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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 3, 13 mai 2020, n° 18/20097

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Garance Productions (SA), SCP BTSG

Défendeur :

72 Rochechouart (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Thaunat

Conseillers :

Mme Gil, Mme Goury

TGI Paris, du 12 juill. 2018, n° 15/0047…

12 juillet 2018

FAITS ET PROCÉDURE

Par acte sous seing privé du 19 décembre 1985, les consorts C., aux droits desquels vient la société 72 ROCHECHOUART en suite d'une vente en date du 3 décembre 2008, ont donné à bail à M. Roger D., aux droits duquel vient la société GARANCE PRODUCTIONS, des locaux à usage commercial dépendant d'un immeuble situé [...].

Le bail a été renouvelé pour une durée de 9 ans à compter du 1er avril 1996 moyennant un loyer annuel, fixé par arrêt du 11 janvier 2002, à la somme de 116.623,49 euros.

Par acte extrajudiciaire du 24 décembre 2004, les consorts C., aux droits desquels vient la société 72 ROCHECHOUART, ont fait signifier à la société GARANCE PRODUCTIONS un congé avec offre de renouvellement du bail à compter du 1er juillet 2005, moyennant un loyer annuel de 200.000 euros.

Par jugement du 2 février 2009, le juge des loyers commerciaux a désigné M. Hugues S. avec pour mission de donner son avis sur la valeur locative des locaux.

Par acte extrajudiciaire du 1er octobre 2009, la société 72 ROCHECHOUART a fait signifier à la société GARANCE PRODUCTION une rétractation de congé comportant refus de renouvellement de bail et offre de paiement d'une indemnité d'éviction.

Un incendie s'est déclaré dans les locaux loués le 22 mars 2011 ; par arrêté du 23 mars 2011, la préfecture de police de Paris a interdit l'accès et l'occupation des lieux loués.

Par acte d'huissier de justice du 28 mars 2011, la société GARANCE PRODUCTIONS a saisi le tribunal de grande instance de Paris d'une demande en fixation de l'indemnité d'éviction à laquelle elle estime pouvoir prétendre.

Par acte extrajudiciaire du 6 avril 2011, la société 72 ROCHECHOUART a fait signifier à la société GARANCE PRODUCTIONS la résiliation du bail en application des articles 1722, 1733, 1734 et 1741 du code civil.

La société GARANCE PRODUCTIONS a remis les clés des locaux loués à la société 72 ROCHECHOUART le 8 avril 2011, en présence d'un huissier de justice auprès duquel la société locataire a contesté la résiliation du bail.

Par ordonnance du 24 mai 2011, le juge des référés, saisi par la société 72 ROCHECHOUART, a ordonné une expertise et désigné MM. Pierre L. et Patrick C. avec pour mission, notamment, d'évaluer le coût de reconstruction des locaux ainsi que la valeur vénale des murs.

Par ordonnance du 19 février 2013, le juge de la mise en état a sursis à statuer dans l'attente du dépôt du rapport d'expertise ordonnée en référé et ordonné le retrait du rôle de l'affaire.

Par jugement du 14 janvier 2014, le tribunal de commerce de Paris a prononcé l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire à l'encontre de la société GARANCE PRODUCTIONS et désigné la SCP BTSG, en la personne de Me G., en qualité de mandataire judiciaire liquidateur.

Les experts ont déposé leur rapport le 11 décembre 2014 et l'affaire a été rappelée à la mise en état du 16 février 2015.

Par jugement en date du 12 juillet 2018, le tribunal de grande instance de Paris a :

- Dit que l'incendie du 22 mars 2011 a entraîné la destruction totale des locaux donnés à bail par les consorts C., aux droits desquels vient la société 72 ROCHECHOUART, à la société GARANCE PRODUCTIONS situés [...] à Paris 18e,

- Constaté qu'au 22 mars 2011, le droit à indemnité d'éviction de la société GARANCE PRODUCTIONS, né de la rétractation de son offre de renouvellement du bail par la société 72 ROCHECHOUART par acte extrajudiciaire du 1er octobre 2009, n'était pas définitivement consacré,

- Débouté la SCP BTSG, en qualité de liquidateur judiciaire de la société GARANCE PRODUCTIONS, de sa demande en paiement d'une indemnité d'éviction,

- Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamné la SCP BTSG en qualité de liquidateur judiciaire de la société GARANCE PRODUCTIONS aux dépens, qui pourront être recouvrés dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile,

- Dit n'y avoir lieu d'ordonner l'exécution provisoire.

Par déclaration en date du 14 août 2018, la SA GARANCE PRODUCTIONS et la SCP BTSG prise en la personne de Me Stéphane G., désigné en qualité de liquidateur de la société GARANCE PRODUCTIONS, ont interjeté appel de ce jugement.

Dans ses dernières conclusions, notifiées par le RPVA le 27 septembre 2018, la SCP BTSG, prise en la personne de Me Stéphane G., désigné en qualité de liquidateur de la société GARANCE PRODUCTIONS, demande à la cour de :

Vu le bail du 19 décembre 1985,

Vu les dispositions de l'article 1134 du Code civil,

Vu les dispositions de l'article 641-9-1 du Code de Commerce,

Vu le rapport d'expertise,

Vu les pièces versées au débat,

Vu la Jurisprudence,

INFIRMER le Jugement rendu par le Tribunal de Grande Instance de Paris en date du 12 juillet 2018 dans sa totalité,

STATUANT A NOUVEAU :

CONSTATER que les travaux à réaliser pour la reconstruction de l'immeuble constitué par le volume à usage de salle de spectacle n'excèdent pas la somme de 5.500.000 €,

CONSTATER que la valeur de l'immeuble à prendre en considération est égale à la valeur de son prix de vente par la Société 72 ROCHECHOUART, soit la somme de 7.260.051 €,

CONSTATER que la valeur du bien loué est supérieure au coût des travaux de reconstruction, et qu'il conserve sa destination,

CONSTATER en conséquence que la Société 72 ROCHECHOUART est redevable à l'encontre de la SCP BTSG, prise en la personne de Maître Stéphane G., ès qualités, de Liquidateur de la Société GARANCE PRODUCTIONS d'une indemnité d'éviction ;

EN CONSEQUENCE :

FIXER le montant de l'indemnité d'éviction due par la SARL 72 ROCHECHOUART à la somme de 4.914.415, 86 €.

CONDAMNER, la SARL 72 ROCHECHOUART à payer à la SCP BTSG, prise en la personne de Maître G., ès qualités de Liquidateur de la Société GARANCE PRODUCTIONS la somme de 4.914.415, 86 € ;

DEBOUTER la SARL 72 ROCHECHOUART de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions, y compris au titre de son appel incident.

CONDAMNER, la SARL 72 ROCHECHOUART à payer à la SCP BTSG, prise en la personne de Maître G., ès qualités de liquidateur de la Société GARANCE PRODUCTIONS la somme de 7.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNER, la SARL 72 ROCHECHOUART aux entiers dépens de l'instance au titre de l'article 699 du Code de Procédure Civile.

Dans ses dernières conclusions, notifiées par le RPVA le 10 septembre 2018, la SARL 72 ROCHECHOUART, intimée, demande à la cour de :

Vu les dispositions des articles 1722,1741, 1733 et 1734 du Code Civil,

o De constater que la société GARANCE PRODUCTIONS doit supporter la responsabilité de l'incendie survenu dans ses locaux ;

o De constater que l'incendie du 22 mars 2011 a eu pour conséquence la destruction des biens loués ;

o De constater notamment qu'il résulte des investigations des experts judiciairement désignés et, particulièrement, de Monsieur L. que :

' L'instabilité de l'ouvrage était acquise dans sa totalité au point de justifier de mesures de sécurité, d'étaiement, de butonnage et de curage préalables à tout accès sur les lieux ;

' L'impossibilité de jouissance, même partielle des lieux, était incontestable ;

' Une véritable reconstruction de l'ouvrage en état de ruine était nécessaire (page 15 du rapport d'expertise) ;

o De dire et juger en conséquence que la SCP BTSG, prise en la personne de Maître G., ès qualités de liquidateur de la société GARANCE PRODUCTIONS, est infondée à solliciter la condamnation de la SARL 72 ROCHECHOUART au paiement de quelque indemnité que ce soit eu égard à la résiliation du bail et de ses suites intervenue consécutivement au sinistre par application de l'article 1722 du Code Civil ;

Plus subsidiairement :

o De constater qu'en toute hypothèse, le coût des travaux de reconstruction est supérieur à la valeur du bien calculée à la date du sinistre ;

o De débouter en conséquence la SCP BTSG, prise en la personne de Maître G., ès qualités de liquidateur de la société GARANCE PRODUCTIONS, de toutes ses demandes à toutes fins qu'elles comportent ;

En conséquence :

o De confirmer le jugement déféré pour les motifs ci-dessus développés en ce qu'il a débouté la SCP BTSG ès qualités de ses demandes et y ajoutant :

o De condamner la SCP BTSG, prise en la personne de Maître G., ès qualités de liquidateur de la société GARANCE PRODUCTIONS, à payer à la SARL 72 ROCHECHOUART, la somme de 20.000 Euros par application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

o De condamner la SCP BTSG, prise en la personne de Maître G., ès qualités de liquidateur de la société GARANCE PRODUCTIONS, aux entiers dépens qui pourront être recouvrés par la SELARL G. ET ASSOCIES, Avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de Procédure Civile.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 19 décembre 2019.

MOTIFS DE LA DÉCISION

L'article 1733 du code civil dispose que le preneur 'répond de l'incendie, à moins qu'il ne prouve :

que l'incendie est arrivé par cas fortuit ou force majeure, ou par vice de construction,

que le feu a été communiqué par une maison voisine.'

Aux termes de l'article 1741 du code civil 'le contrat de louage se résout par la perte de la chose louée, et par le défaut respectif du bailleur et du preneur de remplir leurs engagements.'

Selon l'article 1722 du code civil, 'si, pendant la durée du bail, la chose louée est détruite en totalité par cas fortuit, le bail est résilié de plein droit'.

Il résulte de la combinaison des articles 1722 et 1741 du code civil que le bail prend fin de plein droit par la perte totale de la chose survenue par cas fortuit ou même par la faute de l'une des parties ; que doit être assimilée à la perte totale de la chose louée l'impossibilité absolue et définitive d'en user conformément à sa destination ou la nécessité d'effectuer des travaux dont le coût excède sa valeur.

En l'espèce, par arrêté en date du 23 mars 2011, le préfet de police, rappelant que la salle de spectacle de L'ELYSEE MONTMARTRE" a été entièrement ravagée (à la suite de l'incendie survenu le 22 mars 2011)" et considérant qu'il existait un péril grave et immédiat pour la sécurité des occupants et des usagers a interdit à l'accès et à l'occupation l'établissement ELYSEE MONTMARTRE.

Il résulte du rapport d'expertise judiciaire de MM. L. et C., que les experts ont constaté lors de leur visite des lieux le 27 mai 2011, que les 'locaux de L'ELYSEE MONTMARTRE étaient totalement détruits par l'incendie survenu le 22 mars 2011 à 7h30 [...] que l'ensemble des structures (charpente métallique, couverture, planchers et poteaux porteurs) étaient affectés, tout comme les décors'. Ils ont retenu que 'l'instabilité de l'ouvrage dans sa totalité est acquise et même non contestée au point, d'une part, de justifier de mesure de sécurité, d'étaiement, de butonnage et de curage préalables à tout accès dans les lieux ; l'impossibilité de jouissance, même partielle, des lieux est incontestable ; une véritable reconstruction de cet ouvrage en état de ruine est nécessaire [...]'.

Dans ces conditions, la chose louée ayant été détruite en totalité, l'ouvrage étant, selon les experts, en état de ruine, et les locaux étant devenus impropres à leur destination initialement prévue, étant au surplus observé que l'incendie ayant pris naissance dans les locaux loués, la société GARANCE PRODUCTIONS, ne combattait pas la présomption de responsabilité pesant sur elle aux termes de l'article 1733 du code civil, c'est à juste titre que les premiers juges ont retenu que les locaux avaient été détruits par l'incendie du 22 mars 2011.

La cour retient que dans cette hypothèse, il n'y a pas lieu de s'interroger sur le point de savoir si le coût de la reconstruction excéderait la valeur vénale du bien. En toute hypothèse, ainsi que l'a proposé l'expert C., la valeur du bien à prendre en compte, n'est pas celle des locaux libres d'occupation, mais celle des locaux occupés, qui a été estimée par M. C. à la somme de 3.650.000 euros, après déduction du montant de l'indemnité d'éviction, en tenant compte de l'incidence fiscale favorable au bailleur. Le prix de vente obtenu, en cours de procédure, ayant été de 7.260.051,13 euros, en retenant le même abattement que celui proposé par l'expert C., qui n'est pas contesté, la valeur du bien s'élève à la somme de 4.060.051,13 euros (7.260.051,13 -3.200.000 ). La société locataire admettant les conclusions de l'expert qui indiquent que la reconstruction de l'immeuble n'excède pas la somme de 5.500.000 euros, il s'ensuit que le coût de la reconstruction excède celui de la valeur du bien.

A l'époque de la destruction du bien, la société 72 ROCHECHOUART s'était rétractée de son congé avec offre de renouvellement et avait offert à la société GARANCE PRODUCTIONS le paiement d'une indemnité d'éviction.

C'est de manière pertinente que les premiers juges ont relevé que par l'effet du maintien dans les lieux dans l'attente de la fixation de l'indemnité d'éviction, la société GARANCE PRODUCTIONS demeurait tenue, conformément à l'article L145-28 du code de commerce, des clauses et conditions stipulées au bail, de sorte qu'en application de l'article 1722 du code civil, la destruction totale du bien a entraîné la résiliation de plein droit du bail et des droits contractuels et statutaires de la société GARANCE PRODUCTIONS et notamment de son droit à indemnité d'éviction qui ne lui était pas définitivement acquis à la date du sinistre, sa prise d'effet étant suspendue à la fixation de son montant.

En conséquence, le jugement entrepris doit être confirmé en ce qu'il a débouté le liquidateur de la société GARANCE PRODUCTIONS de sa demande en paiement de l'indemnité d'éviction.

Sur les demandes accessoires,

Le jugement entrepris étant confirmé à titre principal, il le sera également en ce qui concerne le sort des dépens de première instance et celui de l'application de l'article 700 du code de procédure civile.

En cause d'appel, il ne sera pas fait application de l'article 700 du code de procédure civile et l'appelant qui succombe en son appel sera condamné aux entiers dépens.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant contradictoirement,

Confirme le jugement entrepris,

y ajoutant,

Dit n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la SCP BTSG, prise en la personne de Me Stéphane G., en qualité de liquidateur de la société GARANCE PRODUCTIONS, aux entiers dépens de l'appel qui pourront être recouvrés par l'avocat postulant qui en a fait la demande, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.