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Décisions

CE, 10e et 9e sous-sect. réunies, 25 avril 2003, n° 205099

CONSEIL D'ÉTAT

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Robineau

Rapporteur :

M. Fabre

Commissaire du gouvernement :

M. Vallée

Avocat :

SCP Piwnica, Molinié

CE n° 205099

25 avril 2003

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 26 février et 28 juin 1999 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Stéphane X, demeurant ... ; M. X demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt du 17 décembre 1998 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté ses requêtes aux fins de décharge ou réduction du complément de taxe sur la valeur ajoutée qui lui a été assigné au titre de la période du 1er janvier 1976 au 31 décembre 1978, des cotisations de prélèvement sur les profits de construction qui lui ont été assignées au titre des années 1976 à 1978, et du supplément d'impôt sur le revenu auquel il a été assujetti au titre de l'année 1978 ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la note en délibéré présentée par M. BLONDE le 16 avril 2003 ;

Vu le code général des impôts ;

Vu le code du travail ;

Vu l'ordonnance n° 67-693 du 17 août 1967 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Fabre, Conseiller d'Etat,

- les observations de la SCP Piwnica, Molinié, avocat de M. X,

- les conclusions de M. Vallée, Commissaire du gouvernement ;


En ce qui concerne le rappel de 28 614,96 F de taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période du 1er janvier 1976 au 31 décembre 1978 :

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis à la cour administrative d'appel de Nancy que le rappel de taxe sur la valeur ajoutée susmentionné a été assigné à M. X, à l'issue d'une vérification de la comptabilité relative à ses opérations immobilières, du fait que l'administration a remis en cause le crédit de taxe dont il prétendait disposer le 1er janvier 1976, eu égard aux droits dont, selon elle, il avait omis de se tenir pour redevable en raison d'une vente effectuée, le 29 décembre 1972, à la S.C.I. Socipan ; que ladite vente, qui a porté sur les 3 048/10 000 èmes indivis d'un terrain sis à Hazebrouck et sur lequel M. X avait entrepris de faire édifier un immeuble à usage de bureaux dont il était stipulé, dans l'acte, que la S.C.I. Socipan détiendrait en copropriété certains lots précisément désignés, à charge pour elle de participer au financement de la construction dans la proportion de ses droits, a été regardée par l'administration comme la vente de parties d'un immeuble à construire, devant être soumise à la taxe sur la valeur ajoutée, en application des dispositions de l'article 257-7° du code général des impôts, sur la base de la totalité du prix supporté par l'acquéreur ; que M. X a, devant les juges du fond, contesté cette analyse en soutenant que la S.C.I. Socipan n'avait acquis de lui, le 29 décembre 1972, que des droits indivis sur le terrain d'assiette d'un immeuble dont elle avait été la co-constructrice ; qu'il s'est, notamment, prévalu, à cet égard, de la mention, figurant sur le contrat qu'il avait passé le 6 septembre 1972 avec l'entreprise de construction, selon laquelle il agissait tant en son nom propre qu'en la qualité de gérant de la S.C.I. Socipan en formation ; que la cour administrative d'appel, écartant comme dépourvues de valeur probante les énonciations de ce document et des autres pièces versées au dossier par M. X, a jugé qu'au contraire, il résultait des circonstances susrelatées que la vente intervenue le 29 décembre 1972 entre le requérant et la S.C.I. Socipan avait indissociablement eu pour objet une fraction, terrain compris, d'un immeuble à construire, et devait, par suite, être soumise à la taxe sur la valeur ajoutée selon les modalités retenues par l'administration ; qu'en statuant ainsi, la cour a porté sur les faits et pièces du dossier, qu'elle n'a pas dénaturés, et, notamment, quant à la portée des énonciations contractuelles invoquées par M. X, une appréciation souveraine insusceptible d'être discutée devant le juge de cassation, et n'a entaché l'arrêt attaqué ni d'insuffisance de motivation, ni d'erreur de droit ;

En ce qui concerne les prélèvements établis sur des profits de construction réalisés au cours des années 1976 à 1978 :

Sur le principe de ces impositions :

Considérant qu'aux termes de l'article 235 quater du code général des impôts alors en vigueur : I. Les plus-values nettes réalisées par les personnes physiques à l'occasion de la cession d'immeubles ou de fractions d'immeubles... qu'elles ont construits ou fait construire... donnent lieu à la perception d'un prélèvement... I ter. Le prélèvement visé au I est applicable au taux de 30 % aux profits réalisés jusqu'au 31 décembre 1981 à l'occasion de la cession d'immeubles pour lesquels la délivrance du permis de construire ou le dépôt de la déclaration qui en tient lieu sont postérieurs au 31 décembre 1971... II. Par dérogation aux dispositions qui précèdent, les redevables sont dispensés du prélèvement... lorsqu'ils justifient que les cessions effectuées n'entrent pas dans les prévisions de l'article 35... ; que le I de l'article 35 vise, notamment, les bénéfices réalisés par les personnes physiques ...1° ... qui, habituellement, achètent en leur nom, en vue de les revendre, des immeubles... ; qu'il résulte de ces dispositions que le prélèvement institué par l'article 235 quater était applicable, notamment, aux plus-values nettes réalisées par une personne physique à l'occasion de cessions, présentant un caractère habituel, de fractions d'un immeuble, fût-il unique, à la construction duquel elle a procédé dans une intention spéculative ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis à la cour administrative d'appel que l'administration a soumis au prélèvement prévu au I ter précité de l'article 235 quater les plus-values réalisées par M. X, au cours des années 1976 à 1978, à l'occasion de neuf cessions de locaux dont il était propriétaire au sein de l'immeuble dont, ainsi qu'il a été dit plus haut, il a fait effectuer la construction en 1972, en conformité d'un permis de construire délivré le 11 avril de ladite année ; que M. X a contesté devant les juges du fond le principe de ces impositions en soutenant que ces cessions n'entraient pas dans les prévisions du 1° précité du I de l'article 35 du code général des impôts ; que, contrairement à ce qu'il soutient, la cour administrative d'appel n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant, en premier lieu, qu'eu égard au nombre, s'élevant à vingt-trois, des cessions par lui effectuées depuis 1972, et alors même que celles-ci avaient porté sur des fractions d'un seul immeuble, il devait être regardé comme y ayant procédé de manière habituelle ; qu'en estimant, en second lieu, qu'il résultait de l'instruction que, dès l'origine de l'opération, il avait eu l'intention de revendre par fractions la partie de l'immeuble dont il serait le propriétaire, la cour administrative d'appel a porté sur les faits une appréciation souveraine insusceptible d'être discutée devant le juge de cassation ; qu'ayant, ainsi, constaté la réunion des deux conditions répondant aux prévisions du 1° du I de l'article 35 du code général des impôts, la cour administrative d'appel a, sans commettre d'erreur de droit, jugé les prélèvements litigieux bien fondés quant à leur principe ;

Sur le montant des droits établis :

Considérant qu'en se fondant, pour écarter le moyen tiré par M. X de ce que l'administration avait à tort refusé d'inclure dans le prix de revient de l'immeuble, en vue de la détermination des plus-values nettes soumises au prélèvement, une somme de 120 000 F correspondant à des honoraires qu'il aurait entendu s'allouer à lui-même en rétribution de ses prestations de conception et de conduite de l'opération de construction, sur ce que les tâches qu'il avait ainsi accomplies n'étaient pas dissociables de l'exercice de l'activité qu'avait constituée la réalisation de cette opération, et ne pouvaient par conséquent être la source d'un revenu distinct des profits issus de cette activité et imposables en tant que bénéfices industriels et commerciaux, la cour administrative d'appel n'a, contrairement à ce que soutient M. X, pas commis d'erreur de droit ;

Considérant que M. X n'est pas fondé à soutenir que, dès lors qu'elle statuait ainsi, la cour administrative d'appel aurait dû lui accorder une réduction d'impôt sur le revenu, la somme susmentionnée de 120 000 F ayant été déclarée par lui dans la catégorie des bénéfices non commerciaux, les mémoires qu'il a présentés devant la cour n'ayant, en tout état de cause, pas comporté de conclusions en ce sens ;

En ce qui concerne le supplément d'impôt sur le revenu au titre de l'année 1978 :

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis à la cour administrative d'appel que le supplément d'impôt sur le revenu auquel M. X a été assujetti au titre de l'année 1978 procède, notamment, de redressements apportés aux bénéfices non commerciaux issus de l'exercice par celui-ci de sa profession de notaire ; qu'en particulier, l'administration a regardé comme constitutive d'une immobilisation professionnelle jusqu'au 31 décembre 1978, puis, à cette date, transférée par le contribuable dans son patrimoine privé, la participation qu'il détenait dans le capital de la S.C.I. Socipan ; qu'en conséquence, elle a, d'une part, rapporté aux recettes professionnelles le produit, de 108 751 F, de cette participation, issu de loyers et que M. X avait déclaré au nombre des éléments d'un revenu foncier global net de 69 395 F, revenu auquel elle a, corrélativement, substitué un déficit reportable de 39 356 F, et, d'autre part, imposé, au taux de 10 % prévu au I de l'article 93 quater du code général des impôts, sur le fondement des dispositions du 1 de l'article 93 en vertu desquelles le bénéfice non commercial tient, notamment, compte des gains provenant de la réalisation des éléments d'actif affectés à l'exercice de la profession, une plus-value de 1 508 355 F, selon elle réalisée lors de la reprise par M. X des parts de la S.C.I. dans son patrimoine privé ; que M. X a, devant les juges du fond et, notamment, la cour administrative d'appel, contesté l'un et l'autre de ces redressements ;

Considérant, en premier lieu, que, comme le soutient M. X, la cour administrative d'appel a omis de statuer quant au bien-fondé du premier des deux redressements susanalysés ;

Considérant, en second lieu, que, pour écarter, en ce qui concerne le second redressement, le moyen tiré par M. X de ce que les parts qu'il détenait de la S.C.I. Socipan n'avaient jamais constitué un élément d'actif affecté à l'exercice de sa profession de notaire, la cour administrative d'appel s'est exclusivement fondée sur la circonstance que, du 31 décembre 1976 au 31 décembre 1978, il avait inscrit ces parts, ainsi que le lui avait recommandé le Conseil régional des notaires, sur un compte valant registre des immobilisations ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher si les parts litigieuses présentaient ou non le caractère d'un bien susceptible d'être légalement affecté par le contribuable à l'exercice de sa profession, au sens et pour l'application des dispositions susrappelées du 1 de l'article 93 du code général des impôts, la cour administrative d'appel a, comme le soutient M. X, commis une erreur de droit ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. X est fondé à demander que l'arrêt attaqué soit annulé en tant que la cour administrative d'appel a rejeté les conclusions de sa requête tendant à la réduction du supplément d'impôt sur le revenu auquel il a été assujetti au titre de l'année 1978, à concurrence des droits et pénalités résultés des redressements susanalysés ;

Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler sur ces points l'affaire au fond ;

Considérant que les éléments d'actif affectés à l'exercice d'une profession non commerciale et visés au 1 de l'article 93 du code général des impôts s'entendent, soit de biens qui, spécifiquement nécessaires à l'activité du contribuable, ne peuvent être distraits par celui-ci de son actif professionnel, soit de biens qui, de la nature de ceux dont l'usage est requis pour l'exercice de cette activité, sont effectivement utilisés à cette fin par le contribuable, et que, s'il en est propriétaire, celui-ci peut, à son choix, maintenir dans son patrimoine personnel ou rattacher à son actif professionnel et porter, dans ce dernier cas, sur le registre des immobilisations prévu à l'article 99 du code général des impôts ; qu'en revanche, un bien dont la détention ne revêt aucune utilité professionnelle ne peut, alors même que le contribuable l'aurait, à tort, inscrit sur le registre de ses immobilisations, constituer, au regard de la loi fiscale, un élément de son actif professionnel ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que la S.C.I. Socipan avait pour activité de donner en location les locaux à usage de bureaux dont elle était propriétaire, et que M. X, lui-même, tenait d'elle, à bail, les locaux dans lesquels était installée son étude ; que, si l'administration a, néanmoins, regardé comme un élément de son actif professionnel la participation détenue par M. X dans le capital de la S.C.I., c'est en se fondant sur la circonstance qu'il aurait acquis cette participation, par voie d'apports en capital puis en compte-courant bloqué, au titre des placements et investissements consécutifs à la conclusion, le 31 décembre 1969, avec les employés de son étude, d'un accord de participation des salariés aux fruits de l'expansion des entreprises, régi par les dispositions de l'ordonnance n° 67-693 du 17 août 1967 et homologué par un arrêté interministériel du 18 janvier 1972 ; que, toutefois, en premier lieu, les placements effectués en emploi des sommes portées à la réserve spéciale de participation que les employeurs liés par un tel accord sont tenus de constituer, et dont sont créanciers les salariés entre lesquels elles sont réparties, ne revêtent pas le caractère d'un élément de l'actif immobilisé de ces employeurs ; qu'en second lieu, lorsque ces derniers usent de la faculté qui leur est ouverte de constituer en franchise d'impôt, dans les conditions définies au III de l'article 237 bis A du code général des impôts applicable en l'espèce, des provisions pour investissement, lesquelles doivent, à peine de rapport à leur bénéfice imposable, être utilisées dans le délai d'un an à l'acquisition d'immobilisations, ils ne sauraient être regardés comme susceptibles d'acquérir ainsi, s'ils exercent une profession non commerciale, un élément d'actif qui ne serait pas affecté à l'exercice de cette profession au sens ci-dessus rappelé du 1 de l'article 93 du code général des impôts ; que, par suite, c'est, en tout état de cause, à tort que l'administration a regardé la participation de M. X au capital de la S.C.I. Socipan comme incluse dans son patrimoine professionnel jusqu'au 31 décembre 1978, et, à cette date, transférée dans son patrimoine personnel ;

Considérant qu'il suit de là que M. X est fondé à soutenir que c'est à tort que, par son jugement du 3 février 1994, le tribunal administratif de Lille ne lui a pas accordé la réduction du supplément d'impôt sur le revenu auquel il a été assujetti au titre de l'année 1978 correspondant aux droits et pénalités résultés, d'une part, de l'imposition au taux de 10 % d'une plus-value professionnelle de 1 508 355 F, et, d'autre part, de la substitution à un revenu foncier déclaré de 69 395 F d'un surplus de bénéfice non commercial de 108 751 F ;

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que, dans les circonstances de l'affaire, il y a lieu, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de condamner l'Etat à verser à M. X, en remboursement de frais exposés par lui et non compris dans les dépens, la somme de 1 500 euros ;


D E C I D E :

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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy du 17 décembre 1998 est annulé en tant que la cour a rejeté les conclusions de la requête n° 94 NC 00843 de M. X tendant à la réduction du supplément d'impôt sur le revenu auquel il a été assujetti au titre de l'année 1978 à concurrence des droits et pénalités résultés, d'une part, de l'imposition au taux de 10 % d'une plus-value professionnelle de 1 508 355 F et, d'autre part, de la substitution à un revenu foncier de 69 395 F d'un surplus de bénéfice non commercial de 108 751 F.

Article 2 : Il est accordé à M. X la réduction, correspondant aux droits et pénalités mentionnés à l'article 1er ci-dessus, du supplément d'impôt sur le revenu auquel il a été assujetti au titre de l'année 1978.

Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Lille du 3 février 1994 est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 2 ci-dessus.

Article 4 : L'Etat versera à M. X, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la somme de 1 500 euros.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de M. X est rejeté.

Article 6 : La présente décision sera notifiée à M. Stéphane X et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.