Cass. 1re civ., 2 septembre 2020, n° 19-13.483
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Batut
Rapporteur :
Mme Guihal
Avocat :
SCP Boulloche
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 27 juin 2018), un jugement du tribunal de grande instance de Nanterre du 13 juin 2008 a constaté l'extranéité de M. M..., originaire du Sénégal, et un jugement du tribunal de grande instance de Nice du 16 décembre 2009 a prononcé, en raison de l'autorité de chose jugée par cette décision, l'irrecevabilité d'une nouvelle action déclaratoire de nationalité française engagée par l'intéressé. Le 27 juillet 2011, celui-ci a obtenu la délivrance d'un certificat de nationalité française par le tribunal d'instance de Nice. Le ministère public l'a assigné afin de faire juger que ce certificat avait été délivré à tort.
Examen du moyen
Sur le moyen unique, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
2. M. M... fait grief à l'arrêt de juger que le certificat de nationalité française qui lui a été délivré le 27 juillet 2011 par le tribunal d'instance de Nice l'a été à tort, alors « que la charge de la preuve incombe à celui qui conteste la qualité de Français à un individu titulaire d'un certificat de nationalité française délivré conformément aux articles 31 et suivants du code civil ; que pour accueillir l'action négatoire du ministère public et confirmer le jugement ayant admis que le certificat de nationalité française n° 580/2011 établi le 27 juillet 2011 au nom de M. R... M... l'avait été à tort, la cour d'appel a considéré que toute demande visant à établir la nationalité française de M. M... se heurtait à l'autorité de chose jugée des jugements du 13 juin 2008 du tribunal de grande instance de Nanterre ayant constaté l'extranéité de ce dernier et du 16 décembre 2009 du tribunal de grande instance de Nice ayant déclaré sa demande en déclaration de nationalité française irrecevable en raison de l'autorité de chose jugée attachée au jugement du 13 juin 2008 ; qu'en statuant ainsi, alors que le certificat de nationalité française dont M. M... s'est prévalu a été délivré postérieurement à ces décisions, si bien que le ministère public devait établir que les documents en vertu desquels il avait été délivré étaient erronés, ainsi qu'il l'alléguait, la cour d'appel a violé l'article 30, alinéa 2, du code civil. »
Réponse de la Cour
3. En premier lieu, aux termes de l'article 1355 du code civil, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité.
4. Une offre de preuve nouvelle ne constitue pas un fait ou un événement modifiant la situation antérieurement reconnue en justice qui aurait pour effet d'exclure l'autorité de chose jugée.
5. En second lieu, selon l'article 30 du code civil, la charge de la preuve, en matière de nationalité française, incombe à celui dont la nationalité est en cause. Toutefois, cette charge incombe à celui qui conteste la qualité de Français à un individu titulaire d'un certificat de nationalité française délivré conformément aux articles 31 et suivants.
6. Il résulte de la combinaison de ces textes, que lorsqu'un jugement a constaté l'extranéité d'une personne, un certificat de nationalité française ne peut être délivré ultérieurement à cette même personne sur le même fondement juridique, fût-ce en vertu de pièces nouvelles, sans violer l'autorité de chose jugée.
7. L'arrêt retient que les éléments versés aux dossiers permettent d'établir que l'extranéité de M. M... a été constatée par deux décisions de justice successives, la dernière ayant déclaré l'action irrecevable en raison de l'autorité de la chose jugée. Il ajoute que même si l'instance a été introduite par le ministère public afin de faire établir que le certificat de nationalité délivré à l'intéressé l'a été à tort, il n'en demeure pas moins que toute demande visant à établir qu'il a la nationalité française se heurte à l'autorité de la chose jugée. L'arrêt relève que les parties sont en effet identiques, que la chose demandée demeure pour M. M... l'obtention de la nationalité française et que la cause reste identique en ce que la demande se fonde sur l'établissement de la nationalité par filiation.
8. La cour d'appel en a exactement déduit, sans inverser la charge de la preuve, que le certificat de nationalité française, délivré en violation de l'autorité de chose jugée, l'avait été à tort.
9. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur la deuxième branche du moyen
Enoncé du moyen
10. M. M... fait le même grief à l'arrêt, alors « que l'autorité de la chose jugée ne peut être opposée lorsque des événements postérieurs ont modifié la situation antérieurement reconnue en justice ; que pour juger que le certificat de nationalité française établi le 27 juillet 2011 au nom de M. M... l'avait été à tort, la cour d'appel a opposé l'autorité de chose jugée attachée au jugement du 13 juin 2008 rendu par le tribunal de grande instance de Nanterre ayant constaté l'extranéité de M. M... et celle dont était revêtue le jugement rendu le 16 décembre 2009 par le tribunal de grande instance de Nice ayant déclaré irrecevable la demande de M. M... en reconnaissance de nationalité française en raison de l'autorité de chose jugée attachée au jugement précité du 13 juin 2008 ; qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher si le certificat de nationalité française délivré le 21 juillet 2011 à M. M... ne constituait pas un fait nouveau, comme le soutenait ce dernier, qui permettait d'écarter l'autorité de chose jugée des décisions précédentes, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1355 du code civil, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
11. Il résulte de l'article 30 du code civil, ainsi que des articles 31 et 31-3 du même code, suivant lesquels le certificat de nationalité française est délivré par le greffier en chef, un refus de sa part pouvant faire l'objet d'un recours gracieux devant le ministre de la Justice, que ce certificat ne constitue pas un titre de nationalité, mais un document établi par une autorité administrative afin de faciliter la preuve de la nationalité française (1ère Civ., 4 avril 2019, QPC n° 19-40.001, publié).
12. La délivrance d'un tel document, en raison de sa nature, ne saurait constituer un fait nouveau modifiant la situation antérieurement reconnue en justice, de sorte que la cour d'appel, qui n'était pas tenue de répondre à un moyen inopérant, a légalement justifié sa décision en retenant l'autorité de chose jugée attachée au jugement du 13 juin 2008.
Sur la troisième branche du moyen
Enoncé du moyen
13. M. M... fait encore le même grief à l'arrêt, alors « que la signification d'un jugement ne fait courir le délai de recours que si elle est régulière ; qu'en l'espèce, M. M... a fait valoir que le jugement du 13 juin 2008 du tribunal de grande instance de Nanterre ayant constaté son extranéité ne lui avait pas été régulièrement signifié ; qu'en considérant que l'extranéité de M. M... était acquise sans répondre à ce moyen pertinent, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
14. Il résulte de l'article 480 du code de procédure civile qu'un jugement a, dès son prononcé, l'autorité de chose jugée relativement à la contestation qu'il tranche. La cour d'appel n'était dès lors pas tenue de répondre au moyen inopérant tiré du défaut de signification régulière du jugement ayant constaté l'extranéité de l'intéressé.
15. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi.