Cass. com., 12 février 2002, n° 98-20.879
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Dumas
Rapporteur :
Mme Gueguen
Avocat général :
M. Jobard
Avocat :
SCP Baraduc et Duhamel
Sur le moyen unique, pris en ses quatre branches :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 30 juin 1998), que Mlle Z... et M. Michel A... ont vécu ensemble de 1972 au 10 novembre 1992, date du décès de ce dernier, et que durant cette période ils ont partagé un logement appartenant aux parents de Mlle Z... ; qu'en 1980, M. Michel A..., qui était ouvrier-carrossier avait cessé ce travail pour se consacrer à l'exploitation d'un fonds artisanal de taxi dont il avait acquis la licence ; qu'au cours de la même année, M. Michel A... a acheté un appartement au moyen de deniers personnels et d'un prêt, et qu'il a acquis un second appartement en 1989 grâce à un apport personnel représentant la moitié du prix de cession, le solde devant être payé par le versement d'une rente viagère annuelle ; qu'après avoir été autorisée par ordonnance sur requête du 20 décembre 1993 à inscrire une hypothèque judiciaire provisoire sur les deux immeubles appartenant à M. A..., à concurrence d'une somme de 650 000 francs, Mlle Z... a assigné M. et Mme A..., parents de Michel, et les sept frères et soeurs de ce dernier, pour faire constater la validité de l'inscription hypothécaire et obtenir le paiement de la somme de 650 000 francs, montant de sa part dans la société de fait ayant existé entre elle et Michel A... ; que par jugement du 20 juin 1996, le tribunal de grande instance de Grenoble a dit qu'une société de fait avait existé entre Mlle Z... et M. Michel A... en ce qui concerne la seule activité de taxi d'une valeur de 200 000 francs, que les consorts A... devaient faire retour à Mlle Z... de la moitié de cet actif, soit 100 000 francs, et a autorisé celle-ci à inscrire une hypothèque judiciaire définitive sur les biens immeubles composant la succession de Michel A... ; que Mlle Z... a fait appel de cette décision ;
Attendu que les consorts A... font grief à l'arrêt, partiellement infirmatif, d'avoir constaté l'existence d'une société de fait entre Mlle Z... et M. Michel A... à partir de novembre 1980, et d'avoir condamné la succession A... à payer à Mlle Z... la somme de 455 739 francs, représentant la moitié de l'actif net de cette société de fait, alors, selon le moyen :
1 / que l'existence d'une société de fait entre concubins exige la volonté, qui ne peut être présumée, de s'associer et de participer sur un pied d'égalité à une entreprise commune, avec l'intention d'en partager les bénéfices et les pertes ; qu'ayant constaté en l'espèce, que feu Michel A... et Anne-Marie Z... avaient manifesté au contraire leur volonté de gérer séparément leur patrimoine respectif en faisant séparément l'acquisition d'appartements qui leur sont propres et en s'abstenant de toutes procurations réciproques et comptes joints et qu'ils exploitaient chacun leur fonds de commerce (de taxi, pour Michel A... et d'esthéticienne pour Anne-Marie Z...), la cour d'appel, qui a ainsi caractérisé l'absence de volonté commune de s'associer et l'absence d'entreprise commune, a, en retenant l'existence d'une société de fait entre les concubins depuis 1980, violé l'article 1832 du Code Civil ;
2 / qu'à supposer même que Mlle Z... ait "apporté son industrie" à l'activité de taxi de Michel A..., qui ne représentait qu'une partie de ses revenus, et à supposer qu'il en résulte, eu égard à cette activité, une société de fait, il ne pouvait en résulter pour la demanderesse un droit à la moitié de la totalité de l'actif successoral ; que pour en avoir décidé ainsi, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 1832 du code civil ;
3 / qu'il résultait encore des constatations des premiers juges que la participation de Mlle Z... à l'activité de taxi de Michel A... avait consisté à le remplacer lors de ses absences pour maladie et à utiliser son propre véhicule à la suite d'un accident, en novembre 1991 ; qu'en ne recherchant pas si, comme le soutenaient les exposants dans leurs conclusions d'appel, cette participation ponctuelle et occasionnelle et de faible durée dans le temps, la maladie de Michel A... étant apparue en 1989 et l'ayant contraint à cesser toute activité en décembre 1991, onze mois avant son décès, ne procédait pas d'une simple gestion d'affaires, en dehors de toute volonté commune d'association, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 1832 du Code civil ;
4 / qu'en retenant les modestes revenus pécuniaires de Michel A..., pour présumer la participation de Mlle Z... à l'entretien de ce dernier, sans répondre aux conclusions des exposants prises de l'existence de revenus immobiliers et du versement d'une pension aux époux Z... qui l'avaient logé un temps, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu, en premier lieu, que la cour d'appel a distingué deux périodes dans la vie commune de M. Michel A... et de Mlle Z... : une première période, antérieure à novembre 1980, au cours de laquelle elle a relevé que les concubins avaient manifesté leur volonté de gérer séparément leur patrimoine respectif notamment en ayant deux activités bien distinctes, et en acquérant chacun un appartement, puis une seconde période au cours de laquelle, elle a retenu que M. A... avait, certes, acquis et exploité en son nom une licence de taxi, mais où l'apport en industrie de Mlle Z... au sein de cette activité était allé bien au-delà de simples tâches d'exécution matérielle puisque le secrétariat de celle-ci était exercé au domicile des concubins dans le chalet mis à leur disposition par les parents de Mlle Z..., et que cette dernière participait activement à l'activité de son compagnon, remplaçant souvent celui-ci dans les transports, et assurant seule la gestion de l'entreprise lorsque M. A... était tombé malade ; que la cour d'appel a, en outre, constaté que les modestes revenus déclarés par M. Michel A... à partir de 1981, au titre de l'activité de taxi, ne lui aurait pas permis de payer comptant une somme de 170 000 francs et de verser une rente viagère annuelle de près de 30 000 francs pour l'achat d'un appartement en 1989, ce dont elle a déduit que Mlle Z... avait assuré son entretien et mis en commun ses propres revenus ; que dès lors, la cour d'appel, qui a ainsi répondu aux conclusions dont elle était saisie sans avoir à procéder à des recherches que sa démonstration rendait inutiles, a pu décider qu'il en résultait, à partir de novembre 1980, une volonté des deux concubins de s'associer en travaillant ensemble dans la même activité, en faisant des apports de part et d'autre, et en ayant vocation à partager les bénéfices et à contribuer aux pertes, de sorte que les éléments constitutifs d'une société de fait étaient réunis ; qu'en l'état de ses constatations et appréciations, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ;
Attendu, en second lieu, qu'ayant retenu cette vocation au partage des bénéfices, même après réinvestissement en l'absence de partage préalable, la cour d'appel en a tiré les conséquences quant aux sommes devant revenir à Mlle Z... en considérant que l'actif net de la succession de M. Michel A... devait être partagé entre les deux associés après déduction du passif, des droits de succession, et de la valeur de l'appartement acquis par celui-ci avant la constitution de la société de fait ; qu'ainsi, la cour d'appel, qui, contrairement aux énonciations du moyen, n'a pas décidé que Mlle Z... avait droit à la moitié de la totalité de l'actif successoral, a légalement justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.