Livv
Décisions

CA Toulouse, 2e ch., 31 juillet 2012, n° 11/05985

TOULOUSE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

MODULE (SARL), ORAGEMMES (SA)

Défendeur :

CHAMBON (Consorts)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Avocats :

SCP NIDECKER PRIEU JEUSSET, Me Victor GROSBOIS, Me SOREL

TGI TOULOUSE, du 28 nov. 2011

28 novembre 2011

Suivant acte notarié en date du 23 avril 1999 M. Yves de Chambon a donné à bail commercial à la Sarl Module un local au rez de chaussée d'un immeuble situé [...] à usage d'activité de commerce de chaussures, habillement, maroquinerie, horlogerie, bijouterie et joaillerie moyennant un loyer de 12.195,92 € € HT par mois pour une durée de 9 ans à compter du 1er mai 1999 renouvelé par tacite reconduction depuis le 1er mai 2008.

Il est décédé le 17 juillet 2004 et depuis lors le loyer est perçu par son fils M. Bertrand de Chambon.

Par acte d'huissier du 25 novembre 2010 la Sarl Module a fait délivrer à ce dernier une demande de renouvellement et a proposé un loyer annuel de 13.864,80 €.

Le 19 avril 2011 son associée unique, la Sa Oragemmes a consenti à la Sarl Odis une promesse de cession de la totalité des parts de la Sarl Module moyennant le prix de 793.906 € sous diverses conditions suspensives et notamment du chef du bailleur la signature d'un avenant de renouvellement du bail moyennant un loyer annuel n'excédant pas 18.000 € et l'autorisation de consentir à des travaux d'aménagement intérieur des locaux pour les rendre conformes à l'activité de prêt à porter que les nouveaux dirigeants souhaitent exercer dans les lieux loués.

Par courrier du 23 mai 2011 M. Bertrand de Chambon a informé le preneur de ce qu'il n'était qu'usufruitier des locaux sous la nue-propriété de son fils mineur Pierre-Jean, l'a invité à présenter sa demande à l'administrateur légal es qualité, prétendant se trouver dans l'impossibilité de recueillir l'accord de l'autre parent.

Par lettre du 30 mai 2011 la Sarl Module a avisé M. Bertrand de Chambon de ce qu'en l'absence de manifestation du bailleur dans les trois mois de la demande de renouvellement, ce dernier était acquis et a sollicité l'autorisation de faire réaliser des travaux dans les lieux.

Par lettre en réponse du 9 juin 2011 M. Bertrand de Chambon a considéré que la demande de renouvellement était nulle, faute d'avoir été notifiée au représentant légal du nu propriétaire.

Par acte d'huissier du 7 juillet 2011 la Sarl Module a fait délivrer à Mme Isabelle Toulze en sa qualité d'administratrice légale de Pierre-Jean de Chambon une sommation interpellative de donner son accord au renouvellement du bail.

Par courrier du 12 juillet 2011 Mme Isabelle Toulze a estimé que la demande de renouvellement était nulle, faute de lui avoir été notifiée es qualité.

Par acte du 19 juillet 2011 la Sarl Module et son associé unique la Sa Oragemmes ont fait assigner M. Bertrand de Chambron pris en sa qualité de bailleur usufruitier du local loué et d'administrateur légal de son fils mineur Pierre Jean, nu propriétaire, ainsi que Mme Isabelle Toulze en sa qualité de co-administratice légale de son fils mineur devant le président du tribunal de grande instance de Toulouse statuant en référés à l'effet de voir autoriser le renouvellement du bail commercial à compter du 1er janvier 2011 ainsi que l'exécution dans les lieux loués des travaux suivant descriptif annexé au courrier du 30 mai 2011.

Par ordonnance du 12 août 2011 cette juridiction a dit n'y avoir lieu à référé et, usant de la faculté permise par l'article 811 du code de procédure civile, renvoyé l'affaire au fond devant le tribunal.

Par jugement du 28 novembre 2011 cette juridiction a :

- dit que la demande de renouvellement délivrée le 25 novembre 2010 par la Sarl Module est irrégulière faute d'avoir été adressée au nu propriétaire, le mineur Pierre-Jean de Chambon représenté par ses administrateurs légaux, M. et Mme Bertrand de Chambon,

- dit en conséquence qu'elle ne peut ouvrir droit au renouvellement du bail au profit du locataire,

- replacé les parties dans l'état du bail initial qui se poursuit par tacite reconduction,

- autorisé les sociétés locataires à réaliser les travaux visés dans le descriptif du 19 avril 2010 annexé à la lettre du 30 mai 2011 dans les conditions prévues à l'article 6 du bail du 23 avril 1999,

- rejeté le surplus des demandes,

- condamné la Sarl Module et la Sa Oragemmes à payer aux consorts de Chambon la somme de 1.200 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par acte du 15 décembre 2011, dont la régularité et la recevabilité ne sont pas contestées, la Sarl Module et la Sa Oragemmes ont interjeté appel général de cette décision.

Par ordonnance du magistrat de la mise en état du 6 juillet 2012 les uniques conclusions déposées le 11 juin 2012 par M. Bertrand de Chambon agissant tant à titre personnel qu'en sa qualité d'administrateur légal de son fils Pierre-Jean de Chambon et Mme Isabelle Toulzeagissant en sa qualité d'administratrice légale de ce fils mineur ont été déclarées irrecevables en raison de leur tardiveté au regard des dispositions de l'article 909 du code de procédure civile ayant reçu signification des conclusions et communication des pièces des sociétés appelantes depuis le 24 janvier 2012 et en raison du défaut de paiement du droit affecté à l'indemnisation de la profession d'avoué.

MOYENS DES PARTIES

La Sarl Module et la Sa Oragemmes concluent le 16 janvier 2012 en demandant de :

Vu les articles L 415-10 alinéa 4 et 5, L 145-12 et L 145-35 du code de commerce et 595 alinéa 4 du code civil, 1184 et 1165 du code civil,

- constater la validité de la demande de renouvellement notifiée le 25 novembre 2010,

- infirmer partiellement le jugement ,

- les déclarer recevables en leur action directe contre les consorts de Chambon,

- déclarer non justifié le refus opposé par M. Bertrand de Chambon et Mme Isabelle Toulze es qualité d'accepter la demande de renouvellement du bail,

- ordonner le renouvellement du bail commercial à compter du 1er janvier 2011 aux conditions notifiées dans la demande de renouvellement du 25 novembre 2010,

Subsidiairement, dans l'hypothèse où la cour estimerait fondée l'opposition des défendeurs es qualité au renouvellement du bail,

Vu les articles L 145-10 et L 145-14 du code de commerce,

- condamner M. Bertrand de Chambon à payer à la Sarl Module la somme de 793.906 € à titre d'indemnité d'éviction,

Le cas échéant vu l'article 1382 du code civil,

- condamner solidairement M. Bertrand de Chambon et Mme Isabelle Toulze à leur payer la somme de 30.000 € à titre de dommages et intérêts compensatoires,

- condamner solidairement M. Bertrand de Chambon et Mme Isabelle Toulze à leur payer la somme de 5.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les entiers dépens.

Elles soutiennent que la motivation du jugement est dépourvue de base légale et contrevient à la lettre des articles L 145-10 du code de commerce et 595 alinéa 4 du code civil puisqu'il a déclaré nulle la demande de renouvellement pour n'avoir pas été notifiée au nu-propriétaire alors que l'usufruitier a la qualité de bailleur, qu'il incombe à lui seul de s'assurer du concours du nu -propriétaire, que le droit du nu-propriétaire de refuser à l'usufruitier l'autorisation de renouveler le bail est limité et doit être fondé sur une atteinte justifiée à ses intérêts personnels, faute de quoi l'usufruitier peut être autorisé par justice à passer seul cet acte.

Elles ajoutent que si le refus du nu-propriétaire est reconnu légitime il ouvre au preneur le droit de réclamer au bailleur l'indemnité d'éviction prévue par l'article L 145-14 du code de commerce, d'ordre public.

Elles affirment que le preneur n'a d'autre obligation que de notifier sa demande de renouvellement au bailleur, qu'il a un rôle passif au regard des dispositions de l'article 595 du code civil qui ne concerne que les rapports usufruitier/nu propriétaire.

Elles considèrent que les époux de Chambon es qualité refusant de donner leur accord au renouvellement, elles sont en droit de se substituer au bailleur usufruitier défaillant et d'exercer l'action directe.

Elles estiment que le refus du nu propriétaire n'est pas légitime dès lors que le renouvellement ne porte pas atteinte à l'intégrité de l'immeuble, que le prix du loyer n'a aucune incidence sur la valeur de celui-ci, qu'au terme du bail l'usufruitier et le nu-propriétaire pourront s'ils le souhaitent retrouver leur liberté contractuelle par le simple effet d'un congé assorti d'un refus de renouvellement et qu'en réalité l'opposition des administrateurs légaux du nu-propriétaire n'est fondée que sur l'intérêt de l'usufruitier qui souhaite obtenir, par d'autres moyens que ceux prévus par la loi, le déplafonnement du prix du loyer.

Subsidiairement, elles font valoir que si le refus du nu-propriétaire de renouveler le bail était jugé légitime, elles sont en droit, bien qu'aucun refus de renouvellement n'ait été notifié au preneur dans la forme requise par l'article L 145-10 alinéa 4 du code de commerce à peine de nullité, de demander le paiement d'une indemnité d'éviction puisqu'en cas de désaccord entre usufruitier et nu propriétaire, la société locataire se trouve dans un cas de refus de renouvellement et dispose pour son montant d'une évaluation objective qui ne peut être inférieure au prix de cession des parts sociales.

Alternativement, dans l'hypothèse où la cour, passant outre l'opposition du nu-propriétaire, autoriserait M. Bertrand de Chambon à renouveler le bail de sorte que l'indemnité d'éviction ne serait point due, elles estiment que le comportement dolosif des consorts De Chambon leur a causé un préjudice incontestable puisque, par leur fait, la cession de parts n'a pu se réaliser, ce qui justifie l'octroi de dommages et intérêts chiffrés à 30.000 € en réparation du préjudice économique subi.

Al'audience elles ont indiqué ne pas maintenir la demande subsidiaire d'indemnité d'éviction.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Les dispositions du jugement relatives à l'autorisation donnée au locataire de réaliser des travaux n'étant pas critiquées devant la cour, elles doivent être confirmées sans examen au fond, en application de l'article 562 alinéa 2 du code de procédure civile, la dévolution s'étant opérée pour le tout en présence d'un acte d'appel général.

Sur la demande de renouvellement

Le tribunal a fait une exacte appréciation des faits de la cause et du droit des parties.

Le bail commercial s'étant tacitement reconduit à compter du 1er mai 2008 le preneur peut en solliciter le renouvellement à tout moment avec effet à compter du premier jour du trimestre civil suivant la demande, conformément à l'article L 145-12 alinéa 3 du code de commerce.

En vertu de l'article L 145-10 du même code cette demande de renouvellement doit être signifiée au bailleur par acte extrajudiciaire.

En cas de démembrement de la propriété entre un usufruitier et un nu propriétaire, elle doit être notifiée à chacun d'eux.

En effet, l'article 595 alinéa 4 du code civil qui prévoit que l'usufruitier ne peut, sans le concours du nu-propriétaire, donner à bail un immeuble à usage commercial, ne comporte aucune distinction entre renouvellement et conclusion du bail initial, étant souligné qu'en matière de bail commercial, le bail renouvelé est un nouveau bail.

L'immeuble donné à bail à la Sarl Module appartenant depuis 2004 à M. Pierre-Jean de Chambon nu propriétaire sous l'usufruit de son père, la demande de renouvellement devait être délivrée à M. Bertrand de Chambon à titre personnel mais aussi à M. Bertrand de Chambon et à Mme Isabelle Toulze pris en leur qualité d'administrateurs légaux purs et simples de leur fils mineur sur lequel ils exercent conjointement l'autorité parentale.

Le fait que M. Bertrand de Chambon se soit comporté aux yeux de la société preneuse comme seul et unique propriétaire en percevant les loyers ne caractérise pas la qualité de propriétaire apparent de l'usufruitier, la situation réelle étant vérifiable par des recherches élémentaires auprès de la conservation des hypothèques, d'autant que le locataire n'ignorait pas que le bailleur initial était décédé en cours de bail.

L'acte extra judiciaire en date du 25 novembre 2010 portant demande de renouvellement ayant été notifié à M. Bertrand de Chambon exclusivement est par la même irrégulier.

Il n'a pu produire aucun effet.

Le bail initial tacitement reconduit à compter de mai 2008 s'est donc poursuivi depuis lors et est toujours en cours.

Toute prétention de la Sarl Module tendant à obtenir son renouvellement doit, ainsi, être écartée, faute pour elle d'avoir respecté les règles prescrites quant aux personnes ayant vocation juridique à recevoir notification de la demande de renouvellement qui constitue un préalable indispensable à la conclusion d'un nouveau bail.

Toute action indemnitaire de la Sarl Module est, également, exclue dès lors que la position, exprimée par M. Bertrand de Chambon par courrier dès le 23 mai 2011 et réitérée le 9 juin 2011 puis par Mme Toulze par lettre du 12 juillet 2011, de l'inefficacité de la demande de renouvellement du 25 novembre 2010 pour n'avoir pas été adressée à tous les destinataires a été judiciairement entérinée.

Sur les demandes annexes

La Sarl Module et la Sa Oragemmes qui succombent supporteront la charge des dépens de première instance et d'appel et ne peuvent, de ce fait, bénéficier des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

- Confirme le jugement.

Y ajoutant,

- Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de la Sarl Module et de la Sa Oragemmes.

- Condamne la Sarl Module et la Sa Oragemmes aux entiers dépens d'appel.