Cass. com., 12 mai 2015, n° 14-13.229
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Avocats :
SCP Gatineau et Fattaccini, SCP Waquet, Farge et Hazan
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 29 octobre 2013), que le 8 juillet 2008, Mme Y..., qui vivait en concubinage avec M. X..., a fait l'acquisition d'un ensemble immobilier dans lequel elle projetait de créer, après réalisation de travaux, six gîtes et quatre chambres d'hôtes ; que trois chambres d'hôtes et un gîte ont été aménagés et exploités à partir du 21 mai 2010 ; que Mme Y..., qui avait entrepris des démarches en vue de la création d'une société commerciale dont le capital aurait été détenu par elle-même et M. X..., a rompu avec celui-ci et quitté les lieux le 19 août 2010 ; que M. X... a poursuivi seul l'exploitation jusqu'à fin septembre 2010 ; que, soutenant qu'une société créée de fait entre les concubins avait existé entre le 8 juillet 2008 et le 30 septembre 2010, il a assigné Mme Y... pour obtenir la liquidation de cette société et la réparation du préjudice qu'il aurait subi du fait de sa dissolution anticipée ;
Sur le moyen unique du pourvoi principal :
Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes alors, selon le moyen :
1°/ qu'une société créée de fait existe dès lors que, dans le cadre d'une société en formation, et tandis que les éléments constitutifs de toute société sont réunis, l'activité développée a dépassé l'accomplissement des simples actes nécessaires à sa constitution ; que cette substitution d'une société créée de fait à une société en formation n'est pas exclue du fait de la brièveté de la période de développement de l'activité ; qu'en l ¿ espèce, la cour d'appel a dûment constaté que M. X... et Mme Y... avaient procédé à des apports, qu'ils avaient eu l'intention de s'associer et que la SARL « Olivia Y... » était en formation (lettre de mission donnée le 17 mai 2010 à Mme Z..., expert-comptable, en vue de la constitution de la société ; ouverture, le 25 mai 2010, d'un compte au nom de la société avec dépôt du capital social projeté et réparti entre les deux associés ; élaboration le 1er août 2010 des statuts commandés et d'un projet d'assemblée générale extraordinaire) ; qu'elle a encore constaté que l'exploitation avait commencé le 21 mai 2010, soit concomitamment aux actes de formation, et tandis que les apports et l'intention de s'associer étaient avérés ; qu'en refusant cependant de reconnaître l'existence d'une société créée de fait par cela seul que M. X... ne rapportait pas la preuve d'une persistance, au cours de la période d'exploitation retenue - 21 mai/ 19 août 2010 -, des éléments constitutifs de la société, et notamment de l'affectio societatis, et en se référant à la brièveté - trois mois - de la période d'exploitation, la cour d'appel a violé les articles 1832 et 1873 du code civil ;
2°/ que, quand les éléments de la société sont réunis, dont l'intention des concubins de s'associer en vue de l'exploitation en commun d'une activité, et qu'une société est en formation tandis que l'exploitation de l'activité projetée commence, une présomption de société créée de fait joue contre celui des associés qui dénie cette qualification à charge pour lui de prouver le contraire ; qu'en exigeant de M. X..., en dépit du constat de la réalisation d'apports, de l'intention des parties de s'associer, de l'existence d'une société en formation et d'un commencement d'exploitation, qu'il prouve une persistance de l'affectio societatis après le 21 mai 2010, date du début de l'activité, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et a violé l'article 1315 du code civil ;
3°/ que dans le cas d'une société créée de fait se substituant à une société en formation, la poursuite, concomitamment au développement de l'activité, de la formation de la société établit la persistance de la volonté de s'associer ; que la cour d'appel a constaté que, commandés à Mme Z..., expert-comptable, suivant lettre de mission du 17 mai 2010, les statuts avaient été élaborés et proposés le 1er août 2010 ; qu'elle a encore constaté que, le 28 juin 2010, Mme Y... avait adressé à la Direction générale des finances publiques, au nom de la société en formation, une demande d'exonération des bénéfices réalisés par les entreprises nouvelles ; qu'en considérant cependant que la preuve d'une persistance de la volonté de s'associer au cours de la période du 21 mai au 19 août 2010 n'était pas apportée, la cour d'appel n'a pas déduit de ses propres constatations les conséquences s'en évinçant et a violé les articles 1832 et 1873 du code civil ;
4°/ que la société créée de fait est, par définition, une société non immatriculée et qui existe sans que les associés n'agissent consciemment dans ce cadre ; qu'elle peut être constatée par le juge contre la volonté de tout ou partie des associés ; qu'en retenant que Mme Y..., demandant la clôture du compte ouvert au nom de la société en formation, avait évoqué une simple société en formation et une absence définitive de dépôt des statuts, que ce compte n'avait quasiment pas fonctionné durant l'exploitation, et que Mme Y... avait exprimé son étonnement face au dépôt sur ce compte de fonds provenant de l'exploitation poursuivie après son départ, la cour d'appel a déduit des motifs dépourvus de toute valeur et a privé sa décision de base légale au regard des articles 1832 et 1873 du code civil ;
5°/ que nul ne peut, pour prouver un point de droit, se constituer de titre à soi-même ; qu'en se référant, pour exclure la qualification de société créée de fait, aux termes du courrier adressé le 24 novembre 2010 par Mme Y... à la Caisse d'épargne et dans lequel celle-ci feignait l'étonnement face au dépôt sur le compte de la société en formation de fonds provenant de l'exploitation poursuivie après son départ, la cour d'appel a ignoré le principe sus-visé ;
6°/ que lorsqu'une activité d'exploitation est pleinement déployée dans le cadre d'une société en formation entre concubins, et que, pour cause de mésentente soudaine, l'un d'eux poursuit seul cette activité pour honorer les engagements pris, sans opposition de l'autre, le juge ne peut exclure de son appréciation la période d'exploitation postérieure à cet événement d'ordre purement privé ; qu'en considérant que, du fait du départ soudain de Mme Y... le 19 août 2010, elle ne pouvait, afin d'apprécier l'existence d'une société créée de fait, considérer les faits d'exploitation ultérieurs, la cour d'appel a violé les articles 1832 et 1873 du code civil ;
7°/ que, tenu de motiver sa décision, le juge du fond ne peut procéder par voie d'affirmation sans indiquer l'origine de ses constatations ; qu'en affirmant, sans viser la moindre pièce, que, pendant la période d'exploitation en commun, Mme Y... avait assumé la quasi-totalité des dépenses et charges courantes, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
8°/ que la société tend en la recherche commune d'un bénéfice ou d'une économie ou la participation aux résultats positifs et négatifs de l'exploitation ; que l'affectation du chiffre d'affaires réalisé par une société en formation au paiement des dépenses générées par le début d'activité n'est pas exclusive de la reconnaissance d'une société créée de fait ; qu'en se fondant, pour écarter l'existence d'une société créée de fait sur l'absence de répartition entre les associés de la moindre somme provenant des locations saisonnières, le montant des loyers perçus au cours des trois mois considérés (11 061 euros) ayant à peine couvert les frais de démarrage de l'activité ainsi que les dépenses alimentaires, quand une telle circonstance attestait précisément d'une gestion en société du produit de l'activité, et de l'intention d'assumer les premiers résultats de l'exploitation, la cour d'appel a déduit un motif dépourvu de toute valeur et a privé sa décision de base légale au regard des articles 1832 et 1873 du code civil ;
Mais attendu que la cour d'appel, qui n'a pas dit que tous les éléments constitutifs du contrat de société étaient réunis au début de la période d'exploitation en commun de l'activité commerciale, a relevé que la volonté commune de participer aux bénéfices ou aux économies ainsi qu'aux pertes éventuelles de l'exploitation n'était pas caractérisée durant cette période ; que l'arrêt précise que pendant la même période, Mme Y... a assumé la quasi-totalité des dépenses et charges courantes, que les quelques dépenses alimentaires ou de carburant réglées de mai à août 2010 par M. X... ne traduisaient pas une réelle volonté de contribuer aux pertes éventuelles de l'exploitation et qu'il en était de même pour la souscription de la police d'assurance couvrant la responsabilité civile des exploitants de chambres d'hôte, intervenue après le départ de sa compagne ; qu'il ajoute qu'aucune somme provenant des locations saisonnières n'a été répartie entre Mme Y... et M. X... ; que de ces constatations et appréciations souveraines, desquelles il résulte que faisait défaut, dans les rapports entre les parties, l'un des éléments caractérisant tout contrat de société, la cour d'appel a, par une décision satisfaisant aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile, justement déduit, sans violer les dispositions des articles 1315, 1832 et 1873 du code civil, non plus que le principe visé à la cinquième branche, que les éléments constitutifs d'une société créée de fait entre Mme Y... et M. X... n'étaient pas réunis ; que le moyen n'est pas fondé ;
Et sur le moyen unique du pourvoi incident :
Attendu que Mme Y... fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande reconventionnelle tendant à l'allocation de dommages-intérêts alors, selon le moyen :
1°/ que la privation de jouissance d'un bien constitue un préjudice indemnisable ; que Mme Y... faisait valoir qu'elle avait subi un préjudice de jouissance en raison de la privation, non contestée, de son bien pendant deux ans du fait de M. X... ; qu'en décidant que Mme Y... ne justifiait pas de son préjudice, quand elle constatait que M. X... a été expulsé du Moulin de Pézens, appartenant à Mme Y..., le 14 juin 2012, ce dont il ressortait qu'il avait occupé indûment pendant près de deux ans le bien de celle-ci, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil ;
2°/ qu'en ne répondant pas aux conclusions de Mme Y... demandant réparation de la privation de jouissance de son bien causé par le maintien indu de M. X... dans le Moulin de Pézens, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
3°/ que la perte certaine d'une chance, même faible, est indemnisable ; que Mme Y... faisait valoir qu'en occupant indûment sa propriété, le Moulin de Pézens, dans lequel elle exploitait un gîte depuis juillet 2010, M. X... lui avait fait perdre une chance certaine de poursuivre son activité ; que la cour d'appel a constaté la fin de l'exploitation commune de l'activité de gîte au Moulin de Pézens en août 2010 et que M. X... a été expulsé du même moulin le 14 juin 2012 ; qu'en décidant que Mme Y... ne justifiait pas de son préjudice quand il résultait de ces constatations la présence de M. X... dans les lieux, ce qui empêchait Mme Y... de poursuivre son activité de gîte, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil ;
4°/ qu'à tout le moins, en ne répondant pas aux conclusions de Mme Y... qui faisait valoir qu'en demeurant au Moulin de Pézens dans lequel elle exerçait une activité de gîte M. X... lui avait fait perdre une chance de poursuivre son activité, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
Mais attendu que sous le couvert de griefs non fondés de violation de l'article 1382 du code civil et de défaut de réponse à conclusions, le moyen ne tend qu'à remettre en discussion devant la Cour de cassation la constatation par les juges du fond de l'absence de preuve des préjudices invoqués par Mme Y... ; qu'il ne peut donc être accueilli ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE les pourvois.