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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 8, 10 novembre 2015, n° 14/20229

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Défendeur :

Ennov (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Hebert-Pageot

Conseillers :

M. Boyer, M. Bedouet

T. com. Paris, du 19 sept. 2014, n° 2013…

19 septembre 2014

M Mathieu F. a créé en 1998 la Sarl Clinsight, dont il était le gérant, avec deux associés, la société Macef et M Yann F., l'objet social étant la création et la commercialisation de logiciels dans le domaine médical et pharmaceutique.

La société Ennov qui exerçait dans le même domaine a fait valoir son intérêt pour le rachat de la totalité des parts de Clinsight.

Une promesse synallagmatique de cession des parts de Clinsight à Ennov, sous conditions suspensives, a été conclue les 28 et 31 mars 2008 prévoyant l'attribution à M F. d'actions gratuites à hauteur de 2 % du capital d'Ennov. La promesse a été réitérée dans un acte définitif de cession du 28 juin 2008.

Les conditions fixées à la promesse étant remplies, l'assemblée générale des actionnaires de Ennov a décidé le 31 août 2009 d'autoriser le conseil d'administration à attribuer ses actions gratuites à M F., ce qui a été fait le jour même pour 13 972 actions.

Le plan d'attribution des dites actions également daté du 31 août 2009, définissant les conditions et modalités de leurs remises, signé par le président de la société Ennov, a été remis à M F. en main propre contre émargement, le 16 septembre 2009.

Il prévoyait notamment que l'attribution définitive des actions interviendrait après une période de deux ans commençant à courir à compter du 31 août 2009, sous condition que son bénéficiaire soit salarié de la société Ennov jusqu'au 31 août 2011 inclus, faute de quoi 'il perdrait tous droits à l'attribution des actions.'

Le 8 juin 2012 s'est tenue l'assemblée générale ordinaire annuelle de la société Ennov qui a statué sur les comptes de l'exercice clos le 31 décembre 2011 et a renouvelé le mandat du commissaire aux comptes de la société. Le 28 juin 2012 s'est tenue par ailleurs une assemblée générale extraordinaire de ladite société, qui en a modifié la structure (transformation en Sas ), les statuts et l'actionnariat et a décidé la distribution d'un dividende exceptionnel de 1 403 487,40 euros avec renonciation pure et simple de tous les actionnaires à leur droit à dividende à l'exception de M Charles S., qui a de ce fait perçu la somme de 230 889,45 euros.

N'ayant pas été convoqué aux dites assemblées générales, M F. a écrit le 15 février 2013 au président de la société Ennov pour obtenir la régularisation avec effet rétroactif à la date d'acquisition, de l'attribution des actions de la société, la régularisation des assemblées générales tenues sans qu'il ait été convoqué et la distribution à son profit des dividendes dont il a été privés.

Les actions de M F. n'ont été inscrites au compte de la société Ennov qu'en mai 2013.

Par acte d'huissier en date du 13 septembre 2013, M F. a saisi le tribunal de commerce de Paris afin d'obtenir la régularisation des assemblées tenues sans qu'il ait été convoqué et, à défaut, voir prononcer leur nullité ainsi que la résolution judiciaire de la cession de titre consentie au profil de la société Ennov.

Par jugement en date du 19 septembre 2014, le tribunal de commerce de Paris a dit que M F. n'avait pas qualité pour agir en nullité des décisions des assemblées contestées, dit que l'action en résolution de la cession d'action est prescrite, condamné la société Ennov à lui payer la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts, débouté les parties du surplus de leurs demandes et condamné M F. à payer à la société Ennov la somme de 5000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par déclaration enregistrée au greffe de la cour le 8 octobre 2014 M F. a relevé appel de cette décision.

Par conclusions du 18 mai 2015, il demande à la cour de réformer le jugement, de dire que les décisions prises lors des assemblées générales postérieures au 28 mai 2009 sont entachées de nullité et en conséquence de décider de la régularisation des décisions attaquées en désignant tel mandataire ad hoc qui y procédera, à titre subsidiaire de prononcer la nullité des décisions prises les 8 et 28 juin 2012 par l'assemblée des actionnaires de la société Ennov, de prononcer la résolution judiciaire de la cession des titres, en toute hypothèse de débouter la société de toutes ses demandes, de la condamner à lui payer la somme de 100 000 euros en réparation du préjudice qu'il a subi outre 5000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Ennov pour sa part, par conclusions en date du 22 juin 2015, demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté M F. de ses demandes, et statuant à nouveau de l'infirmer en ce qu'il l'a condamnée à payer à M F. la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts, de constater qu'il ne fait état d'aucun préjudice, de le débouter de toutes ses demandes, de dire qu'il a agi de façon abusive au regard de l'article 32-1 du code de procédure civile, de dire qu'il lui a causé un préjudice et de le condamner en conséquence à lui payer la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts, outre 15 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

SUR CE,

Il résulte des dispositions de l'article L 235-1 du code de commerce que la nullité d'une société ou d'un acte modifiant les statuts ne peut résulter que d'une disposition expresse du livre 2 ou des lois qui régissent la nullité des contrats (...). La nullité d'actes ou délibérations autres que ceux visés précédemment ne peut résulter que de la violation d'une disposition impérative du présent livre ou des lois qui régissent les contrats.

L'article L 235-4 du code de commerce prévoit en outre les modalités selon lesquelles la juridiction, saisie d'une action en nullité, peut fixer un délai pour régulariser lesdites nullités.

En l'espèce M F. demande à la cour, sur le fondement de ces textes, la régularisation ou à défaut la nullité des assemblées générales qui se sont déroulées au mois de juin 2012 au motif qu'il n'a pu y prendre part, alors que par application des conventions de cession puis de distribution de titres et conformément aux dates contractuellement prévues il aurait dû y participer.

Il soutient que la société a volontairement refusé d'inscrire au compte des associés les actions gratuites qui lui étaient pourtant attribuées, afin que celle-ci soit plus 'libre et tranquille' pour effectuer des opérations contestables, s'agissant notamment de la rémunération de son président.

Il invoque plus spécifiquement le non respect des formalités de convocation aux assemblées générales et la privation de son droit de vote, de son droit préférentiel de souscription et de son droit aux dividendes.

S'il est constant que M F. dispose d'un intérêt légitime au soutien de sa prétention au sens de l'article 32 du code de procédure civile, il convient d'observer qu'il n'avait pas été inscrit sur le registre des associées aux dates auxquelles les assemblées générales qu'il conteste se sont tenues de sorte qu'il n'avait pas juridiquement cette qualité.

Les quatre moyens d'irrégularité qu'il invoque, qui sanctionnent la violation des intérêts propres aux associés conduisent la cour à considérer que son action en nullité et en régularisation est irrecevable pour défaut de qualité à agir .

S'agissant de la demande de résolution judiciaire de l'acte de cession des parts,

M F. souligne à juste titre que, contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, son action de ce chef n'est pas prescrite compte tenu de la date d'assignation devant ledit tribunal de commerce (le 13 septembre 2013).En effet le point de départ de la prescription de l'action n'est pas la date de conclusion du contrat dont la résolution est demandée, comme l'a décidé le tribunal, mais le moment ou l'inexécution ou la mauvaise exécution du contrat lui a été révélée, ce qui, pour ce qui le concerne, est intervenu au plus tôt le 31 août 2011, date à laquelle il s'est inquiété auprès du président de la société Ennov du sort de ses actions.

S'il n'y a pas lieu de prononcer la résolution judiciaire du contrat dès lors que celui ci a été partiellement exécuté puisque les actions gratuites ont finalement été distribuées, la société Ennov engage toutefois sa responsabilité contractuelle vis à vis de M F..

En effet dans le dernier paragraphe de la page 4 du plan d'attribution d'actions gratuites, elle s'est engagée à inscrire nominativement le nom du bénéficiaire dans les registres de la société au terme de la période d'acquisition, soit le 31 août 2011.

Ne l'ayant fait qu'au mois de mai 2013, soit plusieurs mois après la date prévue, elle a violé ses obligations contractuelles.

Ayant été privé des prérogatives attachées à sa qualité d'actionnaire lors des assemblées générales antérieures à cette date, au cours desquelles il a notamment été procédé à la distribution de dividendes, il a subi un préjudice que la société doit lui réparer et que la cour évaluera à la somme de 15 000 euros, le jugement étant infirmé du chef du quantum.

La société Ennov pour sa part sera déboutée de ses demandes indemnitaires étant précisé qu'aucun abus de droit d' agir en justice n'est établi à l'encontre de l'appelant.

L'équité commande de condamner la société Ennov à verser à M F. la somme de 5000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle sera par ailleurs condamnée à payer les dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement en ce qu'il a dit que M F. n'avait pas qualité pour agir en nullité des assemblées contestées,

L'infirme pour le surplus,

Statuant à nouveau,

Dit qu'il n'a pas qualité pour solliciter la régularisation des dites assemblées générales,

Dit recevable la demande de résolution judiciaire du contrat de cession de parts mais la rejette,

Condamne la société Ennov à payer à M F. la somme de 15 000 euros avec intérêt au taux légal à compter de la présente décision,

Déboute les parties du surplus de leur demande,

Condamne la société Ennov à payer la somme de 5000 euros à M F. sur le fondement de l'article 700 du code procédure civile,

Condamne la société Ennov aux dépens de première instance et d'appel.