel de Paris a rejeté la demande d'arrêt d'exécution provisoire attachée à ce jugement, effectuée par M M. A..
Mme L. est décédée le 13 décembre 2013.
Entre temps, par acte du 16 octobre 2012, M. G. avait assigné la société civile KL, Mme L. et M. A. en demandant à titre principal la nullité de l'assemblée générale du 23 juillet 2012.
De leur côté la société KL et M. A. avaient, par voie de conclusions, demandé, à titre principal, le rejet des demandes et, à titre subsidiaire, la désignation d'un administrateur judiciaire.
Par jugement du 19 janvier 2017 le tribunal de grande instance de Bobigny a débouté M. G. de ses demandes et l'a condamné à payer à M. A. une somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
M. G. a interjeté appel le 16 février 2017.
Par ordonnance du 6 février 2018 du conseiller de la mise en état, les conclusions des intimés, M. A. et la société civile KL ont été déclarées irrecevables pour tardiveté.
Vu les dernières conclusions du 16 mai 2017 de M. G., par lesquelles il demande à la cour d'infirmer le jugement, de constater qu'à la date de l'assemblée générale soit le 19 juillet 2012, Mme L. présentait une diminution importante de l'acuité visuelle, une altération majeure de l'ouïe ne lui permettant pas de comprendre la portée des engagements qu'elle pourrait souscrire et de vérifier personnellement les documents soumis à sa signature, de constater qu'en conséquence elle n'a pu prendre connaissance des résolutions contenues dans le procès verbal d'assemblée générale extraordinaire du 23 juillet 2012 et y apposer sa signature de manière libre et éclairée, d'annuler en conséquence l'assemblée générale du 23 juillet 2012, de débouter la société civile KL et M. A. de leurs demandes, et de les condamner in solidum aux dépens, ainsi qu'au paiement d'une somme de 6000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
SUR CE,
Pour solliciter l'infirmation du jugement et le prononcé de la nullité de l'assemblée générale extraordinaire du 23 juillet 2012, M. G. fait valoir qu'il n'a pas été convoqué en sa qualité de gérant lors de l'assemblée générale appelée à statuer sur la révocation de son mandat de gérant, que Mme L., associée unique et cogérante, alors âgée de 98 ans, malade et dont l'ouïe et la vue étaient gravement altérées, n'a pas pu consentir valablement.
Il verse au débat un certificat médical établi le 19 juillet 2012 par le Docteur M., soit cinq jours avant la date de l'assemblée générale extraordinaire le révoquant de ses fonctions de gérant. Dans ce certificat il est indiqué : « elle présente une diminution importante de l'acuité visuelle qui ne permet la lecture que de très gros caractères. Elle ne peut pas lire un article de journal et donc ne peut prendre connaissance de documents administratifs qu'elle aurait signés. Elle semble assez confiante et dit faire confiance, ce qui marque une certaine vulnérabilité. Son trouble visuel ne permet pas l'écriture normale. Le maniement des sommes d'argent est défectueux. Les sommes sont abordées de façon évasive avec des confusions entre dizaine et centaine. Elle ne sait pas le montant qui a été sorti de son compte en banque dernièrement, elle dit qu'elle fait confiance et qu'elle signe. »
Selon l'article 1844-10 du code civil, la nullité des délibérations des organes de la société peut résulter de l'une des causes de nullité des contrats en général.
Il résulte de l'article 414-1 du même code que pour faire un acte valable il faut être sain d'esprit et qu'il appartient à ceux qui agissent en nullité pour cette cause de prouver l'existence d'un trouble mental au moment de l'acte.
En l'espèce, dans les jours qui ont précédé l'assemblée générale de la société KL qui a voté la révocation de M. G. en qualité de gérant et la désignation en ses lieu et place de M. A, Mme L. alors âgée de 98 ans était examinée par deux psychiatres qui concluaient à la nécessité d'une mise sous tutelle. Plus précisément M. M., expert judiciaire, rédigeait un rapport d'expertise le 19 juillet 2012, indiquant que son état justifie l'instauration d'une mesure de tutelle en raison notamment d'un important trouble visuel ne permettant pas de comprendre un document, d'une grande vulnérabilité, d'une perturbation des valeurs de l'évaluation des montants d'argent, d'une volonté de faire confiance à ceux qui l'entourent sans prendre connaissance de ce qu'elle signe.
Il en résulte que le trouble mental de Mme L., seule associée de la société, existait lors de l'assemblée générale du 23 juillet 2012 et qu'il convient donc, infirmant le jugement de déclarer nulle l'assemblée générale extraordinaire de la société civile KL du 23 juillet 2012, ainsi que de l'ensemble des résolutions qui ont été votées à cette date.
M. Maurice A. sera condamnée aux dépens.
L'équité commande, en application de l'article 700 du code de procédure civile, de condamner M. Maurice A. à payer à M. M.. G. une somme de 5000 euros pour les dépens exposés en première instance et en appel.
PAR CES MOTIFS
Infirme le jugement,
Statuant à nouveau,
Prononce la nullité de l'assemblée générale extraordinaire du 23 juillet 2012 de la société civile KL, ainsi que des résolutions prises lors de celle-ci,
Condamne M. Maurice A. aux dépens de première instance et d'appel avec recouvrement dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile,
Le condamne également à payer à M. G. la somme de 5000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.