CA Paris, Pôle 5 ch. 3, 13 mai 2016, n° 14/08838
PARIS
Arrêt
Confirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Présidents :
Mme BARTHOLIN, Mme GALLEN
Conseiller :
Mme CHOKRON
Avocats :
Me HARDOUIN, Me LEGRAND
Par acte sous seing privé en date du 3 mai 1993, Mme Chantal M., aux droits de laquelle vient Mme Elise M. épouse C., a donné à bail à M. Salah B. des locaux commerciaux situés [...] à usage de vente de «fleurs, plantes et accessoires».
Le bail a été successivement renouvelé jusqu'au 1er janvier 2011, date à compter de laquelle il s'est poursuivi par tacite prolongation.
Par acte extrajudiciaire du 2 mars 2011, Mme Chantal M. a fait délivrer un congé avec offre de renouvellement à compter du 1er octobre 2011 moyennant un loyer annuel de 36.000 euros.
M. B. a accepté le renouvellement mais refusé le montant du loyer proposé.
Par acte d'huissier en date du 3 avril 2012, Mme Elise M. épouse C. a saisi le Juge des loyers commerciaux aux fins de voir fixer le loyer du bail renouvelé à la somme de 36.120 euros hors taxes et hors charges à compter du 1er octobre 2011.
Par jugement avant dire droit en date du 26 juin 2012, auquel il est expressément renvoyé pour l'exposé des faits et de la procédure, le Juge des loyers commerciaux a :
- désigné Mme B. en qualité d'expert aux fins de donner son avis sur la valeur du bail renouvelé,
- fixé le loyer provisionnel au montant du loyer contractuel en cours,
- ordonné l'exécution provisoire,
- réservé les dépens.
L'expert a déposé son rapport le 11 octobre 2013 concluant a un déplafonnement du loyer et à une valeur locative de 21.000 euros, le loyer plafonné s'élevant à 15.907,29 euros.
Par un jugement du 14 mars 2014, le tribunal de grande instance de Paris a:
- dit n'y avoir lieu à déplafonnement du loyer,
- fixé à 15.907 euros le montant du loyer annuel en principal du bail renouvelé à compter du 1er octobre 2011,
- condamné M. B. à payer à Mme M. les intérêts au taux légal sur le reliquat des loyers arriérés, à compter du 3 avril 2012,
- ordonné la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1154 du code civil étant précisé que la demande a été formée le 3 avril 2012,
- rejeté les autres demandes,
- ordonné l'exécution provisoire,
- condamné Mme M. aux dépens qui comprendront les frais d'expertise.
Mme M. a relevé appel de ce jugement. Par ses dernières conclusions signifiées par RPVA le 12 août 2014, elle demande à la cour de :
- la recevoir en son appel et l'y déclarer bien fondée,
- infirmer le jugement rendu,
Statuant à nouveau,
- constater la modification notable des facteurs locaux de commercialité intervenue au cours du bail expiré dans la zone de chalandise du commerce exploité par M. B.,
- dire que cette modification notable a eu une incidence favorable sur le commerce de fleuriste.
En conséquence,
- dire que le loyer de renouvellement doit être fixé à la valeur locative sans application de la règle du plafonnement du loyer,
- fixer à la somme de 21.000 euros par an le loyer annuel en principal du bail renouvelé au 1er octobre 2011 aux clauses et conditions du bail expiré,
- dire que les arriérés de loyer porteront intérêts conformément aux dispositions de l'article 1155 du code civil à compter de la date du renouvellement et qu'ils seront capitalisés conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil,
- condamner M. B. au paiement de la somme de 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du CPC ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction, pour ceux la concernant, au profit de la société 2H avocats et ce, conformément aux dispositions de l'article 699 du CPC.
Par ses dernières conclusions signifiées par RPVA le 4 juillet 2014, M. B. demande à la cour de :
A titre principal,
- débouter Mme M. de ses demandes,
- confirmer le jugement en toutes ses dispositions,
A titre subsidiaire,
- juger que si le déplafonnement était admis, la valeur locative des locaux de Mme M. ne saurait excéder la somme de 16.800 euros par an au principal à compter du 1er octobre 2011,
En toute hypothèse,
- dire que les intérêts ne courront qu'à compter du jugement si l'arrêt est confirmatif ou de l'arrêt dans le cas contraire,
- condamner Mme M. au paiement de la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens d'appel avec distraction,
- rejeter les demandes de Mme M..
SUR CE :
Sur la modification des facteurs locaux de commercialité :
L'appelante affirme que les travaux de voirie ont eu une incidence favorable sur l'activité exercée par M. B., que l'augmentation des logements principaux ainsi que la diminution des logements vacants combinées à l'aménagement de la zone de chalandise en quartier piétonnier constituent des éléments objectifs caractérisant des modifications notables des facteurs locaux de commercialité. Elle sollicite, conformément aux remarques de l'expert, que soit prise en compte l'augmentation de la population de la zone de chalandise et l'amélioration du pouvoir d'achat dans l'arrondissement ;
Elle soutient que la concentration de l'activité de fleuriste atteste qu'il existe une réelle demande dans le quartier et que le stationnement ne doit pas être pris en considération, a fortiori si la clientèle est de quartier.
M. B. affirme à l'inverse, comme l'a retenu le tribunal, que l'augmentation de la population et de son pouvoir d'achat dont fait état Mme M. concerne non pas la zone de chalandise mais l'arrondissement tout entier, de sorte que cette donnée n'est pas pertinente pour démontrer une évolution notable des facteurs locaux de commercialité et son impact sur le commerce considéré. Il soutient par ailleurs cette évolution n'est pas nouvelle car déjà relevée par l'Atelier Parisien de l'Urbanisme (APUR) pour la période de 1982-1999. Ainsi l'augmentation de logements n'est selon lui pas significative dès lors que la population n'a pas augmenté corrélativement. Il considère qu'aucune indication concernant le nombre d'habitants dans la zone d'attraction d'un rayon de 400m n'est fournie et que l'interdiction de la circulation automobile n'ayant jamais été mise en application par la Préfecture de Police de Paris, le quartier n'a jamais été transformé en secteur piétonnier.
Il conteste donc le déplafonnement invoqué par la bailleresse au motif que l'augmentation de son chiffre d'affaires n'est pas un des critères mentionnés à l'article L.145-33 du code de commerce ;
Ceci étant exposé, il ressort de l'article L 145-34 du code de commerce que le loyer du bail renouvelé est soumis à la règle du plafonnement à moins d'une modification notable de l'un des éléments mentionnés aux 1° et 4° de l'article L 145-33, à savoir une modification notable des caractéristiques du local considéré ou des facteurs locaux de commercialité, auquel cas la règle du plafonnement est écartée et le montant du loyer du bail renouvelé fixé à la valeur locative ;
Encore faut-il, en cas de modification notable des facteurs locaux de commercialité, que celle-ci soit de nature à avoir une incidence favorable sur l'activité exercée ;
Aux termes de l'article R 145-6 du code de commerce, les facteurs locaux de commercialité dépendent principalement de l'intérêt que présente, pour le commerce considéré, l'importance de la ville, du quartier ou de la rue où il est situé, du lieu de son implantation, de la répartition des différentes activités dans le voisinage, des moyens de transport, de l'attrait particulier ou des sujétions que peut présenter l'emplacement pour l'activité considérée et des modifications que ces éléments subissent d'une manière durable ou provisoire ;
Pour que l'évolution des facteurs locaux soit retenue, il faut en outre qu'il y ait eu un changement concret des éléments qui constituent la commercialité de l'emplacement et non une simple évolution naturelle des choses et que la modification des facteurs locaux ait eu concrètement un effet sur l'activité considérée ou avoir dû en avoir, de nature à créer un flux de chalands supplémentaires ;
Pour conclure au déplafonnement en raison d'une modification notable des facteurs locaux de commercialité au cours du bail échu, soit entre le 1er janvier 2002 et le 30 septembre 2011 et fixer la valeur locative à 21.000 euros par an au 1er octobre 2011, l'expert Mme B. s'est fondée sur différents éléments que le tribunal a écarté :
- l'emplacement du commerce sous expertise dans le meilleur tronçon, au plan commercial, de la rue du faubourg Saint-Denis ;
- l'élargissement des trottoirs de 2,60m à 4,20m entre les numéros 1 à [...] (le commerce considéré se trouve au numéro 35) avec un achèvement des travaux au 25 janvier 2002, soit pendant la période considérée,
- l'élargissement des trottoirs dans deux rues voisines en 2002 et en 2006 (soit toujours dans la période du bail échu) ayant, comme le relève l'expert, changé la physionomie du secteur en opérant un rééquilibrage entre la voirie et les trottoirs pour favoriser la circulation des piétons, ce qui a amélioré l'accès à la zone de chalandise et fait, s'agissant de la [...], de cette partie de la rue un espace plus accueillant pour le chaland,
- l'augmentation de 30% des catégories socioprofessionnelles disposant d'un meilleur pouvoir d'achat entre 1999 et 2009, ce que l'expert a estimé favorable à l'activité de fleuriste exercée par le locataire,
-le fait qu'il y ait eu 30 496 logements de plus dans l'arrondissement toutes catégories confondues entre 1999 et 2009,
-le fait qu'entre 2002 et 2011, la fréquentation des stations de métro desservant les lieux ait augmenté, s'agissant de la station Château d'Eau, de 21,9% (cette station est à 270 mètres du commerce) quand la fréquentation de la station Strasbourg Saint-Denis, située à 340 mètres du commerce, n'a chuté que de 0,8% ;
L'expert a également relevé que le chiffre d'affaires de M. B. avait augmenté de 48,30% entre 2002 et 2011, ce qui, outre les qualités professionnelles du locataire, montrait que l'évolution des facteurs avait été favorable à l'activité exercée ;
Pour écarter la modification notable des facteurs locaux de commercialité, le tribunal a pour l'essentiel estimé que les éléments relevés par l'expert, notamment ceux ayant trait aux aménagements de la voirie, n'avaient fait qu'accroître le caractère captif de la clientèle de M. B., s'agissant d'un quartier peu touristique (le fait d'avoir notamment supprimé des places de stationnement empêchant la clientèle de passage de venir dans le commerce) ;
L'argument soutenu par la bailleresse selon lequel le quartier serait quasiment devenu piétonnier, favorisant ainsi la chalandise, ne saurait prospérer dès lors que la mise en place d'une 'voie marché', comme l'a relevé l'expert lui-même, ne peut être prise en compte puisqu'elle remonte à l'année 2000, soit antérieurement au bail précédent ;
Le tribunal a estimé également que les chiffres relatifs à la population ou à l'évolution de sa composition ne pouvaient être pris en compte puisque l'arrondissement était hétérogène et que la population située dans le secteur du Canal Saint-Martin (éloigné de 1,7 km) était différente de celle vivant près du commerce considéré ;
Il apparaît en effet que l'expert, non plus que la bailleresse, à laquelle incombe la charge de la preuve, n'apportent pas d'élément d'appréciation quant à l'évolution du nombre et de la catégorie socio-professionnelle de la population dans la zone de chalandise pouvant être retenue dans un rayon de 400 mètres autour du commerce considéré, alors même que l'expert relève elle-même que les commerces se trouvant près de celui de M. B. sont notamment constitués de kébabs, le locataire rappelant à juste titre que c'est plutôt la population logée près du Canal Saint-Martin que celle de la [...] qui a connu un accroissement en terme de pouvoir d'achat comme l'établissent les prix moyens des logements au m2 dans ce secteur d'une part et dans celui où est situé le commerce sous expertise d'autre part ;
Le tribunal a en outre souligné qu'il y avait de nombreux fleuristes dans le secteur (d'où une concurrence accrue) et que le chiffre d'affaires en hausse du locataire ne pouvait constituer qu'un élément de recoupement de cette évolution, l'augmentation du chiffre d'affaires du preneur ne relevant en effet pas des éléments mentionnés aux 1° et 4° de l'article L 145-33 du code de commerce ;
Enfin, c'est également à juste titre que le tribunal a estimé que les chiffres contradictoires de la fréquentation des deux stations de métro s'annulaient et n'étaient pas révélateurs, et ce d'autant que la station de métro la plus proche du commerce a connu pour sa part une baisse de fréquentation ;
C'est donc tout à la fois l'absence de modification notable des facteurs locaux de commercialité que le tribunal a retenu à juste titre mais également l'absence d'incidence favorable de ces facteurs sur l'activité considérée, la bailleresse échouant à établir la réalité de ces deux éléments ;
Il s'infère de ces éléments que le jugement sera confirmé en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à déplafonnement du loyer, fixé à 15.907 euros le montant du loyer annuel en principal du bail renouvelé à compter du 1er octobre 2011, ce qui constitue le montant du loyer plafonné, condamné M. B. à payer à Mme M. les intérêts au taux légal sur le reliquat des loyers arriérés, à compter du 3 avril 2012, ordonné la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1154 du code civil étant précisé que la demande a été formée le 3 avril 2012, rejeté les autres demandes et condamné Mme M. aux dépens comprenant les frais d'expertise ;
La bailleresse verra également ses autres demandes rejetées, puisqu'elle échoue à établir une modification notable des facteurs locaux de commercialité ayant eu une influence sur le commerce considéré entre le 1er janvier 2002 et le 30 septembre 2011 ;
Succombant en appel, elle en supportera les dépens et devra verser à M. B. une indemnité de 3000 euros au titre des frais irrépétibles en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Condamne Mme Elise M. épouse C. à verser à M. Salah B. une indemnité de 3000 euros au titre des frais irrépétibles en cause d'appel,
La condamne aux entiers dépens qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.