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Décisions

CA Agen, ch. soc., 13 novembre 2001, n° 00/00912

AGEN

Arrêt

Autre

PARTIES

Demandeur :

ABS (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Milhet

Conseillers :

M. Combes, M. Ros

Avocats :

Me Marchi, Me Benichou

Cons. Prud’h. d'Agen, du 6 juin 2000

6 juin 2000

FAITS ET PROCÉDURE

Francis Y..., initialement embauché le 15 mai 1973 en qualité de mécanicien pour machines de bureaux par Monsieur Z... est ensuite devenu le salarié de la société ABS, cessionnaire d'une partie de l'activité de son précédent employeur, en qualité de V.R.P. à compter du 1er avril 1989 puis de directeur commercial informatique selon contrat du 1er janvier 1996, avant d'en être élu le 25 novembre 1997 président directeur général, mandat révoqué à l'occasion d'une assemblée générale du 30 octobre 1998 et dont la fin lui a été notifiée le 4 novembre 1998.

Saisi à sa requête, le Conseil de Prud'hommes d'Agen présidé par le juge départiteur a, par jugement du 6 juin 2000, rejeté comme tardive l'exception d'incompétence soulevée par la société ABS, dit que le contrat de travail de Francis Y... s'est trouvé suspendu pendant la durée de ses fonctions de mandataire social, qu'il n'a jamais démissionné de ses fonctions et que la rupture de la relation salariale est abusive et entièrement imputable à la société ABS, laquelle est condamnée à lui payer les sommes suivantes :

- 69 482 francs à titre d'indemnité de licenciement,

- 19 808.66 francs au titre d'un rappel de congés payés pour l'année 1997/98/99,

- 45 019.65 francs à titre d'indemnité de préavis et 9 900 au titre des congés payés afférents, ces sommes produisant intérêt au taux légal à compter du 10 juin 1999,

- 220 000 francs à titre de dommages-intérêts pour rupture abusive avec intérêt au taux légal à compter du jour de cette décision,

- et 7 000 francs sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure civile,

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

La société ABS a relevé appel de cette décision dans des formes et des délais qui n'apparaissent pas critiquables. Elle en soulève la nullité au motif que le juge départiteur n'aurait pas pris l'avis des conseillers présents.

Elle soutient que si Francis Y... a effectivement été salarié avant 1989, il a cumulé cette qualité à partir de cette date avec celle de gérant de fait jusqu'à sa nomination en qualité de PDG, époque à partir de laquelle il n'a plus exercé qu'un mandat social. Cette nomination entraîne la renonciation au contrat de travail, choix clairement confirmé par l'intéressé à plusieurs reprises notamment à l'occasion des assemblées générales des 25 novembre et 19 décembre 1997 alors qu'il n'exerçait plus aucune fonction technique. S'est ainsi opérée une novation en mandat social excluant que le contrat de travail ait pu se trouver suspendu ainsi que l'a dit le premier juge.

Elle conclut au débouté et subsidiairement à la réduction de l'indemnité de congés payés à la somme de 9 812 francs ainsi que 8 000 francs sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure civile.

En raison du redressement judiciaire survenu le 5 septembre 2001, Maître GUGUEN intervient en qualité de représentant des créanciers de la société ABS et fait siennes les conclusions du CGEA AGS de Bordeaux.

Ce dernier, qui conteste l'existence d'un contrat de travail, conclut à l'irrecevabilité de la demande formée par le salarié et subsidiairement au débouté contestant le calcul présenté qui ne lui parait pas cohérent. Il sollicite donc la réformation de la décision déférée outre la condamnation de Francis Y... à lui payer la somme de 5 000 francs sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure civile.

Francis Y... estime que l'omission de la mention prévue aux articles L 515-3 et R 516-40 du Code du travail constitue une simple erreur matérielle et qu'en tout état de cause l'effet dévolutif de l'appel conduit à l'examen de l'affaire au fond. Il soutient avoir exercé l'activité commerciale qui correspond à son emploi salarié, conteste avoir eu l'intention de démissionner et relève que la violation des dispositions de l'article 93 de la loi du 24 juillet 1966 n'a pas pour conséquence d'entraîner sa renonciation tacite au bénéfice de ce contrat mais seulement la remise en cause de sa désignation en qualité d'administrateur.

Et dans le cas où celle-ci serait considérée comme valide il s'ensuit la suspension du contrat de travail alors même que cette nomination n'était que provisoire. Au terme le contrat devait reprendre effet sauf à respecter les règles propres au licenciement. Il conclut en conséquence à la confirmation de la décision dont appel, sauf à tenir compte de l'incidence du redressement judiciaire et sur son appel incident à porter à la somme de 360 157.20 francs le montant des dommages intérêts réparant son préjudice et à celle de 25000 francs celle réclamée au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure civile,

MOTIFS

- sur la demande de nullité du jugement

Attendu que si à l'occasion de l'audience de départage, le bureau de jugement ne peut se réunir au complet, le juge du Tribunal d'Instance statue seul après avoir pris l'avis des conseillers prud'hommes ;

Qu'encourt en conséquence la nullité la décision qui ne mentionne pas le respect de ces dispositions dont l'absence ne saurait constituer une simple erreur ou omission matérielle;

Que toutefois en cas d'appel la dévolution s'opère pour le tout lorsque ce recours tend à l'annulation du jugement ; qu'en outre l'appelant a conclu au fond ; qu'il s'ensuit l'obligation pour la Cour de statuer sur le fond du litige dés lors qu'elle a pu constater que sont réunies les conditions pour ce faire ;

- sur la nature des relations liant les parties et leur rupture

Attendu qu'il ne saurait sérieusement être contesté, comme s'y emploie malgré tout l'AGS, que Francis Y... était titulaire d'un contrat de travail le liant à la société ABS lorsqu'à l'occasion de l'assemblée générale des associés du 25 novembre 1997, il a été élu en qualité d'administrateur puis a accepté les fonctions de président, directeur général de cette société le 19 décembre suivant pour la durée restant à courir jusqu'à l'assemblée devant statuer sur les comptes de l'exercice clos le 31 mars 1998;

Attendu toutefois que l'acceptation de ce mandat social ne saurait "opérer la résiliation de son contrat de travail" comme le représentant légal de la société ABS l'a indiqué au travers du courrier du 4 novembre 1998 et le soutient encore actuellement ;

Qu'en effet si le contrat de travail prend fin à l'initiative de l'une des parties ou de leur accord commun, l'acceptation de l'exercice par le salarié d'un mandat social ne saurait constituer la marque d'une manifestation non équivoque de sa volonté de démissionner de l'emploi occupé au sein de cette même société ;

Attendu en effet que le cumul entre un mandat social et des fonctions salariées est toujours possible à la condition cependant que ces derrières correspondent à un emploi subordonné effectif en contrepartie duquel est versé un salaire distinct de la rétribution du mandat ; qu'en se bornant toutefois à rapporter la preuve au moyen de nombre d'attestations de la réalité des fonctions commerciales et des activités de maintenance qui ont été les siennes jusqu'au mois d'octobre 1998, Francis Y... ne fait pas la démonstration de la persistance de son contrat de travail à défaut de rapporter celle du maintien d'un lien de subordination ;

Attendu pareillement qu'il appartient à celui qui soutient qu'il a été mis fin au contrat de travail de rapporter cette preuve alors que la novation ne se présume pas ;

Que si en application des dispositions de l'article 93 de la loi du 24 juillet 1966 , le nombre des administrateurs liés à la société par un contrat de travail ne peut dépasser le tiers des administrateurs en fonction, la violation de cette disposition qui affecte incontestablement la validité de cette nomination n'entraîne pas de conséquence affectant la pérennité de la relation de travail comme, à défaut de disposition prévoyant cette sanction spécifique, l'absorption par la fonction sociale du contrat de travail qui serait de fait vidé de sa substance ou encore la substitution de l'une à l'autre ;

Et que si en pareil cas rien ne fait obstacle à ce que le salarié renonce à son contrat pour devenir administrateur, encore convient-il de rechercher à défaut de consentement express, l'existence d'une manifestation de volonté correspondante dès lors qu'il s'agit de renoncer aux garanties offertes par la qualité de salarié ;

Qu'au cas précis les attestations versées qui ne font que confirmer la qualité de mandataire social de Francis Y... et sa connaissance de la précarité de ce statut sont insuffisantes à faire cette preuve tout comme le fait que plusieurs assemblées générales aient entre autres sujets abordé la question de la rémunération correspondante;

Qu'il s'ensuit que dans les circonstances rappelées le contrat s'est trouvé suspendu durant la durée de l'exercice du mandat social de Francis Y... ;

Attendu que si le contrat de travail conclu sans détermination de durée peut cesser à l'initiative d'une des parties contractantes, il appartient à l'employeur de respecter les règles posées par les articles L 122-14 et suivants du Code du travail ; que le courrier adressé le 4 novembre 1998 au salarié est insuffisant à observer ne serait-ce que partie de ces prescriptions ;

Que la rupture de la relation salariale entièrement imputable à la société ABS équivaut dès lors à un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ouvrant droit aux indemnités de rupture telles que fixées en considération des dispositions correspondantes de la Convention collective dont nul ne conteste l'application soit les sommes de 69 482 francs à titre d'indemnité de licenciement et de 45 019.65 francs à titre d'indemnité de préavis, outre celle de 9 900 au titre des congés payés afférents ;

Qu'il résulte des éléments échangés et notamment de la lecture du bulletin de salaire du mois d'octobre 1998 que la société se reconnaît débitrice à cette époque d'un solde de congés payés de 27 jours pour l'année 1997/98 et de 12.5 jours pour l'année 1998/99, soit au total la somme de 19 808.66 francs ;

Attendu que l'indemnité venant réparer le préjudice subi et qui tient compte à la fois de la durée de la période pendant laquelle le salarié s'est trouvé au service de l'employeur et des circonstances de la rupture du contrat de travail s'établit à la somme de 300 000 francs ;

Qu'en raison de la procédure affectant la société ABS, la créance de Francis Y... sera fixée ainsi qu'il est dit au dispositif, les sommes allouées hormis l'indemnité pour licenciement pour cause réelle et sérieuse portant intérêt à compter du 9 juin 1999 et jusqu'au jour du jugement déclaratif ;

Que la cour estime équitable d'allouer à F. Y... la somme de 8. 000 francs au titre des frais irrépétibles ;

Que les dépens seront passés en frais privilégiés de redressement judiciaire ;

PAR CES MOTIFS LA COUR La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort, Déclare les appels tant principal qu'incident recevables en la forme, Annule le jugement rendu entre les parties par le Conseil de Prud'hommes d'Agen le 6 juin 2000, Et statuant à nouveau, Dit que le contrat de travail de Francis Y... s'est trouvé suspendu pendant la durée de ses fonctions de mandataire social, Dit que la rupture de ce contrat de travail est imputable à la société ABS et équivaut à un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, Fixe en conséquence la créance de Francis Y... au redressement judiciaire de la société ABS ainsi qu'il suit : - 69 482 francs (soit 10 592,46 Euros) à titre d'indemnité de licenciement, - 19 808.66 francs (soit 3 019,81 Euros) à titre de rappel de congés payés, - 45 019.65 francs (soit 6 863,20 Euros) à titre d'indemnité de préavis, - 9 900 francs (soit 1 509,25 Euros) au titre des congés payés afférents, ces sommes produisant intérêt au taux légal à compter du 10 juin 1999 et jusqu'au 7 septembre 2001, - 300 000 francs (soit 45 734,71 Euros) à titre de dommages-intérêts, - 8. 000 francs (soit 1 219,59 Euros) au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Déclare le présent arrêt opposable à l'AGS qui en cas d'absence de fonds sera tenue d'en faire l'avance dans les conditions et limites légales de son intervention, Rejette toute autre demande et dit inutiles ou mal fondées celles plus amples ou contraires formées par les parties, Dit que les dépens seront passés en frais privilégiés de redressement judiciaire.