Cass. com., 6 février 2001, n° 98-15.129
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Dumas
Rapporteur :
Mme Aubert
Avocat général :
M. Lafortune
Avocats :
Me Choucroy, SCP Vincent et Ohl
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 24 février 1998), que le contrôle de la société des Mines et produits chimiques de Salsigne (MPCS), constituée en 1924 pour exploiter une mine d'or, a été pris en 1980 par la société Cheni qui détenait 44,17 % du capital et la majorité des droits de vote, la société Cheni étant filiale à 70 % de la société Coframines, elle-même filiale à 68,72 % du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), établissement public à caractère industriel et commercial ; qu'à partir de l'année 1985, la société MPCS a été confrontée, d'une part, à la chute du prix de l'or, d'autre part, à l'épuisement des minerais riches sur le site exploité rendant nécessaire une reconversion de l'activité et une restructuration technologique ; qu'en raison de la dégradation de la situation, un administrateur ad hoc a été nommé en juin 1991 et la cessation des paiements déclarée le 8 octobre 1991 ; que la société MPCS a été mise en redressement judiciaire le 11 octobre 1991, puis en liquidation judiciaire le 3 février 1992, la date de cessation des paiements, d'abord fixée provisoirement au 11 octobre 1991, étant reportée au 11 avril 1990 ; que Mme C..., désignée en qualité de liquidateur, a assigné, le 30 janvier 1995, le président du conseil d'administration de la société MPCS, les membres de ce conseil, la société Coframines et le BRGM, ces deux derniers pris en qualité de dirigeants de fait de la société MPCS, afin de les voir condamner solidairement à payer les dettes sociales évaluées à la somme de 271 669 355 francs ;
Sur le premier moyen, pris en ses quatre branches :
Attendu que le BRGM, les sociétés Coframines et Cheni, MM. X..., Z..., D... et A... font grief à l'arrêt d'avoir rejeté les moyens de nullité et jugé valable l'assignation introductive d'instance, alors, selon le moyen :
1° que l'instance en paiement des dettes sociales est introduite par une assignation délivrée aux dirigeants sociaux pour une convocation en chambre du conseil, si bien que dès lors qu'il résulte des documents de la cause que l'assignation introductive d'instance du 30 janvier 1995 ne faisait pas mention de l'audition des dirigeants en chambre du conseil et qu'aucune assignation valable n avait été délivrée dans le délai de la prescription triennale, la cour d'appel ne pouvait refuser d'annuler la procédure sans violer l'article 164 du décret du 27 décembre 1985 ;
2° qu'il résulte de l'article 164 du décret du 27 décembre 1985, tel que modifié par le décret du 21 octobre 1994, que la procédure concernant l'action en paiement des dettes sociales doit se dérouler en chambre du conseil, à l'exception du prononcé du jugement ; que cette règle de procédure est d'application immédiate ; qu'il s'ensuit que l'arrêt attaqué qui déclare valable l'assignation délivrée sans mentionner que l'audience se déroulerait en chambre du conseil a violé ce texte ;
3° que le BRGM et la société Coframines avaient montré que l'assignation qui leur avait été délivrée ne comportait aucun motif sur la qualité au titre de laquelle leur responsabilité pourrait être mise en jeu et sur les moyens qui pourraient permettre de retenir une qualification de dirigeant de fait, si bien qu'en se bornant à faire état, de manière générale, de l'indication dans l'assignation du 30 janvier 1995 des fautes reprochées aux dirigeants, sans rechercher si l'acte précisait en quoi leur responsabilité propre aurait été engagée, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de réponse aux conclusions, violant l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
4° que la convocation du dirigeant concerné aux fins d'audition en chambre du conseil, dès l'acte introductif d'instance, constitue une mesure de sauvegarde des droits de la défense ; qu'en déclarant valable l'instance ne comportant pas une telle convocation et n ayant pas assuré aux intéressés les mesures de défense exigées par la loi, l'arrêt a violé l'article 16 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'il résulte de l'arrêt et des productions que l'assignation introductive d'instance indiquait la juridiction saisie, exposait les fautes reprochées aux dirigeants, les éléments de nature à les démontrer, précisait que le BRGM et la société Coframines étaient recherchés en leur qualité de dirigeants de fait, de sorte que les défendeurs connaissaient l'objet et les moyens de la demande ; que la cour d'appel a ainsi légalement justifié sa décision ;
Attendu, en second lieu, que la convocation des dirigeants aux fins de leur audition en chambre du conseil ne doit pas être faite nécessairement dans l'acte introductif d'instance ; que l'arrêt retient que les dirigeants ont été convoqués pour être entendus en chambre du conseil par deux assignations, conformément aux dispositions de l'article 164 du décret du 27 décembre 1985 dans sa rédaction originelle applicable en la cause ; que la cour d'appel a ainsi légalement justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le deuxième moyen :
Attendu que le BRGM, les sociétés Coframines et Cheni, MM. X..., Z..., D... et A... font encore grief à l'arrêt d'avoir rejeté le moyen de nullité tiré de la violation des droits de la défense, alors selon le moyen, qu'il était soutenu dans les conclusions d'appel que toutes les parties doivent assister à toutes les phases de la procédure ; que l'audition séparée d'une partie qui ne permet pas à un débat contradictoire de s'instaurer constitue une violation des droits de la défense et de l'article 16 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que l'arrêt retient que l'audition des dirigeants en chambre du conseil est une mesure d'information du tribunal, libre de l'organiser, et que l'audition séparée de chaque dirigeant en présence du liquidateur et de son conseil, suivie d'une confrontation générale, n'était pas irrégulière ; que la cour d'appel a ainsi légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le troisième moyen, pris en ses deux branches :
Attendu que le BRGM et la société Coframines font aussi grief à l'arrêt d'avoir retenu leur qualité de dirigeants de fait, alors, selon le moyen :
1° que n'est dirigeant de fait que celui qui exerce la direction et la gestion d''une société en toute indépendance et souveraineté ; qu'ainsi, dès lors qu'il résultait de ses propres constatations que le BRGM et la société Coframines étaient placés sous la tutelle directe de l'Etat, et avaient pour rôle, sous la tutelle directe du ministre de l'Industrie et du président du conseil général, d'étudier toutes solutions permettant de renforcer les fonds propres et d'assurer la restructuration financière de l'entreprise, ce qui excluait une action en toute indépendance et souveraineté, la cour d'appel ne pouvait juger que le BRGM et la société Coframines avaient la qualité de dirigeant de fait, sans méconnaître les conséquences légales de ses propres constatations au regard de l'article 180 de la loi du 25 janvier 1985 ;
2° que, dès lors qu'il résultait de ses propres constatations que le rôle du BRGM et de la société Coframines consistait, sous la tutelle des autorités politiques et régionales, à faire face à la situation critique dans laquelle se trouvait l'entreprise, et à étudier toute solution permettant de renforcer et de moderniser celle-ci, ce qui caractérisait l'intervention à titre de conseil en vue du sauvetage de l'entreprise, et non une activité régulière de gestion et de direction, la cour d'appel ne pouvait juger que le BRGM et la société Coframines avaient la qualité de dirigeant de fait, sans méconnaître les conséquences légales de ses propres constatations au regard de l'article 180 de la loi du 25 janvier 1985 ;
Mais attendu que l'indépendance et la souveraineté doivent être appréciées par rapport à la personne morale au sein de laquelle le dirigeant de fait exerce son pouvoir ; que l'arrêt retient que le BRGM et la société Coframines ne se sont pas bornés à leur rôle d'investisseurs ou à procéder à des recherches techniques ou à trouver des solutions de restructuration financière mais, dépassant une intervention à titre de conseil, ont exercé un véritable pouvoir de direction en plaçant le conseil d'administration dans un état de dépendance, en soumettant ses décisions aux résultats de leurs recherches et de leurs avis auxquels le conseil d'administration ne s'opposait pas, même s'il n'avait reçu que le minimum d'informations, ce dont se sont plaints des membres du conseil ; que la cour d'appel a ainsi légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le quatrième moyen :
Attendu que le BRGM, les sociétés Coframines et Cheni MM. X..., Z..., D... et A... font en outre grief à l'arrêt d'avoir déclaré fondée l'action en paiement des dettes sociales, alors, selon le moyen, qu'il résulte des propres constatations de l'arrêt que le BRGM ne constituait qu'un instrument d'une politique de l'Etat ; qu'en se faisant juge de cette politique, l'arrêt a excédé ses pouvoirs et violé la règle de séparation des pouvoirs et la loi des 16-24 août 1790 ;
Mais attendu qu'il appartient aux juridictions de l'ordre judiciaire de connaître de l'action en paiement des dettes sociales dirigée contre un établissement public à caractère industriel et commercial qui n'a pas soutenu avoir accompli une mission de service public administratif ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le cinquième moyen :
Attendu que le BRGM, les sociétés Coframines et Cheni, MM. X..., Z..., D... et A... font encore grief à l'arrêt d'avoir retenu à leur charge une faute de gestion, alors, selon le moyen, que dès lors qu'elle avait constaté que, dans un secteur d'activité mettant étroitement en cause l'intérêt national à travers la production d'une mine d'or et la situation particulière de l'emploi dans la région en cause, les dirigeants de l'entreprise étaient sous la tutelle de l'Etat et de la région, à travers la décision du ministre de l'Industrie et du président de la région, la cour d'appel ne pouvait refuser de rechercher si la poursuite de l'exploitation déficitaire, dans le cadre de la recherche d'un plan de restructuration voulu par l'autorité politique, était imputable aux dirigeants sociaux, et si ceux-ci jouissaient à cet égard d'un pouvoir de décision indépendant et souverain, sans priver sa décision de tout fondement légal au regard de l'existence d'une faute de gestion imputable aux dirigeants sociaux et de l'article 180 de la loi du 25 janvier 1985 ;
Mais attendu que les dirigeants ne peuvent pas se soustraire à l'application de l'article 180 de la loi du 25 janvier 1985, devenu l'article L. 624-3 du Code de commerce, en invoquant l'intervention des pouvoirs publics ; qu'après avoir relevé que l'activité de la société MPCS a été constamment déficitaire depuis l'année 1986, que la dégradation constante et grave de la situation financière impliquant des frais financiers d'un niveau très élevé aurait dû conduire à l'arrêt de l'exploitation dès 1989, la cour d'appel a souverainement considéré que les dirigeants de droit et de fait avaient eu un comportement fautif en poursuivant l'exploitation jusqu'au 10 octobre 1991 dans des conditions de dégradation constante en dépit des alertes données par les commissaires aux comptes à différentes reprises, et malgré l'alerte donnée par le président du conseil d'administration aux membres du conseil, signalant l'opportunité d'une déclaration de la cessation des paiements tandis que le BRGM justifiait la poursuite de l'exploitation par les pourparlers en cours pour la recherche d'un nouveau partenaire ; que la cour d'appel a ainsi légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le sixième moyen, pris en ses deux branches :
Attendu que le BRGM, les sociétés Coframines et Cheni, MM. X..., Z..., D... et A... font aussi grief à l'arrêt d'avoir fixé à la somme de 200 000 000 francs le montant des dettes devant être supporté par les dirigeants sociaux et d'avoir prononcé la solidarité de toutes les parties au paiement de cette somme, alors, selon le moyen :
1° que dès lors que la cour d'appel avait relevé que la seule insuffisance d'actif certaine au jour de sa décision était d'un montant de 200 000 000 francs, elle ne pouvait condamner les dirigeants sociaux à payer la totalité de cette somme, sans justifier en quoi, nonobstant le fait que l'insuffisance d'actif ait résulté au moins en partie de facteurs déterminants non imputables aux dirigeants sociaux, chute du cours de l'or, tutelle de l'Etat imposant la recherche de solutions dans la restructuration de l'entreprise, troubles sociaux, ceux-ci auraient dû néanmoins supporter la totalité de l'insuffisance certaine de l'actif, sans priver sa décision de tout fondement légal au regard de l'article 180 de la loi du 25 janvier 1985 ;
2° qu'en condamnant également sans aucune motivation les dirigeants sociaux avec solidarité, la cour d'appel a privé sa décision de tout fondement légal au regard de l'article 180 de la loi du 25 janvier 1985, ensemble l'article 1202 du Code civil ;
Mais attendu que les dirigeants d'une personne morale peuvent être condamnés avec ou sans solidarité à supporter en totalité ou en partie les dettes sociales, même si leur faute n'est à l'origine que d'une partie d'entre elles ; que la cour d'appel n'a fait qu'user des pouvoirs qu'elle tient de l'article 180 de la loi du 25 janvier 1985 en condamnant solidairement les dirigeants sociaux à supporter la totalité de l'insuffisance d'actif ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Et sur le septième moyen :
Attendu que le BRGM, les sociétés Coframines et Cheni, MM. X..., Z..., D... et A... font enfin grief à l'arrêt d'avoir dit que la société Coframines, le BRGM, la société Cheni et M. A... seront tenus à concurrence de la somme de 200 000 000 francs, de les avoir condamnés à payer cette somme au liquidateur, d'avoir dit que MM. D... et Z... seront tenus à concurrence de 20 000 000 francs, de les avoir condamnés à payer cette somme au liquidateur, dit que MM. X..., B..., du Pouget et Derclaye seront tenus à hauteur de 2 000 000 francs et les avoir condamnés à payer cette somme au liquidateur, alors, selon le moyen, qu'en condamnant les dirigeants sociaux à payer une somme globale supérieure à l'insuffisance d'actif, sans préciser en quoi l'obligation de contribuer de chacun serait diminuée, la cour d'appel a privé sa décision de tout fondement légal au regard de l'article 180 de la loi du 25 janvier 1985 ;
Mais attendu qu'après avoir fixé à 200 000 000 francs le montant des dettes devant être supportées par les dirigeants, c'est par une simple erreur matérielle que la cour d'appel a condamné les dirigeants au paiement de sommes qui, au total, dépassent le montant de l'insuffisance d'actif, tandis qu'il s'agissait seulement pour MM. D... et Z... de limiter leur obligation solidaire au paiement des dettes sociales à 20 000 000 francs, et pour MM. Y..., B... du Pouget et Derclaye à 2 000 000 francs ; que cette erreur, qui peut, au besoin, être réparée par une requête en rectification d'erreur matérielle, ne constitue pas un cas d'ouverture à cassation ; que le moyen ne peut être accueilli ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.