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Décisions

Cass. 1re civ., 2 septembre 2020, n° 19-14.604

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Batut

Rapporteur :

M. Vigneau

Avocat général :

M. Sassoust

Avocats :

SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, SCP Ghestin, SCP Ohl et Vexliard

Versailles, du 22 févr. 2019

22 février 2019

Désistement partiel

1. Il est donné acte à M. L... du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société V... F... et E... F....

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 22 février 2019), W... N... et E... H..., mariés sous le régime de la communauté, ont constitué avec les deux frères de ce dernier, R... et Q..., la société civile immobilière Trianon (la SCI). Sur les 4 002 parts sociales, E... H... en possédait 1 334, dont 700 en propre et 634 en communauté avec son épouse.

3. E... H... est décédé le 5 janvier 2010, laissant pour lui succéder son épouse, en l'état d'un testament olographe du 14 octobre 2003 désignant MM. R... et Q... H... en qualité de légataires particuliers pour la pleine propriété de 1 017 parts dans le capital de la SCI. A la suite de la liquidation de la communauté consécutive à ce décès, les 1 334 parts du couple ont été réparties entre la succession d'E... H... à hauteur de 1 017 parts et W... N... à hauteur de 317 parts.

4. Celle-ci est décédée le 18 mars 2011, laissant pour lui succéder son neveu, M. L..., venant par représentation de sa mère, en l'état d'un testament olographe du 14 octobre 2003 désignant MM. R... et Q... H... en qualité de légataires particuliers pour la pleine propriété de ses parts dans le capital de la SCI.

5. M. L... a assigné MM. R... et Q... H... et Mme S... H..., ainsi que la SCI pour obtenir la réduction des legs particuliers et leur condamnation à lui payer diverses sommes. MM. R... et Q... H... ayant parallèlement assigné M. L... aux fins d'obtenir la délivrance de leurs legs, il a été constaté que celui-ci les avait délivrés volontairement les 22 et 26 novembre 2012.

Examen des moyens

Sur les deux premiers moyens et le sixième moyen, pris en ses deux premières branches, ci-après annexés

6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

7. M. L... fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande tendant à le voir dire et juger que, comme seul et unique héritier de W... N... et, par voie de conséquence, d'E... H..., il avait droit aux fruits et intérêts sur les 1 017 parts léguées à titre particulier par celui-ci à MM. R... et Q... H... et, à ce titre, aux bénéfices distribués par la SCI après encaissement du prix de deux cessions d'actifs, pour la période allant du décès d'E... H... à la délivrance volontairement consentie du legs particulier, alors :

« 1°/ que le légataire à titre particulier ne peut prétendre aux fruits et intérêts de la chose léguée qu'à compter du jour de sa demande en délivrance ou du jour auquel cette délivrance lui a été volontairement consentie ; que les bénéfices réalisés par une société y compris une société civile immobilière dans le cadre de son objet social, participent de la nature de fruits dès leur attribution sous forme de dividendes dont l'existence juridique résulte de la constatation de l'existence de sommes distribuables par l'organe social compétent et de la détermination de la part attribuée à chaque associé ; qu'il résulte des constatations de l'arrêt, qu'avant la délivrance du legs particulier des 1 017 parts de la SCI Trianon à MM. H..., des assemblées générales de la SCI Trianon avaient voté la distribution d'un acompte sur dividendes sans attendre la clôture de l'exercice et l'approbation des comptes par l'assemblée générale, sous la forme de répartition du bénéfice résultant du prix de ventes d'actifs immobiliers proportionnellement aux droits des associés dans le capital social sans que celui-ci ait été réduit ; que ces constatations opérées, la cour d'appel devait accueillir la demande de M. L... tendant à dire et juger que comme seul et unique héritier de W... N... et par voie de conséquence d'E... H..., saisi de plein droit et possesseur de bonne foi, il avait droit à ces dividendes, lesquels constituaient des fruits et intérêts antérieurs à la délivrance du legs particulier ; qu'en jugeant du contraire a violé l'article 1014, alinéa 2, du code civil ensemble l'article 1832 du même code ensemble encore les articles 547 et suivants du code civil ;

2°/ que les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits ; qu'en déduisant du simple fait que les cessions d'actifs avaient engendré une diminution des loyers, une absence de fixité et une altération de la substance de la chose, de deux cessions d'actifs immobiliers de la SCI Trianon en deux ans, ce dont il aurait résulté que les dividendes auraient été des « produits » et non des fruits revenant à l'héritier, cependant qu'elle avait elle-même nécessairement constaté que, conformément à son objet social qui ne se limitait pas à la gestion locative, la SCI avait régulièrement procédé à des cessions d'actifs et avait non moins régulièrement voté la distribution des bénéfices consécutifs devenus des dividendes sans qu'il soit porté atteinte à son capital social, d'où la qualification de fruits, la cour d'appel a violé l'article 1103 du code civil, ensemble les articles 547 et suivants, 1014, alinéa 2, et 1832 du même code ;

3°/ que lorsque le legs particulier porte sur des parts d'une société civile immobilière, l'héritier peut prétendre aux distributions de dividendes qui constituent des fruits dans les termes de l'article 1014, alinéa 2, du code civil ; qu'il résulte des constatations de l'arrêt qu'avant le décès de W... N... associé fondateur (18 mars 2011), et avant la délivrance du legs particulier des 1 017 parts de la SCI Trianon à MM. H... (22 et 26 novembre 2012), cette société avait cédé un actif sis à Montrouge (décembre 2010) puis une assemblée générale des associés avait voté la répartition du produit de la vente aux associés au prorata de leurs parts (22 décembre 2010) ; qu'en jugeant que M. L... unique héritier de W... N..., veuve d'E... H..., et, par voie de conséquence, unique héritier d'E... H... aux droits de W... N..., n'avait pas droit aux fruits inhérents à ces dividendes dès lors qu'il n'avait pas, lui-même, été associé, la cour d'appel a violé par refus d'application le texte susvisé, ensemble l'article 1832 du code civil et, par fausse application, l'article 1870-1 du même code ;

4°/ que lorsque le legs particulier porte sur des parts d'une société civile immobilière, l'héritier peut prétendre aux distributions de dividendes qui constituent des fruits dans les termes de l'article 1014, alinéa 2, du code civil ; qu'il résulte des constatations de l'arrêt qu'entre le décès de W... N... associé fondateur (18 mars 2011) et la délivrance du legs particulier des 1 017 parts de la SCI Trianon à MM. H... (22 et 26 novembre 2012), cette société avait cédé un actif sis à Clamart (juin 2011) puis une assemblée générale des associés avait voté la répartition du produit de la vente aux associés au prorata de leurs parts (8 septembre 2011) ; qu'en jugeant que M. L... unique héritier de W... N..., veuve d'E... H..., et, par voie de conséquence, unique héritier d'E... H... aux droits de W... N..., n'avait pas droit aux fruits inhérents à ces dividendes dès lors qu'il n'avait pas, lui-même, été associé, la cour d'appel a violé par refus d'application le texte susvisé, ensemble l'article 1832 du même code et, par fausse application l'article 1870-1 du même code. »

Réponse de la Cour

8. L'arrêt n'énonce ni que les assemblées générales de la SCI ont voté la distribution d'un acompte sur dividendes sous la forme de la répartition d'un bénéfice résultant du prix de vente d'actifs, ni que l'objet social de celle-ci ne se limitait pas à la gestion locative, ni que ces cessions étaient conformes à celui-ci, ni que M. L..., à la suite de la décision de répartir le produit des ventes d'immeubles, n'avait pas droit à des dividendes. Au contraire, il retient que la seule circonstance que l'assemblée générale ait décidé la répartition du prix de cession de ces éléments d'actif de la société n'est pas de nature à conférer aux sommes distribuées la nature de dividende.

9. Il s'ensuit que le moyen manque en fait.

Sur le quatrième moyen

Enoncé du moyen

10. M. L... fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande tendant à le voir dire et juger que, comme seul et unique héritier de W... N... et, par voie de conséquence, d'E... H..., il avait droit aux fruits et intérêts sur les 1 017 parts léguées à titre particulier par celui-ci à MM. R... et Q... H... et, à ce titre, aux bénéfices distribués par la SCI après encaissement des loyers pour la période allant du décès de W... N... à la délivrance volontairement consentie du legs particulier, alors « que le légataire à titre particulier ne peut prétendre aux fruits et intérêts de la chose léguée qu'à compter du jour de sa demande en délivrance ou du jour auquel cette délivrance lui a été volontairement consentie ; qu'après avoir constaté qu'entre le décès de W... N... (18 mars 2011) et la délivrance du legs particulier des 1 017 parts de la SCI Trianon à MM. H... (22 et 26 novembre 2012), cette société civile immobilière avait procédé à des distributions au titre des loyers tant en 2011 qu'en 2012, ces dividendes étant dès lors entrés dans la succession de W... N..., la cour d'appel devait accueillir prorata temporis la demande de M. L... unique héritier de W... N..., veuve d'E... H..., et, par voie de conséquence, unique héritier d'E... H... aux droits de W... N... (pour 2011 du 19 mars au 31 décembre soit 9 160,16 euros x 288 jours / 365 jours = 7 227,44 € et pour 2012 du 1er janvier au 21 novembre soit 7 952,11 euros x 324 jours / 365 jours = 7 058,86 euros) ; qu'en jugeant que M. L... n'avait pas droit aux fruits inhérents à ces dividendes dès lors qu'il n'avait pas lui-même été associé, la cour d'appel a violé par refus d'application l'article 1014, alinéa 2, du code civil, ensemble l'article 1832 du même code et par fausse application l'article 1870-1 du même code. »

Réponse de la Cour

11. Selon l'article 1870, alinéa 1, du code civil, la société civile n'est pas dissoute par le décès d'un associé, mais continue avec ses héritiers ou légataires, sauf à prévoir dans les statuts qu'ils doivent être agréés par les associés.

12. L'article 1870-1 du même code prévoit que les héritiers ou légataires qui ne deviennent pas associés n'ont droit qu'à la valeur des parts sociales de leur auteur.

13. Il en résulte que, s'il n'est associé, l'héritier n'a pas qualité pour percevoir les dividendes, fût-ce avant la délivrance du legs de ces parts à un légataire.

14. Après avoir relevé qu'après le décès de W... N..., M. L... n'avait pas été agréé comme associé de la SCI, la cour d'appel en a exactement déduit qu'il ne pouvait prétendre aux bénéfices distribués après encaissement des loyers, postérieurement au décès de son auteur, avant la délivrance de leur legs à MM. R... et Q... H....

15. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le sixième moyen, pris en ses troisième et quatrième branches

Enoncé du moyen

16. M. L... fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande indemnitaire contre MM. R... et Q... H... et la SCI pour appropriation illicite de biens successoraux et résistance abusive à ses demandes alors :

« 1°/ que la cassation s'étend à l'ensemble des dispositions du jugement cassé ayant un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire ; qu'il s'ensuit que la cassation à intervenir sur le troisième moyen en ce que l'arrêt a rejeté la demande en paiement des fruits sur les 1 017 parts léguées, et, à ce titre, aux bénéfices distribués après encaissement du prix de deux cessions d'actifs, pour la période allant du décès d'E... H... (5 janvier 2010) à la délivrance volontairement consentie du legs particulier (22 et 26 novembre 2012), atteindra le chef de l'arrêt par lequel la cour d'appel a débouté M. I... L... de sa demande en paiement de dommages-intérêts pour appropriation illicite de biens successoraux et résistance abusive en application de l'article 624 du code de procédure civile ;

2°/ que la cassation s'étend à l'ensemble des dispositions du jugement cassé ayant un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire ; qu'il s'ensuit que la cassation à intervenir sur le quatrième moyen en ce que l'arrêt a rejeté la demande en paiement des fruits sur les 1 017 parts léguées, et, à ce titre, aux bénéfices distribués aux bénéfices distribués après encaissement des loyers pour la période allant du décès de W... N... (18 mars 2011) à la délivrance volontairement consentie du legs particulier (22 et 26 novembre 2012), atteindra le chef de l'arrêt par lequel la cour d'appel a débouté M. I... L... de sa demande en paiement de dommages-intérêts pour appropriation illicite de biens successoraux et résistance abusive en application de l'article 624 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

17. Les troisième et quatrième moyens étant rejetés, le moyen est sans portée.

Mais sur le cinquième moyen, pris en ses deuxième et quatrième branches

Enoncé du moyen

18. M. L... fait grief à l'arrêt de limiter l'indemnité de réduction due au titre des legs particuliers consentis par E... H... à MM. R... et Q... H..., à hauteur de 118 655,81 euros, alors :

« 1°/ que, dans ses conclusions d'appel, M. L... avait demandé aux juges du second degré de procéder au calcul de l'indemnité de réduction d'après la déclaration de succession déposée par MM. H..., à laquelle il prêtait la valeur d'aveu extrajudiciaire et à laquelle il avait adhéré sous réserve de la rectification de certaines estimations, et elle seule ; qu'en considérant que M. L... avait déterminé sa demande d'après le « projet d'état liquidatif » rédigé par M. F... en vue d'un partage, la cour a violé l'article 4 du code de procédure civile ;

2°/ que, dans leurs conclusions d'appel, tout en contestant devoir une indemnité de réduction, de même que M. L..., MM. H... avaient demandé aux juges du second degré de se déterminer d'après la déclaration de succession qu'ils avaient déposée et, de même que M. L..., MM. H... s'étaient expliqués sur les trois estimations contestées par celui-ci ; qu'en se déterminant pour partie d'après le « projet d'état liquidatif rédigé par M. F... » en vue d'un partage, la cour d'appel a violé l'article 4 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 4 du code de procédure civile :

19. Pour évaluer la masse des biens existant au jour du décès d'E... H..., l'arrêt retient que le projet d'état liquidatif établi par M. F..., notaire, fait état d'un actif successoral net d'un montant de 948 037,17 euros, en ce compris la moitié indivise de la maison de [...] pour un montant de 160 000 euros, alors que cet immeuble doit être évalué à 180 000 euros, de sorte que l'actif successoral net s'élève en conséquence à 968 037,17 euros.

20. En statuant ainsi, alors que les parties s'étaient référées exclusivement, pour calculer la masse successorale et, par voie de conséquence, l'indemnité de réduction, à la déclaration de succession, la cour d'appel, qui a modifié l'objet du litige, a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il limite à 118 655,81 euros l'indemnité de réduction due par MM. R... et Q... H... au titre des legs particuliers consentis par E... H..., l'arrêt rendu le 22 février 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée.