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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 3, 26 septembre 2018, n° 16/24822

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Thomas Pink France (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Thaunat

Conseillers :

Mme Fremont, Mme Gil

TGI Paris, du 13 oct. 2016, n° 13/05461

13 octobre 2016

FAITS ET PROCEDURE :

Par acte sous seing privé en date du 25/02/2000, la société AXA COLLECTIVES aux droits de Iaquelle se trouve la société [...] a donné à bail commercial à la société THOMAS PINK FRANCE divers locaux à usage de boutique au rez-de-chaussée, entresol et sous-sol dépendant d'un immeuble situé [...], pour une durée de 9 ans à effet du 25/02/2000 pour se terminer le 24/02/2009 moyennant un loyer annuel en principal de 1 800 000 euros.

La société THOMAS PINK FRANCE exploite, dans les lieux loués, un fonds de commerce de chemiserie, prêt-à-porter et accessoires sous l'enseigne THOMAS PINK.

Par actes d'huissier de justice des 21/10 et 19/11/2010, la société THOMAS PINK FRANCE a fait signifier à la société [...] et à son gérant de biens, la société M. L., ADMINISTRATEURS DE BIENS SA, une demande de renouvellement du bail tendant à voir mettre un terme au bail en cours pour le 31/12/2010 à 24h00 et à voir renouveler le bail pour une durée de neuf années a compter du 01/01/2011 a zéro heure, moyennant un loyer au 01/01/2011 de 300 000 euros, hors taxes et hors charges, correspondant à la valeur locative de renouvellement.

Par acte d'huissier de justice du 25/01/2011,la société [...] a notifié à la société THOMAS PINK FRANCE un refus de renouvellement avec offre d'une indemnité d'éviction.

Une ordonnance du juge des référés du tribunal de grande instance de Paris, saisi à cette fin par la société [...], a désigné Mme M.-G. en qualité d'expert chargé de donner son avis sur l'indemnité d'éviction due par le bailleur et sur l'indemnité d'occupation due par le preneur.

Par acte d'huissier de justice du 20/09/2012, la société THOMAS PINK FRANCE a fait assigner la société [...] devant le tribunal de grande instance de Paris aux fins de voir :

- constater que le bail à elle consenti a pris 'n le 31/12/2010 par l'effet de la réponse de

Ia société [...] refusant Ie renouvellement du bail pour le 01/01/2011,

- juger qu'elle a droit à une indemnité d'éviction conformément a l'article L. 145-14 du code de commerce,

- fixer à la somme de 8 000 000 euros le montant de l'indemnité d'éviction due par la

société [...] sauf a parfaire en fonction de l'expertise et des références qui seront produites aux débats,

- condamner, en tant que de besoin, Ia société [...] au paiement de cette indemnité,

- condamner la société [...] aux dépens de Ia procédure qui pourront être recouvres directement par la SCP B.- R., conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile, ainsi qu'au paiement de la somme de 20 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

L'expert a déposé son rapport le 15/03/2013.

Il conclut à une perte du fonds de commerce de la société THOMAS PINK FRANCE et évalue l'indemnité d'éviction à la somme totale de 3 430 000 euros incluant une indemnité principale égale au droit au bail d'un montant de 2 650 000 euros et diverses indemnités accessoires (frais de remploi, trouble commercial, réfactions diverses, frais de déménagement et frais de réinstallation). Il évalue également l'indemnité d'occupation due à compter du 01/01/2011 à la somme annuelle de 380 000 euros.

Par jugement du 13 octobre 2013, le tribunal de grande instance de Paris a :

Dit que la notification du droit de repentir par courrier électronique du 28/11/2012 de Chandy S. n'est pas valable et est inopposable à la société [...],

Dit que la société [...] n'a pas exercé son droit de repentir par courrier électronique du 28/11/2012,

Dit que, par l'effet du refus de renouvellement signifié le 25/01/2011, le bail a pris fin le 31/12/2010 à 24h 00,

Dit que l'éviction entraîne la perte du fonds exploité par la société THOMAS PINK FRANCE dans les locaux appartenant à la société [...] situes à [...],

Fixé à la somme de 2 993 034 euros le montant de l'indemnité d'éviction, toutes causes confondues, due par la société [...] à la société THOMAS PINK FRANCE, outre les frais de licenciement qui seront payés sur justificatifs,

Dit que la société THOMAS PINK FRANCE est redevable à l'égard de la société [...] d'une indemnité d'occupation à compter du 01/01/2011,

Fixé Ie montant de cette indemnité d'occupation a la somme annuelle de 363 375 euros, outre les taxes et charges,

Dit que la compensation entre le montant de l'indemnité d'éviction et de l'indemnité d'occupation s'opérera de plein droit,

Débouté la société [...] de sa demande tendant à faire courir les intérêts au taux légal sur les compléments d'indemnité d'occupation,

Condamné la société [...] à payer à la société THOMAS PINK FRANCE la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Débouté les parties du surplus de leurs demandes,

Condamné la société [...] aux entiers dépens, en ce compris les frais d'expertise judiciaire et dit qu'ils pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,

Dit n'y avoir lieu d'ordonner l'exécution provisoire.

Par déclaration en date du 12 décembre 2016, SAS THOMAS PINK FRANCE a interjeté appel de ce jugement.

Dans ses dernières conclusions notifiées par le RPVA le 30 avril 2018, la SAS THOMAS PINK FRANCE demande à la cour de :

Vu les articles L 145-34, L 145-58 et R 145-23 du Code de commerce,

Vu l'article 1998 du Code civil,

Recevant la société THOMAS PINK FRANCE en son appel, l'y déclarer bien fondée.

Infirmer le jugement dont appel et statuant à nouveau,

A TITRE PRINCIPAL :

- constater et juger que la société [...] a valablement exercé son droit de repentir par son courrier électronique du 28 novembre 2012, au besoin par ratification tacite du repentir exercé par son mandataire,

- juger que le bail a, en vertu du droit de repentir, été renouvelé à compter du 28 novembre 2012,

En conséquence,

' fixer le montant de l'indemnité d'occupation due par la société THOMAS PINK FRANCE au cours de la période allant du 1er janvier 2011 au 28 novembre 2012 à la somme annuelle de 342.000 € HT et HC,

' statuer sur le loyer du bail renouvelé à compter du 28 novembre 2012,constater et juger l'absence de modification notable des facteurs locaux de commercialité entre le 25 février 2000 et le 28 novembre 2012,

' fixer le loyer du bail renouvelé à compter du 28 novembre 2012 à la somme annuelle de 423.300 € HT et HC,

' condamner la société [...] à payer à la société THOMAS PINK FRANCE la somme de 15.000 euros correspondants aux frais d'avocats exposés par la société THOMAS PINK FRANCE pour se faire assister dans le cadre de la procédure d'expertise en fixation de l'indemnité d'éviction,

' dire que la société [...] supportera l'ensemble des dépens relatifs à la procédure en fixation de l'indemnité d'éviction et conservera à sa charge les frais d'expertise,

A TITRE SUBSIDIAIRE, pour le cas où la Cour retiendrait l'absence d'exercice du droit de repentir de la bailleresse :

- Fixer l'indemnité d'éviction due par la société [...] au profit de la société THOMAS PINK FRANCE à la somme totale de 4 324 426 euros, outre les frais de licenciement qui seront dus sur justificatifs ;

- Condamner la société [...] au paiement de l'indemnité d'éviction ainsi fixée ;

- Fixer le montant annuel de l'indemnité d'occupation due par la société THOMAS PINK FRANCE jusqu'à la libération des locaux à la somme de 342.000 euros

- Ordonner la compensation entre l'indemnité d'éviction et l'indemnité d'occupation

DANS TOUS LES CAS :

- condamner la société [...] au paiement de la somme de 20.000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile,

- condamner la société [...] aux entiers dépens y compris les frais d'expertise, dont le recouvrement sera poursuivi par Maître Laurence T.-B. conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de Procédure Civile,

Dans ses dernières conclusions notifiées par le RPVA le 14 mai 2017, la société [...] demande à la cour de :

Vu les articles 114 et 648 du Code de procédure civile,

Vu les articles 317 et suivants du Code de procédure civile,

Vu les articles L.145-34, L.145-58, L. 145-14, L.145-28, R.145-23 du Code de Commerce,

Vu le jugement du 13 octobre 2016,

Confirmer le jugement du 13 octobre 2016 en ce qu'il a :

- jugé que la société [...] n'a consenti aucun mandat à la société CS IMMOBILIER, qui n'a aucun pouvoir pour exercer le droit de repentir en ses lieux et place,

- jugé que la notification du droit de repentir exercée par courriel, par la société CS IMMOBILIER est non valable et de ce fait inopposable à la société [...],

- fixé la valeur locative de marché à 4.000 euros €/m²,

- fixé le loyer théorique de renouvellement à 385.442,00 euros,

- fixé le montant du trouble commercial à 23.000 euros,

- fixé les frais administratifs à 3.000 euros, débouté la société THOMAS PINK de sa demande au titre des frais de réinstallation,

- fixé le montant de l'indemnité d'occupation à la somme de 2.500 euros/m²,

Infirmer le jugement dont appel pour le surplus,

Sur ce,

Statuant à nouveau,

Juger recevable et bien fondée la société [...] en ses demandes,

A titre principal,

Fixer le coefficient de situation des lieux à 7,

Fixer les indemnités de remploi à la somme de 175.580 euros,

Débouter la société THOMAS PINK en ses demandes au titre des frais de déménagement,

En conséquence,

Fixer le montant de l'indemnité d'éviction à la somme totale de 2.263.580 euros, outre les frais de déménagement et ceux de licenciement devant revenir à la société THOMAS PINK France, Infirmer le jugement en ce qu'il a retenu un abattement de 15% de l'indemnité d'occupation,

Fixer l'indemnité d'occupation à la somme annuelle en principale de 427.500 € hors charges et hors taxes, à compter du 1 er janvier 2011 et jusqu'à la date de libération des lieux,

Condamner la Société THOMAS PINK France à payer à la société [...] une indemnité d'occupation en principal d'un montant de 427.500 € par an à compter du 1er janvier 2011 jusqu'à la date de libération des lieux,

Juger que l'indemnité d'occupation sera majorée des charges, taxes et accessoires applicables en vertu des dispositions du bail,

Juger que l'indemnité d'occupation sera indexée chaque année en fonction de la variation de l'indice INSEE du coût de la construction, et pour la première fois le 1 er janvier 2012,

Juger que les compléments d'indemnité d'occupation porteront intérêt au taux légal en application de l'article 1155 du Code Civil,

Juger que les intérêts échus depuis plus d'un an porteront eux-mêmes intérêt au taux légal en application de l'article 1154 du Code Civil,

A titre subsidiaire,

Dans l'hypothèse où la Cour considérerait que le bailleur a exercé son droit de repentir,

Fixer le montant de l'indemnité d'occupation due par la société THOMAS PINK France au cours de la période allant du 1er janvier 2011 au 28 novembre 2012, à la somme annuelle de 427.500 euros HT/HC,

Fixer le loyer du bail renouvelé à compter du 28 novembre 2012 à la somme annuelle en principal de 423.300 euros HT/HC, correspondant au loyer plafonné,

Juger que le loyer fixé portera intérêt au taux légal, conformément aux dispositions de l'article 1155 du Code Civil, de plein droit à compter de sa date d'effet.

Juger que les intérêts échus depuis plus d'une année porteront eux-mêmes intérêt conformément à l'article 1154 du Code Civil.

En tout état de cause,

Débouter la Société THOMAS PINK France de l'ensemble de ses demandes fins et conclusions,

Condamner la Société THOMAS PINK France aux entiers dépens dont bénéfice au profit de la SCP J. M. ASSOCIES représentée par maître André J., en application de l'article 699 du Code de procédure civile, ainsi qu'au paiement de la somme de 15.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du même code.

La procédure a été clôturée le 16 mai 2018.

MOTIFS

Sur la validité du droit de repentir notifié à la SAS THOMAS PINK FRANCE

La société bailleresse conteste la validité du droit de repentir exercé dans un courriel daté du 28/11/2012, dans la mesure où le bailleur n'en est pas le rédacteur, ni le mandant de la société CS IMMOBILIER, alors qu'en vertu de l'article L.145-58 du code de commerce seul le propriétaire peut exercer ce droit de repentir. Elle ajoute qu'une jurisprudence constante précise que l'exercice de ce droit doit avoir un caractère clair et non équivoque pour être valable, et que l'article 1988 du code civil dispose que le mandat conçu en termes généraux n'embrasse que les actes d'administration, alors que la conclusion d'un bail commercial est un acte de disposition. Le mandataire de la société [...] devait donc en application de l'article 1988 du code civil, être muni d'un mandat exprès pour exercer valablement le 28/11/2012 au nom et pour le compte de celle-ci, le droit de repentir, et que faute pour Mme S. de détenir un mandat spécial du bailleur pour exercer ce droit de repentir, la validité de l'exercice de ce droit aux termes de ce courriel n'est pas démontrée et le jugement qui a dit que le droit de repentir n'a jamais été exercé doit être confirmé.

La SAS THOMAS PINK FRANCE soutient que le droit de repentir émane du bailleur personnellement, dès lors qu'il émane de son représentant agissant au nom et pour le compte du bailleur la société [...], société de droit danois. Ce représentant était à l'époque du repentir comme aujourd'hui, la société CS IMMOBILIER, mandatée en qualité de gestionnaire du bien, pour agir en France pour son compte.

Elle prétend qu'après la notification - traduite en danois- d'acceptation qui lui a été faite au Danemark par huissier, le bailleur n'a pas dénié le mandat donné à ce représentant ni contesté quoi que ce soit, ni davantage donné instruction à son avocat de contester le repentir, et que ce n'est qu'à la faveur des conclusions de la locataire, un an plus tard que la bailleresse a cru pouvoir contester le repentir. Elle soutient que c'est au bailleur qu'il appartenait de produire le mandat de gestion dès lors que la qualité de mandataire de la société CS IMMOBILIER était avérée.

Elle s'appuie sur un arrêt de principe rendu par la chambre mixte de la Cour de cassation en date du 24 février 2017 qui est venu préciser que les dispositions de la loi n°70-9 du 2 janvier 1970 dite « Hoguet » relatives à l'exercice de la profession d'agent immobilier ne sont pas des dispositions ayant pour objet la sauvegarde de l'intérêt général, mais la sauvegarde d'un intérêt privé, qui doivent être sanctionnées non par une nullité absolue mais par une nullité relative. Ainsi le bailleur a ratifié de manière parfaitement non équivoque, les actes accomplis en son nom et pour son compte par son mandataire conformément aux dispositions de l'article 1998 alinéa 2 du code civil, puisqu'invité par l'expert à s'expliquer en janvier 2013 sur l'exercice de ce repentir, il n'a pas émis la moindre contestation pendant un an jusqu'à ce que le locataire revendique judiciairement ses droits.

Sur ce :

En droit, l'article L.145-58 du code de commerce organise le droit pour le propriétaire de se soustraire au paiement de l'indemnité d'éviction en offrant le renouvellement du bail qu'il avait précédemment refusé. Cet article ne prévoyant aucun formalisme pour l'exercice de ce droit, la jurisprudence considère que le repentir peut être exprimé par tout moyen pourvu qu'il ne soit pas équivoque et que la preuve en soit établie.

Ainsi un avocat ou un gestionnaire de bien peut effectuer cet acte pour le compte du bailleur, à condition qu'il justifie d'un mandat exprès à cette fin.

En l'espèce, le courrier électronique litigieux ainsi rédigé :

« Cher monsieur,

Conformément à notre rendez-vous de ce jour, je vous confirme que le propriétaire entend exercer son droit de repentir et vous offre le renouvellement des locaux dépendant de l'immeuble sis [...] 1er 75008 Paris, au prix annuel de 606.400 euros hors charges hors taxes.(..) » est signé par Madame Chandy S., représentant CS IMMOBILIER.

S'il résulte de l'extrait Kbis de la société CS IMMOBILIER, société de transaction et de gestion immobilière, que Mme Chandy S. en est la gérante depuis le 28 juin 2012, il n'est pas justifié pour autant qu'elle ait disposé d'un mandat exprès du propriétaire pour exercer le droit de repentir de ce dernier.

Pourtant ce mandat exprès est exigé par l'article 1998 du code civil pour les actes de disposition, ce que ne conteste pas la SAS THOMAS PINK FRANCE qui se contente d'affirmer que Mme S. était bien le mandataire de la société [...].

La charge de la preuve de l'existence d'un mandat exprès incombe à la société locataire qui s'en prévaut, et qui aurait dû mettre en cause la société CS IMMOBILIERE dans la mesure où elle considérait que ce mandataire était pourvu d'un mandat spécial donné à l'effet d'exercer le droit de repentir du bailleur.

Certes, le bailleur a été interrogé par l'expert judiciaire sur le droit de repentir exercé en son nom, mais il n'a apporté aucune réponse à cette demande.

Le silence opposé par le bailleur tant à la notification d'acceptation du droit de repentir, qu'au courrier de l'expert judiciaire, qui n'est pas un acte positif et non équivoque, ne peut constituer une ratification tacite d'un acte qui exigeait que son rédacteur se soit vu confier un mandat exprès dont l'existence n'est pas rapportée, et en conséquence la notification de l'acceptation du droit de repentir faite les 7 et 22 janvier 2013 au bailleur ne peut produire aucun effet.

Il s'ensuit qu'en l'absence de l'exercice du droit de repentir par la société [...], le refus de renouvellement du bail a conféré à la SAS THOMAS PINK FRANCE le bénéfice au droit à une indemnité d'éviction et au maintien dans les lieux jusqu'au paiement de cette indemnité.

Sur la fixation de l'indemnité d'éviction

Aux termes des dispositions de l'article L.145-14 du code de commerce, l'indemnité d'éviction doit être égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement; elle comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre.

Cette indemnité ne peut en tout état de cause être inférieure à la valeur du droit au bail.

La méthode la plus usuelle en matière d'évaluation du droit au bail est celle retenant la différence entre le loyer tel qu'il aurait été si le bail avait été renouvelé et la valeur locative du marché.

1. Sur l'indemnité principale

Sur la description de l'immeuble

Les locaux évalués sont situés à [...] 1er, qui est une artère à sens unique de circulation automobile qui relie l'[...] à l'[...] V, avec un stationnement bilatéral réglementé et un parc public de stationnement souterrain. Cette rue est dotée d'une active commercialité et concentre une majorité d'enseignes du luxe, principalement en matière d'équipement de la personne et en particulier de mode masculine.

Les locaux expertisés dépendent de la section basse de l'artère, la plus recherchée, comprise entre la [...] et la [...], à proximité de l'[...] depuis laquelle les locaux sont faiblement visibles.

Du rapport d'expertise il ressort que les lieux loués dépendent d'un immeuble de construction ancienne, élevé sur sous-sol, d'un rez-de-chaussée, de quatre étages droits, un étage derrière balcon curant et un étage en retrait mansardé sous toiture de zinc.

Ils prennent accès à gauche de l'entrée de l'immeuble et développent un linéaire de façade de 11,60 mètres ponctué de 3 baies assez étroites.

D'une superficie utile totale de 314,24 m² ils comprennent :

- au rez-de-chaussée, une zone de vente de 182m², dont une partie sur l'arrière est accessible contre-haut de trois marches, avec une cabine d'essayage

- en mezzanine, accessible par un dégagement dans la partie arrière de la zone de vente, en contre-haut de six marches, une zone de vente de 58m² avec deux cabines d'essayage et un débarras

- à l'entre-sol, un palier, une kitchenette, une réserve climatisée, deux bureaux, dont l'un donnant sur un patio privatif de 15m² couvert sous verrière, d'une surface totale de 68,24m²

- au sous-sol, un palier et un bloc sanitaire de 6 m².

L'activité exercée est la vente d'articles prêt-à-porter hommes et femmes de la marque anglaise THOMAS PINK.

L'expert a estimé la surface pondérée des locaux à 171m² qui est acceptée par les parties.

Sur la valeur locative du marché

Mme Maigné-G. a ensuite recherché des termes de comparaison avec les prix couramment pratiqués dans le voisinage.

Elle a ainsi retenu 5 nouvelles locations rue François 1er entre 2009 et 2012 pour des prix unitaires variant de 2174€ à 5769€/m²B, des renégociations de loyers avec déspécialisation et accord de travaux pour 4 baux situés [...] pour des prix unitaires de 1212€ à 2135€/m² et 3 fixations judiciaires [...] 1er en 2005 et 2006 allant de 1677€ à 2300€/m²B.

La SAS THOMAS PINK FRANCE pour sa part ne retient que les locations nouvelles [...] 1er, en excluant celle sise au [...] 1er, comme étant située [...] d'une moindre commercialité, et celles situées [...] comme étant trop éloignées de la [...]. Evoquant une forte demande pour ce type d'emplacement recherché par les enseignes de luxe, et l'implantation de nouvelles enseignes [...] depuis le dépôt du rapport d'expertise, elle en déduit une valeur locative de marché de 4 250€/an/m²B.

La société [...] estime que la valeur locative de marché de 4.000 €/m²B, telle que déterminée par l'expert, n'appelle aucune observation particulière et peut être entérinée, comme l'a retenu le tribunal. Elle ajoute que la société THOMAS PlNK ne produit d'ailleurs pas de références supplémentaires par rapport à celles étudiées en expertise.

La cour retient que compte tenu de l'implantation favorable sur une artère recherchée du Triangle d'Or dans une section de l'artère cotée d'une commercialité élevée au voisinage de l'[...] d'où les locaux sont faiblement visibles, de la destination contractuelle bien adaptée au site, de la qualité de l'immeuble avec l'avantage de la jouissance d'un patio privatif, et des éléments de comparaisons constituées par les nouvelles locations [...] 1er entre 2009 et 2012, la valeur locative de marché doit être évaluée à 4 250€/an/m², soit 4 250€ x 171m² = 726 750€.

Sur le loyer revalorisé

L'expert a calculé le loyer revalorisé au 1/01/2011, comme si le bail était renouvelé à cette date, et en a déduit que le loyer annuel serait de : 274 408 x 1517 (2e T 2010) = 385 442€.

1080 (3e T 1999)

Cependant la société [...] conteste ce calcul effectué comme si le loyer était plafonné, alors qu'elle considère qu'il existe des motifs de déplafonnement du loyer tels que l'évolution des constructions neuves édifiées au cours du bail à renouveler dans un rayon de 400 m et la densification commerciale subie par l'[...], du fait d'une évolution significative du nombre de commerces, et l'implantation dans cette artère dans la période de référence de 30 enseignes nouvelles et de 4 transferts de boutiques, toutes de qualité internationale et haut de gamme, sur une avenue qui en comporte 61, ce qu'elle estime considérable.

Elle ajoute que cette analyse a été entérinée par un arrêt du 7 juin 2017 de la cour d'appel de Paris qui a considéré, sur la même période que le bail objet des présentes, qu'il y avait lieu de pratiquer un déplafonnement du loyer de renouvellement des commerces situés [...].

Elle estime donc la valeur locative de renouvellement à la somme de 3 000 € x 171m² = 513 000 €.

La SAS THOMAS PINK FRANCE rappelle que Mme Maigné-G. a conclu qu'il n'y avait pas eu au cours de la période de référence de modification notable des facteurs locaux de commercialité susceptible d'avoir une incidence sur le commerce exercé par la société THOMAS PINK FRANCE, et que la cour d'appel de Paris dans une décision du 3 juillet 2008 a conclu au plafonnement pour des locaux situés [...].

La cour relève que l'expert judiciaire a étudié la modification notable des facteurs locaux de commercialité invoquée par la bailleresse. Elle a ainsi retenu que la fréquentation des deux stations de métro les plus proches Franklin R. et George V avait connu une légère baisse de -2% en moyenne.

S'agissant du développement de l'hôtellerie de luxe dans le quartier, celui-ci n'a constitué essentiellement qu'en des opérations de restructuration du carré d'Or (une galerie marchande abritant de nombreuses boutiques de joaillerie transformée en un hôtel 5 étoiles Le Fouquet's Barrière), ou de rénovation d'hôtels 4 ou 5 étoiles existants (Hôtel Georges V, Hôtel François 1er, Hôtel Latrémoille), la seule création d'un hôtel dans le périmètre d'usage de 400m est l'Hôtel Pershing Hall situé rue Pierre Charron qui propose 26 chambre et 5 suites. L'expert en déduit que si le parc hôtelier a été requalifié, sa capacité d'accueil ne s'est pas notablement développée, et que d'autre part l'examen de la fréquentation des établissements de catégories 4 étoiles et 4 étoiles Luxe entre 2000 et 2010 ( source INSEE/Direction du Tourisme), connue à l'échelle de Paris tout entier, ne souligne qu'une simple stabilité.

Enfin si la rue François 1er est de longue date vouée au luxe, l'expert relève que les enseignes de luxe (CARTIER, CHAUMET et DUBAIL) dont se prévaut le conseil de la bailleresse, parce qu'il s'appuie sur un rapport d'expertise ancien, étaient déjà présentes à la prise d'effet du bail et que seule l'enseigne KORLOFF s'est implantée en 2004 au n° 51 mais elle a remplacé une autre enseigne de luxe DUNHILL. Elle ajoute que ne sont notés que des remplacements d'enseignes de bonne gamme par d'autres et que la seule évolution significative est la 'féminisation' de l'artère, qui est indifférente au regard du commerce exercé, l'enseigne THOMAS PINK distribuant des articles d'équipement de la personne essentiellement masculins.

Elle en conclut, avec pertinence, que ces constats ne permettent pas de conclure à une modification notable des facteurs locaux de commercialité susceptible d'avoir eu une incidence sur le commerce exercé par la locataire.

En conséquence le loyer théorique en renouvellement du bail doit donc être fixé à la somme de 385 442 €.

Sur la valeur du droit au bail

L'expert judiciaire a proposé d'appliquer un coefficient de 9 compte tenu du niveau de la très bonne commercialité de la section de la rue François 1er, et de la proximité de l'avenue Montaigne et de la forte demande d'emplacements des enseignes de luxe.

La SAS THOMAS PINK FRANCE plaide pour l'application d'un coefficient de 9,5 et la société [...] pour le coefficient de 8.

Le différentiel entre la valeur locative de marché et la valeur du loyer de renouvellement s'élève à 726 750€ - 385 442€ = 341 308€.

Ainsi il convient de retenir l'application du coefficient de 9, proposé par l'expert en tenant compte des éléments ci-dessus, pour fixer la valeur du droit au bail, qui s'élève donc à la somme de 341 308 x 9 = 3 071 772€ arrondis à 3 070 000€.

Sur la valeur du fonds de commerce

Il n'est pas contesté que l'éviction entraîne la perte du fonds.

L'expert judiciaire affirme, sans être véritablement contredit par les parties, que cette valeur du droit au bail, qui représente 29 fois la capacité bénéficiaire (mesurée en termes d'EBE) de ce seul point de vente de la marque et un taux de 212 % du chiffre d'affaires moyen HT des trois dernières années d'exercice, exclut une valorisation du fonds de commerce au-delà de la valeur du droit au bail.

Il s'infère de tous ces éléments que le montant de l'indemnité d'éviction en principal retenu par la cour sera celle correspondant à la perte du fonds, soit la somme de 3 070 000€.

2. Sur les indemnités accessoires

Certaines indemnités proposées par l'expert et fixées par le tribunal, qui ne sont pas contestées, seront confirmées :

- trouble commercial : 23 000 €

- frais administratifs et sociaux : 3 000 €

- frais de déménagement : 16 000 €

- frais de licenciement : remboursés sur justificatifs.

S'agissant des frais de remploi, l'expert les a calculés en fonction des tranches des droits de mutation puis y a ajouté un forfait de 5% pour les frais et honoraires juridiques et de transaction. La société [...] demande que ce calcul soit homologué tandis que la SAS THOMAS PINK FRANCE sollicite un taux de 6% pour les frais et honoraires juridiques et de transaction.

Le forfait de 5% apparaît adapté aux frais et honoraires à venir et les frais de remploi seront donc calculés comme suit, après une franchise de taxe sur la première tranche de 23 000€:

* 2ème tranche : 177 000 € x 3% = 5 310 €

* surplus : 2 870 000 € x 5% = 143 500 €

* frais et honoraires juridiques et de transaction : 3 070 000 € x 5% = 153 500 €

Total : 302 310 €

S'agissant des frais de réinstallation, l'expert a rappelé que la question de l'indemnisation éventuelle de frais de réinstallation peut se poser même dans l'hypothèse retenue ici de la perte du fonds de commerce, et que si ceux-ci devaient être retenus, ils pourraient être estimés valeur à neuf à 480 000 €. Mais l'expert relève que ce chef d'indemnisation pourrait être réduit ou écarté pour les motifs suivants :

* accession en fin de jouissance sans indemnité des améliorations financées par la locataire

* prise en compte des immobilisations corporelles dans l'estimation du fonds de commerce

* obsolescence des agencements qui justifierait un abattement de vétusté.

* volonté du locataire de financer des travaux d'agencements des locaux afin de les mettre aux normes de l'identité visuelle de son nouveau concept.

La SAS THOMAS PINK FRANCE réclame donc la somme de 720 000€ en arguant qu'il importe peu que le bail comporte une clause d'accession au profit du bailleur et et que la jurisprudence considère que le locataire n'avait pas à supporter les frais d'une réinstallation coûteuse à proportion du degré d'amortissement des investissements qu'il abandonnait par la contrainte et qu'il convenait de tenir compte de ces frais de réinstallation pour évaluer le préjudice subi par le locataire évincé.

La société [...] s'oppose à cette indemnité au motif qu'il s'agit d'une indemnité de remplacement et non d'une indemnité de transfert, et que sa valorisation inclut déjà les installations que comporte le fonds de commerce, ajoutant que les éléments dont la société THOMAS PlNK sollicite le versement ont fait accession au bailleur, et qu'il n'y a donc aucune raison de retenir leur indemnisation.

Aux termes de l'article L.145-14 du Code du commerce, le locataire évincé a droit aux frais de réinstallation, qui viennent s'ajouter à la valeur du fonds, tant dans l'hypothèse de la perte du fonds que dans celle de son transfert. Ces frais tiennent au coût d'aménagement de locaux indispensable pour les adapter à l'activité exercée, et non pas au matériel nécessaire à l'activité qui fait partie intégrante du fonds.

Il doit être tenu compte pour évaluer le préjudice subi par le locataire évincé des frais nécessaires à sa réinstallation, mais à proportion du degré d'amortissement des investissements réalisés.

En raison de l'obsolescence des agencements relevés par l'expert, de la vétusté des installations abandonnées dans le local faisant l'objet de l'éviction, et de l'aveu de la locataire dans le dire de son conseil à l'expert du 14 mars 2013 selon lequel elle aurait dû, hors éviction, engager des travaux d'agencement des locaux afin de les mettre aux normes de l'identité visuelle de son nouveau concept, aucune indemnité ne sera allouée à ce titre.

L'indemnité d'éviction s'élève donc à la somme totale de 3 414 310€ (3 070 000€ + 23000€ + 3 000€ + 16 000€ + 302 310€).

Sur l'indemnité d'occupation .

En application de l'article L.145-28 du code de commerce, le locataire évincé qui se maintient dans les lieux est redevable d'une indemnité d'occupation jusqu'au paiement de l'indemnité d'éviction calculée d'après la valeur locative, tout en corrigeant cette dernière de tous éléments d'appréciation.

Les parties ne discutent pas la valeur unitaire de 2500 euros le m²P proposée par l'expert due par la locataire à compter du 01/01 /2011, hors abattement de précarité, mais la SAS THOMAS PINK FRANCE veut y appliquer un abattement de précarité de 20%, auquel s'oppose la société [...] au motif que la locataire ne justifie d'aucun préjudice particulier.

Du fait de la procédure d'éviction qui a duré sept années, la société locataire a notamment été empêchée de procéder aux travaux de rénovation de la boutique qu'elle envisageait, engendrant un préjudice née de la situation précaire dans laquelle elle s'est trouvée du fait de la procédure d'éviction. Un abattement de précarité de 10% sera donc appliqué à l'indemnité d'éviction conformément aux usages.

L'indemnité d'occupation est donc évaluée à la somme annuelle de :

2 500€ x 171m²P = 427 500€ - 10% = 384 750€ HC HT.

Il y a lieu de faire droit à la demande d'indexation annuelle de l'indemnité d'occupation présentée par le bailleur au 1er janvier de chaque année en fonction de l'indice INSEE du coût de la construction du 2e trimestre de l'année précédente, l'indice de base étant celui du 2e trimestre 2010 (1517).

Sur les autres demandes

Compte tenu de la compensation qui sera opérée entre l'indemnité d'éviction et les indemnités d'occupation, il n'y a pas lieu d'appliquer sur ces indemnités d'occupation des intérêts au taux légal ni de faire droit à la demande de capitalisation.

L'équité commande de faire application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de la SAS THOMAS PINK FRANCE à hauteur de 5 000 euros.

Les dépens seront supportés par la société [...].

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement, à l'exception de ses dispositions ayant fixé le montant de l'indemnité d'éviction et le montant de l'indemnité d'occupation ;

Statuant à nouveau de ces chefs,

Fixe à la somme de 3 414 310 euros le montant de l'indemnité d'éviction totale due par la société [...] à la SAS THOMAS PINK FRANCE, outre les frais de licenciement qui seront payés sur justificatifs ;

Fixe le montant de l'indemnité d'occupation annuelle due par la SAS THOMAS PINK FRANCE à compter du 1er janvier 2011 à la somme de 384 750 euros, outre les charges et les taxes ;

Et y ajoutant,

Dit que l'indemnité d'occupation sera indexée sur l'indice INSEE du coût de la construction du 2e trimestre de l'année précédente, l'indice de base étant celui du 2e trimestre 2010 (1517) ;

Condamne la société [...] à payer à la SAS THOMAS PINK FRANCE la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société [...] aux dépens d'appel et fait application de l'article 699 du code de procédure civile au profit de M° Laurence T.-B..