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Décisions

CA Saint-Denis de la Réunion, ch. com., 13 octobre 2015, n° 14/00169

SAINT-DENIS DE LA RÉUNION

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

OIDF (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Bergouniou-Gournay

Conseillers :

M. De Thevenard, Mme Monteil

TGI Mamoudzou, du 8 déc. 2014, n° 14/001…

8 décembre 2014

 

FAITS ET PROCEDURE :

La SAS Organisation Ingenierie Développement Formation (OIDF), dont les statuts ont été enregistrés le 21 février 2003, est issue de la transformation de la SARL du même nom, constituée le 27 août 1992 entre M. Gino S., aujourd'hui décédé, son fils Gilbert S. et M. Pierre D..

La répartition du capital social s'établissait à l'origine comme suit:

- Gino S.: 96 parts;

- Gilbert S.: 102 parts;

- Pierre D.: 2 parts.

Lors d'une assemblée générale du 4 décembre 1995, il a été procédé à une augmentation du capital social et la création de 600 parts nouvelles réparties comme suit:

- Pierre D.: 360 parts;

- Agnès D.: 236 parts;

- Angèle D., épouse P.: 1 part;

- Eliane B. B., épouse R.: 1 part;

- Marie Eliane D., épouse R.: 1 part;

- Laurence A., épouse S.: 1 part.

Lors d'une assemblée générale du 24 janvier 2011, M. Pierre D. a succédé à M. Gilbert S. au poste de Président, M. Gilbert S. étant nommé directeur général.

Pierre D., président d'OIDF, a révoqué, par lettre recommandée du 25 mai 2011, Gilbert S. de son poste de directeur général.

Lors d'une assemblée générale qui s'est tenue en métropole, à SEYSSINET-PARISET (38170) le 24 avril 2014, il a été décidé, notamment une refonte des statuts, l'agrément de nouveaux associés et le renouvellement du mandat de Pierre D. en qualité de président de la société.

Par acte d'huissier du 19 juin 2014, les consorts Gilbert, Laurence, Sylvia et Sandra S. ont fait assigner en référé devant le tribunal de grande instance de Mamoudzou, dans sa formation commerciale, la SAS OIDF d'une demande d'annulation de l'assemblée générale du 24 avril 2014 et de désignation d'un mandataire ad hoc.

Par ordonnance du 8 décembre 2014, le président du tribunal de grande instance de Mamoudzou, statuant en la forme des référés et en matière commerciale, a:

- débouté la SAS OIDF de son exception de nullité de l'assignation;

- déclaré irrecevable Mmes Sylvia et Sandra S. en leur action;

- déclaré recevable l'action engagée par M. Gilbert S. et Mme Laurence S.;

- désigné un mandataire ad hoc en la personne de Maître Michel C. et la SELARL AJ PARTENAIRES Maurice P., administrateurs judiciaires, avec la mission suivante:

* se faire communiquer et remettre par les parties tous documents sociaux, comptables et fiscaux de la société OIDF;

* vérifier si la société a été gérée conformément aux dispositions légales et règlementaires en vigueur et à l'intérêt social;

* favoriser le règlement amiable du contentieux opposant les familles S. et D. relativement, notamment, au sort du compte courant de feu Gino S., en faisant convoquer, si besoin est, une assemblée générale extraordinaire à Mayotte.

La même décision a condamné la société OIDF à verser une avance au mandataire de frais et honoraires de 5 000 euros; elle a, en revanche, débouté M. Gilbert S. et Mme Laurence S. de leur demande d'annulation de l'assemblée générale du 24 avril 2014.

Par déclaration enregistrée au greffe de la chambre d'appel le 12 décembre 2014, Maître Christina N. a interjeté appel de l'ordonnance du 8 décembre 2014 au nom de sa cliente, la SAS OIDF.

Par déclaration enregistrée au greffe de la chambre d'appel le 9 janvier 2015, Maître Julien C. a également interjeté appel de l'ordonnance du 8 décembre 2014 au nom de ses clients, les consorts Gilbert, Laurence, Sylvia et Sandra S..

L'affaire a été appelée à la conférence du 10 mars 2015. Les instances enrôlées sous les numéros 14/169 et 15/3 ont fait l'objet d'une jonction et donné lieu à l'établissement d'un calendrier de procédure.

Dans ses dernières conclusions enregistrées au greffe de la cour le 4 mai 2015, la SAS OIDF demande à la cour de confirmer l'ordonnance déférée en ce qu'elle a déclaré l'action formée par Mmes Sylvia et Sandra S. recevable et a dit qu'il n'y avait pas lieu à annulation de l'assemblée générale du 24 avril 2014; elle en demande l'infirmation pour le surplus, notamment sur la désignation d'un mandataire ad hoc, chargé d'une mission de conciliation. Elle soutient:

- à titre principal, que la demande d'expertise de gestion formée en cause d'appel par les consorts S. est irrecevable, en l'absence de consultation préalable;

- à titre subsidiaire, de dire n'y avoir lieu à expertise de gestion.

Elle demande également à la cour de condamner les consorts S. à lui payer une somme de 4 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans leurs conclusions enregistrées au greffe le 17 juin 2015, les consorts S. demandent en premier lieu que l'action de Mmes Sylvia et Sandra S., héritières de feu Gino S., soit déclarée recevable; en deuxième lieu, que l'assemblée générale, dont la convocation comporte de nombreuses irrégularités, qui s'est tenue en métropole alors que le siège social de la société est à Mayotte et que l'ensemble des associés n'ont pas été convoqués, doit être annulée.

Ils demandent en conséquence à la cour de dire et juger que Mesdames Sylvia et Sandra S., héritières de feu Gino S. sont recevables à agir, de confirmer l'ordonnance déférée en ce qu'elle a ordonné une expertise de gestion, de compléter la mission de l'expert et de dire qu'elle devra porter sur les points suivants:

- la construction d'une dalle sur sol pour autrui;

- les frais de déplacement et de réception à Madagascar de M. Mohamed H. A.;

- les règlements reçus par M. LE VAN P. au titre de la cession de la clientèle d'une filiale d'OIDF, la SARL 'Convergence Conseil';

- la justification des demandes de remboursement des frais de déplacement de M. Pierre D.;

- l'utilisation détournée de matériel et personnel appartenant à la SAS OIDF;

- le salaire du président d'OIDF, Pierre D.;

- le remboursement des comptes courants d'associés au 31 décembre 2012;

- le sort des cautionnements de Gilbert S. à titre personnel;

- la création d'une association d'insertion dénommée PEPS.

Ils demandent également à la cour d'infirmer l'ordonnance déférée en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à annulation de l'assemblée générale du 24 avril 2014, et de condamner la SAS OIDF à leur payer une somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La clôture est en date du 30 juin 2015.

SUR CE,

- Sur la recevabilité de l'action de Mmes Sylvia et Sandra S.:

Il résulte des pièces versées aux débats, et notamment de l'acte de notoriété successorale reçu par maître Frédéric F., notaire à Thuir, que M. Gino S., époux de Mme Laurence A., est décédé à Perpigan le 1er avril 2009 en laissant pour lui succéder sa veuve et ses trois enfants:

- Sylvia S., née le 1er décembre 1964;

- Gilbert S., né le 24 août 1970;

- Sandra S., née le 10 décembre 1976.

Il n'a pas été procédé au partage, les héritiers étant demeurés dans l'indivision;

Par acte sous seing privé du 3 juin 2014, Mmes Laurence A., veuve S., Sylvia S. et Sandra S. ont donné procuration à leur fils set frère, M. Gilbert S., pour les représenter dans l'indivision successorale suite au décès de M. Gino S..

La qualité d'héritières de Sylvia et de Sandra S. ne peut être sérieusement contestée; celles ci ont donc hérité des actions de leur père au sein de la SAS OIDF; elles ne sont pas pour autant associées de la société OIDF, n'ayant formé auprès du président aucune demande d'agrément dans les termes prévus par les statuts en vigueur lors du décès de feu Gino S...

Mmes Sylvia et Sandra S. ont toutefois hérités du droit de leur père d'ester en justice à l'encontre de la SAS OIDF, et sont dès lors recevables à agir; l'ordonnance déférée sera infirmée sur ce point.

- Sur l'annulation de l'assemblée générale du 24 avril 2014:

Mmes Sylvia et Sandra S. n'ayant pas la qualité d'associées de la société OIDF, le fait qu'elles n'aient pas été convoquées à l'assemblée générale n'est pas de nature à entacher de nullité la tenue de cette assemblée.

M. Gilbert S. a été convoqué, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 16 avril 2014 à l'adresse de sa mère à LLUPIA, dans le délai requis à l'article 18 des statuts; il a répondu à cette convocation, certes après la tenue de l'assemblée générale, mais en indiquant à l'en tête de son courrier l'adresse à LLUPIA à laquelle il a été convoqué.

S'agissant en outre d'une SAS, l'assemblée générale pouvait se tenir en un autre lieu que celui du siège social de la société, les dispositions de l'article L. 225-103. V du code de commerce n'étant pas applicables à cette forme de société.

C'est donc par une juste appréciation des circonstances de l'espèce que le premier juge, a débouté les requérants de leur demande d'annulation de l'assemblée générale du 24 avril 2014.

- Sur la désignation d'un administrateur ad hoc et la demande d'expertise en gestion:

Il y a lieu, à titre liminaire, d'observer que les débats en cause d'appel, portent sur le bien fondé et l'étendue d'une expertise de gestion, les consorts S. demandant à la cour de confirmer l'ordonnance attaquée en ce qu'elle a ordonné une expertise de gestion; or, il ressort sans ambiguité des termes de l'ordonnance que les requérants en première instance ne demandaient pas d'expertise de gestion, mais seulement la désignation d'un mandataire ad hoc, qui a été ordonnée en la personne de Maître Michel C. et la SELARL AJ PARTENAIRES Maurice P..

Cette désignation est contestée par la SAS OIDF, qui indique que le premier juge, statuant en la forme des référés, qui ne pouvait qu'ordonner une expertise de gestion, a statué ultra petita et outrepassé ses pouvoirs.

S'agissant d'une société par actions, le président du tribunal de commerce, saisi en la forme des référés, n'a pas la possibilité de désigner un administrateur ad hoc, mais peut seulement ordonner une expertise de gestion régie par les dispositions de l'article L. 225-31 du code de commerce.

L'ordonnance déférée sera donc infirmée en ce qu'elle a désigné Maître Michel C. et la SELARL AJ PARTENAIRES Maurice P. en qualité d'administrateur ad hoc.

Selon l'article L. 225-231 du code de commerce, "un ou plusieurs actionnaires représentant au moins 5% du capital social peuvent poser par écrit au président du conseil d'administration ou au directoire des questions sur une ou plusieurs opérations de gestion de la société, ainsi que, le cas échéant, des sociétés qu'elle contrôle (...).

A défaut de réponse dans un délai d'un mois ou, à défaut de communication d'éléments de réponse satisfaisants, ces actionnaires peuvent demander en référé la désignation d'un ou plusieurs experts chargés de présenter un rapport sur une ou plusieurs opération de gestion (...).

S'il est fait droit à la demande, la décision de justice détermine l'étendue de la mission et des pouvoirs des experts. Elle peut mettre les honoraires à la charge de la société."

Selon l'article R. 225-163 du même code, l'expert chargé de présenter un rapport sur une ou plusieurs opérations de gestion, dans les conditions prévues à l'article L. 225-231, est désigné par le président du tribunal de commerce, statuant en la forme des référés, après que le greffier a convoqué le président du conseil d'administration ou du directoire à l'audience par lettre recommandée avec demande d'avis de réception.

En l'espèce, M. Gilbert S. a adressé au président de la SAS OIDF, le 19 avril 2013, un courrier dans lequel il demandait la fixation d'une assemblée générale à compter du 15 mai prochain et posait un certain nombre de questions sur plusieurs opérations de la société, dont le remboursement des comptes courants associés, le sort des cautions données par lui, le détail des charges d'exploitation, des notes de frais et du compte caisse, les frais relatifs au projet Madagascar, le sort de la participation dans la société ACE, l'amortissement pour construction sur sol d'autrui.

Ces divers points ont été inscrits à l'ordre du jour de l'assemblée générale du 18 juin 2013, et lors de cette assemblée, il a été apporté des réponses à chacun des points soulevés.

M. S. n'a émis aucune contestation relative au procès verbal d'assemblée générale du 18 juin 2013 et a attendu le 19 juin 2014 pour saisir le juge des référés.

La demande d'expertise de gestion doit présenter un caractère sérieux et reposer sur des présomptions d'irrégularités atteignant une ou plusieurs opérations de gestion.

L'expertise sollicitée ne peut pas porter sur une opération qui n'aurait pas fait l'objet d'une question écrite préalable posée par les actionnaires; elle ne peut porter que sur une ou plusieurs opérations de gestion;

En l'espèce, seuls les points évoqués par M. Gilbert S. dans son courrier du 19 avril 2013 peuvent donner lieu à une expertise de gestion.

Le remboursement des comptes courants des associés et le sort des cautions données par M. Gilbert S. relève des attributions de l'assemblée des actionnaires et ne constitue pas en elle même une opération de gestion, susceptible de donner lieu à expertise par application de l'article L. 225-131 du code de commerce, de sorte que les consorts S. doivent être déboutés de leur demande sur ce point.

Les appelants demandent que l'expertise de gestion porte sur les frais de déplacement et de réception à Madagascar de M. Mohamed H. A., les règlements reçus par M. LE VAN P. au titre de la cession de la clientèle d'une filiale d'OIDF, la SARL 'Convergence Conseil', l'utilisation détournée de matériel et personnel appartenant à la SAS OIDF, le salaire du président d'OIDF, Pierre D., le sort des cautionnements de Gilbert S. à titre personnel, la création d'une association d'insertion dénommée PEPS.

L'étendue même de la mission proposée par les appelants et la multiplicité des questions posées font apparaitre que c'est l'ensemble de la gestion du groupe qui fait l'objet de critiques générales. Les questions posées ne relèvent pas d'une opération identifiée et déterminée de gestion, mais reviennent à mettre en place un audit général de la société, ce qui n'est pas l'objet de la procédure prévue par l'article L. 225-231 du code de commerce.

Il résulte de l'ensemble des observations qui précèdent que les consorts S. doivent être déboutés de leur demande d'expertise de gestion.

- Sur les frais irrépétibles:

Aucune considération particulière d'équité ne commande en l'espèce qu'il soit fait application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de quiconque.

PAR CES MOTIFS:

La Cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, par arrêt rendu par mise à disposition au greffe en application de l'article 451, alinéa 2 du code de procédure civile,

Infirme l'ordonnance déférée en ce qu'elle a déclaré l'action de Mmes Sylvia et Sandra S. irrecevable, et en ce qu'elle a désigné un mandataire ad hoc en la personne de Maître Michel C. et la SELARL AJ PARTENAIRES Maurice P., administrateurs judiciaires,

Et, statuant de nouveau:

Déclare l'action formée par Sylvia et Sandra S. recevable.

Au fond, la dit infondée.

Dit n'y avoir lieu d'ordonner une expertise de gestion;

Confirme l'ordonnance déférée pour le surplus.

Dit n'y avoir lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de quiconque.

Condamne les consorts S. aux entiers dépens de première instance et d'appel.