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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 2, 4 mars 2022, n° 21/07708

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Société pour la Perception de la Rémunération de la Copie Privée Audiovisuelle et Sonore

Défendeur :

Danew Electronics (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Chokron

Conseillers :

Mme Lehmann, Mme Marcade

TJ Paris, du 22 mars 2021, n°21/51012

22 mars 2021

Vu l'ordonnance de référés réputée contradictoire rendue le 22 mars 2021 par le tribunal judiciaire de Paris,

Vu l'appel interjeté le 20 avril 2021 par la société pour la perception de la rémunération de la copie privée audiovisuelle et sonore (Copie France),

Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 24 novembre 2021 par Copie France, appelante,

Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 8 décembre 2021 par la société Danew électronics, intimée,

Vu l'ordonnance de clôture du 9 décembre 2021.

SUR CE, LA COUR,

Il est expressément renvoyé, pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure à la décision entreprise et aux écritures précédemment visées des parties.

Il sera simplement rappelé que la rémunération pour copie privée, instituée par la loi du 3 juillet 1985, est prévue à l'article L.311-1 du code de la propriété intellectuelle et constitue la contrepartie financière due aux titulaires de droits d'auteur et droits voisins, pour compenser l'exception de copie privée, exception légale au droit de reproduction conformément aux articles L.122-5-2° et L.211-3-2° du même code.

Le montant de la rémunération due au titre de la copie privée sur les supports analogiques et ses modalités de paiement ont été fixés par une décision du 30 juin 1986 de la commission instituée par l'article L.311-5 du code de la propriété intellectuelle. La rémunération due au titre de la copie privée a été étendue à d'autres supports, et s'agissant des tablettes tactiles multimédias et les téléphones mobiles multimédias, par la décision n°15 de la Commission de la copie privée en date du 14 décembre 2012, pour la période comprise entre les mois de juin 2013 et septembre 2018, modifiée par la décision n°18 du 5 septembre 2018 applicable à compter du 1er octobre 2018.

Le premier alinéa de l'article L.311-4 du code de la propriété intellectuelle dispose que :

«La rémunération prévue à l'article L.311-3 est versée par le fabricant, l'importateur ou la personne qui réalise des acquisitions intracommunautaires, au sens du 3° du I de l'article 256 bis du code général des impôts, de supports d'enregistrement utilisables pour la reproduction à usage privé d'œuvres, lors de la mise en circulation en France de ces supports».

La société Copie France est en charge de percevoir et de répartir la rémunération due au titre de la copie privée sonore et audiovisuelle perçue sur les supports d'enregistrements qui y sont assujettis.

Le mécanisme légal de la rémunération pour copie privée s'inscrit dans le cadre d'un système purement déclaratif, la déclaration devant être effectuée mensuellement, à la charge des personnes sur lesquelles pèse la charge du paiement de la rémunération pour copie privée.

La société DN Electronics, exerçant sous le nom commercial Danew, était inscrite au registre du commerce et des sociétés de Bobigny sous le n°498 516 558 depuis le 23 septembre 2011 et ce jusqu'à sa radiation le 18 mai 2020 par suite de la transmission totale de son patrimoine opérée le 24 mars 2020.

La société Danew Electronics, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Paris sous le n° 494 619 802 et intimée à la présente instance ne conteste pas venir aux droits et obligations de la société.

La société Copie France, reprochant à la société DN Electronics devenue Danew Electronics, d'effectuer de manière récurrente des déclarations minorées de ses ventes de supports numériques vierges d'enregistrement sous-estimant les quantités de téléphones mobiles multimédias et de tablettes tactiles multimédias, l'a faite assigner, par acte délivré le 17 décembre 2020, devant le Président du tribunal judiciaire de Paris statuant en référé.

L'ordonnance de référé, réputée contradictoire en l'absence de constitution de la société Danew Electronics, rendue le 22 mars 2021, a :

- déclaré la société Copie France recevable en ses demandes,

- condamné la société Danew Electronics à payer à la société Copie France une provision de 82.683,03 euros au titre de la rémunération pour la copie privée due pour la période allant du mois de juin 2013 au mois de juillet 2020,

- rejeté le surplus des demandes provisionnelles,

- ordonné à la société Danew Electronics de communiquer à la société Copie France, pour la période allant du 23 septembre 2011 au 22 mars 2021, pour chaque catégorie de supports vierges d'enregistrement assujettis à la rémunération pour copie privée, l'intégralité des quantités vendues desdits supports sortis chaque mois des stocks de la société DN Electronics puis de la société Danew Electronics à destination de la clientèle en France, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, l'astreinte commençant à courir à l'expiration d'un délai d'un mois à compter de la signification de la présente ordonnance,

- s'est réservé la liquidation de l'astreinte,

- condamné la société Danew Electronics aux dépens et à payer à la société Copie France la somme de 1.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- rappelé que l'exécution provisoire est de droit.

La société Copie France a interjeté appel de l'ordonnance en ce qu'elle a rejeté le surplus de ses demandes, à savoir la demande de condamnation de la société Danew Electronics à payer à titre provisionnel la somme de 527.156 euros, sauf à parfaire (sic), et avec intérêts de droit, pour la période du 1er janvier 2018 au 1er décembre 2018. Ses dernières conclusions sont en ce sens et sollicitent en outre la condamnation de la société Danew Electronics aux dépens d'appel et à lui payer la somme complémentaire de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle précise que l'ordonnance a fait l'objet d'une exécution forcée à l'encontre de la société Danew Electronics mais indique que cette dernière n'a toujours pas procédé à la communication des pièces à laquelle elle a été condamnée.

La société Danew Electronics qui a constitué un avocat en cause d'appel ne forme pas appel incident de l'ordonnance entreprise mais sollicite le rejet des demandes provisionnelles objet de l'appel interjeté par la société Copie France. Elle demande en outre la condamnation de celle-ci aux dépens d'appel et au paiement d'une somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Le litige porte ainsi sur la seule année 2018.

La société Copie France ne conteste pas que des sommes dues ont bien été déclarées mensuellement par la société Danew Electronics mais considère, au vu notamment des rapprochements comptables qu'elle a effectué entre, d'une part, les quantités de téléphones mobiles multimédias et de tablettes tactiles multimédias déclarées mensuellement par la société Danew Electronics comme vendues par elle et, d'autre part, les quantités des mêmes supports telles qu'elles ressortent des facturations effectuées par la société Danew Electronics à ses deux principaux clients de la grande distribution Electro Dépôt et Boulanger, que les déclarations effectuées étaient minorées.

La société Copie France verse au débat les factures de ventes à la société Electro Dépôt (pièce 15) et un tableau comparatif entre les déclarations faites par la société Danew Electronics et les quantités de supports d'enregistrement provenant des factures Electro Dépôt et Boulanger au titre de l'année 2018 (pièce 15) et appliquant distinctement les barèmes issus de la décision n°15 de du 14 décembre 2012, pour la période comprise entre les mois de juin 2013 et septembre 2018, et de la décision n°18 du 5 septembre 2018 à compter du 1er octobre 2018.

La société Danew Electronics s'oppose à la demande présentée en indiquant que certaines factures émises et produites en pièce adverse n°15 concernent des marchandises non destinées à être mises en vente sur le territoire français et ainsi non assujetties à la redevance de copie privée.

Elle prétend également que la société Copie France établirait à tort la redevance au regard de la capacité totale des smartphones et tablettes et non au vu de celle laissée disponible par les logiciels installés. Elle demande la confirmation de la décision entreprise qui a débouté, comme non justifiée, la demande provisionnelle de ce chef.

L'ordonnance critiquée avait rejeté la demande en retenant des incohérences dans les éléments présentés par la société Copie France, la société Danew Electronics faisant défaut, en ces termes :

«Au regard des factures émises au profit de la société Electro Dépôt pour l'année 2018, il est relevé que le tableau communiqué présente des incohérences : à cet égard, il mentionne un total de factures de ventes de 5.500 tablettes 8 Go pour février 2018, alors qu'il n'est justifié que de deux factures Danew/ Electro Dépôt du 2 février 2018 à échéance du 20 mars 2018 pour 1.500 tablettes 8Go. Pour avril 2018, le tableau comptabilise 3.000 ventes de tablettes 8 Go alors qu'aucune facture n'est produite en ce sens. Il en va de même pour les 40 smartphones 16 Go mentionnés. Pour le mois de mai 2018, est mentionné un total de ventes de tablettes de 800 tablettes, alors que sont produites des factures Danew/Electro Dépôt du 21 mars 2018 à échéance du 10 mai 2018 portant sur 4.000 tablettes. Le tableau mentionne encore pour mai 2018 3.000 ventes de smartphones 8 Go mais les factures correspondantes sont manquantes. Pour le mois de juin 2018, trois factures à échéance aux 11 et 22 juin 2018 portent sur 3.800 tablettes et non sur 4.120 tablettes comme indiqué. Le tableau indique 14.600 smartphones 8 Go vendus sans en justifier.

Au regard de ces incohérences, étant relevé, par ailleurs, que, notamment, pour septembre 2018, le tableau mentionne 16.000 tablettes 8 Go vendues, sans produire de factures correspondantes, et ne justifie pas plus des 10.000 smartphones 8 Go cédés, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande provisionnelle complémentaire formée par la société Copie France, dont le montant ne peut être déterminé, bien qu'il existe une disproportion importante, pour certains mois, entre les quantités vendues par la défenderesse et celles déclarées».

Pourtant il ressort de l'étude des documents versés au débat :

- Concernant le mois de février 2018 (pièces 15-1 et 15-2) :

* le total des ventes de tablettes 8 Go est bien de 5.500 tablettes et résulte des quatre factures, n°2463 du 2 février 2018 pour 500 tablettes, n°2502 du 9 février 2018 pour 1.000 tablettes, n°2779 du 21 mars 2018 pour 2.500 tablettes et n°2780 du 21 mars 2018 pour 1.500 tablettes.

- Concernant le mois d'avril 2018 (pièces 15-3) :

* le total des ventes de tablettes 8 Go est bien de 3.000 tablettes et résulte des deux factures n°3296 du 24 avril 2018 pour 1.200 tablettes et n°3297 du 24 avril 2018 pour 1.800 tablettes.

* le total des ventes de téléphones 16 Go est bien de 40 téléphones et résulte des deux factures n°3139 du 11 avril 2018 et n°3276 du 23 avril 2018 pour 20 téléphones chacune.

- Concernant le mois de mai 2018 (pièces n°15-4) :

* le total des ventes de tablettes 8 Go est bien de 800 tablettes correspond à la facture n°3399 du 2 mai 2018.

* le total des ventes de tablettes 16 Go est bien de 20 tablettes et résulte des deux factures n°3791 du 23 mai 2018 et n°3792 du 23 mai 2018 pour 10 tablettes chacune.

* le total des ventes de téléphones 8 Go est bien de 3.000 téléphones et résulte des deux factures toutes deux du 9 mai 2018, n°3583 pour 1800 téléphones et n°3584 pour 1.200 téléphones.

- Concernant le mois de juin 2018 (pièces n°15-5) :

* le total des ventes de tablettes 4 Go est bien de 260 tablettes correspond à la facture n°4195 du 20 juin 2018.

* le total des ventes de tablettes 8 Go est bien de 4.120 tablettes et résulte des trois factures n°3987 du 5 juin 2018 pour 1.000 tablettes, n°3988 du 5 juin 2018 pour 2.100 tablettes et n°4013 du 6 juin 2018 pour 1.020 tablettes .

* le total des ventes de téléphones 8 Go est bien de 14.600 téléphones et résulte des quatre factures n°4194 du 20 juin 2018 pour 1.200 téléphones, n°4196 du 20 juin 2018 pour 5.400 téléphones, n°4197 du 21 juin 2018 pour 3.600 téléphones, n°4198 du 21 juin 2018 pour 3.600 téléphones et n°4199 du 21 juin 2018 pour 800 téléphones.

- Concernant le mois de septembre 2018 (pièces n°15-8 et 15-9) :

* le total des ventes de tablettes 8 Go est bien de 16.000 tablettes et résulte des onze factures n°4815 du 28 septembre 2018 pour 1.300 tablettes, n°4816 du 28 septembre 2018 pour 700 tablettes, n°4831du 28 septembre 2018, n°4832 du 28 septembre 2018 pour 800 tablettes, n°4833 du 28 septembre 2018 pour 700 tablettes, n°4834 du 28 septembre 2018 pour 2.000 tablettes, n°4835 du 28 septembre 2018 pour 1.000 tablettes, n°4836 du 28 septembre 2018 pour 800 tablettes, n°4838 du 28 septembre 2018 pour 1.000 tablettes, n°4841du 28 septembre 2018 pour 4.500 tablettes et n°4842 du 28 septembre 2018 pour 2.200 tablettes.

* En revanche le total des ventes de téléphones 8 Go n'est pas de 10.000 téléphones mais de 5.520 seulement résultant des sept factures n°4639 du 4 septembre 2018 pour 210 téléphones, n°4657 du 6 septembre 2018 pour 200 téléphones, n°4658 du 6 septembre 2018 pour 1.100 téléphones, n°4669 du 7 septembre 2018 pour 900 téléphones, n°4670 du 7 septembre 2018 pour 1.900 téléphones, n°4720 du 13 septembre 2018 pour 710 téléphones et n°4732 du 14 septembre 2018 pour 490 téléphones, la société Copie France ayant fait le choix d'ajouter artificiellement au mois de septembre la facture n° 4869 du 1er octobre de 4.400 téléphones.

Ainsi l'ordonnance doit être infirmée en ce que la société Copie France est déboutée de ses demandes provisionnelles au regard 'des incohérences constatées'.

La société Danew Electronics ne peut être suivie lorsqu'elle affirme que la base de calcul des redevances dues avant le 1er octobre 2018 devrait s'opérer, en application de l'article 2-I de la décision n°15 de la Commission de la copie privée en considération de la capacité totale d'enregistrement disponible résultant de la capacité d'enregistrement éventuellement déjà intégrée dans l'appareil et de celle du support d'enregistrement» des tablettes et téléphones, et non de la mémoire physique exprimée en Go.

Or, cet article qui s'applique aux «supports d'enregistrement vendus sous le même emballage qu'un appareil d'enregistrement ou vendus avec un appareil sous plusieurs emballages sertis ensemble, constituant ainsi un lot unique» n'est pas applicable aux tablettes et téléphones vendus par la société Danew Electronics.

En revanche, l'article 6-I de la même décision applicable à l'espèce prévoit une référence non à une capacité d'enregistrement' disponible mais à leur «capacité d'enregistrement».

De même, il n'est pas contesté que c'est bien cette capacité totale qui est prise en compte à compter de l'application de la décision n° 18 du 5 septembre 2018.

Dans ces dernières conclusions auxquelles il n'a pas été répondu par la société Copie France, la société Danew Electronics fait valoir que certaines factures produites, et notamment deux d'entre elles, les factures n°3583 et n°3584 du moi de mai 2018, concernent des produits non destinés à la France.

Elle en veut pour preuve qu'elle n'a pas facturé de «redevances copie privé» contrairement aux autres factures. Pour autant cette non facturation ne saurait à elle seule démontrer la destination à l'exportation des produits.

La cour, après examen de l'ensemble des documents produits au débat par la société Copie France et notamment les pièces numérotées 13, 14, 15 et 18 considère qu'il est justifié pour l'essentiel de la demande provisionnelle sollicitée.

La cour, infirmant l'ordonnance entreprise, fera ainsi partiellement droit à la demande de condamnation provisionnelle à hauteur de 500.000 euros qui sera à verser dans l'attente de la régularisation qui pourra être opérée après la communication ordonnée par l'ordonnance entreprise.

Cette somme produira intérêt au taux légal à compter du présent arrêt.

La société Danew Electronics qui succombe sera condamnée aux dépens d'appel et à payer la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant dans les limites de l'appel,

Infirme l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a rejeté le surplus des demandes de la société pour la perception de la rémunération de la copie privée audiovisuelle et sonore dite Copie France relative à la période d'activité allant du 1er janvier 2018 au 31 décembre 2018,

Y substituant et y ajoutant,

Condamne la société Danew Electronics à payer, à titre de provision, à la société pour la perception de la rémunération de la copie privée audiovisuelle et sonore dite Copie France la somme de 500.000 euros pour sa période d'activité allant du 1er janvier 2018 au 31 décembre 2018,

Dit que cette somme produira intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,

Condamne la société Danew Electronics à payer à la société pour la perception de la rémunération de la copie privée audiovisuelle et sonore dite Copie France la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Danew Electronics aux dépens d'appel.