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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 3, 12 décembre 2012, n° 11/12887

PARIS

Arrêt

Autre

PARTIES

Demandeur :

Etudes et Réalisations Immobilières (SARL)

Défendeur :

Compagnie d'Expansion Moderne Automatique (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Bartholin

Conseillers :

Mme Blum, Mme Reghi

Avocats :

Me Ingold, Me Chaoui, Me Garnier, Me Pouget Courbières

TGI Paris, du 9 avr. 2009, n° 02/18914

9 avril 2009

EXPOSE DU LITIGE

Suivant acte sous seing privé en date du 15 avril 1993, Mme Chevallier aux droits de laquelle se trouve aujourd'hui la société Eri a donné à bail en renouvellement à la société Cema des locaux dépendant d'un immeuble situé [...] désignés comme une boutique à droite de la porte cochère de l'immeuble se prolongeant en arrière- boutique avec sortie sur cour, plus un magasin dans la cour, une cave sous le bâtiment, droit au WC commun avec les autres locataires dans la cour, pour une durée de neuf années à compter du 1er octobre 1992 moyennant un loyer principal de 40 000 francs par an, les locaux étant destinés à une activité de teinturerie blanchisserie.

Par acte d'huissier du 12 juin 2001, la société Eri a délivré congé avec offre de renouvellement pour le 31 décembre 2001 puis a fait délivrer à la date du 21 novembre 2002 à sa locataire une sommation d'avoir à restituer trois caves occupées en sous sol et d'avoir à produire l'autorisation d'installer divers conduits et gaines, la dite sommation visant la clause résolutoire et rappelant l'article L 145-17 du code de commerce.

Suivant exploit d'huissier en date du 22 décembre 2003, la société Eri a délivré un nouveau congé refus de renouvellement et de paiement d'une indemnité d'occupation pour motif grave et légitime, sans renoncer à sa demande en résiliation du bail dont était saisi le tribunal à la suite de la demande de la société Cema de voir dire nulle et de nul effet la sommation du 21 novembre 2012.

Suivant jugement avant droit au fond du 28 octobre 2004, le tribunal de grande instance de Paris a dit nulle la sommation du 21 novembre 2012 visant la clause résolutoire, faute d'avoir été délivrée de bonne foi, dit que le congé refus de renouvellement, du 22 décembre 2003 est irrégulier, que cet acte de rétractation a eu pour effet de mettre fin au bail à compter du 22 décembre 2003 et ouvert droit pour le preneur à une indemnité d'éviction et pour le bailleur à une indemnité d'occupation, et avant dire droit que le montant de ces deux indemnités, a désigné un expert en la personne de Mme Maigne- Gaborit qui a été remplacé par M Ferrandi.

M Ferrandi a déposé son rapport le 5 juillet 2007 concluant à une indemnité d'éviction qui doit être déterminée en tenant compte de la valeur marchande du fonds, l'évaluant à la somme de 240 000 € et estimant l'indemnité d'occupation à la somme de 17 640 € /an.

Par jugement du 9 avril 2009, le tribunal a :

- dit que l'éviction entraîne la perte du fonds exploité par la société Cema dans l'immeuble sis [...],

- fixé l'indemnité d'éviction due par la société Eri à lpa somme de 320 000 € outre les frais de 'desinstallation' des équipements, appartenant à la société Cema, et exploités dans le cadre du fonds de commerce dont l'éviction est poursuivie, ainsi que les frais de licenciement sur justificatifs,

- dit que la société Cema est redevable d'une indemnité d'occupation à la somme de annuelle de 15 680 €,

- dit n'y avoir lieu à indexer le montant de l'indemnité d'occupation,

- désigné le bâtonnier de l'ordre des avocats au barreau de Paris en qualité de séquestre aux fins de recevoir l'indemnité d'éviction et de la remettre à la société Cema déduction faite des sommes dont cette dernière est redevable au titre de l'indemnité d'occupation et des éventuelles réparations locatives, lesquelles se compenseront avec le montant du dépôt de garantie actuellement détenu par la société Eri.

- condamné la société Eri à payer à la société Cema la somme de 20 000 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit n'y avoir lieu d'ordonner l'exécution provisoire,

- condamné la société Eri aux dépens en ce compris les frais d'expertise, et dit qu'ils seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

La société Eri a interjeté appel de cette décision ; elle demande à la cour par conclusions signifiées le 24 octobre 2012 de faire droit en son appel et d'infirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré, et statuant à nouveau :

- fixer l'indemnité d'éviction due à la société Cema à la somme de 146 240 €,

- dire et juger que les frais de déménagement et de reinstallation seront dus sur justificatifs sous réserve qu'il ne s'agisse pas de mesure de dépollution que la société Cema devra supporter seule en sa qualité d'exploitant d'une installation classée pour la protection de l'environnement,

- dire et juger que les frais de licenciement seront payés sur justificatifs,

- dire et juger que l'indemnité d'éviction sera payable dans les conditions fixées aux articles L 145-28, L 145-29 et L 145-30 du code de commerce,

- fixer l'indemnité d'occupation due par la société Cema à la société Eri à la somme de 26 460 € par an en principal hors charges et hors taxes à compter du 22 décembre 2003,

- condamner en conséquence la société Cema à payer à la société Eri la somme de 26 460 € par an en principal, à titre d'indemnité d'occupation à compter du 22 décembre 2003,

- dit que cette indemnité sera revalorisée le 1er janvier de chaque année et pour la première fois le 1er janvier 2005 en fonction de la variation de l'indice national trimestriel mesurant le coût de la construction, publié par l'insee jusqu'à la complète libération des lieux,

- condamner la société Cema à payer les intérêts au taux légal sur les indemnités d'occupation arriérées à compter du 22 décembre 2003 conformément aux dispositions de l'article 1155 du code civil et leur capitalisation dans les conditions de l'article 1154 du même code,

- dire que le paiement de l'indemnité d'occupation se fera par compensation avec le paiement de l'indemnité d'éviction.

La société Cema par conclusions signifiées le 23 octobre 2012 demande à la cour de débouter la société Eri de toutes ses demandes, de la recevoir en son appel incident et de :

- infirmer le jugement déféré en ce qu'il a fixé l'indemnité d'éviction à la somme de 320 000 € et statuant à nouveau, fixer ladite indemnité à la somme de 472 505,17 € hors taxes et l'y condamner avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation du 13 décembre 2002 et subsidiairement, du jugement du 9 avril 2009 par application de l'article 1153 du code civile et réserver les frais supplémentaire à prendre en charge par le bailleur par factures ou documents ou à prendre en charge directement, par le bailleur,

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a fixé l'indemnité d'occupation à la somme de 15 680 € par an et statuant à nouveau, fixer ladite indemnité à la somme de 7 840 € par an à compter du 22 décembre 2003,

- ordonner la restitution du dépôt de garantie de 3 258,13 € par la société Eri et au besoin l'y condamner,

- débouter la société Eri de ses demandes,

- confirmer le jugement déféré en ses dispositions relatives à l'article 700 du code de procédure civile,

A titre subsidiaire,

- confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions, et ajoutant, condamner la société Eri à lui payer la somme de 7 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

En tout état de cause,

- condamner la société Eri aux dépens de première instance et d'appel en ce compris les frais d'expertise, dont le montant sera recouvré par Me Garnier avocat conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

SUR CE,

Sur l'indemnité d'éviction :

La société Eri fait valoir au soutien de son appel que la société Cema est titulaire d'un bail commercial en date du 28 juin 2000 portant sur des locaux situés [...] prévoyant une destination de pressing laverie, situés à 50 mètres des locaux litigieux situés [...], dans lesquels elle pourra transférer en partie son activité de sorte que l'indemnisation de la perte totale du fonds tel qu'apprécié par le tribunal constitue pour la locataire un enrichissement sans cause, que le fait pour la propriétaire des locaux situés [...] Mme Mace d'avoir consenti le même jour à la société Cema à la fois un contrat de location-gérance et un contrat de bail traduit d'ailleurs une anomalie juridique qui masque une cession déguisée du fonds de commerce, que la communication tardive du contrat de bail commercial n'était d'ailleurs destiné qu'à faire échec à la démonstration de la possibilité de transfert de clientèle, que le commerce [...] qui est déjà exploité en synergie avec celui de la [...] vers lequel les clients sont invités à se rendre en cas de fermeture, est au moins aussi attractif en tant que commerce de proximité que celui de la [...] qui n'attire pas nécessairement une clientèle de passage ;

La société Cema expose que si elle exploite bien un commerce de blanchisserie au [...], c'est en vertu d'un contrat de location-gérance en date du 28 juin 2000, conclu pour une durée de un an et qui s'est tacitement reconduit avec faculté pour chaque partie d'y mettre fin par lettre recommandée avec accusé de réception, moyennant un préavis de trois mois, qu'elle n'est donc propriétaire ni du fonds ni de la clientèle, que les deux fonds appartiennent à des personnes morales distinctes, que la preuve n'est pas rapportée que ce contrat de location-gérance serait en réalité fictif et cacherait soit un véritable bail commercial, soit une cession du fonds, que quoiqu'il en soit, le commerce situé [...] dans une rue latérale et discrète et qui ne s'adresse qu'à la clientèle du quartier n'a pas vocation à absorber la chalandise du commerce de la [...], qui est une voie passante et commerçante et qui draine une clientèle résidente, professionnelle et touristique, qu'il n'y a donc aucune possibilité de transfert de clientèle de la [...] vers la [...] qui perdra au contraire les clients qui lui étaient adressés par le commerce de la [...], qu'il y a donc bien perte pure et simple du fonds de commerce sans possibilité de transfert de clientèle qui ne profitera pas en tout état de cause à la société Cema.

L'expert fait d'abord observer dans son rapport que le non renouvellement du bail n'entraînera pas de perte totale de clientèle et qu'une partie de celle-ci sera transférée sur l'autre site, que la [...] est néanmoins incontestablement plus passante que la [...], et semble susceptible d'attirer plus de clientèle que la [...], peu passante et de faible commercialité mais il conclut ensuite que, compte tenu du statut juridique du commerce de la [...], exploité en location-gérance ainsi qu'il apparaît sur les documents comptables mettant en évidence le paiement de redevances, il ne peut être estimé que le commerce de le [...] bénéficiera du report d'une partie de la clientèle de la [...].

En raison des interrogations de l'expert, il ne peut être reproché à la bailleresse la société Eri de tenter de démontrer que le fonds de commerce situé [...] pourra être en partie transféré vers la [...], d'autant que tout en contestant que les deux fonds appartiennent aux mêmes entités, la société Cema a argumenté elle-même sur la faculté de transfert envisagé par l'expert ;

L'incertitude qui s'attache aux conditions d'exploitation du fonds de la [...] par la société Cema ne peut être levée dès lors que la société ne s'explique pas clairement sur l'anomalie juridique ayant consisté pour elle à signer le même jour un contrat de location-gérance du fonds appartenant à Mme Mace, mère du gérant de la société Cema, pour une durée d'un an renouvelable, et un contrat de bail commercial qualifié d' 'accessoire au contrat de location gérance' et qui confère en principe au locataire, en l'occurrence la société Cema, la propriété commerciale.

Quoiqu'il en soit, dans la mesure où la commercialité des voies sur lesquelles sont situés ces deux commerces est distincte, où le commerce de la [...] qui ne traite que la blanchisserie bénéficie de celui de la [...] et non l'inverse, il n'est pas établi qu'une partie importante ou en tout cas non négligeable de la clientèle serait transférée vers le commerce de la [...] qui ne bénéfice pas du tout de la même commercialité.

Il s'ensuit qu'en ce qu'il a décidé que l'éviction entraînera la perte du fonds incluant une part importante de la clientèle, faute pour le preneur de pouvoir disposer dans un délai raisonnable d'un emplacement comparable pour un commerce de pressing dans la mesure où ce type de commerce est contrôlé comme étant susceptible de porter atteinte à l'environnement et où les copropriétés se montrent réticentes à en accueillir, le tribunal qui a jugé que l'indemnité est en conséquence une indemnité de remplacement et non de transfert, doit être approuvé.

La société Eri conteste la valeur du fonds qui a été retenue par les premiers juges en se fondant sur un coefficient multiplicateur du chiffre d'affaires de 120 % alors que les références contenues dans le rapport de M. Sainsard expert qu'elle a sollicité laissent apparaître que les fonds de pressing se négocient en moyenne à un prix égal à 70 % du chiffre d'affaires hors taxes ; elle fait valoir qu'aucune décision judiciaire n'a retenu le pourcentage de 120 %, que les cessions ne se négocient pas avec un pourcentage supérieur à 100 %, que le pourcentage de 80 % est plus en adéquation avec la valeur vénale de ce fonds et qu'en raison de la proximité de l'établissement de la [...], il y a lieu de pratiquer en outre un abattement de 15 %, que seuls les exercices 2002 à 2004 communiqués à l'expert doivent être pris en compte à défaut d'attestation comptable portant sur les chiffres d'affaires réalisés postérieurement.

Or la valeur du fonds à indemniser doit s'apprécier à la date la plus proche de l'éviction de sorte que l'attestation du cabinet Lourdeau, expert comptable de la société Cema, faisant état des chiffres d'affaires de la boutique [...] pour les années 2009 (234 799,60 €), 2010 (230 095,66 €) et 2011(252 199,27 €) ne saurait être écartée dans la mesure où ces chiffres sont corroborés par les documents comptables portant sur l'ensemble de l'activité de la société et où ils ne sont pas contestés quant à leur proportion par rapport aux chiffres d'affaires globaux de la société portant sur les deux sites : [...] et [...] ;

Ils représentent un chiffre d'affaires moyen de 239 031 € arrondi à 239 000 € hors taxes.

La société Cema demande la confirmation de la décision qui a retenu un pourcentage de 120 % aux motifs de la rareté des commerces concurrents dans le secteur et de l'ancienneté du fonds, mais également de la fréquentation du fonds par une clientèle non seulement de résidents mais également touristique, ce qui est rare pour une activité de pressing ;

L'expert a indiqué dans son rapport qu'un fonds de commerce de pressing s'évalue entre 90 à 150 % du chiffre d'affaires hors taxes ;

Le commerce en question est implanté à son emplacement depuis plusieurs années, la commercialité du secteur peut être considérée comme bonne au regard de l'activité exercée, les locaux sont décrits par l'expert comme en étant corrects pour la boutique et vétustes pour le reste des locaux ; le commerce ne dégageait jusqu'en 2004 qu'un résultat médiocre et qu'une faible rentabilité, ses charges en personnel étant élevées. Le pourcentage de 100 appliqué au chiffre d'affaires hors taxes apparaît néanmoins peu justifié pour apprécier la valeur du fonds compte tenu de la qualité de l'emplacement et de la rareté des commerces concurrents dans le secteur, étant observé que les usages sont que le prix des fonds de commerce de pressing se déterminent le plus souvent sur le chiffre d'affaires ttc de sorte que la proposition de l'expert de retenir un pourcentage de 100 % du chiffre d'affaires hors taxes est faible et qu'il convient en réalité de confirmer la décision des premiers juges de retenir une proportion de 120 % du chiffre d'affaires hors taxes correspondant pratiquement à 100 % du chiffre d'affaires ttc, sans qu'il y ait lieu d'y appliquer un abattement pour tenir compte d'un possible transfert de clientèle dont la preuve n'est pas rapportée comme il a été analysé plus haut.

La valeur du fonds s'établit en conséquence à la somme de 286 800 €.

Les deux parties s'accordent pour dire que la valeur du droit au bail est inférieure à la valeur de perte du fonds et que l'indemnisation de la société Cema du fait de l'éviction doit se faire sur la base de la valeur marchande du fonds à laquelle s'ajoutent les indemnités accessoires, soit :

- les frais de remploi chiffrés selon l'usage par le tribunal à 10 % de l'indemnité principale, ce que la société Eri demande d'entériner tandis que la société Cema demande de les porter à 12 % soit 43 020 € pour tenir compte du coût important des aménagements ; or cette indemnité de frais de remploi est destinée à compenser les frais de recherche et de négociation d'un nouveau fonds et non les frais liés à un nouvel aménagement. La somme de 28 680 € représentant 10 % du montant de l'indemnité principale compensera ce préjudice.

- trouble commercial : le tribunal a alloué une somme de 5 000 € que la société Eri demande d'entériner tandis que la société Cema demande de lui allouer une somme de 36 919 € représentant 12 mois de capacité moyenne d'autofinancement pour tenir compte de l'ancienneté du bail, de la perte de clientèle, de l'arrêt contraint et forcé du fonds. Il doit être observé que le résultat d'exploitation global pour les deux sites de la société a été en moyenne en 2009, 2010, 2011 de 29 902,66 €,ce qui rapporté au seul site de la boutique [...] donne un résultat de 21 830 €/an en moyenne, soit un résultat inférieur à celui des années antérieures mais sur lequel il convient de s'appuyer pour évaluer le trouble commercial actuel lequel peut être estimé à quatre mois de résultat soit la somme de 7 276 € ;

- frais de déménagement : le tribunal a retenu qu'aux frais de déménagement du mobilier peuvent s'ajouter des frais de remise des lieux en leur état d'origine si comme le bail le prévoit, le bailleur l'exige, que néanmoins, le bailleur conservant cette option jusqu'à l'éviction, il n'est pas établi que le preneur devra engager ces frais ; le tribunal a donc fait droit à la demande de la société Cema d'être indemnisée des frais de déménagement et 'desinstallation' sur justificatifs ; la société Eri fait observer qu'elle exclut de supporter à ce titre les frais de dépollution . Cependant, les deux parties concluant à la confirmation du jugement sur ce point, le cour n'a pas à trancher la question de l'étendue des frais qui seront supportés par la bailleresse et qui consistent dans l'enlèvement et le déménagement des équipements appartenant à la société Cema.

- frais divers : il s'agit des frais de changement de siège social, d'imprimerie pour les documents commerciaux, d'information de la clientèle, de résiliation des différents abonnements, pour lesquels le tribunal a alloué une somme de 2 000 € qui sera confirmée.

-frais de licenciement : le tribunal a justement décidé qu'ils seront payés sur justificatifs.

L'indemnité d'éviction globale s'établit ainsi à la somme de 324 756 €.

Quant à la demande de remboursement du dépôt de garantie, elle est prématurée, dans la mesure où le preneur est toujours dans les lieux, que cette somme est destinée à garantir la remise des locaux en bon état de réparations, qu'il n'y a donc pas lieu de faire droit à cette demande ;

Sur l'indemnité d'occupation :

Le tribunal suivant l'avis de l'expert a retenu un prix au m² de 400 €, soit une indemnité de 19 600 € /an sur laquelle il a appliqué un coefficient de précarité de 20 % pour tenir compte de la longueur de la procédure et de l'incertitude qui en est résultée pour la société Cema.

Tout en sollicitant la confirmation du prix au m² de l'indemnité, la société Cema demande de lui appliquer un abattement pour précarité de 60 % aux motifs qu'après s'être vue offrir le renouvellement de son bail en 2001, elle s'est vue reprocher des violations de son bail inexistantes puis refuser le renouvellement le 22 décembre 2003 pour des motifs fallacieux mais qui ont entraîné la fin du bail ; elle soutient que la société Eri a ajouté à cette incertitude en ne faisant aucune diligence pour conclure après le dépôt du rapport de l'expert, qu'après avoir formé appel du jugement, elle est à l'origine du retrait du rôle devant la cour ordonné le 15 décembre 2010, que son attitude tendant à faire durer la procédure n'a eu pour dessein que de voir augmenter l'indemnité d'occupation, que l'augmentation du chiffre d'affaires est due à l'excellente commercialité des lieux et la disparition progressive des commerces de pressing, que l'abattement de 60 % demandé est au surplus justifié par l'impact de l'éviction qui a empêché la société Cema de céder son fonds.

La société Eri demande de son coté de retenir une valeur locative de 600 € /m², soit une indemnité de 29 400 € sur laquelle il n'y a pas lieu de pratiquer d'autre abattement que celui de 10 % et ce, pour tenir compte de la consommation d'eau de la société Cema prise en charge exclusivement par la société Eri et qui s'élève, selon elle, à plusieurs milliers d'euros par an ;

Or aux termes de l'article L 145-28 du code de commerce, l'indemnité d'occupation est déterminée conformément aux dispositions des sections 6 et 7, compte tenu de tous éléments d'appréciation ; elle correspond à la valeur locative, non pas de marché mais de renouvellement, dans des conditions exclusives de tout plafonnement ;

La contestation de la société Eri ne s'appuie que sur un rapport d'un autre expert ayant estimé l'indemnité d'occupation du fonds voisin de librairie au prix de 700 € /m² sans d'ailleurs s'expliquer précisément sur ce prix ; celui de 400 € /m² qui tient compte à la fois des caractéristiques du local, des conditions du bail et des éléments de comparaison sera entériné.

L'allégation suivant laquelle la société Cema aurait une consommation d'eau excessive principalement supportée par la bailleresse, outre qu'elle n'est pas démontrée par les nombreux calculs établis par cette dernière, est parfaitement étrangère à la prise en compte de la précarité de l'occupation qu'il y a lieu d'apprécier pour fixer l'abattement éventuellement pratiqué ;

Le tribunal a justement retenu qu'après s'être vue offrir le renouvellement, la société Cema a subi la rétractation du congé, que la procédure qui s'en est suivie a duré de nombreuses années. Il s'y ajoute que le refus de renouvellement a privé la société Cema de pouvoir faire des investissements dans les lieux et de pouvoir céder son fonds dans des conditions avantageuses ; l'ensemble de ces circonstances justifie l'octroi d'un abattement de 25 % sur l'indemnité d'occupation fixée en conséquence à la valeur de 14 700 €/an et qui ne produira intérêts au taux légal, s'agissant d'une créance indemnitaire, qu'à compter de sa fixation, soit à la date du jugement.

Il n'y pas lieu au surplus à indexation de cette indemnité.

La société Eri ne reprend pas expressément en cause d'appel sa demande tendant à la désignation d'un séquestre, demandant seulement la compensation entre les deux indemnités d'éviction et d'occupation à laquelle il y lieu de faire droit.

S'agissant des frais de procédure, le tribunal a alloué à la société Cema une somme de 20 000 € ; celle-ci invoque d'exceptionnels frais de procédure qui ne sont cependant justifiés par aucune note d'honoraires. La somme de 15 000 € lui sera allouée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre de l'ensemble des frais irrépetibles qu'elle a exposés, les dépens de première instance et d'appel incluant les frais de l'expertise étant à la charge de la société Eri.

PAR CES MOTIFS

Réformant le jugement déféré sauf en ce qu'il a dit que l'éviction entraîne la perte du fonds exploité par la société Cema dans l'immeuble situé [...] ;

Fixe à la somme de 324 756 € le montant de l'indemnité d'éviction due par la société Eri à la société Cema, outre les frais d'enlèvement et de déménagement des équipements appartenant à la société Cema et exploités dans le cadre du fonds ainsi que les frais de licenciement, qui seront payés sur justificatifs.

Fixe le montant l'indemnité d'occupation due par la société Cema à la société Eri à la somme de 14 700 € /an laquelle portera intérêts au taux légal à compter du jugement.

Dit qu'il y a lieu à compensation des deux indemnités qui aura lieu au jour du paiement de l'indemnité d'éviction et jusqu'à due concurrence.

Condamne la société Eri à payer à la société Cema la somme de 15 000 € au titre de l'ensemble de ses frais irrépetibles.

Déboute les parties de leurs autres demandes.

Condamne la société Eri aux dépens de première instance et d'appel incluant les frais d'expertise qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.