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Décisions

CA Aix-en-Provence, 11e ch. a, 17 janvier 2017, n° 15/19402

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

SCI Wilson

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Bebon

Conseillers :

Mme Bruel, Mme Perez

TGI Nice, du 22 oct. 2015, n° 14/01144

22 octobre 2015

EXPOSÉ DU LITIGE

Par acte sous-seing privé du 7 décembre 1984, les époux R. aux droits desquels vient aujourd'hui la S.C.I Wilson, ont donné à bail à usage commercial aux époux T., aux droits desquels vient aujourd'hui Madame Sandrine B., un local à usage de presse- tabac à l'enseigne La Boutique ' tabac presse souvenirs' avec logement d'habitation dans un immeuble situé [...].

Suivant exploit en date du 16 juin 2011, Madame B. a formulé une demande de renouvellement que la S.C.I lui a refusé avec offre d'une indemnité d'éviction le 22 août 2011.

Par ordonnance de référé en date du 1er mars 2012, un expert a été désigné afin de donner les éléments permettant de statuer sur l'indemnité d'éviction et sur l'indemnité d'occupation.

L'expert a déposé son rapport le 29 octobre 2014.

Par jugement en date du 22 octobre 2015, le tribunal de grande instance de Nice a :

- condamné la S.C.I Wilson à payer à Madame B. la somme de 303'664 € (227'000 €+76'664€),

- condamné Madame B. à payer une indemnité d'occupation supplémentaire au regard des loyers payés égal à la somme de 39'367,89 euros hors charges,

- condamner Madame B. à payer la S.C.I Wilson la somme de 1.831,50 euros à titre de taxe foncière pour l'année 2014,

- prononcé la compensation judiciaire des sommes dues,

- condamné la S.C.I Wilson à payer à Madame B. la somme supplémentaire de 5.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté la S.C.I Wilson de sa demande de délais de grâce,

- ordonné l'exécution provisoire à hauteur de 180'000 € au bénéfice de Madame B..

La S.C.I Wilson a relevé appel de cette décision le 2 novembre 2015.

Dans ses dernières conclusions en date du 26 octobre 2016 auxquelles il est fait expressément référence pour plus ample exposé, la S.C.I Wilson demande à la cour de:

- réformer partiellement le jugement,

À titre principal,

- fixer le montant de l'indemnité d'éviction à la somme de 139'046 € correspondant à l'indemnité de déplacement du fonds de commerce ainsi que des indemnités accessoires,

- fixer le solde du sur le montant de l'indemnité d'occupation jusqu'à libération effective des lieux, soit jusqu'au 19 novembre 2014 à la somme de 43'648€ hors charges et condamner Madame B. au paiement de ce montant,

- fixer le montant de la remise en état des locaux à la somme de 8.760€ et condamner Madame B. au paiement de ce montant,

- condamner Madame B. au paiement de la somme de 1.998,40 euros au titre de la taxe foncière pour l'année 2014,

- ordonner la compensation entre les créances et dettes respectives,

- dire et juger que la S.C.I Wilson redevable à l'égard de Madame B. de la somme de 84'640€ au titre de l'indemnité d'éviction déduction faite de l'indemnité d'occupation, des travaux de remise en état des locaux et de la taxe foncière,

À titre subsidiaire,

- fixer le montant de l'indemnité d'éviction à la somme de 216'274 €correspondant à l'indemnité de remplacement du fonds de commerce, ainsi que des indemnités accessoires,

- fixer le solde du sur le montant de l'indemnité d'occupation à la somme de 43'648 € hors charges et condamner Madame B. au paiement de ce montant,

- fixer le montant de la remise en état des locaux à la somme de 8760€ et condamner Madame B. au paiement de ce montant,

- condamner Madame B. au paiement de la somme de 1998,40 euros au titre de la taxe foncière pour l'année 2014,

- ordonner la compensation entre les créances et dettes respectives,

- dit et juger que la S.C.I Wilson est redevable de la somme de 161'867,60 euros au titre de l'indemnité d'éviction déduction faite de l'indemnité d'occupation, des travaux de remise en état des locaux et de la taxe foncière,

En toute hypothèse,

- condamner Madame B. à payer à la S.C.I Wilson la somme de 5000 € sur la base de l'article 700 du code de procédure civile et les entiers dépens en ce compris les frais d'expertise.

Dans ses dernières conclusions en date du 24 octobre 2016 auxquelles il est fait expressément référence pour plus ample exposé, Madame B. demande à la cour de :

- réformer partiellement le jugement,

- condamner la S.C.I Wilson à payer les sommes suivantes :

- 280'000 € au titre de l'indemnité d'éviction correspondant la perte du fonds de commerce,

- 26'510 € au titre de l'indemnité de remploi,

- 1.750 € au titre du trouble commercial,

- 3.000 € au titre des frais administratifs,

- 35'014 au titre de la perte des travaux et agencements non amortis,

- 3.390 € au titre des frais de déménagement du logement d'habitation,

- 15'321 € au titre de la perte de stock,

- dire que la valeur locative du local ne saurait excéder la somme de 127 € le mètre carré par an ett dire que celle-ci doit être minorée d'un coefficient de précarité de 30 %,

- fixer dès lors la valeur locative totale annuelle à la somme de 18'952 € en 2012,19820 € pour 2013 après indexation, 18'622 € pour 2014 après indexation,

- dire et juger, compte tenu de l'indemnité d'occupation d'ores et déjà versée par Madame B. qu'elle reste redevable d'un arriéré de loyer pour l'année 2012 de 2080 €, pour l'année 2013 de 2.949€, pour l'année 2014 de 1015 € , soit un total de 6045€ ,

- donner acte à Madame B. de ce qu'elle doit la taxe foncière 2014 prorata temporis la somme de 1831,50 euros,

- ordonner la compensation des sommes dues,

- débouter la S.C.I Wilson du surplus de ses demandes,

- condamner la S.C.I Wilson à verser à Madame B. la somme de 5000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile,outre les entiers dépens.

MOTIFS DE LA DÉCISION

- Sur l'indemnité d'éviction

La S.C.I Wilson critique l'expert en ce qu'il a retenu prioritairement une indemnité de remplacement alors que le transfert du fonds était envisageable.

Mais elle s'abstient de rapporter la preuve de cette allégation et ne démontre pas qu'un local était disponible sur la commune au moment du congé alors que l'expert relève au contraire dans son rapport en page 23 que le village d'Auron n'offrait pas de locaux vacants disponibles à la location d'un commerce.

Madame B. a d'ailleurs déménagé définitivement et la bailleresse a exigé en fin de bail que Madame B. cède son droit de licence de tabac la privant de toute possibilité effective de réinstallation de son commerce.

L'indemnité de remplacement a donc été retenue à juste titre.

Madame B. critique le rapport de l'expert en ce qu'il a établi la valeur de l'indemnité d'éviction par application de la méthode des barèmes professionnels ( 253 000€) et par celle du calcul de l'excédent brut d'exploitation pondéré ( 227 000€), en procédant à une moyenne sur la base de deux chiffres.

Elle estime que la valeur retenue devait se situer à la hausse dès lors que son commerce, arrivé à maturité, pouvait encore évoluer par extension d'activités annexes permises par le bail et que la situation sur la place du village était un emplacement extrêmement favorable à l'exercice d'une exploitation.

Mais ainsi que l'a retenu le premier juge, s'appuyant sur les éléments de l'expertise, ces éléments positifs , retenus dans une large mesure sont en partie contrebalancés par l'obligation de maintenir le commerce ouvert toute l'année alors que le pic de vente n'est que saisonnier, par un chiffre d'affaires fluctuant avec une tendance en baisse sur les trois dernières années, par un emploi de salariés saisonniers grevant les résultats d'exploitation.

La valeur moyenne entre les deux résultatssera donc retenue pour la somme de 240 000€ telle que fixée par l'expert, le juge admettant le principe de cette valeur moyenne mais n'en ayant pas tiré les conséquences, en retenant par erreur celle issue de la première méthode de calcul.

La S.C.I bailleresse soutient par ailleurs que de cette somme doit être déduite la dévalorisation du fonds de commerce, liée au refus de la locataire évincée de transmettre la licence tabac dont elle bénéficiait au futur exploitant désireux de reprendre l'activité du tabac presse.

Mais d'une part cette licence attachée au fonds de commerce existait au moment du congé fixant la consistance du fonds qui est le support de l'indemnité d'éviction, et d'autre part il ne résulte d'aucune lettre du service des douanes que l'agrément aurait été finalement refusé au repreneur des locaux.

Cette demande sera donc rejetée.

- Sur les frais et indemnités accessoires

Les parties sont d'accord sur les chiffres retenus, à savoir un total de 76 664€.

Toutefois la locataire y ajoute en cause d'appel une somme supplémentaire de 15 321 € correspondant pour elle à la perte de stock consécutive à sa cessation d'activité effective au 19 novembre 2014.

La bailleresse s'oppose à cette demande en indiquant que la locataire a pris l'initiative de restituer les clefs par avance sans attendre le paiement de l'indemnité d'éviction et qu'elle a ainsi créé son propre préjudice.

Mais si la locataire à qui on a donné congé a droit au maintien dans les lieux jusqu'au paiement de l'indemnité d'éviction, elle n'en a pas l'obligation, et peut quitter les lieux à tout moment après le terme dénoncé.

D'autre part la bailleresse soutient que l'attestation non détaillée de l'expert comptable est insuffisante pour établir la perte invoquée.

En effet, la locataire ne produit aucun bilan, factures ou inventaire du stock qui a du nécessairement être réalisé à son départ sauf à le considérer d'une valeur négligeable.

Seuls ces documents auraient été de nature à permettre de vérifier la date, la nature, la consistance et le montant de ses approvisionnements déclarés sous sa seule responsabilité, l'expert comptable se bornant à vérifier la concordance de ses déclarations avec les éléments figurant en comptabilité.

Il doit être en outre précisé que l'approvisionnement du commerce est essentiellement saisonnier, que le départ de Madame B. intervient avant le début de la saison hivernale qui constitue le pic de consommation dans ce village alpin, qu'elle n'a pas cru devoir en faire le chiffrage devant l'expert fut ce à titre indicatif au moment des dires dénoncés à la même période et ni produire l'inventaire du stock à l'expert ou aux huissiers chargés du constat de sortie.

Ce poste de préjudice n'est donc pas suffisamment établi et sera en conséquence rejeté.

- Sur l'indemnité d'occupation

La S.C.I bailleresse retient la valeur locative définie par l'expert et fixe sur cette base sa réclamation, déduction faite des loyers versés jusqu'au 19 novembre 2014.

La sélection et les surfaces de termes de comparaison ont fait l'objet de nombreuses contestations de la part de la locataire qui les reprend in extenso en cause d'appel.

Pour minorer la valeur locative des lieux, Madame B. fait tout d'abord état d'un immeuble ancien et délabré ayant conduit notamment à des chutes de façade et des infiltrations en terrasse dénoncés par des constats de 2010 et de 2011 .

Cependant il s'avère que les copropriétaires ont effectué, dès réclamation, des travaux très importants de réfection de toiture, de pignons en façade et de façades en 2012 et 2013, de telle sorte que l'expert a constaté après visite des lieux que l'immeuble était en bon état d'entretien et de conservation.

Les constats d'huissier effectués à la sortie des lieux décrivent certes des locaux abimés par l'usure du temps, sans aucun effort de rénovation depuis le début de la location voire de leur construction.

Mais l'expert retient que le commerce tout comme le logement relève d'un qualitatif ordinaire pour le secteur.

Dès lors l'expert en retenant des valeurs comparatives communément appliquées dans le voisinage pour des commerces se situant tous sur la place centrale d'Auron n'avait pas à appliquer un coefficient de vétusté particulier, sauf pour la locataire à démontrer que figuraient dans les éléments de référence retenus des baux relatifs à des immeubles neufs ou rénovés.

La valeur locative moyenne selon ces références se situant dans une fourchette allant de 117 € à 336/m² ressortit à 212€/m²/an.

L'expert a, sans erreur de calcul, rapporté chaque loyer à chaque surface des locaux pour exprimer cette moyenne qui ne procède pas d'une addition purement arithmétique, le loyer étant comparativement plus cher pour une petite surface.

Le loyer de l'école de ski français ne peut être retenu dès lors qu'il ne peut être comparé à un niveau locatif commercial, de même que la boucherie Pons qui donne selon l'expert dans une galerie marchande et qui a un loyer en total décalage avec les prix moyens pratiqués.

La locataire ne prouve pas que d'autres baux auraient été indûment écartés ou mentionneraient des surfaces erronées telles que vérifiées par l'expert au vu des informations communiquées par un second expert identifié comme sachant par Madame B. elle-même.

Cette valeur retenue est inférieure à celle déclarée par Madame C. gérante de la société City Snow dans une attestation de juillet 2015 pour un magasin de sport situé place centrale à Auron et mitoyen au magasin tabac presse, laquelle atteste payer au 1 janvier 2015 un loyer mensuel de 2.375€ pour une surface de 104 m2 représentant 274€ m²/an.

Bien que l'emplacement soit très prisé et très rare compte tenu de la superficie du local quitté par Madame B., l'expert a maintenu cette valeur de 212 m² et non celle proposée au titre de la valeur locative de marché pour fixer l'indemnité d'occupation à 212€/m² au regard de la surface totale brute de l'espace commercial qui n'a pas à être pondérée dans ce cadre d'évaluation et à 120€/ m² pour le logement d'habitation compte tenu de son état, de sa situation en niveau inférieur et de l'existence d'une chambre aveugle, ce qui permet de fixer le montant d'une indemnité d'occupation au 1er janvier 2012 de :

212 € X 126,02 = 26716

120€ X 64,62 = 7766.

Cette valeur n'est pas contestée par le bailleur.

Il a été appliqué à ce montant un coefficient de précarité ordinairement fixé à 10% pour tenir d'une exploitation sous contrainte d'éviction.

Madame B. ne justifie pas d'un coefficient plus important, dès lors que la précarité est tempérée par la circonstance que ses approvisionnements et ses recrutements en personnel sont essentiellement saisonniers.

Il s'ensuit que le premier juge a justement retenu le calcul de l'expert pour fixer l'indemnité d'occupation comme suit :

au 1/01/2012 : 31 080 € HC par an, soit 2.590€ HC par mois

au 1/01/2013 : 32 504 € HC par an, soit 2.708€ HC par mois

au 1/01/2014 : 31 938 € HC par an, soit 2.661 € HC par mois

Compte tenu de la poursuite par la locataire du paiement de ses loyers sur la base payé au mois de décembre 2011, ce qui est admis par les parties, Madame B. reste devoir au 19 novembre 2014 la somme de 43 648€ HC.

Elle reste également devoir la taxe foncière qui est justifiée aux débats pour 2301€ et qui représente prorata temporis à son départ la somme de 2301: 365x 317 = 1.998,40€.

- Sur la remise en état des lieux

La bailleresse réclame la somme de 8760 € au titre de la remise en état des locaux.

Les constats de sortie des lieux en date des 19 novembre 2014 montrent que les locaux sont très abîmés tant à l'extérieur en terrasse qu'à l'intérieur par les effets de la vétusté et qu'ils n'ont visiblement connu aucune rénovation autre qu'indispensable en plus de 30 ans.

Seules relèvent de la catégorie des dégradations locatives l'absence de fonctionnement de six néons ( chiffre uniquement relevé dans le constat B.) , au tableau électrique arraché en partie basse et à la vitre cassée ( l'absence d'état des lieux faisant présumer qu'elle était en bon état en dépit de l'allégation de la locataire) représentant sur la base du devis présenté un montant de 250+720+900 =1870€ HT soit 2.444€ TTC.

Le jugement sera ainsi confirmé, sauf à actualiser les sommes au regard du départ de la locataire.

La S.C.I Wilson succombant en son appel principal sera condamnée aux dépens et devra verser à Madame B. la somme de 5000€ au titre des frais irrépétibles d'appel.

PAR CES MOTIFS

LA COUR, statuant publiquement, par décision contradictoire, après en avoir délibéré,

Confirme le jugement, sauf à augmenter l'indemnité d'éviction à 240 000€ au principal et à actualiser les sommes respectivement dues au départ de la locataire intervenu le 19 novembre 2014 ;

statuant à nouveau sur ces seuls points :

Condamne la S.C.I Wilson à payer à Madame B. la somme de 316'664 € (240 000€+76'664€) à titre d'indemnité d'éviction,

Condamne Madame B. à payer à la S.C.I Wilson à titre d'indemnité d'occupation supplémentaire au regard des loyers payés, la somme de 43 648€ euros hors charges,

Condamne Madame B. à payer la S.C.I Wilson la somme de 1.998,40€ euros à titre de taxe foncière pour l'année 2014 et 2.444€ au titre de la remise en état,

Prononce la compensation judiciaire des sommes dues,

y ajoutant,

Condamne la S.C.I Wilson à payer à Madame B. la somme de 5.000 € au titre des frais irrépétibles d'appel

Condamne la S.C.I Wilson aux dépens d'appel.