CA Nîmes, 2e ch. com. B, 3 septembre 2015, n° 14/01706
NÎMES
Arrêt
Autre
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Filhouse
Conseillers :
M. Gagnaux, Mme Hairon
EXPOSÉ
Vu l'appel interjeté le 31 mars 2014 par Suzanne F. veuve R., Christian R., Philippe R. et Stéphane R. (ci-après désignés ensemble : les consorts R.) à l'encontre du jugement prononcé le 30 janvier 2014 par le Tribunal de Grande Instance de Privas dans l'instance n° 12/01795.
Vu les conclusions déposées le 13 juin 2014 par les appelants et le bordereau de pièces qui y est annexé.
Vu l'ordonnance de mise en état n° 36 du 5 mars 2015, qui déclare irrecevables les conclusions d'intimé déposées par Michel R. et les nouvelles pièces déposées au soutien de ces conclusions et qui ordonne clôture de la procédure.
Suivant acte passé le 18 juin 2002 devant maître Jacques de l'H., notaire à Annonay (07), Jean R. et son épouse, née Suzanne F., ont donné à bail commercial à Michel R. un local fermé de 780 m², avec cour intérieure de 120 m² et parking de 340 m² destiné à une activité d'encadrement, fourniture de matériel se rapportant aux beaux-arts, travaux manuels, cours de formation professionnelle.
Selon acte extrajudiciaire du 27 décembre 2010, les époux R. ont donné congé à Michel R. pour le 30 juin 2011 avec offre de paiement d'une indemnité d'éviction.
Saisi à la requête de Michel R., le juge des référés du Tribunal de Grande Instance de Privas, par ordonnance du 24 février 2011 , a confié à Michel T. une mission d'expertise à l'effet de procéder à l'évaluation du montant de l'indemnité d'éviction.
L'expert ayant clos son rapport le 30 avril 2012 , Michel R., par exploit du 23 juillet 2012, a fait assigner les époux R. en paiement de cette indemnité devant le Tribunal de Grande Instance de Privas, qui par jugement du 30 janvier 2014 , a condamné les consorts R., qui ont repris l'instance aux droits de Jean R. (décédé à une date non indiquée à la Cour), aux dépens de l'instance et aux frais de l'expertise et à payer à Michel R. :
une indemnité d'éviction de 83.971,79 euros,
3.050 euros à titre de restitution du dépôt de garantie,
800 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Les consorts R. ont relevé appel de ce jugement pour voir :
leur donner acte qu'ils acceptent de payer à titre d'indemnité d'éviction de 9.210 euros se décomposant comme suit :
indemnité de remploi : 1.000 euros
frais de déménagement : 600 euros
rupture des fluides : 210 euros HT
frais de réinstallation : 4.130 euros
frais divers : 3.270 euros ;
dire qu'ils conserveront le dépôt de garantie ;
condamner Michel R. aux dépens et aux frais d'expertise.
Michel R., par ordonnance de mise en état du 5 mars 2015, a été déclaré irrecevable en ses conclusions d'intimé.
Pour un plus ample exposé il convient de se référer à la décision déférée et aux conclusions visées supra.
DISCUSSION
Attendu qu'il ne ressort pas des pièces de la procédure de moyen d'irrecevabilité de l'appel que la Cour devrait relever d'office, et les parties n'élèvent aucune discussion sur ce point ;
* * *
Attendu que l'appel tend principalement à une nouvelle appréciation des préjudices pris en considération par le tribunal pour la fixation de l'indemnité d'éviction allouée à Michel R., qui a été fixée selon le détail suivant :
indemnité de remploi : 1.000,00 euros
trouble commercial : 5.489,00 euros
frais de déménagement : 8.020,27 euros
frais de réinstallation : 26.805,90 euros
perte de clientèle : 38.564,00 euros
frais divers : 4.092,62 euros
Total : 83.971,79 euros
Attendu que l'indemnité de remploi n'est pas critiquée par les appelants et sera donc retenue pour son montant de 1.000,00 euros ;
Attendu que les consorts R. contestent la réalité du trouble commercial subi au motif que le transfert d'activité, étant intervenu début juillet, a été réalisé en quelques jours au mois de juillet, période où l'activité de papeterie est quasi nulle, alors que selon le moyen la délocalisation aurait profité à l'entreprise ;
Mais attendu que le temps de réalisation d'un transfert d'activité ne se résume pas au délai nécessaire pour procéder à l'ouverture du nouveau point d'accueil du public et implique l'accomplissement de formalités et démarches multiples pour relancer l'activité sur le nouveau site et tenter de rediriger la clientèle afin de la conserver ;
Et attendu que contrairement aux affirmations des appelants, les comptes de résultats versés aux débats révèlent bien une baisse du chiffre d'affaires liée au transfert de l'activité ;
Attendu que ce poste d'indemnité sera donc retenu pour son montant évalué par le premier juge à 5.489,00 euros ;
Attendu que les consorts R. estiment que les frais de déménagement doivent être réduits au coût d'un véhicule de location de type Fiat « Ducato » pour une période de deux semaines, soit 600 euros, augmenté des frais de résiliation des contrats d'abonnement de livraison d'eau et d'électricité, soit 270 euros, la proposition de l'expert de les évaluer au prix du véhicule utilitaire acquis par Michel R. ne pouvant être retenue, tandis que le pourcentage de 70 % de ce prix appliqué par le premier juge ne correspond à aucun fondement ou logique ;
Attendu que s'il est constant que Michel R. a acquis un véhicule utilitaire pour limiter le coût des frais de déménagement auxquels il a procédé sans recours à une entreprise spécialisée, il a été exactement retenu par le premier juge que l'intimé a continué à tirer profit de ce véhicule ;
Attendu que pour autant les frais de déménagement ne sauraient être limités au coût d'un véhicule de location, le temps de travail consacré à ce déménagement devant également pris en charge, même s'il s'agit de celui du propriétaire du fonds de commerce ;
Attendu qu'ainsi les frais de déménagement seront ramenés à une somme de 4.000 euros prenant en compte l'amortissement du véhicule acquis, rapporté à la période de déménagement, les frais de tarif de location correspondant n'étant pas soumis à la Cour, ainsi que l'évaluation de la rémunération du travail consacré à ce déménagement, somme à laquelle il convient d'ajouter celle de 270,22 euros de frais de résiliation d'abonnement de fourniture d'eau et d'électricité, soit une indemnité totale de 4.270,22 euros ;
Attendu que les consorts R. demandent que les frais de réinstallation soient réduits à la somme de 4.300 euros suffisante selon eux à l'installation d'un système de chauffage au bois correspondant à celui qui équipait les locaux repris ;
Mais attendu qu'il n'est pas justifié que les frais d'aménagement des nouveaux locaux pour recevoir un système de chauffage au bois offrant des conditions de sécurité suffisantes pour l'accueil du public auraient été moins onéreux que le recours à l'installation d'un système de chauffage électrique choisi pour équiper ces locaux, de sorte que la somme arbitrée par le premier juge à 26.805,90 euros pour compenser les frais de réinstallation au vu des factures versées aux débats de première instance sera retenue par la Cour ;
Attendu que les appelants contestent encore le préjudice lié à la perte de clientèle retenu par le premier juge à la somme de 38.564 euros conformément à l'avis de l'expert, aux motifs :
que les résultats obtenus seraient demeurés stables malgré l'impact de la crise économique ;
que si le résultat avant impôt a chuté de 24.000 euros c'est en raison de l'augmentation des charges salariales, qui seraient témoins de la prospérité nouvelle de l'entreprise ;
que la prétendue perte de 20 % du chiffre d'affaires sur les premiers mois suivant le déménagement n'est pas avérée par les pièces produites ;
que contrairement à l'avis de l'expert, la situation des nouveaux locaux ne serait pas défavorable par référence à celle des anciens quant aux facteurs locaux de commercialité, en ce qu'ils seraient situés à 15 minutes à pieds de ces derniers et qu'il existerait à proximité une école élémentaire et une école primaire ;
Mais attendu que Michel R. exerce un commerce de proximité, qui est sensible à un déplacement de l'ampleur décrite par les appelants, de sorte que quittant une zone plus favorable à l'expansion de ce commerce pour une zone exposée à la concurrence directe des grandes surfaces, le commerçant doit développer des actions spécifiques pour conserver ou reconquérir une clientèle ;
Et attendu que la baisse de chiffre d'affaires de 30 % relevée par l'expert dans les premiers mois du transfert d'activité est confirmée par la baisse du chiffre d'affaires enregistrée en fin d'exercice malgré le recrutement de personnel pour développer l'activité commerciale ;
Attendu qu'ainsi, en l'état des éléments soumis au premier juge, qui ne sont pas utilement remis en cause devant la Cour, l'indemnité allouée de ce chef à hauteur de 38.564 euros sera confirmée ;
Attendu qu'enfin si les appelants acceptent dans leur principe les frais divers retenus pour la somme de 4.092,62 euros, ils demandent à bon droit que cette indemnisation se fasse sous déduction de la TVA, dès lors que celle-ci est récupérée par le commerçant ;
Mais attendu que le montant hors taxes de cette indemnité ne s'établit pas à la somme de 3.270 euros, mais à celle de 3.421,93 euros ;
Attendu qu'ainsi il sera alloué à Michel R. une indemnité d'éviction ramenée à :
1.000 + 5.489 + 4.270,22 + 26.805.90 + 38.564 + 3.421,93 = 79.551,05 euros ;
* * *
Attendu que les consorts R. ne justifiant d'aucune créance sur leur ancien locataire, c'est à bon droit que le premier juge, relevant l'absence d'état des lieux à la restitution des locaux, a condamné les bailleurs à restituer le montant du dépôt de garantie versé en début de bail ;
Attendu que dans la mesure où les consorts R. succombent sur le principal, ils devront supporter les dépens d'appel ;
Attendu que par ailleurs, la décision déférée sera confirmée en ce qu'elle a statué sur les dépens et frais irrépétibles de première instance ;
PAR CES MOTIFS :
La Cour, statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Reçoit l'appel en la forme.
Au fond, confirmant le jugement déféré pour le surplus de ses dispositions non contraires aux présentes,
Condamne Suzanne F. veuve R., Christian R., Philippe R. et Stéphane R. à payer à Michel R. une indemnité d'éviction ramenée à 79.551,05 euros.
Et y ajoutant,
Dit que Suzanne F. veuve R., Christian R., Philippe R. et Stéphane R. supporteront les dépens d'appel.