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Décisions

CA Aix-en-Provence, 11e ch. a, 15 septembre 2015, n° 13/20128

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Infirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme BEBON

Conseillers :

Mme BRUEL, Mme PEREZ

TGI Nice, du 16 sept. 2013

16 septembre 2013

Au terme d'un partage successoral des biens ayant appartenu à Marie-Hélène de la G., décédée le 11 mai 1969 et propriétaire notamment d'un immeuble situé [...], les trois enfants se sont vus attribuer en nue-propriété différents lots, leur père, Michel de B. en conservant l'usufruit et au terme de l'acte de partage, se voyant confier un pouvoir de gestion afin de consentir tous baux notamment commerciaux.

Le 17 octobre 1997, celui-ci a consenti deux baux commerciaux à la SARL J., pour une durée de 9 ans, à échéance du 16 octobre 2006, portant respectivement sur le lot nº 28 appartenant en nue propriété à Anne de B. épouse M. de la B. et les lots nº 20 et 27 appartenant en nue propriété à Hélène de B. épouse N..

Des dissensions importantes s'étant révélées au sein de la famille, les nus propriétaires ont informé la SARL J., par lettre du 12 février 2002, qu'elles avaient, le 18 janvier 2002, résilié tout pouvoir de gestion à leur père.

Pour ces mêmes raisons, une ordonnance de référé datée du 15 avril 2004 a désigné Me Thierry C. en qualité de mandataire commun des nus propriétaires et de l'usufruitier de l'immeuble du [...] en application de l'article 23 de la loi du 10 juillet 1965.

Par actes extrajudiciaires du 27 septembre 2007, la société J. a signifié à Me Thierry C. en qualité de mandataire commun, une demande de renouvellement des baux commerciaux en application de l'article L. 145-10 du code de commerce.

Au terme d'une opération de transmission universelle de Patrimoine en date du 31 octobre 2008, la société ETAM est venue aux droits de la société J. et, en décembre 2009, a saisi le tribunal de grande instance de Nice aux fins de constatation du renouvellement effectif des baux à effet du 30 septembre 2007 aux clauses et conditions des baux expirés.

Par jugement réputé contradictoire du 16 septembre 2013, la juridiction a fait droit à la demande, considérant que l'absence de contestation par Me C. des significations tendant au renouvellement des baux, constituait l'existence d'un mandat apparent et a condamné Monsieur Arnaud M. de la B. et Madame Hélène de B. épouse N. au paiement de la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Monsieur Arnaud M. de la B., propriétaire du lot 28 selon donation partage du 28 juin 2011, et Mme Hélène de B. épouse N. ont interjeté appel du jugement et concluent à sa réformation.

Par actes d'huissier des 10 et 15 janvier 2014, ils ont fait assigner M. Michel de B. et Me C..

Par conclusions notifiées le 8 avril 2015, Madame Anne de B. épouse de la B. est intervenue volontairement, venant aux droits de sa soeur Madame Hélène de B. épouse N..

Par conclusions notifiées le 8 avril 2015, Monsieur Arnaud M. de la B. et Madame Anne de B. épouse de la B. concluent à la réformation du jugement et statuant à nouveau, à l'inopposabilité des demandes de renouvellement de bail commercial et en conséquence, au débouté de Monsieur Michel B. et de la société ETAM de leurs demandes et à la condamnation de cette dernière au paiement de la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Ils font valoir notamment que :

- Me C. n'est mandataire commun des lots dont s'agit que dans le strict cadre des assemblées générales de copropriété, celui-ci ayant été désigné uniquement pour représenter les nus propriétaires et usufruitier aux assemblées de copropriété, considérant que la société ETAM ne pouvait se méprendre sur la portée de l'ordonnance du 15 avril 2004 ;

- seuls les nus propriétaires et usufruitier avaient qualité pour se voir notifier la demande de renouvellement des baux commerciaux ;

- l'existence d'un mandat ne saurait résulter de ce que Me C. a reçu à tort deux demandes de renouvellement des baux et de ce que l'expéditeur s'est trompé de destinataire ;

- il n'existe aucune preuve de ce que la locataire était en rapport avec Me C. ;

- la transmission d'un acte à un tiers ne peut suppléer la notification de la demande de renouvellement au bon destinataire ;

- les baux sont venus à expiration le 16 octobre 2006, sans qu'il y ait eu dénonciation ou demande de renouvellement de ceux-ci.

Par conclusions notifiées le 26 mai 2015, la SASU ETAM Lingerie conclut à la confirmation du jugement et demande que soit ordonnée l'exécution provisoire.

Elle rappelle que :

- à la date d'expiration des baux le 17 octobre 2006, ceux-ci se sont poursuivis par tacite reconduction, en application de l'article L. 145-9 alinéa 2 du Code de commerce, l'action des bailleurs étant prescrite en application de l'article L. 145-60 du Code de commerce;

- aux termes des contrats de bail commercial, les nues propriétaires avaient donné mandat à leur père de les représenter et qu'il était légitime que la société J. ne les ait pas rendues destinataires des demandes de renouvellement de ses baux;

- le mandant peut être engagé sur le fondement du mandat apparent si la croyance du tiers à l'étendue des pouvoirs du mandataire est légitime, ce caractère supposant que les circonstances autorisaient les tiers à ne pas vérifier les limites exactes de ses pouvoirs ;

- la légitimité de la croyance s'apprécie au regard de la qualité de la personne à l'origine de l'apparence : la qualité de mandataire et d'administrateur judiciaire de Me C. a pu laisser croire à la société J. l'existence d'un mandat ;

- Me C. a de facto assumé le rôle de mandataire de l'indivision en transmettant la demande de renouvellement des baux aux nues propriétaires et en les invitant à lui communiquer leur position, outre que celui-ci n'a jamais contesté sa qualité de destinataire.

Par acte d'huissier en date du 13 avril 2015, Monsieur Arnaud M. de la B. et Madame Anne de B. épouse de la B. ont fait assigner Maître C. ès qualité de mandataire judiciaire et Monsieur Michel de B. par acte du 5 mai 2015.

Maître C. assigné en application de l'article 556 du code de procédure civile et Monsieur De B., à sa personne, n'ont pas constitué avocat.

MOTIFS DE LA DÉCISION

:

L'intervention de Madame Anne de B. épouse de la B. est recevable.

Par deux actes sous seing privé datés du 17 octobre 1997, Monsieur Michel de B. agissant en qualité d'usufruitier et pour le compte de Madame Hélène de B. épouse N. pour un des deux baux, et de Madame Anne de B. épouse de la B. pour l'autre bail, toutes deux nues-propriétaires, ont consenti à la SARL J., aux droits de laquelle vient la SASU ETAM, la location de locaux constituant les lots numéro 20, 27 et 28, parties d'un plus grand ensemble immobilier situé à [...].

Des dissensions familiales entre nues-propiétaires et usufruitier, illustrées par la demande faite par Madame Anne de B. épouse de la B. à la SARL J. de lui faire tenir la copie du bail que son père, Monsieur de B. refusait de lui transmettre, ont conduit cette dernière et sa soeur, Madame Hélène de B. épouse N., à résilier à la date du 18 janvier 2002, le pouvoir de gestion conféré à leur père dans l'acte de partage successoral, résiliation notifiée à la locataire par lettre du 12 février 2002.

Une ordonnance prononcée le 15 avril 2004 par le juge des référés du tribunal de grande instance de Nice a désigné Maître Thierry C. en application des dispositions de l'article 23 de la loi du 10 juillet 1965, en qualité de mandataire commun des nus propriétaires et de l'usufruitier de l'immeuble du [...] et en qualité d'administrateur commun des nus propriétaires des lots 8, 14, 15, 16, 21, 22, 24, 25, 30 et des lots 52, 53,54 de l'immeuble du [...].

La SARL J. a notifié à Maître C., une demande de renouvellement des deux baux, par actes extra judiciaires du 27 septembre 2007, demandes transmises à chacune des nues propriétaires le 23 novembre 2007.

Présumant de la validité de la signification des demandes de renouvellement du bail, la SASU ETAM, tirant les conséquences de l'abstention des bailleresses à répondre dans le délai de trois mois prévu à l'article L. 145-10 du Code de commerce, considère que les baux, qui se sont poursuivis par tacite reconduction à leur terme le 17 octobre 2006, se sont renouvelés le 30 septembre 2007.

L'intimée considère en effet qu'elle n'avait pas à notifier sa demande de renouvellement des deux baux aux nues propriétaires, au regard de la croyance légitime de l'existence d'un mandat au profit de Maître C., indiquant que celui-ci a toujours été son interlocuteur durant la vie du contrat de bail et que sa qualité de syndic de l'immeuble du [...] confirme encore la croyance légitime en sa qualité de mandataire. Elle ajoute également que cette croyance est accrue au regard de la qualité de la personne à l'origine de l'apparence, la qualité de mandataire et d'administrateur judiciaire de Maître C., professionnel du droit, désigné au surplus par une juridiction, ayant pu légitimement laisser croire à la locataire l'existence d'un mandat.

Il est établi que le mandant peut être engagé sur le fondement du mandat apparent, même en l'absence d'une faute susceptible de lui être reprochée, si la croyance du tiers à l'étendue des pouvoirs du mandataire est légitime, ce caractère supposant que les circonstances autorisaient le tiers à ne pas vérifier les limites exactes de ces pouvoirs.

Alors que la SASU ETAM indique que Maître C. a toujours été son interlocuteur durant la vie du contrat de bail, il n'est produit aucun justificatif de ces relations alléguées, ni simplement d'explication sur la nature des interventions de Maître C. auprès de la SARL J., laquelle ne justifie pas des conditions dans lesquelles elle a pu avoir connaissance de l'ordonnance de référé du 15 avril 2004 par laquelle Maître C. était désigné, aucune notification de ladite ordonnance n'étant produite.

Sans être contestés, les appelants indiquent que les loyers ont toujours été payés à Monsieur de B. sans que n'intervienne Maître C..

Il est constant qu'une procédure judiciaire conduisant à ce que soit ordonnée une expertise confiée à Monsieur T., a été initiée par un des locataires commerciaux de l'immeuble du [...], en vue de déterminer si les travaux effectués par la SARL J. étaient à l'origine des désordres constatés dans les locaux, la remise du rapport intervenant le 6 septembre 2004. Il ressort de ce document que la SARL J. a participé aux opérations d'expertise, ainsi que Monsieur de B., Mesdames Anne de B. épouse de la B. et Hélène de B. épouse N., sans aucune intervention de Maître C..

De fait, les modalités d'intervention de Maître C. auprès de la locataire restent inconnues, de sorte qu'il est difficile de créditer la SASU ETAM d'une croyance légitime dans l'existence d'un mandat de Maître C. quant à la gestion des contrats de bail, celui-ci ne s'étant jamais présenté à elle revêtu de cette qualité.

Enfin, le libellé de l'ordonnance désignant Maître C. est clair en ce que d'une part la qualité d'administrateur commun ne vise pas les lots loués et d'autre part, que celle de mandataire commun des nus propriétaires et de l'usufruitier de l'immeuble du [...] est conférée en application des dispositions de l'article 23 de la loi du 10 juillet 1965 en vue de leur représentation aux assemblées générales de la copropriété.

La SASU ETAM ne peut dans ces conditions se prévaloir d'une situation lui ayant permis de croire légitimement en l'existence d'un mandat conféré à Maître C., l'absence de contestation par lui des significations ne constituant pas l'apparence d'un mandat et le fait que ces demandes soient transmises aux nues propriétaires traduisant bien l'absence de pouvoir de représentation.

En conséquence de quoi, il y a lieu de déclarer inopposable et sans effet les demandes de renouvellement de bail commercial du 27 septembre 2007 signifiées par la SARL J. et de réformer le jugement de première instance en ce qu'il a fait droit à la demande de la SASU ETAM tendant à voir juger que les baux portant sur les lots 20, 27 et 28 de l'immeuble situé à [...], se sont renouvelés à compter du 30 septembre 2007, demande dont elle est déboutée.

La SASU ETAM est condamnée au paiement de la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

:

La Cour,

Statuant publiquement, par décision par défaut, en dernier ressort,

Déclare recevable l'intervention de Madame Anne de B. épouse de la B. ;

Réforme le jugement du tribunal de grande instance de Nice prononcé le 16 septembre 2013 ;

Statuant à nouveau :

Déclare inopposable et sans effet les demandes de renouvellement de bail commercial signifiées le 27 septembre 2007 par la SARL J. à Maître C.;

Déboute la SASU ETAM de sa demande tendant à voir juger que les baux portant sur les lots 20, 27 et 28 de l'immeuble situé à [...], se sont renouvelés à compter du 30 septembre 2007 ;

Y ajoutant :

Condamne la SASU ETAM à payer à Monsieur Arnault M. de la B. et à Madame Anne de B. épouse M. de la B. la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Condamne la SASU ETAM aux entiers dépens d'appel.