Cass. com., 29 septembre 2015, n° 14-16.142
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Avocats :
SCP Nicolaý, de Lanouvelle et Hannotin, SCP Rocheteau et Uzan-Sarano
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société civile d'exploitation agricole de la Ferme du plateau (la SCEA) a été constituée le 8 juillet 1978 afin d'exploiter un domaine agricole ; qu'à la suite de cessions de parts, son capital était détenu par Etienne Y... et Anne-Marie X..., son épouse, titulaires chacun d'une part sociale, et par leur fils, Marc Y..., titulaire du solde des parts, soit 1098 ; que les statuts stipulaient qu'en cas de décès d'un associé, la société continuerait entre les associés survivants et ceux des ayants droit de l'associé décédé qui auraient été agréés par les associés survivants réunis en assemblée générale extraordinaire et qu'à défaut d'agrément, les parts seraient rachetées par les associés survivants, exerçant à cet égard un « droit de préemption » sur lesdites parts ; que Marc Y... est décédé le 4 mars 2001 en laissant, pour lui succéder, Mme Z..., son conjoint, et leurs enfants, Aude et Nicolas Y... (les consorts Z...-Y...) ; que sur la demande d'Etienne Y... et d'Anne-Marie X..., le président d'un tribunal de grande instance a, par ordonnance du 3 septembre 2004, nommé un expert chargé de déterminer la valeur, à la date de son décès, des droits sociaux de Marc Y... et alloué aux consorts Y...- Z... une « provision » de 100 000 euros à valoir sur la valeur des parts sociales ; que celle-ci a été fixée à 721 788 euros par le tiers estimateur ; qu'après le décès d'Etienne Y..., survenu le 23 février 2007, les consorts Z...-Y... ont assigné Anne-Marie X... et les autres héritiers d'Etienne Y... afin de voir fixer la créance de la succession de Marc Y... au titre du remboursement des droits sociaux de ce dernier et en obtenir paiement ; qu'Anne-Marie X... est décédée en cours d'instance ; que la cour d'appel a rejeté cette demande, dit que Mme Aude Y... et M. Nicolas Y... sont titulaires en indivision des 1098 parts antérieurement détenues par Marc Y... et fixé à 100 000 euros la créance de l'indivision existant entre les héritiers d'Anne-Marie X... à l'encontre de l'indivision existant entre les héritiers de Marc Y... ;
Sur le moyen unique pris en sa deuxième branche :
Vu les articles 1134, 1853 et 1854 du code civil ;
Attendu que pour se prononcer ainsi, l'arrêt retient qu'aucune « assemblée générale extraordinaire » de la SCEA n'a délibéré de l'agrément des ayants droit de Marc Y... en qualité d'associés, prévu par les statuts ; qu'il en déduit qu'il n'y a pas de décision régulière de refus d'agrément ;
Qu'en statuant ainsi, après avoir relevé que lors de l'assemblée des associés du 14 mars 2004, les deux associés survivants avaient « décidé de reprendre les parts qui appartenaient à feu Marc Y... ou de les faire reprendre par la société pour les annuler », choisi un expert pour les évaluer et habilité le gérant à engager la procédure judiciaire appropriée pour obtenir la fixation de cette valeur au cas où Mme Z... ne désignerait pas d'expert pour le compte de l'hoirie, ce dont il résultait que les associés, réunis en assemblée, avaient, par une décision unanime, et partant régulière, décidé de refuser l'agrément des héritiers de Marc Y..., peu important que cette assemblée n'ait pas été qualifiée d'extraordinaire, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Et sur le moyen, pris en sa première branche :
Vu les articles 1870 et 1870-1 du code civil ;
Attendu qu'il résulte de ces textes qu'en cas de refus d'agrément opposé par les autres associés, les héritiers d'un associé décédé ont droit à la valeur des parts de leur auteur, laquelle doit leur être payée par les nouveaux titulaires des parts ou par la société elle-même si celle-ci les a rachetées en vue de leur annulation ;
Attendu que pour statuer comme il fait, l'arrêt retient encore que si les époux Y...-X...se sont engagés devant le juge des référés du tribunal de grande instance à racheter les droits sociaux détenus par Marc Y... au jour de son décès et si les consorts Z...-Y... ne se sont pas opposés à l'expertise sollicitée, ils ont néanmoins réservé tous leurs droits, notamment quant à une éventuelle contestation de la décision collective du 14 mars 2004 « refusant leur agrément en qualité d'associés » ; que l'arrêt en déduit qu'il n'existait aucun accord entre les parties sur le principe même du rachat, selon un prix à déterminer par expert, puisque les consorts Z...-Y... se réservaient de contester le droit des deux associés survivants de « préempter les parts du défunt » ; qu'il ajoute que les époux Y...-X...n'ayant pas exprimé la volonté de racheter les parts sociales de Marc Y... après le dépôt du rapport de l'expert, leurs ayants droit ne sont tenus d'aucune obligation à ce titre ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'en l'absence d'agrément des ayants droit de l'associé décédé, ceux-ci étaient en droit de se prévaloir de l'engagement, pris par les associés survivants et constaté par le juge que ces derniers avaient saisi aux fins de désignation d'un tiers estimateur, de leur payer une indemnité égale à la valeur des parts sociales de leur auteur, sans qu'il fût besoin que les associés survivants réitérassent cet engagement, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette les demandes de Mme Z..., veuve Y..., Mme Aude Y..., M. Nicolas Y... et l'association UDAF de Paris, en sa qualité de curateur de ce dernier, dit que Aude Y... et Nicolas Y... sont titulaires en indivision des 1098 parts antérieurement détenues par Marc Y... dans le capital de la SCEA de la Ferme du plateau, fixe la créance successorale de l'indivision existant entre les héritiers d'Anne-Marie Y..., née X... contre l'indivision existant entre les héritiers de Marc Y... à 100 000 euros au titre du remboursement de la provision versée en exécution de l'ordonnance du 3 septembre 2004 et dit que cette créance sera inscrite au passif de l'indivision existant entre les héritiers de Marc Y..., l'arrêt rendu le 19 février 2014, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.