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Décisions

CA Aix-en-Provence, 9e ch. b, 28 avril 2017, n° 14/19465

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Weir France (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Michel

Conseillers :

M. Mathis, M. Macouin

Avocats :

Me Mary, Me Brezin

Cons. Prud’h. Martigues, sect. E, du 6 a…

6 août 2014

EXPOSÉ DU LITIGE

La SA WEIR FRANCE est la société holding en France du groupe anglais The Weir Groupe PLC dont l'activité consiste à offrir des solutions d'ingénierie aux secteurs des minéraux, du pétrole, du gaz ainsi que de la production d'électricité.

M. E... F... a été embauché par la société GITRAM, devenue WEIR Valves & Controls France à compter du 1er février 1992.

Le contrat de travail a été transféré à la SA WEIR FRANCE, le 20 juillet 2006, au sein de laquelle le salarié exerçait les fonctions de directeur des services du pôle nucléaire, puis à compter du 2 juin2009 celles de « nucléaire général manager France ».

Par avenant du 20 septembre 2010, le salarié est devenu directeur des opérations France.

Les relations contractuelles des parties sont régies par la convention collective des ingénieurs et cadres de la métallurgie.

En dernier lieu, la rémunération mensuelle brute fixe du salarié s'élevait à la somme de 9 631,76 outre une part variable, soit une rémunération mensuelle moyenne brute sur les 12 derniers mois de 13 667,11 .

Le salarié a été mis à pied à titre conservatoire par lettre du 31 octobre 2012 le convoquant à un entretien préalable et il a été licencié pour faute grave suivant lettre du 26 novembre 2012 ainsi rédigée :

« Nous vous avons convoqué à un entretien préalable qui s'est tenu le 15 novembre 2012 au cours duquel nous vous avons exposé les motifs pour lesquels nous envisagions votre licenciement pour faute grave et avons recueilli vos explications. Les explications que vous nous avez fournies lors de cet entretien, ne s'étant pas avérées satisfaisantes, nous sommes contraints de vous licencier pour les graves manquements ci-après exposés. Le Groupe Weir a adopté depuis de nombreuses années une approche stricte quant à la sélection des entités qui assistent les sociétés du Groupe dans l'approche commerciale des clients, quelle que soit leur désignation : agents, consultants, représentants ou intermédiaires. Le caractère rigoureux de cette approche a encore été renforcé notamment dans 1a perspective de l'entrée en vigueur en 2011 de la nouvelle loi anglaise relative à la prévention et la lutte contre la corruption (dite UK BriberyAct). Weir a ainsi mis en place, en conformité avec les réglementations en vigueur, des procédures encadrant de manière stricte la sélection des intermédiaires, ainsi que chaque relation contractuelle, nouvelle ou préexistante, avec ces derniers. Weir a également entrepris de nombreuses démarches pour que l'ensemble de ses collaborateurs soient parfaitement sensibilisés à ces procédures et respectent les principes de loyauté et d'honnêteté dans la conduite des affaires, tels que rappelés notamment dans le Code de conduite et les prescriptions du Manuel des agents commerciaux.

Or, nous avons très récemment découvert que vous aviez délibérément continué à travailler avec la société INTECA, sans la faire valider sur la liste des agents et représentants et alors même que les relations avec cette société contrevenaient aux règles en vigueur au sein du Groupe. Ainsi, les relations avec la société INTECA violent les principes applicables, et ce à plusieurs titres :

' L'objet même de certains services rendus par INTECA (notamment avec la fourniture d'informations sur des offres concurrentes) n'est conforme ni à la loyauté des relations commerciales, ni aux règles internes du Groupe rappelées dans le Code de conduite et le Manuel des agents commerciaux.

' Le recours même aux services d'INTECA alors que la Société dispose d'une force de vente en France ne rentre pas dans les pratiques habituelles du Groupe.

' Il n'est pas acceptable que vous ayez conclu en avril 2012, sans consultation et approbation préalables, un contrat avec la société INTECA qui n'est nullement conforme aux pratiques du Groupe (pas de déclaration préalable, pas de fiche de renseignements sur INTECA, pas d'engagement de leur part sur le respect des pratiques professionnelles de Weir, etc.).

Ce contrat n'était répertorié nulle part dans la Société ou dans le Groupe, contrairement aux procédures mises en place par le Manuel des agents commerciaux. INTECA ne figure pas sur la liste validée des agents et représentants de Weir.

' Vous avez également effectué un suivi attentif du traitement comptable des factures INTECA (compte de facturation et provisions passées) afin que les factures d'INTECA n'apparaissent pas comme des commissions payées à un intermédiaire.

La Société avait pourtant rappelé de manière très explicite notamment dans le Code de Conduite les pratiques professionnelles qui étaient admises et celles qui étaient prohibées [ Extraits du Code de conduite (p. 28-29) : « Notre principe ' Les agents nommés par Je Groupe Weir doivent se conformer au code de conduite du Groupe Weir, à savoir le code des pratiques professionnelles acceptables défini pour notre personnel. Nous ne collaborerons pas avec les agents qui ne le respectent pas ['] Exemple ' Q. Notre agent affirme être en mesure de me fournir un exemplaire de l'offre d'un concurrent, pour m'assurer de faire une meilleure offre. R. Ceci n'est pas toléré. Non seulement la manouvre est malhonnête, mais elle enfreint les règles sur les pratiques anticoncurrentielles. » ] Or, c'est de manière délibérée et sans en informer la Société que vous avez donné instruction de poursuivre les relations avec INTECA. La cessation desdites relations n'est au demeurant intervenue que de manière très tardive, et toujours sans aucune information de votre part auprès de la Société ou du Groupe sur l'existence des relations passées avec INTECA. De nombreux éléments démontrent également une claire volonté de votre part de dissimuler les relations avec INTECA et de les faire échapper aux contrôles et procédures du Groupe relatives aux agents et représentants : échanges avec INTECA limités à vous-même et à M. C... G..., envoi de factures hors des circuits habituels (au domicile de M. G...), conclusion d'un contrat avec INTECA non diffusé en interne et en dehors des procédures du Groupe, etc. Ainsi, le recours à INTECA sans respecter les procédures en vigueur dans la Société et le Groupe, la nature même de certains services rendus par INTECA et la dissimulation délibérée de cette relation constituent une grave violation de votre obligation de loyauté et exposent, de manière inacceptable, la Société et le Groupe à divers risques, notamment commerciaux. En votre qualité de Directeur des Opérations, vous aviez la responsabilité de mettre en ouvre et d'appliquer la politique et les procédures du Groupe à l'égard des agents et représentants. Les très nombreux courriers électroniques intervenus en 2011 pour la mise en place des procédures renforcées relatives aux agents et représentants, dont vous aviez parfaitement connaissance, démontrent l'importance de ces questions pour le Groupe et la volonté de celui-ci d'instaurer des pratiques loyales et en conformité avec la réglementation en vigueur. Au regard des nombreux messages adressés à ce sujet, vous ne pouviez ignorer l'importance de ce sujet. D'ailleurs, un premier rappel à l'ordre formel vous avait été notifié en septembre 2011 en raison d'un manquement relatif au respect des procédures (Far Eastern Trading Agreement). Le fait que vous ayez continué à solliciter les services d'INTECA, sans en révéler la teneur et en contravention totale avec les directives du Groupe, constitue des manquements d'autant plus graves et inacceptables pour un salarié exerçant vos responsabilités. Vos agissements procèdent d'un manque de loyauté et d'une dissimulation trompeuse justifiant que la Société ne puisse maintenir votre contrat de travail. C'est donc pour les raisons exposées ci-dessus que la Société a décidé de vous licencier pour faute grave.

Préavis. Compte tenu de la gravité des faits qui vous sont reprochés, votre maintien dans l'entreprise s'avère impossible ; le licenciement prend donc effet immédiatement, sans préavis dès la date de première présentation de la présente lettre. Aucune indemnité de préavis, ni de licenciement ne vous sera en conséquence versée.

Mise à pied à titre conservatoire. Nous vous rappelons que vous avez fait l'objet d'une mise à pied à titre conservatoire.

En raison de votre licenciement pour faute grave, le salaire correspondant à la période pendant laquelle nous vous avons mis à pied à titre conservatoire ne vous sera pas versé.

Obligation de non-concurrence. En tant que de besoin, nous vous confirmons que vous n'êtes pas lié par une clause de Non-concurrence. En conséquence, aucune indemnité ne vous sera versée à ce titre. Nous vous rappelons également que vous êtes tenu par une obligation de discrétion et de confidentialité concernant les informations qui appartiennent à la Société (article 5.4 de votre contrat de travail).

Droit individuel à la formation. Nous vous informons par ailleurs que vous avez acquis un droit à 120 heures de formation au titre du Droit Individuel à la Formation (DIF), vous permettant ainsi de bénéficier d'une allocation pour une action de bilan de compétence, de validation des acquis de l'expérience ou de formation dans la limite d'une somme de 1 098 (nombre d'heures acquises au titre du DIF x montant forfaitaire de 9,15 ) et ce, sous réserve d'en faire la demande auprès de la Direction des Ressources Humaines de la Société dans les six (6) mois de la notification de votre licenciement. Dans le cas où vous en feriez la demande dans le délai imparti, le versement de cette somme interviendra à réception du justificatif de suivi de l'une des actions susvisées. À défaut d'une telle demande, cette somme ne vous sera pas due par la Société. Vos droits acquis au titre du DIF ou leur reliquat pourront alors toutefois être utilisés conformément aux dispositions de l'article L. 6323-18 du Code du travail.

Couverture santé et prévoyance. Nous vous informons également que vous êtes susceptible de conserver le bénéfice des garanties des couvertures santé et prévoyance appliquées dans la Société pour une durée maximum de 9 mois, à condition de fournir à la Société la justification de votre prise en charge par le régime d'assurance chômage. La couverture demeurera identique à celle du personnel actif, ainsi que le montant de la cotisation et sa répartition entre vous et la Société. Le maintien de cette couverture cessera, si vous reprenez un emploi. Vous devrez ainsi informer la

Société de la cessation du versement des allocations du régime d'assurance chômage, si celle-ci intervient au cours de la période de maintien des garanties telles que mentionnée précédemment. Vous avez la possibilité de renoncer au maintien de ces garanties à condition d'en notifier expressément la Société par écrit dans les 10 jours suivant la cessation de votre contrat de travail. Cette renonciation est définitive et concerne l'ensemble des garanties. La totalité de la prime due au titre de ces garanties sera payée par avance et prélevée sur votre solde de tout compte. Le remboursement pourra avoir lieu sur votre demande dans les hypothèses suivantes : si vous renoncez au maintien de la garantie dans le délai de 10 jours mentionné ci-dessus, ou, si vous avez repris une activité professionnelle, au cas où la durée de couverture réelle serait inférieure à celle initialement prévue.

Retour de matériel et autres objets. Enfin, nous vous remercions de bien vouloir nous restituer tous documents et matériels qui vous avaient été remis dans l'exercice de vos fonctions, y compris votre voiture de fonction, avec les papiers et clés du véhicule. Nous vous demandons à cet effet de prendre contact avec moi-même. Nous tenons à votre disposition vos documents de fin de contrat (attestation Pôle Emploi, certificat de travail et solde de tout compte). »

Contestant son licenciement, M. E... F... a saisi le 20 décembre 2012 le conseil de prud'hommes de Martigues, section encadrement, lequel, par jugement rendu le 6 août 2014, a : dit que le licenciement pour faute grave est fondé ;

débouté le salarié de l'ensemble de ses demandes ;

condamné le salarié aux dépens.

M. E... F... a interjeté appel de cette décision suivant déclaration du 9 octobre 2014.

Vu les écritures déposées à l'audience et soutenues par son conseil aux termes desquelles M. E...

F... demande à la cour de :

infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

dire illégitime le licenciement pour faute grave ;

condamner l'employeur au paiement des sommes suivantes :

' 6 673,27 à titre de salaire pour la période de mise à pied à titre conservatoire ;

' 667,32 à titre d'incidence congés payés sur salaire précité ;

' 82 002,66 à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;

' 8 200,26 au titre des congés payés y afférents ;

'158 265,10 à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement ;

'250 000,00 à titre de dommages et intérêts pour licenciement illégitime ;

' 2 000,00 au titre des frais irrépétibles ;

condamner l'employeur aux dépens.

Vu les écritures déposées à l'audience et reprises par son conseil selon lesquelles la SA WEIR

FRANCE demande à la cour de :

constater l'absence de diligence de l'appelant pendant plus de deux ans ;

dire l'instance périmée ;

à titre subsidiaire,

confirmer le jugement entrepris ;

débouter le salarié de l'ensemble de ses demandes ;

le condamner à verser la somme de 3 000 au titre des frais irrépétibles ainsi qu'aux dépens.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1/ Sur la péremption d'instance

L'article R. 1452-8 du code du travail disposait, avant d'être abrogé au 1er août 2016 qu'en matière prud'homale, l'instance n'est périmée que lorsque les parties s'abstiennent d'accomplir, pendant le délai de deux ans mentionnés à l'article 386 du code de procédure civile, les diligences qui ont été expressément mises à leur charge par la juridiction.

Le salarié a interjeté appel le 9 octobre 2014 et par avis du 26 avril 2016 il lui a été demandé de conclure avant le 12 juillet 2016 ce qu'il a régularisé le 10 janvier 2017. Ainsi, le délai de deux ans visés par le texte précité ne se trouve pas acquis en l'espèce.

2/ Sur la faute grave

Le salarié soutient tout d'abord que les faits qui lui sont reprochés sont prescrits, l'employeur en ayant eu connaissance depuis plus de deux mois lorsqu'il a engagé la procédure de licenciement puisqu'au mois de mai 2012, M. D..., directeur des ventes, participait à la réalisation et à la finalisation d'une affaire avec la société INTECA, information portée à la connaissance de M. JEANKINS, directeur général de division et de M. GOETZ, président du groupe.

Mais l'employeur justifie qu'il n'a eu connaissance de l'exacte réalité des faits reprochés que dans le cadre de l'enquête qu'il a menée suite à l'alerte lancée par M. A... B... en octobre 2012. Il produit en effet le courriel de dénonciation adressé par ce dernier lequel démontre suffisamment le caractère occulte de la poursuite des relations contractuelles prohibées avec la société INTECA.

Le salarié conteste avoir commis une faute grave en contractant au nom de son employeur avec la société INTECA, mais il ne s'explique nullement sur la réalité des tâches confiées à cette société contre un pourcentage des marchés obtenus alors que l'employeur justifie qu'il disposait d'une force commerciale en France et qu'il produit en pièces n° 51 à 54 des courriels explicites lesquels démontrent suffisamment que la société INTECA vendait bien des informations confidentielles sur les offres des concurrents.

Il sera encore relevé que le salarié avait obtenu un certificat de réussite le 10 mars 2011 à une formation intitulée « La lutte contre les pots de vin et la corruption ' respect de la loi anglaise UK Bribery Act de 2010 » et qu'il avait attesté le 1er août 2011 : «

Je reconnais avoir lu le code de déontologie.

J'en ai saisi le sens et posé des questions, le cas échéant. Je consens à respecter le code de déontologie dans le cadre de mes activités professionnelles. »

De plus, l'employeur justifie par la production d'un courriel du 7 juillet 2011, adressé par le salarié à son interlocuteur chez INTECA, qu'il cherchait bien les moyens de dissimuler les relations contractuelles entre les deux sociétés pour éluder les dispositions prises afin de lutter contre la corruption.

Dès lors, il est indifférent que l'employeur ait été informé de la nature réelle de ses relations avec la société INTECA avant le Bribery Act de 2010 puisque, depuis, il avait résolu de renoncer à telles pratiques par la diffusion d'un code de déontologie et d'un manuel des agents commerciaux et qu'il pouvait dès lors légitimement attendre de son directeur des opérations que ce dernier mette en pratique sa nouvelle politique de lutte contre la corruption et ne pas craindre qu'il dissimule le maintien des pratiques antérieures comme il est établi qu'il le fit.

En conséquence, l'employeur rapporte la preuve d'une faute grave qui rendait impossible le maintien du salarié dans l'entreprise durant la période de préavis et qui, de plus, justifiait sa mise à pied conservatoire, s'agissant d'une question de déontologie essentielle pour un directeur des opérations.

Le salarié sera ainsi débouté de l'ensemble de ses prétentions.

3/ Sur les autres demandes

L'équité commande d'allouer à l'employeur la somme de 1 500 au titre des frais irrépétibles d'appel par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Le salarié supportera les dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Dit que l'instance n'est pas périmée.

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions.

Déboute M. E... F... de l'ensemble de ses demandes.

Y ajoutant,

Condamne M. E... F... à payer à la SA WEIR FRANCE la somme de 1 500 au titre des frais irrépétibles d'appel.

Condamne M. E... F... aux dépens d'appel.