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Décisions

Cass. soc., 4 novembre 2020, n° 18-15.669

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cathala

Rapporteur :

Mme Richard

Avocat général :

Mme Laulom

Avocats :

Me Bouthors, SCP Lyon-Caen et Thiriez

Cons. prud’h. Versailles, du 26 août 201…

26 août 2016

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué statuant en référé (Versailles, 27 février 2018), M. W..., engagé en qualité de consultant senior par la société Eurodécision, spécialisée dans le développement de solutions logicielles et d'expertises dans le domaine de l'optimisation et des solutions d'aide à la décision, s'est vu confier une mission auprès d'un technocentre Renault. Lors d'un entretien du 16 mars 2016, l'employeur a évoqué avec le salarié avoir été averti de l'envoi par l'intéressé d'un courriel politique à des salariés de la société Renault. Le 18 mars 2016, il lui a notifié une mise à pied conservatoire et l'a convoqué à un entretien préalable prévu le 25 mars suivant en vue d'un éventuel licenciement. Le 31 mars 2016, le salarié a fait l'objet d'un avertissement pour violation du guide d'information de la société Renault et notamment de sa lettre de mission au technocentre. Il a été licencié le 21 avril 2016 pour faute grave, l'employeur lui reprochant un manquement à ses obligations de loyauté et de bonne foi, pour avoir procédé à l'enregistrement sonore de l'entretien informel du 16 mars 2016 à son insu et pour avoir communiqué cet enregistrement à des tiers afin d'assurer sa diffusion le 21 mars 2016 dans le cadre d'une vidéo postée sur le site internet Youtube. L'enregistrement diffusé révélait qu'au cours de l'entretien du 16 mars 2016 l'employeur avait déclaré : "donc ils surveillent, ils surveillent les mails, et à ton avis les mails de qui ils surveillent en priorité '...Bah les mails des syndicalistes bien évidemment... t'es pas censé, en tant qu'intervenant chez Renault, (de) discuter avec les syndicats Renault. Les syndicats de Renault, ils sont là pour les salariés de Renault..."

2. Le salarié, faisant valoir que son licenciement était intervenu en violation de la protection des lanceurs d'alerte, a sollicité devant le juge des référés la cessation du trouble manifestement illicite résultant de la nullité de son licenciement et l'octroi de provisions à valoir sur la réparation de son préjudice. Les syndicats se sont joints à ces demandes.

Examen des moyens

Sur le second moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

3. L'employeur fait grief à l'arrêt statuant en référé, de prononcer la nullité du licenciement du salarié pour atteinte à la liberté d'expression et de le condamner au paiement de diverses sommes au bénéfice du salarié et des syndicats, alors « que la nullité du licenciement fondé sur la dénonciation par le salarié de conduites ou d'actes illicites constatés par lui sur son lieu de travail ne peut être prononcée pour violation de sa liberté d'expression que si les faits ainsi relatés sont de nature à caractériser des infractions pénales reprochables à son employeur ; qu'en prêtant au salarié la qualité de « lanceur d'alerte » en l'absence de la moindre caractérisation d'une faute pénale de l'employeur, la cour a derechef violé les dispositions de l'article L. 1132-3-3 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 1132-3-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 :

4. Selon ce texte, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime dont il aurait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions.

5. Pour prononcer la nullité du licenciement et condamner l'employeur au paiement de diverses sommes au salarié et aux syndicats, l'arrêt retient que la révélation des faits d'atteinte à la liberté d'expression dans le cadre d'échanges avec un syndicat est intervenue par la voie de médias par internet lors de la diffusion de l'enregistrement litigieux le 21 mars 2016 puis de l'entretien entre le salarié et un journaliste le 22 mars 2016, alors que M. W... avait personnellement et préalablement constaté que son employeur remettait en cause son droit à sa libre communication avec les syndicats de la société Renault, au vu des propos tenus par le dirigeant de la société Eurodécision lors de l'entretien informel du 16 mars 2016 et de la procédure disciplinaire avec mise à pied conservatoire engagée dès le 18 mars 2016 et suivie d'un avertissement puis de son licenciement pour faute grave. L'arrêt en déduit que le salarié est recevable à invoquer le statut de lanceur d'alerte et en conclut qu'en application des articles L. 1132-3-3 et L. 1132-3-4 du code du travail, il y a lieu de prononcer la nullité du licenciement.

6. En statuant ainsi, sans constater que le salarié avait relaté ou témoigné de faits susceptibles d'être constitutifs d'un délit ou d'un crime, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 27 février 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée.