CA Versailles, 12e ch., 3 juillet 2018, n° 17/04936
VERSAILLES
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Groupement des Exploitants du Centre Commercial Espace Saint Quentin (GIE)
Défendeur :
Masma (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Leplat
Conseillers :
M. Ardisson, Mme Muller
Avocats :
Me Segonne Morand, Me Yon, Me Marcet
EXPOSÉ DU LITIGE
Par acte du 26 mai 2000, la société Hammerson a consenti un bail commercial à la société Manin, aux droits de laquelle se trouve aujourd'hui la société Masma, pour un local à usage d'optique dans le centre commercial Espace Saint Quentin.
Le même jour, la société Manin a demandé la régularisation de son adhésion au GIE du Centre commercial (ci-après le GIE) assurant l'animation et la promotion de ce centre.
Par courrier recommandé du 7 avril 2011, la société Masma a demandé au GIE qu'il prenne acte de sa démission, cessant corrélativement de régler ses cotisations. Ce dernier a toutefois continué de facturer les cotisations, dont il a sollicité paiement pour la première fois par un courrier du 24 février 2012.
Par acte du 16 septembre 2015, faisant suite à plusieurs mises en demeure, le GIE a fait assigner la société Masma, aux fins principalement d'obtenir sa condamnation au paiement d'une somme de 28.591,92 euros au titre des cotisations impayées jusqu'au 2° trimestre 2015 inclus.
Par jugement du 7 juin 2017, le tribunal de commerce de Versailles a :
- rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la société Masma,
- condamné la société Masma au paiement de la somme de 4.877,60 euros correspondant aux cotisations dues jusqu'au 4° trimestre 2011, outre intérêts au taux légal à compter du 28 juillet 2014, et outre une somme de 40 euros pour frais de recouvrement,
- débouté la société Masma de sa demande de délais de paiement,
- condamné la société Masma au paiement de la somme de 1.500 euros au titre des frais irrépétibles.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Vu l'appel interjeté le 29 juin 2017 par le GIE,
Vu les dernières écritures signifiées le 23 janvier 2018 par lesquelles le GIE demande à la cour de :
- infirmer le jugement rendu le 7 juin 2017 en ce qu'il a condamné la société Masma au paiement uniquement de la somme de 4.877,60 euros ;
- déclarer irrecevable l'exception de nullité de la clause d'adhésion au sein du GIE,
- débouter la société Masma de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
Statuant à nouveau,
- dire que la société Masma est défaillante dans l'exécution de ses obligations de payer les cotisations liées à sa participation au GIE ;
- dire irrégulier le retrait de la société Masma du GIE ;
- condamner la société Masma au paiement des factures à compter du 2 ème trimestre 2011 jusqu'à celle du 1er trimestre 2018 incluse, soit la somme de 48.079,29 euros, outre les intérêts au taux légal à compter des mises en demeure en date du 28 juillet 2014 et du 28 octobre 2014 et l'indemnité forfaitaire de 40 euros pour frais de recouvrement ;
- condamner la société Masma au paiement de la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la société Masma aux entiers dépens.
Vu les dernières écritures signifiées le 30 mars 2018 au terme desquelles la société Masma demande à la cour de :
- infirmer le jugement en ce que le Tribunal de commerce s'est déclaré compétent pour connaître du litige et en ce qu'il a estimé que la société Masma avait régulièrement adhéré au GIE ;
Et, statuant à nouveau :
' se déclarer incompétent et renvoyer le demandeur à se pourvoir devant le Tribunal de grande instance de Versailles ;
' constater l'absence de régularisation par la société Masma, d'un quelconque contrat ou de toute convention d'adhésion avec le GIE, donc l'absence de tout lien contractuel entre les parties ;
' dire nulle et de nul effet la clause du bail commercial faisant obligation au locataire d'adhérer au GIE et de s'y maintenir jusqu'à la fin du bail ;
' dire en conséquence infondée la demande de condamnation au paiement des cotisations, l'en débouter ;
A titre subsidiaire :
' infirmer le jugement entrepris sur la condamnation au paiement de la somme principale de 4.877,60 euros ;
Et, statuant à nouveau :
' constater que la Société Masma s'est valablement retirée du GIE suivant courrier recommandé en date du 7 avril 2011 et qu'elle ne peut donc plus être redevable de quelconques cotisations à compter de cette date ;
' dire en conséquence injustifiée la demande de condamnation formulée par le GIE au titre des cotisations postérieures au 7 avril 2011 ;
' dire la société Masma redevable de la seule somme de 125,08 euros ;
A titre infiniment subsidiaire :
' accorder des délais de paiement en douze mensualités à la société Masma ;
en tout état de cause :
' constater que le GIE ne justifie pas des prestations de promotion et d'animation mises en œuvre et seules à même de donner lieu à la perception de cotisations ;
' débouter le GIE de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions, en ce comprises celles fondées sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et au titre des dépens ;
' condamner le GIE à payer à la société Masma la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
' condamner le GIE aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction au titre de l'article 699 du code de procédure civile.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions déposées par les parties et au jugement déféré.
MOTIFS DE LA DÉCISION
1 - Sur l'exception d'incompétence
Il résulte de l'article L.721-3 du code de commerce que les tribunaux de commerce connaissent des contestations relatives aux engagements entre commerçants.
Le premier juge a retenu sa compétence au motif que l'action introduite par le GIE portait sur une demande en paiement de cotisation formée par un commerçant (à savoir le GIE, dont la qualité de commerçant n'est pas discutée) à l'encontre d'un autre commerçant.
La société Masma critique cette décision, faisant valoir que le GIE fonde sa demande en paiement sur une clause du bail faisant obligation au locataire d'adhérer au GIE, indiquant que la solution du litige impose que l'on interprète les clauses du bail commercial, rappelant que le tribunal de grande instance a compétence exclusive pour statuer en cette matière.
Le GIE soutient pour sa part qu'il s'agit bien d'une demande en paiement entre deux commerçants, en sorte que le tribunal de commerce est seul compétent.
Il convient d'observer en premier lieu que le GIE est un tiers par rapport au bail commercial, qui ne peut donc être le support de sa demande en paiement. Le bailleur n'est en outre pas partie au présent litige.
La demande en paiement est uniquement fondée sur l'adhésion de la société Masma au GIE, ce dont il est résulté une relation contractuelle, ainsi qu'il sera exposé plus avant.
L'action en paiement introduite par le GIE est bien une action entre deux commerçants, de sorte que c'est à bon droit que le tribunal de commerce s'est déclaré compétent pour en connaître. Le jugement déféré sera confirmé de ce chef.
2 - sur l'adhésion de la société Masma au GIE
Il résulte des articles L.251-1 et suivants du code de commerce que le but du groupement d'intérêt économique est de faciliter ou développer l'activité économique de ses membres et d'améliorer ou d'accroître les résultats de cette activité. Le contrat de groupement économique détermine l'organisation du groupement.
Le groupement, au cours de son existence peut accepter de nouveaux membres.
Le GIE fonde sa demande en paiement sur l'adhésion régularisée par la société Masma, et les relations contractuelles nées de cette manifestation de volonté. En réponse aux exceptions de nullité, d'une part de l'adhésion au GIE, d'autre part de la clause du bail obligeant le preneur à adhérer au GIE - telles que soulevées par la société Masma - le GIE soulève leur irrecevabilité, au motif de la prescription.
La société Masma soutient n'avoir régularisé aucun "contrat d'adhésion" avec le GIE. Elle fait en outre valoir que sa "demande d'adhésion" - signée le 26 mai 2000, soit le même jour que la signature du bail - n'a été régularisée que sous la pression du bailleur, caractérisée par le fait que le commerçant se trouve, du fait des clauses du bail, obligé d'adhérer au groupement, sauf à renoncer aux locaux qu'il entend prendre à bail, ce qui caractérise l'existence d'une contrainte économique exclusive de tout consentement libre et éclairé. Elle soutient ainsi, sans toutefois en tirer de conséquences, que son éventuelle adhésion est irrégulière.
La demande d'adhésion à un GIE suffit à créer un lien contractuel entre celui-ci et l'un de ses membres, sans qu'il y ait lieu à signature d'un "contrat d'adhésion", ni même signature des statuts.
Il est justifié de la demande d'adhésion au GIE, régularisée le 26 mai 2000 par la société Manin, aux droits de laquelle se trouve la société Masma. Bien que signée le même jour que le bail, cette demande d'adhésion n'en reste pas moins un acte séparé et indépendant.
* sur la recevabilité du moyen tiré de l'irrégularité de l'adhésion
Il résulte de l'article 1304 ancien du code civil, applicable en l'espèce, que dans tous les cas où l'action en nullité d'une convention n'est pas limitée à un moindre temps par une loi particulière, cette action dure cinq ans.
En l'espèce, la demande de la société Masma - visant à voir dire que son adhésion au GIE est irrégulière au motif que son consentement n'a été donné que sous la contrainte exercée par le bailleur - constitue en fait une demande de nullité de son adhésion au GIE.
Pour s'opposer à la fin de non-recevoir, soulevée par le GIE, tirée de la prescription de cette demande de nullité, la société Masma fait valoir qu'elle n'agit pas par voie d'action, mais par voie d'exception, invoquant l'imprescriptibilité des exceptions de nullité, et ajoutant que - s'agissant d'une nullité absolue, dès lors que la clause du bail est contraire à la liberté d'association qui est un principe d'ordre public - l'exécution du contrat ne fait pas obstacle à cette imprescriptibilité.
Il convient de rappeler que la demande du GIE est fondée, non pas sur la clause du bail obligeant le preneur à adhérer au GIE, mais sur l'adhésion au GIE dont la société Masma soulève la nullité pour vice du consentement. S'agissant ici d'une nullité relative, son exercice par voie d'exception ne pourrait être considéré comme imprescriptible qu'à condition que le contrat n'ait reçu aucun commencement d'exécution.
Force est ici de constater que l'adhésion au GIE a bien reçu un commencement d'exécution dès lors que la société Masma a régulièrement réglé ses cotisations durant 11 années avant de demander son retrait en avril 2011.
Dès lors que le contrat a été partiellement exécuté, la société Masma ne peut plus invoquer l'imprescriptibilité de l'exception de nullité qu'elle invoque.
Le point de départ du délai de prescription, qui n'est pas discuté par les parties, doit être fixé à la date de la convention, soit au 26 mai 2000. L'action en nullité, même exercée par voie d'exception, devait dès lors être introduite au plus tard le 26 mai 2005. Force est ici de constater que l'action en paiement n'a été introduite qu'en septembre 2015, et que l'exception de nullité a été soulevée pour la première fois dans les conclusions régularisées devant le tribunal de commerce en janvier 2016, de sorte que la société Masma doit être déclarée irrecevable en son exception de nullité de l'adhésion.
L'adhésion de la société Masma au GIE sera donc considérée comme étant régulièrement formée.
Dès lors que la demande du GIE est uniquement fondée sur l'adhésion de la société Masma, les développements de cette dernière sur la nullité de la clause du bail obligeant le preneur à adhérer au GIE sont sans incidence sur le présent litige, de sorte qu'il n'y a pas lieu de statuer sur ce point, étant ici observé qu'en tout état de cause, les dispositions de la loi du 1° juillet 1901 sont inapplicables en l'espèce, le GIE n'étant pas une association.
3 - sur le retrait de la société Masma, et ses conséquences sur la demande en paiement formée par le GIE
Il résulte de l'article L.251-9 du code de commerce que tout membre du groupement peut se retirer dans les conditions prévues par le contrat, sous réserve qu'il ait exécuté ses obligations.
Pour s'opposer à la demande en paiement formée par le GIE portant sur la période du 2° trimestre 2011 au 1° trimestre 2018 (soit une somme de 48.079,29 euros), la société Masma rappelle son retrait, tel qu'il résulte de sa lettre recommandée du 7 avril 2011, et soutient que ce retrait prenait effet à cette date, ajoutant qu'elle était alors à jour de ses cotisations, à l'exception des 7 premiers jours d'avril 2011, soit la somme de 125,08 euros. Elle fait en outre valoir que le GIE a attendu le 24 février 2012 pour répondre à sa demande de retrait, lui facturant alors une somme de 6.533,29 euros correspondant à 4 trimestres de cotisation, manifestant ainsi sa mauvaise foi.
Le GIE soutient que le retrait de la société Masma est irrégulier en ce que cette société n'avait pas exécuté ses obligations, à savoir le paiement des cotisations, indiquant que "ce retrait ne pouvait être valable tant que la société n'avait pas remboursé l'ensemble des cotisations qu'elle a manqué de payer jusqu'à aujourd'hui". Il ajoute que la société Masma a profité des services du GIE, y compris après son retrait.
Il est constant qu'à la date du retrait notifié par la société Masma au GIE, celle-ci n'était redevable que d'une somme de 125,08 euros. S'il est exact que le retrait est impossible tant que le retrayant n'a pas exécuté ses obligations, le GIE ne peut, de bonne foi, retarder indéfiniment les effets de ce retrait à une date à laquelle le retrayant aura réglé ses cotisations - de plus en plus élevées - alors même qu'elle n'a jamais contesté le principe même de ce retrait, se contentant d'adresser des mises en demeure de payer. Une telle attitude aboutirait en effet à la négation de tout droit de retrait, en contradiction avec les dispositions précitées.
La production d'une "fiche promotion" datée du 4 janvier 2016 qui ne comporte aucune signature de la société Masma, et dont on ignore si elle a donné lieu à une quelconque publicité organisée par le GIE est insuffisante à démontrer que la société Masma a continué à bénéficier des services du GIE postérieurement au retrait.
Enfin, et contrairement à ce qui est soutenu, le GIE produit aux débats de nombreux documents justifiant de la réalité des prestations de promotion et d'animation offertes en contrepartie des cotisations appelées, à tout le moins jusqu'en avril 2011, de sorte que ses demandes en paiement ne sont pas dénuées de cause.
Il convient ainsi de constater que la société Masma s'est retirée du GIE à la date du 7 avril 2011, et de la condamner au paiement, d'une part des cotisations dues à cette date, soit la somme de 125,08 euros, d'autre part de l'indemnité forfaitaire de recouvrement à hauteur de 40 euros, outre intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 28 juillet 2014.
La demande en paiement des cotisations postérieures à l'exercice du droit de retrait sera rejetée, le jugement étant infirmé de ce chef.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :
La société Masma sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel.
Il n'y a pas lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile, et le jugement déféré sera infirmé de ce chef.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement déféré en ce qu'il a rejeté l'exception d'incompétence du tribunal de commerce, et en ce qu'il a condamné la société Masma au paiement des dépens de première instance,
L'infirme pour le surplus,
Et statuant à nouveau,
Déclare la société Masma irrecevable en son exception de nullité de son adhésion au Groupement des exploitants du centre commercial Espace Saint Quentin,
Condamne la société Masma à payer au Groupement des exploitants du centre commercial Espace Saint
Quentin les sommes de 125,08 euros au titre des cotisations arrêtées au 7 avril 2011, et 40 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de recouvrement, outre intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 28 juillet 2014.
Rejette toutes autres demandes,
Condamne la société Masma aux dépens d'appel, avec droit de recouvrement direct, par application de l'article 699 du code de procédure civile prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.