CA Rennes, 9e ch., 26 avril 2017, n° 15/04506
RENNES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Société de Gestion des Fonds d’Investissement de Bretagne (SAS)
Défendeur :
URSSAF de Bretagne
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Lerner
Conseillers :
M. Pedron, Mme Le Quellec
FAITS ET PROCEDURE :
Les faits de la cause ayant été correctement rapportés par le tribunal dans son jugement au contenu duquel la cour entend se référer pour un plus ample exposé, il suffit de rappeler qu'à la suite d'un contrôle portant sur la comptabilité des années 2008 à 2010, l'URSSAF du Morbihan, aux droits de laquelle vient l'URSSAF de Bretagne (l'URSSAF), a notifié à la société de gestion des fonds d'investissements de Bretagne (la société) un redressement (suivi d'une mise en demeure) relatif notamment à la réintégration dans l'assiette des cotisations sociales d'une indemnité transactionnelle faisant suite à la cessation des fonctions de mandataire social de M. A. ; que la société a saisi d'un recours le tribunal des affaires de sécurité sociale du Morbihan.
Par jugement du 18 mai 2015, le tribunal a débouté la société de ses demandes et l'a condamnée à verser à l'URSSAF le solde des sommes dues au titre du contrôle, soit 54.434,20 euros (50.249 euros de cotisations, 4.137 euros de majorations de retard et 48,20 euros de frais avancés par l'URSSAF), sous réserve des majorations de retard complémentaires, aux motifs essentiels que:
-il ressort de la combinaison des articles L.242-1 dernier alinéa et L.136 II 5° bis du Code de la sécurité sociale que le régime social des indemnités versées à l'occasion de la cessation de leurs fonctions aux mandataires sociaux, aux dirigeants, ainsi qu'aux personnes visées à l'article 80 Ter du Code général des impôts diffère selon que cette cessation revêt ou non un caractère forcé ; il est par ailleurs constant que le juge est tenu de chercher si la somme versée dans le cadre d'une transaction n'englobe pas des éléments de rémunération soumis à cotisations quelle que soit la qualification retenue par les parties.
-si des relations tendues ont existé au sujet de la gouvernance de la société de gestion, notamment dans les jours précédents l'assemblée générale, entre les deux autres associés de la société et M. A. qui souhaitait être renouvelé dans son mandat de directeur général, ce dernier ne disposait cependant pas en sa qualité d'associé, d'un droit acquis au renouvellement de son mandat social arrivé à expiration le 31 décembre 2008, l'assemblée générale de la société étant parfaitement fondée à ne pas lui accorder un nouveau mandat ; le caractère forcé de la cessation des fonctions de M. A. n'est dès lors pas démontré.
-si la société a accepté de verser une somme forfaitaire transactionnelle et définitive de 125 000 euros en contrepartie du préjudice moral allégué par M. A., il ne peut s'agir d'une indemnité non soumise à cotisations dans la mesure où il n'existe aucun préjudice en lien avec cette décision.
La société a interjeté appel de ce jugement le 09 juin 2015.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES:
Par ses écritures, auxquelles s'est référé et qu a développées son avocat lors des débats, la Société appelante, demande à la cour, par voie d'infirmation du jugement déféré, d'annuler le redressement portant sur l'assujettissement de l'indemnité transactionnelle et de condamner l'URSSAF à lui verser la somme de 3 500 € au titre des frais irrépétibles.
Elle fait valoir pour l'essentiel que:
-la révocation du mandat de directeur général de M. A. contre l'avis de ce dernier, liée à un différend quant aux visions des décisions stratégiques et aux orientations à donner à la société, est intervenue à un moment ou ce mandat arrivait à échéance ; la veille de l'assemblée générale du 30 décembre 2008, M. A. a écrit à la société pour contester le non renouvellement de son mandat, considérant qu'il s'agissait en réalité d'une révocation déguisée pour laquelle il réclamerait des dommages-intérêts.
-M. A. a voté le 30 décembre 2008 contre le non-renouvellement de son mandat.
-suite à la perte de son mandat, M. A., outre la cession de ses parts sociales, a sollicité une indemnisation du préjudice moral lié à son éviction brutale et vexatoire ; suite à négociations, une transation a été signée le 11 décembre 2009 portant notamment sur l'indemnisation de ce préjudice invoqué à hauteur de 125 000 €.
-l'absence de révocation formelle n'exclut pas la cessation forcée.
-les circonstances de fait établissent une cessation forcée du mandat de M. A. ouvrant droit à exonération de cotisations puisque le non renouvellement de son mandat lui a été imposé comme ne résultant pas de sa volonté ou de son accord.
-le caractère forcé de la cessation du mandat s'apprécie du point de vue du mandataire dont le mandat a été retiré.
-la concomittance du différend entre associés et la fin du mandat de M. A. explique seule l'absence de mise en oeuvre d'une révocation qui serait autrement intervenue.
-la circulaire ACOSS du 25 janvier 2001, purement interpretative ne peut lui être opposée.
-les juridictions retiennent que le non-renouvellement d'un mandat peut donner lieu à l'allocation de dommages-intérêts si les circonstances qui l'entourent révèlent des conditions humiliantes ou vexatoires (Cass. Com. 17 décembre 2002; n°98-21918).
-M. A. s'est considéré comme brutalement et illégitimement évincé, indiquant son intention de saisir les juridictions en réparation du préjudice moral qu'il invoquait, alors que sa demande pouvait aboutir au regard de la jurisprudence.
-l'indemnité versée en application du protocle transactionnel revêt un caractère de dommages-intérêts dont l'objet est de réparer le préjudice lié à la cessation non volontaire et forcée du mandat de M. A..
Par ses écritures, auxquelles s'est référé et qu'a développées son mandataire lors des débats, l'URSSAF de Bretagne, intimée, conclut à la confirmation du jugement déféré, au débouté de la société en ses demandes et à la condamnation de celle-ci à lui payer la somme de 1 500 € au titre des frais irrépétibles, faisant siens les motifs des premiers juges, tout en précisant notamment que:
-la cessation forcée des fonctions ouvrant droit à exonération doit s'entendre strictement; la cessation des fonctions d'un mandataire social résultant de l' arrivée du terme prévu lors de la nomination et du non-renouvellement du mandat ne peut pas être analysée comme une cessation forcée.
-le départ forcé de M. A. n'est pas établi, le mandat arrivé à échéance n'ayant tout simplement pas été renouvelé ; le PV de délibération de l'AG du 31 décembre 2008 ne fait nullement état d'un différend et le protocole d'accord transactionnel du 11 décembre 2009 prévoit expressément que la transaction n'emporte en aucune façon reconnaissance de la part de l'une ou l'autre des parties des prétentions adverses.
SUR QUOI, LA COUR,
Considérant qu'il résulte des dispositions combinées des articles L 242-1dernier alinéa et L.136 II 5° bis du Code de la sécurité sociale applicables qu'est exclue, dans certaines limites, de l'assiette des cotisations et contributions de sécurité sociale, la part des indemnités versées à l'occasion de la cessation forcée des fonctions de mandataires sociaux, dirigeants, et personnes visées à l'article 80 Ter du Code général des impôts.
Qu'en l'espèce, par décision de l'assemblée générale Mixte ordinaire annuelle du 31 décembre 2008 (pièce n°6 des productions de l'appelante), le mandat de Directeur Général de M. Laurent A. n'a pas été renouvelé, et ce par résolution « adoptée à 170 000 voix des associés présents, contre 30 000 voix (celles de M. A.) qui votent contre ».
Que la cessation des fonctions de mandataire social de M. A., quand bien même celui-ci souhaitait et entendait être reconduit dans celles-ci, trouve sa cause dans l'arrivée du terme du mandat dont les associés, et notamment M. A., avaient librement et consciemment préalablement convenu, ce dernier n'ayant aucun droit à être renouvelé dans des fonctions prenant par principe fin à l'échéance du terme.
Que dans ces conditions, le caractère forcé de la cessation des fonctions de M. A. n'est dès lors pas prouvé, peu important qu'un différend sur les orientations à donner à la société ait existé entre M. A. et ses autres associés et que les relations aient été tendues entre ceux-ci dans les jours précédents l'assemblée générale.
Considérant qu'en cas de versement d'une indemnité transactionnelle, il appartient au juge de rechercher si, quelle que soit la qualification retenue par les parties, elle correspond à des éléments à caractère indemnitaire exclus de l'assiette de cotisations sociales ou si cette somme correspond à, ou inclut, des éléments de rémunération soumis à cotisations.
Que pour justifier du caractère indemnitaire de la somme de 125 000 € allouée à M. A., la société se prévaut notamment du courrier de ce dernier du 30 décembre 2008 (pièce n°5 de ses productions) dans lequel il indiquait: « A la veille de notre assemblée générale, je réalise avec stupéfaction que vous avez Gaétan et toi l'intention de m'évincer brutalement de la société que j'ai largement contribué à créer avec toi en 2004 en ne renouvelant pas mon mandat de Directeur Général de FIS comme c'était naturellement prévu.
Dans le cas ou cette intention se confirmerait, je te précise par avance les points suivants:
- que je considérerai qu'en fait vous me révoquez de mon mandat et que je réclamerai des dommages et intérêts significatifs pour me dédommager de ce fait; (...) »
Que le protocole d'accord transactionnel du 11 décembre 2009 (pièce n°7 des productions de l'appelante) précise, en sus des modalités de rachat des parts de M. A.: « (') Il a été préalablement rappelé ce qui suit : (') M. A. (') a expliqué qu'il subissait un préjudice moral certain notamment du fait de son éviction de ses fonctions au sein de la Société qu'il a considéré comme brutale et vexatoire, et a donc fait valoir qu'il entendait saisir la juridiction compétente pour obtenir des dommages et intérêts en réparation du préjudice moral ainsi subi (') Il a été convenu ce qui suit : (...)
Paiement au titre du préjudice moral allégué de Monsieur A.
En contrepartie de la renonciation mentionnée à l'Article 2.2, la Société, tout en maintenant sa position sur le caractère illégitime des demandes de Monsieur A. eu égard à son éviction de la Société, consent néanmoins à titre exceptionnel, à prendre en considération le préjudice moral allégué par celui-ci et accepte, en conséquence, de lui verser la somme forfaitaire transactionnelle et définitive d'un montant de cent vingt cinq mille (125,000) euros.
Les Parties conviennent que le paiement de cette somme sera réalisée par la Société. en quatre (4) versements » intervenant tous en 2010.
Que cependant la société, au delà de ses affirmations et du ressenti exprimé par M. A., n'établit pas par ces deux pièces, ni par aucune autre de ses productions, que les circonstances entourant le non-renouvellement du mandat de M. A. révélaient des conditions abusives, précipitées, brutales, humiliantes ou vexatoires ; que notamment elle ne verse aucune pièce établissant qu'un renouvellement du mandat de M. A. avait été prévu entre les associés antérieurement à l'échéance du terme ; qu'il résulte par ailleurs du rappel chronologique des faits figurant au protocole d'accord que les divergences entre les associés quant à la gouvernance de la société de gestion remontaient à mars 2008, sans qu'elles aient cependant entrainé par elles-même de répercussions conséquentes.
Qu'au contraire, il résulte des termes mêmes du protocole transactionnel que la société écartait tout préjudice résultant pour M. A. des conditions du non-renouvellement de son mandat («tout en maintenant sa position sur le caractère illégitime des demandes de Monsieur A. eu égard à son éviction de la Société,» ) parlant de «préjudice moral allégué», le rappel préalable figurant au protocole précisant d'ailleurs que les dirigeants de la société ont «contesté le préjudice moral allégué par M. A., concernant les circonstances dans lesquelles il a été mis fin à ses fonctions de dirigeant, qu'ils considèrent comme étant parfaitement justifiées» (pièce n°7, page 2 des productions de l'appelante).
Que la société échouant à établir le caractère indemnitaire de la somme de 125 000 € allouée à titre transactionnel à M. A., c'est à juste titre que les premiers juges ont retenu que la somme litigieuse qui n'avait pas le caractère de dommages-intérêts devait être réintégrée dans l'assiette des cotisations et contributions de sécurité sociale.
Considérant qu'il n'apparait pas inéquitable de laisser à l'URSSAF la charge des frais irrépétibles qu'elle a exposés.
Que la procédure étant gratuite et sans frais par l'effet des dispositions de l'article R 144-10 du code de la sécurité sociale, il ne saurait y avoir de condamnation aux dépens.
PAR CES MOTIFS :
LA COUR, statuant contradictoirement, par arrêt mis à disposition au greffe,
CONFIRME le jugement déféré,
DEBOUTE la société de gestion des fonds d'investissements de Bretagne de sa demande au titre des frais irrépétibles.
DEBOUTE l'URSSAF de Bretagne de sa demande au titre des frais irrépétibles.
DISPENSE la société de gestion des fonds d'investissements de Bretagne du paiement du droit prévu par l'article R. 144-10 du code de la sécurité sociale.