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Décisions

Cass. 3e civ., 14 mars 2001, n° 97-19.657

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Beauvois

Rapporteur :

Mme Lardet

Avocat général :

M. Weber

Avocat :

Me Odent

Reims, ch. civ. 1re sect., du 18 juin 19…

18 juin 1997

Sur le premier moyen des pourvois provoqués de la société Fondaco, de la CIAM, de la société OGCA TP et des Mutuelles du Mans, réunis, qui est préalable :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Reims, 18 juin 1997), qu'en 1982, la société civile immobilière la Ruelle aux Meuniers (SCI), maître de l'ouvrage, assurée par la compagnie The Contingency Insurance selon police dommages-ouvrage, et le Crédit immobilier de Troyes devenu le Crédit immobilier de Champagne (le Crédit immobilier), son gérant, ont fait édifier un groupe de pavillons, sous la maîtrise d'oeuvre de la société civile professionnelle Tequi et Pointeau (SCP) et de M. Y..., architectes, assurés par la Mutuelle des architectes français (MAF), avec le concours, pour le lot terrassement-maçonnerie-béton armé" de la société Constructions et réalisations nouvelles (CRN), assurée par la Société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics (SMABTP), qui a sous-traité les fondations spéciales à la société Fondaco, et pour le lot Voies et réseaux divers" de la société Est Agrégats, devenue la société OGCA TP, assurée par la société les Mutuelles du Mans aux droits de la MGFA, la société Sols Essais, assurée par la CIAM, étant chargée de la reconnaissance et de l'étude des sols de fondation et le Bureau Véritas d'une mission de contrôle technique ; que des désordres ayant été constatés, la SCI et son gérant ont, en 1986, assigné en réparation les constructeurs et leurs assureurs ;

Attendu que la société Fondaco, la CIAM, la société OGCA TP et les Mutuelles du Mans font grief à l'arrêt de déclarer la demande recevable, alors, selon le moyen, que la société Fondaco, la CIAM, la société OGCA TP et les Mutuelles du Mans objectaient que l'action en réparation de son préjudice ne pouvait être poursuivie par la SCI, maître de l'ouvrage, qu'à la condition d'être représentée par son gérant, ce qui n'était pas le cas puisqu'elle agissait seule et que ce dernier, qui n'était ni maître de l'ouvrage ni propriétaire des immeubles sinistrés, n'avait pas d'avantage qualité pour agir en son nom personnel, ce qu'il faisait pourtant ; qu'en se bornant à vérifier que la SCI avait, selon elle, un intérêt direct et certain pour agir sur le fondement de la garantie décennale contre les constructeurs et leurs assureurs, sans répondre aux conclusions de la société Fondaco, de la CIAM, de la société OGCA TP et des Mutuelles du Mans l'invitant à constater qu'étaient dépourvus de qualité pour agir tant le maître de l'ouvrage, qui n'était pas représenté au procès par son gérant, que ce dernier qui n'y figurait pas ès qualités, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu qu'ayant constaté, par motifs adoptés, que le Crédit immobilier était partie à l'instance ès qualités de gérant et décidé que la condamnation à paiement était prononcée au seul profit de la SCI, représentée par son gérant, le Crédit immobilier, la cour d'appel a répondu aux conclusions ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le moyen unique du pourvoi principal n° Y 97-19.660 :

Attendu que la SMABTP et la CRN font grief à l'arrêt de rejeter l'exception de péremption d'instance, alors, selon le moyen, que seules les diligences procédurales de nature à faire progresser l'affaire sont susceptibles d'interrompre le délai de péremption d'instance ; qu'en conséquence, la simple participation à des opérations d'expertise, -seule visée par les premiers juges-, le dépôt du rapport d'expertise, les courriers adressés aux experts, les consignations de provision complémentaires effectuées en conséquence d'ordonnances du juge de la mise en état et, a fortiori, tout acte de procédure réalisé après l'extinction du délai de péremption, n'interrompent pas ce délai ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui a décidé le contraire, a violé les dispositions de l'article 386 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu qu'ayant relevé, par motifs propres et adoptés, que pendant le délai de péremption invoqué, les parties avaient participé aux opérations d'expertise ordonnées par le juge de la mise en état et par le juge chargé du contrôle des expertises, que la SCI et son gérant avaient également manifesté leur intention de poursuivre l'instance par les courriers qu'ils avaient adressés à l'expert et par les consignations de provisions complémentaires sur les frais d'expertise qu'ils avaient effectuées en exécution d'ordonnances du juge de la mise en état, la cour d'appel a retenu, à bon droit, que la péremption avait été interrompue ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le moyen unique du pourvoi principal n° V 97-19.657 :

Attendu que la MAF, la SCP et M. Y... font grief à l'arrêt de rejeter l'exception de péremption d'instance, alors, selon le moyen :

1 / qu'en application de l'article 16 du nouveau Code de procédure civile et de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, ne peut produire d'effet de droit que l'acte de procédure contradictoire envers la partie adverse ; qu'aucune exception ne résulte et ne saurait résulter de l'article 386 du nouveau Code de procédure civile ;

qu'ainsi, ne peut constituer une diligence interruptive de la péremption d'instance que celle qui a un caractère contradictoire à l'égard de la partie adverse ; que faute de constater l'existence d'un acte procédural présentant un caractère contradictoire à l'égard du maître d'oeuvre et de son assureur, la cour d'appel a violé les articles 386 et 16 du nouveau Code de procédure civile et 6, alinéa 1er, de la Convention européenne des droits de l'homme ;

2 / qu'une nouvelle assignation aux même fins, délivrée postérieurement à l'expiration du délai de deux ans de péremption ne peut interrompre ce délai ; qu'ainsi l'arrêt, qui prend motif de l'assignation des 28 et 31 août et 1er septembre 1991, a violé l'article 386 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu, d'une part, que les diligences accomplies par une partie peuvent interrompre la péremption d'instance même si elles n'ont pas été portées à la connaissance de la partie adverse ;

Attendu, d'autre part, qu'en se référant aux assignations d'août et de septembre 1991, la cour d'appel n'a fait que constater qu'il ne s'était jamais écoulé un délai de deux ans sans qu'aucune diligence interruptive de péremption n'ait été accomplie ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen des pourvois provoqués de la société Fondaco, de la CIAM, de la société OGCA TP et des Mutuelles du Mans et sur le premier moyen des pourvois provoqués du Bureau Véritas, réunis :

Attendu que la société Fondaco, la CIAM, la société OGCA TP, les Mutuelles du Mans, et le bureau Véritas font grief à l'arrêt de rejeter l'exception de nullité des rapports d'expertise, alors, selon le moyen :

1 / que la loi interdit au technicien de recevoir directement d'une partie, sous quelque forme que ce soit, une rémunération même à titre de remboursement de débours, si ce n'est sur décision du juge ;

qu'en affirmant qu'il n'était pas établi que l'expert fût sorti du cadre de sa mission ni qu'il eût perçu d'autres sommes que celles régulièrement déconsignées par le juge chargé du contrôle des expertises à valoir sur sa rémunération", sans rechercher, ainsi qu'elle y était pourtant invitée, s'il ne ressortait pas des notes numéros 6 et 7 adressées par lui aux parties, non seulement qu'il avait accepté une véritable mission de maîtrise d'oeuvre définie par ses soins comme correspondant à une ingénierie de type M2, outrepassant ainsi celle que lui avait impartie le juge de la mise en état consistant uniquement à surveiller les travaux de remise en état tels que préconisés par lui dans son rapport d'expertise, mais, en outre, que pour cette prestation, il avait nécessairement perçu du maître de l'ouvrage des honoraires proportionnels au montant des travaux bien qu'ils eussent dû être fixés par le juge, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 248 du nouveau Code de procédure civile ;

2 / que le juge ne peut fonder sa décision sur une expertise ayant pour base des investigations que le technicien a menées seul sans avoir convié les parties à y assister ; que doit être effectué de manière contradictoire le choix des documents comptables à partir desquels l'expert évalue le préjudice, dès lors que cette sélection ne constitue pas une mesure purement matérielle mais conditionne les conclusions à venir ; qu'en refusant d'annuler les rapports d'expertise de MM. Z... et A..., bien qu'il résultât de ses constatations que les documents comptables ayant servi de base à l'élaboration de leurs conclusions avaient été choisis par les hommes de l'art exclusivement, lors d'un transport au siège de l'OPAC, en l'absence de la société Fondaco, de la CIAM, de la société OGCA TP, des Mutuelles du Mans et du bureau Veritas qui n'y avaient pas été convoquées, peu important qu'ultérieurement les pièces prélevées unilatéralement dans ces conditions eussent été soumises à la discussion contradictoire des parties, la cour d'appel a violé les articles 16 et 160 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu, d'une part, qu'ayant retenu, par motifs adoptés, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des éléments de preuve qui lui étaient soumis, qu'il n'était démontré ni que l'expert M. X... avait agi hors des limites de la mission qu'avait définie le juge de la mise en état ni qu'il avait perçu des rémunérations autres que les sommes régulièrement déconsignées par le juge chargé du contrôle des expertises à valoir sur sa rémunération, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a légalement justifié sa décision de ce chef ;

Attendu, d'autre part, qu'ayant relevé que l'expert Z..., sans sélectionner arbitrairement les seuls documents qu'il estimait utiles à l'exécution de sa mission, avait procédé à un examen exhaustif de tous les comptes de la SCI permettant d'établir un bilan financier de l'opération litigieuse, et que le juge de la mise en état ayant renvoyé les parties devant les experts A... et Z... pour soumettre à un débat contradictoire les éléments qu'ils avaient recueillis, ces parties n'avaient à aucun moment remis en cause l'exactitude des chiffres retenus par M. Z... ou leur défaut de conformité avec les documents comptables, ni sollicité l'examen d'autres pièces comptables, la cour d'appel a pu en déduire qu'il n'y avait pas lieu de prononcer la nullité des opérations d'expertise pour violation du principe de la contradiction ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le second moyen des pourvois provoqués du bureau Veritas, réunis :

Attendu que le Bureau Véritas fait grief à l'arrêt de le condamner in solidum avec les autres constructeurs à indemniser la SCI, alors, selon le moyen :

1 / que la cour d'appel qui a, par ailleurs, constaté que l'utilisation de fondations sur pieux battus n'était pas en soi inadéquate et que la défaillance des dites fondations était essentiellement imputable à une exécution défectueuse, ne pouvait, sans contradiction, affirmer que le désordre trouvait son origine dans le choix des fondations à mettre en oeuvre compte tenu de la nature du sol ; qu'elle a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

2 / que le contrôleur technique est soumis, dans les limites de la mission à lui confiée par le maître de l'ouvrage, à la présomption de responsabilité édictée par les articles 1792 et suivants du Code civil ; qu'il appartenait, dès lors, à la cour d'appel de rechercher, comme elle y était invitée par le bureau Veritas, si les dommages avaient trouvé leur source dans la mission confiée par le maître de l'ouvrage à ce dernier, mission qui ne portait pas sur le contrôle systématique de l'exécution des travaux ;

qu'une telle recherche s'imposait d'autant plus que la cour d'appel a, par ailleurs, admis que la défaillance des fondations était imputable à une exécution défectueuse des dits travaux ; qu'elle a donc privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 111-24 du Code de la construction et de l'habitation ;

Mais attendu qu'ayant relevé que les désordres constatés dans la structure des pavillons étaient la conséquence de la défaillance des fondations, que le bureau de contrôle avait pour mission de contribuer à la prévention des aléas techniques, en particulier de vérifier l'adaptation du mode de fondation au sol, et qu'il ne s'exonérait pas de la présomption de responsabilité pesant sur lui par la preuve, non rapportée, d'une cause étrangère, ni les fautes d'exécution des constructeurs ni la circonstance que l'organisme de contrôle n'est tenu qu'à de simples sondages ne constituant une cause exonératoire, la cour d'appel a, sans se contredire, exactement retenu que, dans ses rapports avec le maître de l'ouvrage, la responsabilité du bureau Veritas était engagée de plein droit en application de l'article L. 111-24 du Code de la construction et de l'habitation ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le troisième moyen, pris en sa première branche, des pourvois provoqués de la société Fondaco, de la CIAM, de la société OGCA TP et des Mutuelles du Mans, réunis :

Attendu que la société Fondaco, la CIAM, la société OGCA TP et les Mutuelles du Mans font grief à l'arrêt de condamner la CIAM, dans les limites de son contrat, in solidum avec d'autres constructeurs et assureurs à payer une somme au maître de l'ouvrage et à garantir à concurrence de la part de responsabilité retenue contre son assuré, la société Sols essais, tant l'entrepreneur principal que les maîtres d'oeuvre des condamnations mises à leur charge, alors, selon le moyen, que l'assureur du bureau d'études soutenait que la responsabilité de son assuré ne pouvait être retenue dès lors qu'il était établi que l'étude du sol par lui réalisée n'avait pas été utilisée par les intervenants à la construction ; qu'en omettant de répondre à ces conclusions l'invitant à constater l'absence de tout lien causal entre l'intervention ou la faute éventuelle de ce bureau d'études et le dommage allégué, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu qu'ayant constaté que les désordres provenaient de la défaillance des fondations et relevé, d'une part, par motifs adoptés, sur l'action en garantie décennale exercée par le maître de l'ouvrage, que la société Sols Essais avait été associée, par sa mission portant sur la réalisation de l'étude des sols, à la conception et à la construction de l'ouvrage et qu'elle ne s'exonérait pas de la responsabilité de plein droit pesant sur elle par la preuve d'une cause étrangère, d'autre part, par motifs propres, sur la demande en garantie formée à son encontre par les architectes, que bien que connaissant le contexte particulier du terrain, la société Sols Essais, qui avait, par des sondages au jugé", négligé de conduire ses interventions de manière rationnelle et efficace, avait commis une faute ayant contribué directement au dommage engageant sa responsabilité quasi-délictuelle, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de répondre à des conclusions que ses constatations rendaient inopérantes, a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision de ce chef ;

Mais sur le troisième moyen, pris en sa seconde branche, des pourvois provoqués de la société Fondaco, de la CIAM, de la société OGCA TP et des Mutuelles du Mans, réunis :

Vu l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

Attendu que l'arrêt, dans son dispositif, condamne la société Sols Essais à garantir, à concurrence de sa part de responsabilité, la société CRN et son assureur la SMABTP ;

Qu'en statuant ainsi, sans donner aucun motif à ce chef de décision, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a condamné la société Sols Essais à garantir, à concurrence de sa part de responsabilité, la société CRN et son assureur, la SMABTP, des condamnations prononcées à leur encontre, l'arrêt rendu le 18 juin 1997, entre les parties, par la cour d'appel de Reims ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Nancy.