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Décisions

Cass. 3e civ., 17 octobre 2012, n° 11-22.920

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Terrier

Rapporteur :

M. Parneix

Avocat général :

M. Laurent-Atthalin

Avocat :

SCP Baraduc et Duhamel

Paris, du 30 juin 2010

30 juin 2010

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 30 juin 2010), que la société Dugong Investissement, propriétaire de locaux commerciaux donnés à bail à M. X..., a délivré à celui-ci un congé avec refus de renouvellement et offre d'une indemnité d'éviction pour le 1er juillet 2001 ; que M. X... ayant saisi le tribunal en fixation du montant de cette indemnité, la bailleresse, par conclusions du 13 septembre 2005, a demandé le paiement d'une indemnité d'occupation ; qu'en appel, elle a sollicité la déchéance du droit du locataire à percevoir une indemnité d'éviction ;

Sur le premier moyen :

Attendu que la société Dugong Investissement fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande en déchéance du droit de M. X... à percevoir une indemnité d'éviction alors, selon le moyen que tout jugement doit être motivé, à peine de nullité ; qu'en l'espèce, pour débouter la société Dugong de sa demande de résiliation judiciaire, la cour d'appel, après avoir relevé que le preneur, avant 2008, avait eu des incidents de paiement réguliers et, après cette date, des retards de paiement des loyers et que le dernier décompte présentait un solde débiteur, s'est bornée à énoncer que "compte tenu des circonstances de l'espèce et des développements sur l'indemnité d'occupation" le manquement n'apparaissait "pas d'une gravité telle qu'il devait être sanctionné" ; qu'en statuant ainsi, par une motivation de pure forme et par un renvoi à des développements qui ne comportent pas plus de motivation sur ce point, sans caractériser en quoi le non-paiement de plus d'une année de loyer ne constituait pas un manquement suffisamment grave, la cour d'appel a privé sa décision de motifs et a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

Mais attendu qu'ayant souverainement retenu, par une décision motivée, que, dans les circonstances de la cause, les retards de paiement de quelques termes d'occupation n'étaient pas d'une gravité telle qu'ils devaient être sanctionnés par la déchéance du droit à indemnité d'éviction, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen :

Attendu que la société Dugong Investissement fait grief à l'arrêt de fixer l'indemnité d'éviction à la somme globale de 81 364,65 euros alors, selon le moyen :

1°/ que les indemnités de remploi, de frais de déménagement et de trouble commercial ne sont dues au locataire que dans la mesure où celui-ci a l'intention de se réinstaller ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a condamné la société Dugong Investissement à payer les sommes de 7 000 euros au titre de l'indemnité de remploi, 2 764,65 euros au titre de l'indemnité pour trouble commercial et 1 600 euros au titre de l'indemnité de déménagement, sans rechercher si M. X..., âgé de 65 ans, qui n'avait pas fait état de sa volonté de reprendre une activité, avait l'intention de se réinstaller ; qu'en omettant de procéder à cette recherche, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 145-14 du code de commerce ;

2°/ que la société Dugong Investissement faisait valoir que M. X... avait refusé de communiquer à l'expert, au tribunal, puis à la cour d'appel, les éléments comptables nécessaires à l'appréciation de la valeur de son activité, ces éléments étant essentiels pour l'évaluation de l'indemnité d'éviction éventuellement due ; que pour fixer l'indemnité principale d'éviction à la somme de 70 000 euros, la cour d'appel s'est bornée à énoncer que cette indemnité avait été justement évaluée par le tribunal, lequel avait repris les seuls éléments comptables produits par M. X..., sans déjà répondre aux conclusions de la société Dugong Investissement qui rappelait que cette production partielle de documents était insuffisante ; qu'en statuant ainsi, sans répondre aux conclusions dont elle était saisie, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

Mais attendu, d'une part, que la bailleresse n'ayant pas soutenu dans ses conclusions que le locataire ne rapportait pas la preuve de son intention de se réinstaller, le moyen, mélangé de fait et de droit est, de ce chef, nouveau ;

Et attendu, d'autre part, qu'ayant relevé, par motifs propres et adoptés, que le fonds de commerce n'avait qu'une faible rentabilité et que sa valeur marchande devait être appréciée en fonction de la valeur du droit au bail, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à une recherche sur les éléments comptables que ses constatations rendaient inopérante, a souverainement fixé le montant de l'indemnité d'éviction à allouer au locataire ;

D'où il suit que le moyen, pour partie irrecevable, n'est pas fondé pour le surplus ;

Mais sur le troisième moyen :

Vu les articles L. 145-28 et L. 145- 60 du code de commerce ;

Attendu que toutes les actions relatives au bail commercial se prescrivent par deux ans ; qu'aucun locataire pouvant prétendre à une indemnité d'éviction ne peut être obligé de quitter les lieux avant de l'avoir reçue ; que, jusqu'au paiement de cette indemnité, il a droit au maintien dans les lieux aux conditions et clauses du contrat de bail expiré ; que, toutefois, l'indemnité d'occupation est déterminée conformément aux dispositions des sections VI et VII, compte tenu de tous éléments d'appréciation ;

Attendu que pour déclarer prescrite l'action en fixation de l'indemnité d'occupation, l'arrêt retient que la bailleresse n'est pas fondée à soutenir que le point de départ de la prescription de l'action en paiement des indemnités d'occupation est différé en cas de contestation du droit à une indemnité d'éviction alors, d'une part, que son congé avec refus de renouvellement était délivré avec offre d'une indemnité d'éviction, ce droit à une indemnité d'éviction ayant été contesté seulement devant la cour au regard des manquements allégués du locataire au paiement régulier des termes d'occupation et alors, d'autre part, et en tout état de cause, que l'article L. 145-60 du code de commerce ne subordonne pas la prescription de deux ans qu'il édicte à la condition que le droit du preneur à indemnité d'éviction soit contesté ;

Qu'en statuant ainsi, alors que le délai de prescription de l'action en paiement de l'indemnité d'occupation fondée sur l'article L. 145-28 du code de commerce ne peut commencer à courir avant le jour où est définitivement consacré, dans son principe, le droit du locataire au bénéfice d'une indemnité d'éviction, la cour d'appel, qui a elle-même statué sur la contestation du droit à indemnité d'éviction soulevée par la société Dugong Investissement, a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a déclaré prescrite l'action de la société Dugong Investissement en paiement d'une indemnité d'occupation, l'arrêt rendu le 30 juin 2010, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.