CA Aix-en-Provence, 11e ch. a, 16 mai 2017, n° 16/10392
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Confirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Bebon
Conseillers :
Mme Bruel, Mme Perez
EXPOSÉ DU LITIGE
Les époux L. sont propriétaires de locaux situés [...] qu'ils ont donné à bail le 1er mai 2003 à Monsieur P. aux droits duquel se trouve la S.A.R.L La Port de Boucaine qui a acquis le fonds de commerce par acte sous seing privé du 24 juin 2009.
Par acte extra judiciaire en date du 25 octobre 2011, les époux L. ont donné congé à la société pour la fin du bail prévue au 30 avril 2012, avec offre d'une indemnité d'éviction.
Les parties ne se sont pas accordées sur le montant de cette indemnité et un expert judiciaire a été désigné par ordonnance de référé du 31 janvier 2012.
Par jugement du 11 octobre 2012, la société a été placée en liquidation judiciaire et Maître R. désigné en qualité de liquidateur.
Se plaignant de ce que les loyers et indemnités d'occupation n'étaient plus payés depuis avril 2012 , les bailleurs ont fait délivrer deux commandements visant la clause résolutoire les 29 mai 2012 et 27 mars 2013, et rétracté leur proposition d'indemnité d'éviction dans le second des deux actes.
Maître R., es qualités, a restitué les clefs du local le 12 juin 2013 et maintenu sa demande d'indemnité d'éviction.
Par jugement en date du 30 mai 2016, le tribunal de grande instance d'Aix en Provence a débouté Maître R. de ses demandes et débouté les époux L. de leur demande au titre de l'indemnité d'occupation.
Maître R., en sa qualité de liquidateur judiciaire de la S.A.R.L La Port de Boucaine, a relevé appel de cette décision le 6 juin 2016.
Dans ses dernières conclusions en date du 19 octobre 2016 auxquelles il est fait expressément référence pour plus ample exposé, Maître R. es qualités demande à la cour de :
- réformer le jugement entrepris,
- homologuer le rapport d'expertise de Monsieur F. et condamner les époux L. à payer à titre d'indemnité d'éviction avec intérêts de droit la somme de 116.781,31 euros à compter de la demande,
- dire irrecevable la demande de fixation de créance,
- les condamner à payer la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
- les condamner aux dépens, y compris les frais d'expertise, avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile en faveur de Maître D., avocat.
Dans ses dernières conclusions en date du 27 octobre 2016 auxquelles il est fait expressément référence pour plus ample exposé, Monsieur et Madame Claude L. demandent à la cour de:
A titre principal,
- confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a refusé le droit à indemnité d'éviction à la société La Port de Boucaine, et débouter en conséquence cette dernière de toutes ses demandes,
Y ajoutant,
- fixer la créance des époux L. au passif de la société La Port de Boucaine à la somme de 12.346,32 euros au titre des indemnités d'occupation impayées,
- fixer la créance des époux L. au passif de la société La Port de Boucaine une somme de 3.000 euros au titre del''artic1e 700 du code de procédure civile,
- condamner La société La Port de Boucaine aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maitre Mathias P.,
A titre subsidiaire, si la cour reconnaît au preneur le droit à indemnité d'éviction,
- dire et juger que la valeur du fonds de commerce équivaut à la valeur du droit au bail, laquelle s'élève à la somme de 13.974,72 euros,
- débouter la société La Port de Boucaine de toutes ses autres demandes, et notamment des indemnités accessoires,
- fixer la créance des époux L. au passif de la société La Port de Boucaine à la somme de 12.346,32 euros au titre des indemnités d'occupation impayées,
- ordonner la compensation judiciaire entre ces deux sommes.
MOTIFS DE LA DÉCISION
En application de l'article L 145-28 du code de commerce aucun locataire pouvant prétendre à une indemnité d'éviction ne peut être obligé de quitter les lieux avant de l'avoir reçue. Jusqu'au paiement de cette indemnité, il a droit au maintien dans les lieux aux conditions et clauses du bail expiré.
Le congé du 25 octobre 2011 délivré par les époux L. pour la fin du bail prévue au 30 avril 2012 contenant une offre d'une indemnité d'éviction, c'est dans ce cadre que la S.A.R.L a pu se maintenir dans les lieux.
Le maintien dans les lieux étant conditionné par le respect des conditions et clauses du bail antérieur, le défaut de paiement d'une indemnité d'occupation équivalent au dernier loyer en cours pendant cette période de maintien dans les lieux peut toutefois justifier la déchéance du droit à indemnité d'éviction ou la rétractation par le bailleur de son offre d'indemnité d'éviction sur la base d'un motif grave et légitime conformément aux prévisions de l'article L 145-17 du code de commerce après avoir signifié au preneur une mise en demeure dans les termes du dit article.
Le commandement délivré à Maître R. es qualité de représentant de la locataire le 27 mars 2013 vise expressément la rétractation de l'offre d'indemnité d'éviction, faute pour cette dernière d'acquitter dans le mois le montant du loyer avril 2012 ainsi que l'indemnité d'occupation due de mai 2012 représentant à la date du commandement un total de 12 544,09€, soit près d'une année de loyer.
Maître R. es qualités n'a pas réagi à cette demande ni sollicité des délais pour s'acquitter d'un arriéré important et a préféré libérer les lieux le 12 juin 2013, sans désintéresser ne fut ce que partiellement le bailleur afin d'échapper à la sanction du commandement ou justifier de l'inexistence de tout actif avant perception de l'indemnité d'éviction dont la fixation était en cours.
Dès lors, c'est à bon droit que le premier juge a accueilli la demande des bailleurs et refusé le droit au paiement d'une indemnité d'éviction, sans qu'il soit nécessaire d'examiner le grief tiré de l'adjonction d'une activité non prévue au bail.
Pour autant, les bailleurs ne peuvent sans se contredire invoquer la prescription quinquennale sur la base d'une indemnité d'occupation fondée sur le droit commun, alors qu'ils ont fondé initialement leur action pour manquements du preneur à ses obligations sur l'indemnité d'occupation statutaire née du droit au maintien dans les lieux, dont le point de départ était fixée au 1er mai 2012 au regard du premier congé portant offre d'une indemnité d'éviction, jusqu'à ce que le droit à rétractation du bailleur soit déclaré fondé, reportant alors rétroactivement le point de départ de l'indemnité d'occupation de droit commun un mois après la délivrance du commandement du 27 mars 2013.
La demande en fixation d'une indemnité d'occupation sur le fondement statutaire est donc prescrite pour avoir été présentée par conclusions du 3 mars 2015 en dehors du délai biennal prévu par l'article L 145-60 du code de commerce.
L'indemnité d'occupation de droit commun soumise à la prescription quinquennale n'a vocation à s'appliquer en l'espèce que du 27 avril au 12 juin 2013, le preneur ayant quitté les lieux à cette date.
La fixation de l'indemnité d'occupation réclamée sur la base du commandement ( 1028,86€ par mois) sera donc limitée sur cette période à la somme de 2.572,15€.
Le jugement sera donc confirmé en toutes ses dispositions, sauf à limiter en cause d'appel la fixation d'une indemnité d'occupation tardivement présentée par les époux L..
Compte tenu de ce qui précède, chacune des parties conservera la charge de ses propres dépens, sans qu'il y ait lieu à application des dispositions de l'article 700 au bénéfice de l'une ou de l'autre, les frais d'expertise étant partagés par moitié.
PAR CES MOTIFS
LA COUR, statuant publiquement, par décision contradictoire, après en avoir délibéré,
Confirme le jugement en toutes ses dispositions,
y ajoutant
Fixe la créance des époux L. au passif de la société la Port de Boucaine au titre de l'indemnité d'occupation due du 27 avril 2013 au 12 juin 2013 à la somme de 2.572,15€,
La déclare irrecevable pour la période antérieure,
Rejette toute autre demande,
Dit que chacune des parties conservera la charge de ses propres dépens, les frais d'expertise étant partagés par moitié, et autorise les avocats de la cause qui en ont fait la demande, à recouvrer directement ceux dont ils auraient fait l'avance sans avoir reçu de provision dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.