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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 8, 27 mars 2012, n° 10/24901

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

MJA (Selafa)

Défendeur :

M. Touitou

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Hirigoyen

Conseillers :

Mme Delbes, M. Boyer

Avocats :

Me Levy, Me Bolling

T. com. Paris, du 2 déc. 2010, n° 200905…

2 décembre 2010

M. Jean-Marc Touitou a fondé et dirigé la société de droit français System Organisation, SAS, spécialisée dans l'organisation de voyages et prestations dans le domaine du tourisme puis, unique actionnaire, il a cédé la totalité du capital soit 250 actions à la société Exploraction Associés par contrat du 12 janvier 2007, pour le prix de base de 650 000 euros avec effet rétroactif au 31 décembre 2006.

Le contrat de cession incluait une clause de garantie d'actif et de passif devant être mise en oeuvre dans un délai de 15 jours à compter de la connaissance du fait générateur prévoyant que 'M. Touitou s'engage à indemniser, au choix de la société Exploraction Associés, soit la société System Organisation soit la société Exploraction Associés de tout coût, frais, charge, passif et plus généralement préjudice effectivement subi soit par la société System Organisation et/ou la société Exploraction Associés ', trouvant son origine dans l'inexactitude des ses déclarations, la diminution d'un poste d'actif ou l'augmentation d'un poste de passif, en matière d'impôts et de cotisations sociales par suite de tout redressement portant sur la période antérieure ou la diminution du montant des capitaux propres figurant dans les comptes au 31 décembre 2006 si ce montant est inférieur à 150 000 euros, avec application d 'une franchise de 15 000 euros.

En mai 2007, les comptes au 31 décembre 2006 ont été établis par les nouveaux actionnaires et dirigeants de la société System Organisation et arrêtés entre les parties.

Le montant des capitaux propres présentant un montant négatif de 3 572 euros, M. Touitou a versé à la société Exploraction Associés, cessionnaire, la somme de 150 000 euros au titre de la garantie d'actif et de passif.

Un litige a opposé la société System Organisation à la société World Events, société de droit américain créée par M. Touitou, au sujet de l'exécution d'un contrat de prestations de services, conclu le 12 janvier 2007, mettant à la charge de la société System Organisation en contrepartie des prestations convenues le paiement d'une redevance annuelle payable par mensualités, qui a conduit la société System Organisation à saisir, par assignation du 30 janvier 2009, le tribunal de commerce de Paris d'une demande tendant à voir dire le contrat résilié aux torts exclusifs du cocontractant, demande dont elle a été déboutée par jugement du 15 décembre 2010, frappé d'appel.

Par ailleurs, estimant que le dividende de 150 000 euros, distribué en 2006 au profit et sur décision de l'unique actionnaire M. Touitou au titre du bénéfice de l'exercice 2005 est fictif car le résultat de cet exercice serait en réalité déficitaire, le 23 juin 2008, après l'avoir vainement mis en demeure de lui restituer cette somme, par acte du 4 juin 2009, la société System Organisation a assigné M. Touitou pour voir, sur le fondement des articles L.232-11, L.232-12 et L.232-17 du code de commerce, constater l'existence de dividendes irréguliers et condamner celui-ci au paiement de la somme de 150 000 euros outre dommages-intérêts.

Par jugement du 31 août 2010, sur déclaration de cessation des paiements, le redressement judiciaire de la société Exploraction Voyages, désormais aux droits de la société System Organisation, filiale de la société Exploraction Associés, a été ouvert, Me Lavoir étant désigné comme administrateur judiciaire et la Selafa MJA, en la personne de Me Levy, comme mandataire judiciaire .

Puis, la société Exploraction Voyages a été mise en liquidation judiciaire par jugement du 18 octobre 2010, désignant la Selafa MJA, en la personne de Me Levy, comme liquidateur.

Le 8 octobre 2010, M. Touitou a déclaré au passif de la liquidation judiciaire une créance de 31 000 euros qui n'a fait l'objet d'aucune contestation de la part des organes de la procédure collective, incluant le trop perçu de 15 000 euros du fait de la non déduction de la franchise sur le montant de la garantie d'actif et de passif, la même somme au titre de frais irrépétibles et 1 000 euros de dépens afférents à la présente instance .

La Selafa MJA, ès qualités, est intervenue à l'instance introduite aux fins de condamnation de M. Touitou à restituer à la somme de 150 000 euros soit le dividende distribué à la faveur, selon cette partie, de la comptabilisation d'un actif fictif comme 'produit à recevoir'.

Après avoir rejeté, suivant jugement du 7 avril 2010, l'exception d'incompétence soulevée par M. Touitou, le tribunal de commerce de Paris a, par jugement du 2 décembre 2010, déclaré l'action recevable et écarté la fin de non-recevoir prise de la prescription, débouté le liquidateur, ès qualités, de ses demandes, accueillant la demande reconventionnelle, a fixé au passif de la liquidation judiciaire de la société Exploraction Voyages la créance de M. Touitou à la somme de 31 000 euros outre 15 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, et a ordonné l'exécution provisoire.

La Selafa MJA ès qualités de liquidateur a relevé appel par déclaration du 23 décembre 2010.

Par conclusions signifiées le 1er mars 2011, le liquidateur, ès qualités, demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré l'action recevable mais de l'infirmer au fond, de constater l'existence d'un actif fictif comptabilisé comme 'produit à recevoir', en conséquence, de condamner M. Touitou à restituer la somme de 150 000 euros, majorée des intérêts légaux capitalisés depuis le 12 juin 2006, à payer la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts, confirmer pour le surplus, et lui allouer la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions signifiées le 2 mai 2011, M. Touitou sollicite l'infirmation du jugement en ce qu'il a rejeté les fins de non-recevoir, demande à la cour d' accueillir ces fins et conclusions prises du défaut de mise en jeu préalable de la clause de garantie et de la prescription de l'action

SUR CE

Il convient d'observer qu'il n'est formé aucune critique sur la disposition du jugement fixant la créance de M. Touitou au passif de la liquidation judiciaire de la société Exploraction Voyages à la somme de 31 000 euros .

- Sur la recevabilité de l'action

M. Touitou critique le jugement pour avoir déclaré recevable l'action du liquidateur de la société Exploraction Voyages, aux droits de la société System Organisation, alors que celle-ci n'est pas un tiers à l'acte de garantie, qu'il est constant que la société Exploraction Associés a reçu le 29 mai 2007 de sa part la somme de 150 000 euros au titre de la garantie d'actif et de passif stipulée à l'article 6 de l'acte de cession d'actions, que la somme aurait pu, en application de l'article 6-3, être versée à la société System Organisation, qu'il en a été décidé autrement, que la présente action relative à un dividende fictif est irrecevable comme relevant du champ contractuel et la garantie d'actif et de passif étant désormais épuisée.

Il est constant que la société Exploraction Associés a reçu le 29 mai 2007 de M. Touitou, la somme de 150 000 euros au titre de la garantie d'actif et de passif résultant de l'article 6 du contrat de cession d'actions qui désignait comme bénéficiaire 'au choix de la société Exploraction Associés, soit la société System Organisation soit la société Exploraction Associés'.

Mais, comme l'ont justement retenu les premiers juges, il n'est pas recherché la mise en oeuvre de la garantie d'actif et de passif stipulée à l'occasion de la cession des actions de la société System Organisation mais, au visa des articles L.232-11, L.232-12 et L.232-17 du code de commerce prohibant la distribution de dividendes fictifs, la restitution par M. Touitou qui l'a perçu comme actionnaire de la société System Organisation, d'un dividende indûment distribué de sorte que l'action reprise par la Selafa MJA, ès qualités de liquidateur de la société Exploraction Voyages, aux droits de la société System Organisation, est recevable.

- Sur la prescription

C'est encore à juste titre que les premiers juges ont écarté cette fin de non-recevoir dès lors que M. Touitou invoque la prescription triennale prévue par l'article L.235-9 du code de commerce en matière d'action en répétition de dividende laquelle court depuis la mise à disposition du dividende qui ne peut être antérieure à la décision de l'assemblée générale, organe habilité à en arrêter le principe, soit, en l'espèce, le 12 juin 2006, moins de trois ans avant l'assignation délivrée le 4 juin 2009, peu important le versement fait à titre d'acomptes ou avances avant la décision de l'assemblée générale.

- Sur le fond

Pour soutenir que M. Touitou est redevable du dividende litigieux, la Selafa MJA, ès qualité, fait valoir que les repreneurs se sont aperçus lors de la révision des comptes au 31 décembre 2006 qu'une créance d'un montant de 163 200 euros avait été à tort comptabilisée à l'actif du bilan 2005, qu'en effet, au 31 décembre 2005, a été comptabilisé en 'produit à recevoir' sur un projet de client (Pierre Fabre) un montant global de 362 296 euros dont 163 200 euros correspondant à une prestation hôtelière devant faire l'objet d'une facturation qui a été annulée par un compte de frais généraux au 31 décembre 2005, que toutefois, le 'produit' est resté dans les comptes, que cette erreur a été régularisée dans les comptes 2007 quand System Organisation en a eu connaissance, que sans cette anomalie qui a faussé l'actif, il n'y aurait pas eu de bénéfice et donc de dividende distribuable, que M. Touitou, dirigeant et seul associé, avait connaissance de l'anomalie dont il a tiré profit au préjudice du cessionnaire, que, d'ailleurs, un employé de la société Pierre Fabre confirme, par attestation délivrée à M. Touitou , le double paiement fait par erreur par cette société à l'hôtel Novotel et à la société System Organisation laquelle a proposé de la rembourser ce qui n'a pas été fait en raison de l'accord sur un report, évoquant en termes vagues la compensation avec une autre facture, non établie.

Tandis que M. Touitou conteste la fictivité prétendue du dividende dont il souligne qu'il a été prélevé sur des sommes disponibles, ajoutant que l'action en répétition de dividendes n'est admise qu'en cas de mauvaise foi, en l'espèce, non démontrée.

Aux termes de l'article L.232-17 du code de commerce, la société ne peut exiger des actionnaires ou porteurs de parts aucune répétition de dividendes, sauf lorsque les deux conditions suivantes sont réunies:

1° Si la distribution a été effectuée en violation des dispositions des articles L.232-11, L.232-12 et L.232-15 du code de commerce,

2° Si la société établit que les bénéficiaires avaient connaissance du caractère irrégulier de cette distribution au moment de celle-ci ou ne pouvaient l'ignorer compte tenu des circonstances.

Il résulte de l'article L.232-11 du code de commerce que le bénéfice distribuable est constitué par le bénéfice de l'exercice, diminué des pertes antérieures ainsi que des sommes à porter en réserve en application de la loi ou des statuts et augmenté du report bénéficiaire.

En l'espèce, il est établi par le rapport de gestion du président à l'assemblée générale du 12 juin 2006 et du procès-verbal de l'assemblée générale du même jour que la somme de 150 000 euros distribuée à l'actionnaire unique, lors de l'assemblée générale du 12 juin 2006, a été prélevée:

- à hauteur de 80 855 euros sur le bénéfice distribuable de l'exercice 2005 (bénéfice comptable de 51 813 euros + report à nouveau de 29 042 euros),

- à hauteur de 69 145 euros sur le poste 'Autres réserves' du bilan arrêté au 31 décembre 2005, ce dernier étant ainsi porté de 127 566 euros à 58 421 euros.

Il ressort des éléments versés aux débats qu'une somme de 362 296 euros a été comptabilisée dans les comptes de la société System Organisation au 31 décembre 2005 en 'produit à recevoir' sur un projet de client (Pierre Fabre) dont 163 200 euros correspondait à une prestation hôtelière devant faire l'objet d'une facturation qui a été annulée par un compte de frais généraux au 31 décembre 2005 en raison d'un double paiement du client, que toutefois, le 'produit' est resté dans les comptes jusqu'à sa régularisation, intervenue, selon le liquidateur, en 2007.

L'opération est confirmée par l'attestation en date du 7 juillet 2010, délivrée par le directeur marketing de la société Pierre Fabre qui rapporte que l'erreur provient des services comptables de cette société qui ont payé deux fois la même somme, à Novotel et à System Organisation, et qui ont préféré laisser le trop perçu à la société System Organisation compte tenu de compensations à venir du fait d'opérations en cours.

La concomitance entre cette comptabilisation erronée et la distribution litigieuse ne suffit pas à caractériser une distribution illicite de dividende laquelle implique notamment l'absence de bénéfice distribuable au sens de l'article précité.

Or, non seulement le liquidateur, ès qualités, ne fait pas cette démonstration mais, de surcroît, il ne rapporte pas la preuve que le bénéficiaire avait connaissance du caractère irrégulier de la distribution au moment de celle-ci ou ne pouvait l'ignorer compte tenu des circonstances.

Il convient de souligner que les comptes au 31 décembre 2005 avaient fait l'objet d'un audit du commissaire aux comptes et d'un rapport en date du 29 mai 2006 les certifiant réguliers et sincères et qu'un audit avait été également mené par le cessionnaire et son expert-comptable, tous éléments qui vont à l'encontre des allégations de mauvaise foi.

Les premiers juges doivent donc être approuvés pour avoir débouté la Selafa MJA, ès qualités, de sa demande de répétition.

Cette solution conduit à confirmer le débouté de la demande de dommages et intérêts formée par la Selafa MJA, ès qualités, portant sur la somme de 10 000 euros, dont le fondement n'est d'ailleurs pas précisé.

- Sur l'article 700 du code de procédure civile

L'équité ne commande pas d'indemniser M. Touitou, qui seul peut y prétendre, des frais visés par l'article 700 du code de procédure civile ni en première instance ni en appel.

Le jugement sera infirmé sur ce point et M. Touitou sera débouté de sa demande de ce chef par dispositions infirmatives et, pour les frais exposés en appel, par dispositions nouvelles.

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement sauf en ce qu'il a indemnisé M. Touitou des frais visés par l'article 700 du code de procédure civile,

L'infirme de ce seul chef

Et statuant à nouveau

Dit n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de M. Touitou,

Déboute les parties de toutes autres demandes,

Dit que les dépens d'appel seront pris en frais privilégiés de la liquidation judiciaire,

Dit que les dépens pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.