CA Versailles, 14e ch., 25 juin 2015, n° 14/05381
VERSAILLES
Arrêt
Infirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Sommer
Conseillers :
Mme Catry, Mme Grison-Pascail
FAITS ET PROCÉDURE,
La société Jean M. Automobiles, ayant son siège social [...] et pour activités celles de garage automobile, dépannage, atelier de réparations, mécanique, tôlerie, gardiennage, a été créée le 14 octobre 2004 par la société Etablissement T., la société Groupe Bruno C. Automobiles, Mme Elisabeth C., M. Bruno C., M. Thomas C..
Le capital social, fixé à la somme de 37.000 euros, a été divisé en 1000 actions, réparties à hauteur de 60 % pour la société Etablissements T., 20 % actions pour Mme C., 10 % actions pour la société Groupe Bruno C. Automobiles, 5 % pour M. Bruno C. et 5 % pour M. Thomas C.. Le capital social a été augmenté en 2009 et divisé en 3800 actions, la société Groupe Bruno C. Automobiles devenant titulaire de 380 actions et M. Thomas C. de 190 actions.
M. Xavier T. a été désigné président de la société et Mme C. directrice générale.
La société Jean M. Automobiles a été liée à la société Groupe Bruno C. Automobiles, concessionnaire Peugeot, par un contrat d'agent à durée indéterminée, un contrat d'apporteur d'affaires et un contrat de fourniture de pièces de rechange réparateur.
En 2013, les relations ont pris fin. Par lettre du 18 avril 2014 , Mme C., directrice générale de la société Jean M. Automobiles, faisant suite à l'information donnée lors de l'assemblée générale de la société ayant eu lieu le 4 avril 2014, a rappelé qu'à la suite d'une longue procédure l'ayant opposée aux bailleresses, la société, locataire des lieux, était dans l'obligation de les quitter.
Préalablement à la rupture des relations, par acte signifié le 29 juin 2005, l'administrateur judiciaire de la succession de Marie-Louise G. veuve S., propriétaire des locaux, avait donné congé à la société Jean M. Automobiles à effet du 31 décembre 2009 avec refus de renouvellement du bail et offre de paiement d'une indemnité d'éviction.
Par jugement du 12 avril 2012, le tribunal de grande instance de Versailles a déclaré irrecevable comme prescrite la demande en paiement de l'indemnité d'éviction formée par la société Jean M. Automobiles, ordonné son expulsion des locaux situés [...] et condamné cette société à payer à l'administrateur judiciaire de la succession une indemnité d'occupation d'un montant de 63.945 euros par an outre 10.550 euros au titre des frais de dépollution du terrain.
C'est dans ces conditions que le 27 mars 2014, la société Groupe Bruno C. Automobiles et M. Thomas C. ont assigné la société Jean M. Automobiles devant le tribunal de commerce de Paris en paiement de dommages et intérêts à la suite de la rupture des contrats les liant puis le 26 mai 2014, ont introduit la présente instance en la forme des référés, en vue de la désignation d'un expert pour procéder à une expertise de gestion sur le fondement de l'article L 225-231 du code de commerce .
Par ordonnance de référé prononcée le 27 juin 2014, le juge des référés du tribunal de commerce de Versailles a dit n'y avoir lieu à référé, déclaré irrecevable la mise en cause à titre personnel de M. Xavier T., débouté ce dernier et la société Jean M. Automobiles de leur demande de dommages et intérêts, condamné solidairement la société Groupe Bruno C. Automobiles et M. Thomas C. à payer à la société Jean M. Automobiles et M. Xavier T. la somme de 1000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'à supporter les dépens.
Vu l'appel de l'ordonnance interjeté le 15 juillet 2014 par la société Groupe Bruno C. Automobiles et M. Thomas C. et leurs conclusions du 12 février 2015 aux termes desquelles ils demandent à la cour de :
- infirmer l'ordonnance,
- ordonner une expertise de gestion portant sur les opérations suivantes,
* gestion par la société Jean M. Automobiles du dossier relatif à la perte du bail commercial de cette société,
* motifs ayant conduit cette société à ne pas poursuivre la procédure relative à l'indemnité d'éviction devant la cour d'appel et à préférer régulariser une transaction sans envisager la mise en jeu de la responsabilité de l'avocat en charge du dossier,
* raisons l'ayant conduite à ne pas envisager le déplacement du fonds de commerce et à préféré la dissolution anticipée de la société,
* cession de la branche d'activités constituée par la marque Kia à la société T. Distribution,
* évaluation des éléments d'actifs constitués par la branche d'activités Kia,
* gestion, par la société Jean M. Automobiles, depuis 2008, de la branche d'activités Peugeot ;
- dire que la charge définitive des honoraires de l'expert sera supportée par la société Jean M. Automobiles ;
Vu les conclusions de la société Jean M. Automobiles et M. Xavier T. du 23 mars 2015 qui demandent à la cour de :
- confirmer l'ordonnance,
- constater que la demande d'expertise ne vise pas l'intérêt social de la société Jean M. Automobiles mais est formée dans l'intérêt personnel des demandeurs,
- constater l'absence de présomption d'irrégularité grave de nature à nuire aux intérêts de la société ou des actionnaires,
- constater que la demande tend à remettre en cause a posteriori des délibérations prises régulièrement par les associés au cours des exercices précédents,
- constater qu'elle vise à rechercher des éléments de preuve à l'appui des demandes formulées dans le contentieux en cours devant le tribunal de commerce de Paris,
- constater que la demande d'expertise de gestion s'inscrit dans le cadre de la liquidation amiable de la société Jean M. Automobiles et qu'elle tend à en suspendre le cours dans le but de nuire et que de plus elle ne saurait suppléer la carence des parties,
- rejeter en conséquence la demande d'expertise et condamner solidairement les appelants à payer à la société Jean M. Automobiles la somme de 5000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- confirmer la mise hors de cause à titre personnel de M. Xavier T. représentant légal et liquidateur amiable de la société Jean M. Automobiles et condamner solidairement les appelants à payer à celui-ci la même somme en remboursement de ses frais non compris dans les dépens ;
MOTIFS DE L'ARRÊT;
Sur la mise hors de cause de M. T.
Les appelants soutiennent avoir assigné M. T. en sa qualité de président de la société Jean M. Automobiles (JMA) et non à titre personnel, que d'ailleurs, ils ne forment aucune demande particulière à l'égard de ce dernier.
L'assignation introductive d'instance ne précisait aucunement que M. T. était assigné en qualité de président de la société JMA, de sorte qu'il ne pouvait qu'être considéré qu'il était assigné à titre personnel.
Dès lors que les appelants précisent que M. T. figure en la cause en qualité de président de la société JMA, il convient de leur en donner acte, d'infirmer l'ordonnance et de rejeter la demande de mise hors de cause de M. T., pris en sa qualité de président de la société JMA.
Sur la demande d'expertise
Selon l'article L 225-231, alinéas 1 et 2, du code de commerce, un ou plusieurs actionnaires représentant au moins 5 % du capital social peuvent poser par écrit au président du conseil d'administration ou au directoire des questions sur une ou plusieurs opérations de gestion de la société, et, à défaut de réponse dans un délai d'un mois ou à défaut de communication d'éléments de réponse satisfaisants, ces actionnaires peuvent demander en référé la désignation d'un ou plusieurs experts chargés de présenter un rapport sur une ou plusieurs opérations de gestion.
L'admission de la demande d'expertise est subordonnée au contrôle de l'utilité et du sérieux de la demande, ces caractères étant appréciés au regard de l'intérêt social.
L'expertise est destinée à éclairer les actionnaires sur la régularité des opérations de gestion critiquées et leur opportunité.
Selon l'article R 225-163 du même code, l'expert est désigné par le président du tribunal de commerce, statuant en la forme des référés.
Le premier juge ne pouvait donc retenir que la demande se heurtait à plusieurs contestations sérieuses.
Il résulte des pièces versées que lors de l'assemblée générale mixte du 21 juin 2013, M. Thomas C. a interrogé M. T., président de JMA, sur la pérennité de la société compte tenu du jugement prononcé par le tribunal de grande instance de Versailles en avril 2012 , que celui-ci a confirmé qu'un appel était en cours et que de nombreuses démarches avaient été entreprises pour éviter l'expulsion de la société des locaux, que des négociations étaient en cours mais qu'aucune solution certaine ne pouvait être évoquée. M. T. ajoutait qu'il n'y avait plus de perspectives avec la société Camar Finances.
Courant 2011, un accord avait été envisagé entre la société Camar Finances, qui se proposait de racheter les locaux loués, et la société JMA. Un protocole d'accord a été adressé par l'avocat de cette société prévoyant la libération des locaux par la société moyennant le versement par Camar Finances d'une somme de plus de 180.000 euros à titre d'indemnité et la conclusion d'une promesse de vente en l'état futur d'achèvement d'un local à la même adresse moyennant une certaine somme.
Les négociations n'ont pas abouti tandis et par jugement du 12 avril 2012, le tribunal de grande instance de Versailles a déclaré prescrite depuis le 2 février 2008 la demande d'indemnité d'éviction formée pour la première fois dans le cadre de l'instance par conclusions du 25 février 2010.
Le 28 mars 2014, M. C. a interrogé M. T., président de JMA, sur les raisons l'ayant conduit notamment à ne pas tenir informés les associés du déroulement de la procédure devant la cour d'appel de Versailles, à donner toutes informations sur la procédure, à dire s'il a mis en œuvre la responsabilité professionnelle de l'avocat ayant semble-t-il commis une erreur de procédure, à indiquer les raisons l'ayant conduit à ne pas envisager le déplacement du fonds de commerce de la société sur Versailles, à céder la branche d'activités constituée par la marque KIA à la société T. Distribution, à préciser les raisons pour lesquelles la cession de la branche Peugeot n'est pas évoquée.
Lors de l'assemblée générale extraordinaire du 4 avril 2014, le président de la société a notamment répondu comme suit :
. Concernant le bail commercial, la société étant menacée d'expulsion, ses dirigeants ont préféré signer un protocole d'accord avec le nouveau propriétaire la société SCCV M. le 11 juillet 2013 suivant lequel ce propriétaire a renoncé à percevoir les indemnités d'occupation restant dues et le coût de la dépollution du site moyennant la libération de l'immeuble et l'abandon de toute voie de recours, de sorte qu'ils se sont désistés de l'appel ; les dirigeants de la société n'ont pas entendu agir en responsabilité contre l'avocat de la société « qui les a accompagnés durant ces 9 années de batailles judiciaires et a permis une issue positive à cette condamnation ».
. Il n'existe pas de locaux adaptés à l'activité de concession automobile sur Versailles.
. Le chiffre d'affaires dans l'activité KIA avait baissé. La valeur de l'activité a été évaluée par le cabinet d'expertise comptable DBF Audit.
. L'activité KIA, par suite du projet de cession, sera exploitée dans de nouveaux locaux [...].
. Concernant l'activité Peugeot, M. C. aurait récupéré une partie de la clientèle depuis 2010.
Les appelants font valoir qu'hormis l'abandon de l'indemnité d'occupation restant due et du coût de la dépollution, la société n'explique pas les raisons ayant motivé l'absence de mise en œuvre de la responsabilité de son conseil, alors qu'elle ne produit pas le rapport de l'expert qui avait été désigné en 2006 pour évaluer le montant de l'indemnité d'éviction à laquelle elle pouvait prétendre, qu'elle demandait devant le tribunal de grande instance de Versailles le paiement d'une indemnité d'éviction de plus de 500.000 euros, que par ailleurs, l'expert-comptable du cabinet DBF Audit qui avait évalué l'activité KIA entretenait des relations d'amitié avec M. T., ce qui fait légitimement naître une suspicion sur l'évaluation de l'activité.
Il ne peut qu'être constaté que le président de la société n'a effectivement pas donné de réponse satisfaisante à la question posée relative au désistement d'appel et à l'absence de mise en œuvre de la responsabilité professionnelle éventuelle du conseil de la société, de même qu'il n'a pas répondu de façon satisfaisante à celle portant sur les raisons de l'absence de transfert de l'activité KIA dans de nouveaux locaux non justifiée par l'absence de locaux à Versailles puisque le cessionnaire a pu y trouver des locaux pour exploiter cette activité.
En outre, le président de la société n'a pas apporté d'explications satisfaisantes sur la baisse des volumes de ventes et du chiffre d'affaires réalisé dans la branche d'activité Peugeot.
Les appelants, actionnaires minoritaires, justifient du caractère sérieux et de l'utilité de leur demande d'expertise, au regard de l'intérêt social de la société JMA qui a perdu ses activités.
En l'absence de caractère satisfaisant des réponses apportées aux demandes formées, il y a lieu d'accueillir leur demande d'expertise.
Il n'y a pas lieu de mettre à la charge de la société Jean M. Automobiles qui n'a plus d'activité, les honoraires de l'expert.
L'ordonnance sera infirmée en toutes ses dispositions.
Il n'y a pas lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile.
Chaque partie conservera à sa charge les dépens qu'elle a exposés.
PAR CES MOTIFS :
La cour,
Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
Donne acte à la société Groupe Bruno C. Automobiles et M. Thomas C. de ce qu'ils ont assigné M. T. en sa qualité de président de la société Jean M. Automobiles ;
Infirme l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions ;
Rejette la demande de mise hors de cause de M. T., pris en sa qualité de président de la société Jean M. Automobiles ;
Ordonne une expertise de gestion ;
Désigne pour y procéder
- M. Pascal S.
[...]
Tél : [...] - Fax : [...] - Port : [...] - Mèl : [...]
En qualité d'expert avec mission de :
- se faire communiquer tous documents et pièces utiles à l'accomplissement de sa mission ;
- donner son avis sur la régularité et l'opportunité des opérations de gestion suivantes :
* circonstances ayant conduit à l'absence de perception de l'indemnité d'éviction des locaux [...],
* circonstances et raisons ayant conduit à l'absence de poursuite de la procédure relative à l'indemnité d'éviction devant la cour d'appel et à la signature d'une transaction sans envisager de rechercher la responsabilité professionnelle du conseil de la société en charge du dossier,
* circonstances et raisons ayant conduite à ne pas envisager le déplacement du fonds de commerce et à préférer la dissolution anticipée de la société,
* cession de la branche d'activités constituée par la marque Kia à la société T. Distribution,
* évaluation des éléments d'actifs constitués par la branche d'activités Kia,
* gestion, par la société Jean M. Automobiles, depuis 2008, de la branche d'activités Peugeot ;
Dit que l'expert sera saisi et effectuera sa mission conformément aux dispositions des articles 263 et suivants du code de procédure civile et qu'il déposera son rapport en un exemplaire au greffe de la cour d'appel de Versailles dans le délai de quatre mois à compter de la date de l'avis de consignation, sauf prorogation de ce délai dûment sollicitée en temps utile auprès du juge chargé du contrôle des expertises ;
Dit que l'expert devra, lors de l'établissement de sa première note aux parties, indiquer les pièces nécessaires à l'exercice de sa mission, le calendrier de ses opérations et le coût prévisionnel de la mesure d'expertise ;
Dit qu'après avoir rédigé un document de synthèse, l'expert devra fixer aux parties un délai pour formuler leurs dernières observations ou réclamations en application de l'article 276 du code de procédure civile et rappelle qu'il ne sera pas tenu de prendre en compte les observations ou réclamations tardives ;
Dit que le président de la 14ème chambre de la cour d'appel de Versailles suivra la mesure d'instruction et statuera sur les incidents ;
Dit que l'expert devra rendre compte à ce juge de l'avancement de ses travaux d'expertise et des diligences accomplies et qu'il devra l'informer de la carence éventuelle des parties dans la communication des pièces nécessaires à l'exécution de sa mission, conformément aux dispositions des articles 273 et 275 du code de procédure civile ;
Fixe à la somme de 3 000 euros (trois mille euros) la provision à valoir sur la rémunération de l'expert qui devra être consignée par la société Groupe Bruno C. Automobiles et M. Thomas C. entre les mains du Régisseur d'avances et de recettes de la cour d'appel de Versailles, dans le délai d'un mois à compter du prononcé de l'arrêt, sans autre avis ;
Dit que faute de consignation dans ce délai impératif, la désignation de l'expert sera caduque et privée de tout effet ;
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Laisse à chaque partie la charge des dépens de première instance et d'appel qu'elle a exposés et dit qu'ils seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.