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Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 3, 6 décembre 2017, n° 17/08019

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Etam Lingerie (SA)

Défendeur :

SCI MAC 74

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Roy-Zenati

Conseillers :

Mme Grivel, Mme Quentin De Gromard

TGI Paris, du 30 mars 2017, n° 17/52410

30 mars 2017

Par acte sous seing privé du 8 décembre 1999, la sci Mac 74 a donné à bail à la société PJM, aux droits de laquelle vient la société Etam lingerie, des locaux à usage commercial situés au [...]. Par acte d'huissier du 9 décembre 2013, la société Mac 74 a refusé la demande de renouvellement du bail signifiée le 25 septembre 2013 par la société Etam lingerie, en offrant une indemnité d'éviction.

Par assignation du 22 septembre 2015, la société Etam Lingerie a fait citer la bailleresse devant le tribunal de grande instance de Paris afin d'obtenir sa condamnation au paiement de la somme de 815 000 euros à titre d'indemnité d'éviction, outre les frais de réinstallation, les pertes de stock et les indemnités de licenciement venant en sus, et subsidiairement la désignation d'un expert aux fins de cette fixation. Par acte d'huissier du 21 juin 2016, la société Mac 74 a signifié à la locataire qu'elle acceptait le montant de l'indemnité d'éviction de 815 000 euros, outre éventuellement les frais de réinstallation, les pertes de stock et les indemnités de licenciement qui viendraient en sus sur justification lors du transfert de la locataire, puis lui a fait sommation de lui indiquer si elle était d'accord pour la désignation d'un séquestre amiable, qui a été refusé.

Par ordonnance du 5 janvier 2017, rendue sur requête de la société Mac 74, le président du tribunal de grande instance de Paris a désigné comme séquestre juridique l'Ordre des avocats du Barreau de Paris afin que la bailleresse puisse y déposer l'indemnité d'éviction d'un montant de 815 000 euros conformément à l'article L.145-29 du code de commerce. Le 19 janvier 2017, la société Mac 74 a notifié à la locataire le versement de l'indemnité d'éviction entre les mains du séquestre et l'a mise en demeure de quitter les lieux dans le délai de trois mois.

Le 15 février 2017, la société Etam lingerie a assigné à jour fixe la société Mac 74 afin de voir rétracter l'ordonnance sur requête du 5 janvier 2017.

Par ordonnance rendue en référé et non 'en la forme des référés' en date du 30 mars 2017, le président du tribunal de grande instance de Paris a :

- déclaré non fondée la demande de rétractation de l'ordonnance rendue le 5 janvier 2017 à la requête de la société Mac 74 ;

- débouté en conséquence la société Etam Lingerie de ses demandes ;

- rappelé que l'exécution provisoire est de droit ;

- dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouté les parties de leurs demandes à ce titre ;

- condamné la société Etam Lingerie aux dépens.

Par déclaration d'appel du 13 avril 2017, la SA Etam lingerie a interjeté appel de cette ordonnance.

Par conclusions transmises le 30 octobre 2017, elle demande à la cour, sur le fondement des articles L.145-14 et L.145-28 et suivants du code de commerce, de :

- infirmer l'ordonnance rendue le 30 mars 2017 en toutes ses dispositions ;

- rétracter l'ordonnance sur requête rendue le 5 janvier 2017 par le président du tribunal de grande instance de Paris ;

- débouter la société Mac 74 de toutes prétentions et demandes ;

- condamner la société Mac 74 à lui régler la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société Mac 74 en tous les dépens de première instance et d'appel dont le recouvrement sera poursuivi par Maître Laurence T.-B. conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Elle fait valoir :

- que certains postes de l'indemnité d'éviction n'ont pas fait l'objet d'un accord entre les parties et que dès lors, seul le juge du fond pouvait la fixer et désigner un séquestre pour recueillir la consignation de l'intégralité de l'indemnité, en l'absence d'accord de sa part ;

- qu'en effet, aux termes de l'article L.145-14 du code de commerce, ce n'est pas l'indemnité d'éviction mais la valeur du fonds qui se trouve augmentée des frais accessoires, et que l'indemnité d'éviction constitue donc un tout indivisible qu'il appartient au tribunal de fixer ; qu'ainsi, la société Mac 74 ne peut soutenir que la somme de 815 000 euros couvrirait la totalité de l'indemnité d'éviction alors qu'il n'existe aucun accord des parties sur le montant des indemnités accessoires ;

- que le juge de la rétractation s'est substitué au juge du fond en retenant l'existence d'un accord des parties sur le montant de l'indemnité d'éviction et en estimant que les postes de l'indemnité d'éviction revendiqués non chiffrés ne pouvaient l'être qu'après réinstallation du locataire ;

- que la mesure de séquestre prévue par l'article L.145-29 du code de commerce ne constitue qu'une conséquence de la fixation de l'indemnité d'éviction et ne peut s'y substituer ; que le juge des référés a outrepassé ses pouvoirs, l'indemnité n'ayant été fixée ni par accord ni par le juge du fond ;

- que le séquestre ne peut être désigné que pour recueillir la consignation de l'intégralité de l'indemnité d'éviction et non uniquement de certaines de ses composantes ; que cela permettrait sinon au bailleur de contraindre le preneur à quitter les lieux alors qu'il n'a pas été réglé en totalité de l'indemnité d'éviction, ce qui contreviendrait aux dispositions de l'article L.145-28 du code de commerce, alors que seul le versement de l'indemnité d'éviction dans sa totalité fait courir le délai laissé au locataire pour libérer les lieux et sert de point de départ à la pénalité de retard de 1% par jour prévue à l'article L145-30 du code de commerce.

Par conclusions transmises le 31 octobre 2017, la SCI Mac 74 demande à la cour, sur le fondement des articles 91, 492-1 et 546 du code de procédure civile, des articles L.145-14 et L.145-29 du code de commerce, ainsi que de l'article 2052 du code civil, de :

à titre principal,

- dire et juger irrecevable la société Etam lingerie en sa demande de rétractation de l'ordonnance du 5 janvier 2017, faute d'intérêt à agir ;

- la condamner au paiement de la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

à titre subsidiaire,

- dire et juger la société Etam lingerie mal fondée en son appel ;

en conséquence,

- confirmer l'ordonnance rendue le 30 mars 2017 en toutes ses dispositions ;

en toute hypothèse,

- condamner la société Etam lingerie au paiement de la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de Maître E. en application de l'article 699 du code de procédure civile.

Elle fait valoir :

- que la société Etam lingerie a restitué les locaux le 28 avril 2017 et que l'indemnité d'éviction lui a été versée, si bien qu'elle n'a pas intérêt, au sens des articles 31 et 546 du code de procédure civile, à maintenir son appel visant à rétracter une ordonnance ayant autorisé la mise sous séquestre, l'intérêt ne pouvant résider dans le fait qu'elle estime ne pas avoir perçu l'intégralité de ce qui lui est dû ;

- qu'en tout état de cause, le juge qui a accueilli favorablement une requête ne peut la modifier ou la rétracter qu'à la condition qu'un fait nouveau le justifie et que l'appelante n'a apporté aucun élément nouveau justifiant sa demande de rétractation ;

- que, conformément à l'article L.145-29 du code de commerce, en l'absence d'accord des parties sur la désignation d'un séquestre, il est possible de recourir à un séquestre judiciaire sur requête, dès lors que le montant de l'indemnité d'éviction est connu et que tel était le cas en l'espèce, puisqu'il y a eu un accord irrévocable des parties sur le montant de l'indemnité d'éviction, mais défaut d'accord des parties sur la désignation d'un séquestre et absence de jugement en ayant désigné un ;

- que les indemnités accessoires ne correspondent pas à l'indemnité d'éviction mais à des frais qui doivent le cas échéant être remboursés au preneur et viennent s'y ajouter, conformément aux termes de l'article L.145-14 du code de commerce.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions transmises et développées lors de l'audience des débats.

MOTIFS

Considérant qu'aux termes de l'article 561 du code de procédure civile, l'appel remet la chose jugée en question devant la juridiction d'appel pour qu'il soit à nouveau statué en fait et en droit ; que l'article 546 du même code confère le droit d'appel à toute partie qui y a intérêt, et que cet intérêt doit s'apprécier à la date à laquelle l'appel a été interjeté ; que toute partie qui a été condamnée ou déboutée a intérêt au sens des dispositions précitées à interjeter appel, et le fait que le référé soit devenu sans objet au jour où il est statué ne le rend pas pour autant irrecevable, dès lors qu'il appartient à la juridiction d'appel de déterminer si la demande était justifiée lorsque le premier juge a statué, conformément à l'article 561 susvisé ; que l'appel de la société Etam Lingerie est donc recevable et la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive non fondée ;

Considérant que, conformément aux dispositions de l'article 496 du code de procédure civile, s'il est fait droit à la requête, tout intéressé peut en référer au juge qui a rendu l'ordonnance ; que le juge saisi d'une demande de rétractation d'une ordonnance sur requête est investi des attributions du juge qui l'a rendue et doit, après débat contradictoire, statuer sur les mérites de la requête, en se plaçant au jour où il statue, sans que la procédure exige la survenance d'un élément nouveau ;

Considérant qu'aux termes de l'article L.145-29 du code de commerce, 'en cas d'éviction, les lieux doivent être remis au bailleur à l'expiration d'un délai de trois mois suivant la date du versement de l'indemnité d'éviction au locataire lui-même ou de la notification à celui-ci du versement de l'indemnité à un séquestre. A défaut d'accord entre les parties, le séquestre est nommé par le jugement prononçant condamnation au paiement de l'indemnité ou à défaut par simple requête' ;

Considérant qu'il est constant en l'espèce que la société Etam Lingerie n'a pas donné son accord à la désignation d'un séquestre amiable, indiquant dans un courriel du 24 août 2016, en réponse à la sommation interpellative qui lui avait été signifiée le 16 août, que ce séquestre n'avait pas lieu d'être en l'absence de paiement intégral de l'indemnité d'éviction en toutes ses composantes, ce qui n'était pas le cas puisque les frais de réinstallation, les pertes sur stock et les indemnités de licenciement n'étaient pas à ce jour chiffrés ;

Considérant à cet égard que l'article L.145-14 du code de commerce dispose que l'indemnité d'éviction 'comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre' ; que contrairement à ce que soutient la société intimée, il en résulte que l'indemnité d'éviction n'est pas constituée uniquement de la valeur du fonds, mais également des frais mentionnés par la loi qui s'y ajoutent et qui doivent être compris dans l'évaluation de l'indemnité ; que n'étant pas distincts de l'indemnité d'éviction, ils doivent donc être payés avec celle-ci ou compris dans le montant du séquestre, qui doit donc inclure l'indemnité dans toutes ses composantes pour pouvoir faire courir le délai d'éviction et la retenue de 1% sur l'indemnité par jour de retard prévue à l'article L.145-30 du code commerce, la société locataire ayant un droit au maintien dans les lieux tant qu'elle n'a pas reçu l'indemnité d'éviction dans son intégralité conformément à l'article L.145-28 du code de commerce ; qu'il en résulte, d'une part, que toutes les composantes de l'indemnité n'étant pas chiffrées lors du dépôt de la requête de la société Mac 74, et celle-ci n'offrant de séquestrer que la somme de 815 000 euros, il ne pouvait être fait droit à cette requête, d'autre part, qu'en l'absence d'accord des parties sur le montant global de l'indemnité d'éviction, il convenait d'attendre que le tribunal statue sur cette fixation, le juge des requêtes n'en n'ayant pas le pouvoir ; qu'il y a lieu en conséquence d'infirmer l'ordonnance déférée et de rétracter l'ordonnance du 5 janvier 2017 ;

Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de la société Etam Lingerie les frais de représentation qu'elle a dû engager en première instance et en appel et qu'une somme de 4000 euros lui sera allouée à ce titre ;

PAR CES MOTIFS, LA COUR,

Infirme l'ordonnance déférée en date du 30 mars 2017,

Statuant de nouveau,

Rétracte l'ordonnance sur requête du 5 janvier 2017,

Condamne la SCI Mac 74 à payer à la SA Etam Lingerie la somme de 4000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

La condamne aux dépens de première instance et d'appel, dont le recouvrement sera poursuivi par Maître Laurence T.-B. conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.