Cass. 1re civ., 4 mars 1986, n° 84-15.769
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Joubrel
Rapporteur :
M. Ponsard
Avocat général :
M. Sadon
Avocats :
Me Rouvière, Me Capron
Attendu, selon les énonciations des juges du fond, que M. Antonio X... et Mme Francesca Z..., de nationalité italienne et domiciliés en Italie, s'y sont mariés en 1944 sous le régime légal italien de la séparation de biens ; qu'ils se sont installés en France et ont été naturalisés français en 1968 ; que l'activité du mari consistait en l'achat de terrains nus sur lesquels il construisait des maisons d'habitation qu'il revendait ensuite, les plus-values réalisées de la sorte lui permettant d'ouvrir de nouveaux chantiers ; qu'un jugement du 30 juin 1977, devenu irrévocable, a prononcé le divorce entre les époux ; qu'alors qu'était pendante devant la première chambre du tribunal de grande instance de Bobigny l'instance en liquidation des droits respectifs des anciens conjoints, Mme Z..., qui avait été judiciairement autorisée à prendre des inscriptions d'hypothèques conservatoires sur trois immeubles de M. X..., sis à Montreuil et à Noisy-Le-Sec, a assigné celui-ci pour faire constater des créances qu'elle prétendait avoir contre lui en faisant valoir que ses économies personnelles avaient servi à acquérir en 1964 le premier terrain utilisé par son mari et qu'elle avait apporté à l'activité professionnelle de celui-ci une aide qui n'avait pas été rémunérée ; que cette cause a été distribuée à la sixième chambre du tribunal de grande instance de Bobigny devant laquelle M. X... a reconventionnellement demandé la mainlevée des inscriptions provisoires d'hypothèques prises par Mme Y... et subsidiairement le cantonnement de leur assiette au seul immeuble sis ... ; qu'après avoir rejeté l'exception de connexité présentée par Mme Z..., qui demandait que la cause soit renvoyée devant la première chambre du tribunal, où était encore pendante l'instance en liquidation des droits des anciens époux, la sixième chambre du tribunal a ordonné la mainlevée des inscriptions hypothécaires sur deux des immeubles de M. X... et a limité l'effet de l'inscription prise sur le troisième à la garantie d'une somme de 100 000 francs ; que l'arrêt attaqué a confirmé le jugement ;
Sur le premier moyen, pris en ses deux branches :
Attendu que Mme Z... reproche à la Cour d'appel d'avoir rejeté l'exception de connexité, alors, selon le moyen, d'une part, que l'article 102 du nouveau Code de procédure civile dont elle a déclaré faire application suppose que l'exception est à l'origine soulevée devant des juridictions de degrés différents, ce qui n'était pas le cas en la cause où la Cour d'appel ne s'est trouvée saisie de l'exception que par l'effet de l'appel de Mme Z..., de sorte que l'arrêt attaqué a violé tout à la fois les articles 102, 104, 561 et 562 du nouveau Code de procédure civile ; et alors, d'autre part, que la juridiction du second degré ne pouvait, pour rejeter l'exception, retenir que l'instance dont elle était saisie portait seulement sur des évaluations provisoires de montants à garantir par des sûretés, sans préciser la nature de l'autre instance et sans rechercher s'il n'existait pas un lien réel entre l'instance dont elle était saisie et l'instance en compte et liquidation des droits respectifs des anciens conjoints, et ce d'autant plus que le jugement, confirmé par l'arrêt attaqué, avait admis l'existence d'un lien de connexité tout en refusant de renvoyer l'affaire devant la chambre chargée de liquider les droits des parties après leur divorce ;
Mais attendu qu'il résulte de l'article 101 du nouveau Code de procédure civile que la connexité suppose que les affaires sont portées devant deux juridictions différentes, ce qui n'est pas le cas en l'espèce où les instances étaient pendantes devant des chambres du même tribunal, qui ne constituent pas des juridictions autonomes et distinctes de celui-ci ; que, selon l'article 107 du même code, lorsqu'il s'élève sur la connexité des difficultés entre diverses formations d'une même juridiction, elles sont réglées sans formalité par le président dont la décision est une mesure d'administration judiciaire, donc non sujette à recours ; que pour ce motif de droit, substitué à ceux que le pourvoi critique, le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses deux branches ;
Et sur le second moyen, pris en ses trois branches :
Attendu que l'arrêt est encore critiqué en ce qu'il a ordonné la mainlevée des inscriptions hypothécaires prises par Mme Z... sur deux des immeubles de M. X... et réduit à la garantie de la somme de 100 000 francs celle prise sur le troisième, alors, selon le moyen, d'une part, qu'en estimant que Mme Z... ne pouvait prétendre, à l'égard de M. X..., qu'à une créance de 78 750 francs sans indexation ni réévaluation, ce qui justifierait le cantonnement de l'assiette de l'hypothèque sur un seul immeuble pour la garantie d'une somme de 100 000 francs, la Cour d'appel a méconnu les limites de sa saisine puisque la chambre saisie de l'action en compte et liquidation des droits respectifs des époux était seule compétente pour connaître de l'étendue des droits de Mme Z... ; alors, d'autre part, qu'en refusant toute indexation ou réévaluation de la créance qui remontait à vingt ans, la juridiction du second degré aurait violé l'article 832 du Code civil ; et alors qu'enfin, le cantonnement de l'assiette de l'hypothèque sur un seul immeuble ne pouvait être ordonné sans s'assurer au préalable que la valeur de celui-ci excédait une somme égale au double du montant des créances estimées augmenté du tiers de ce montant ; que l'arrêt attaqué manquerait donc de base légale au regard de l'article 2161 du Code civil ;
Mais attendu, en premier lieu, que la juridiction d'appel s'est prononcée sur ce qui lui était demandé et n'est pas sortie des limites du litige, même si, pour se prononcer, elle a dû se livrer à une évaluation provisoire des créances à garantir, évaluation dont elle a dit elle-même, à bon droit, qu'elle ne pouvait s'imposer au juge liquidateur ;
Attendu, en deuxième lieu, que l'article 832 du Code civil et le principe général visé par le moyen, selon lequel le créancier a droit à l'entier paiement de sa créance, étaient sans application en la cause, eu égard à l'objet de la demande ; que les juges du fond, qui n'en ont pas fait application, ne les ont donc pas violés ;
Et attendu, enfin, que, s'agissant d'hypothèques judiciaires conservatoires, l'inscription était susceptible de réduction sous la condition prévue par l'article 54, alinéa 7, du Code de procédure civile, l'article 2161 du Code civil étant inapplicable en la cause ; que Mme Z... n'ayant pas soutenu devant la Cour d'appel que le jugement, qui avait ordonné cette réduction, n'aurait pas respecté la prescription de l'article 54, n'est donc pas recevable à le faire pour la première fois devant la Cour de cassation ;
Qu'ainsi, non fondé en ses deux premières branches et irrecevable en sa troisième, le moyen ne peut être accueilli ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.