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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 3, 17 septembre 2014, n° 12/18367

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

51/56 (SCI)

Défendeur :

TIRAU

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Avocats :

Me BANIDE, Me COUTURIER

TGI PARIS, du 11 sept. 2012

11 septembre 2012

La SCI 51/56 a renouvelé, au profit de M. Tirau, pour 9 ans à compter du 1er juillet 1995, le bail portant sur divers locaux à usage commercial sis [...], moyennant un loyer annuel de 3.171,24 euros, pour une activité exclusivement commerciale ou industrielle de dorure et polissage sur métaux.

 

Par acte d'huissier du 18 juillet 2007, la société bailleresse a fait signifier un congé avec offre de renouvellement du bail au 1er avril 2008, portant le loyer à la somme annuelle de 12 500 euros HT et HC. Le 25 février 2008, le bailleur a notifié au preneur un mémoire aux termes duquel il entendait voir le loyer annuel fixé à la somme de 12 800 euros HC et HT à compter du 1er avril 2008.

 

Par jugement du Tribunal de grande instance de Paris du 6 novembre 2008, un expert a été désigné avec pour mission de déterminer le loyer de renouvellement. Il a estimé ce loyer à la somme de 150 euros/m².

 

Par acte du 29 décembre 2009 , la bailleresse a exercé son droit d'option, refusé le renouvellement du bail et offert de payer une indemnité d'éviction au preneur et, par ordonnance du 10 mars 2010, un expert a été désigné pour déterminer le montant de cette indemnité .

 

Par acte d'huissier du 25 octobre 2010, la bailleresse a assigné M. Tirau devant le tribunal de grande instance de Paris en fixation des indemnités d'éviction et d'occupation.

 

Le tribunal, par jugement du 11 septembre 2012, a :

 

-dit que l'éviction entraîne le transfert du fonds exploité par M Tirau dans les locaux appartenant à la société 51/56,

 

-fixé à la somme de 108 320 euros le montant de l'indemnité d'éviction ,

 

-dit que M, Tirau est redevable à l'égard de la société 51/56 d'une indemnité d'occupation de 7 740 euros, outre les taxes et charges,

 

-ordonné la compensation entre le montant de l'indemnité d'éviction et celui de l'indemnité d'occupation.

 

La SCI 51/56 a interjeté appel du jugement par déclaration du 15 octobre 2012 et, dans ses dernières conclusions du 25 avril 2013, elle demande à la cour de dire, à titre principal, qu'aucune indemnité ne peut être due au titre de la réinstallation, le premier juge ayant fait une confusion entre les mises en conformité auxquelles le preneur a renoncé et les investissements non amortis inexistants en l'espèce, et, subsidiairement, de juger que les frais de réinstallation ne pourront être évalués qu'à la somme de 29.295 €. A titre plus subsidiaire, si la cour maintenait l'évaluation du premier juge, elle lui demande de dire que le bailleur ne peut être tenu qu' à concurrence de 68.400 € soit la valeur de remplacement du fonds. Elle sollicite également l'indexation annuelle de l'indemnité d'occupation à compter du 1er avril 2009 et la compensation entre, d'une part, les arriérés dus sur le différentiel entre le loyer acquitté et l'indemnité d'occupation fixée et, d'autre part, l'indemnité d'éviction ainsi que le montant du diagnostic de dépollution mis à la charge du preneur et la condamnation de M Tirau aux dépens.

 

Par ses dernières conclusions du 10 juin 2013, M, Tirau demande à la cour d'infirmer partiellement le jugement, de fixer l'indemnité d'éviction à la somme de 158 020 euros, l'indemnité d'occupation à la somme de 6 020 euros à compter du 1er avril 2008, de dire que l'indemnité d'occupation ne fera pas l'objet d'une indexation et de condamner la bailleresse au paiement d'une somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

 

CE SUR QUOI

 

Sur la valeur du droit au bail:

 

Considérant que le preneur, contestant l'inexistence de cette valeur, soutient que dans le cadre du renouvellement du bail, le loyer aurait été fixé à la valeur locative, la durée du bail ayant excédé douze ans, qu''il s'ensuit que compte tenu du différentiel entre la valeur locative de marché et la valeur de renouvellement et l'application d'un coefficient de 3, c'est une somme de 8 600 € qui doit lui être attribuée au titre d' indemnité principale ;

 

Considérant que la SCI fait valoir qu'il n'existe aucune différence entre la valeur de renouvellement et la valeur de marché en l'espèce, ce qui est courant pour des locaux d'atelier, et spécialement en tenant compte de l'état de vétusté avancée des locaux, qu'en conséquence, aucune indemnité n'est due de ce chef ;

 

Considérant que si le bail avait été renouvelé, il aurait été fixé, en raison de sa durée effective, supérieure à 12 ans, à la valeur locative;

 

Considérant qu'un atelier tel que celui dont il s'agit, compte tenu de sa vétusté constatée par l'expert et des travaux indispensables à sa remise en état, le preneur n'ayant fait aucun travaux dans les lieux, ne pourrait être loué à une valeur supérieure à la valeur locative de renouvellement, qu'en conséquence, par défaut de différence entre la valeur locative et le loyer qui aurait été perçu si le bail avait été renouvelé, il n'existe pas de valeur du droit au bail à indemniser, le jugement étant confirmé de ce chef;

 

Sur les frais de réinstallation:

 

-existence d'une indemnité de réinstallation :

 

Considérant qu'à l'appui de son appel, la SCI fait valoir que M Tirau ne justifie d'aucune injonction administrative d'avoir à réaliser des travaux de conformité, que l'invitation qui lui a été faite de se mettre en conformité avec la réglementation applicable le visait en tant qu' exploitant et qu'il ne saurait en bénéficier pour prétendre à une indemnité de réinstallation, alors qu'il ne les a pas réalisés et qu'au demeurant, il a renoncé à poursuivre cette demande de mise en conformité au frais du bailleur, ce qui implique qu'il a renoncé aux effets juridiques de la situation passée ;

 

Qu'elle ajoute que les frais de réinstallation ne se superposent nullement au coût des travaux de mise en conformité mais que leur assiette est plus étroite, ne concernant que les seuls investissements non amortis qui en l'espèce sont inexistants, compte tenu de l'état de vétusté des locaux qui démontre que tous les (éventuels) investissements ont été amortis et qu'il n' y a pas lieu à indemnité ;

 

Considérant que le preneur répond que les stipulations du bail devant être interprétées en sa faveur et que les dispositions du code civil relatives à l'obligation de délivrance du bailleur s'appliquant, les frais de mise en conformité doivent être pris en compte à son profit pour le calcul de l'indemnité; qu'il n'a pas renoncé au bénéfice de la mise en conformité mais que son éviction entraîne leur report, les locaux étant transférables, sur le calcul de l'indemnité de réinstallation;

 

Considérant que, sauf exceptions prévues aux articles L.145-17 et suivants du code de commerce, dont il n'est pas démontré que les conditions de l'une d'entre elles sont remplies, le bailleur, qui refuse le renouvellement, doit payer au locataire évincé une indemnité d'éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement, que cette indemnité comprend notamment les frais normaux de réinstallation dans l'hypothèse de la perte du fonds comme dans celle d'un transfert ;

 

Considérant que M Tirau a droit à une indemnité de réinstallation ; que le fait qu'il ait renoncé à son action contre le bailleur en réalisation des travaux de mise en conformité des lieux loués n'a pas pour effet de rendre irrecevable sa demande en paiement de frais de réinstallation dans un local de remplacement, seule la consistance de ceux ci au regard de ce qui incombe respectivement au bailleur et au preneur étant à apprécier ; que M Tirau ne peut en effet tout à la fois soutenir que la mise en conformité des locaux participe de l'obligation de délivrance du bailleur et qu'il devra lui-même en tant que preneur supporter de tels travaux dans un local de remplacement ;

 

-montant de l'indemnité :

 

Considérant qu'à titre subsidiaire, la SCI fait valoir que le devis produit par le preneur est sans intérêt puisqu'il porte sur une remise à neuf des locaux existants, que cette indemnité ne peut être fixée qu'à la somme de 29 295 euros et qu'à titre plus subsidiaire, si l'indemnisation du transfert (lorsque le fonds est transférable comme en l'espèce) est plus onéreuse que la perte du fonds, on doit dans la logique de l'article L. 145-14 du code de commerce s'en tenir à l'indemnisation de la perte du fonds, fixée à 68 400 euros par l'expert ;

 

Considérant que l'intimé rappelle que l'indemnité d'éviction doit permettre au preneur de se retrouver dans une situation identique à celle qui était la sienne ou aurait dû être la sienne avant l'éviction sans que le bailleur puisse lui opposer l'amortissement total ou partiel des investissements et immobilisations abandonnés par la contrainte dans le local évincé ; que si les juges du fond disposent du pouvoir souverain d' apprécier la part que doit supporter le preneur, à raison de la vétusté des aménagements abandonnés dans le local faisant l'objet de l'éviction, il propose de fixer l'indemnité de réinstallation à la somme de 137 000 €, moyenne des deux devis produits ;

 

Mais considérant que le preneur ne peut prétendre en l'espèce et pour les motifs exposés obtenir le montant de l'ensemble des travaux de mise en conformité dont il indique qu'ils ne sont pas à sa charge ainsi qu'en a jugé le tribunal ;

 

Considérant que le refus de renouvellement du bail contraint cependant le locataire évincé à des investissements nécessaires pour adapter les nouveaux locaux à son activité, qui constitue une activité classée soumise à des normes particulières de fonctionnement.

 

Considérant qu'il convient en conséquence d'indemniser le preneur des seuls travaux d'adaptation des locaux à l'exercice de l'activité classée et, au visa des matériels nécessaires à son activité mais aussi de l'état de vétusté des équipements, de lui allouer une indemnité de réinstallation de 55 000 €, soit légèrement supérieure à celle que l'expert avait proposée en pratiquant sur la moyenne des devis un abattement de 70 % ;

 

-indemnités accessoires:

 

Considérant que M. Tirau sollicite:

 

-indemnité pour trouble commercial : 3 900,00 euros

 

-indemnité de double loyer : 720,00 euros

 

-frais de remploi : 1 300,00 euros

 

-frais de formalités au registre du commerce : 1 000,00 euros

 

-frais de démantèlement des installations: 5 500,00 euros ;

 

Considérant qu'approuvant sur ces points les conclusions du rapport d'expertise, la cour fait droit à ces demandes pour un total de 12 420 euros et confirme le jugement sur ce point;

 

Considérant, en conséquence, que le montant total des sommes retenues pour le calcul de l'indemnité d'éviction se chiffre à la somme de 62 420 euros HT, que le jugement déféré sera donc infirmé de ce chef ;

 

Sur l'indemnité d'occupation et son indexation:

 

Considérant que la bailleresse demande que l'indemnité d'occupation soit fixée dans les termes retenus par l'expert;

 

Considérant que le preneur estime que l'indemnité d'occupation doit être fixée à la somme de 6 020 euros et ne doit pas faire l'objet d'une indexation;

 

Considérant que l'indemnité d'occupation due, conformément à l'article L.145-28 du code de commerce , par le preneur évincé jusqu'au paiement de l'indemnité d'éviction et calculée en application des dispositions des sections VI et VII du chapitre V du titre IV, livre 1er du code de commerce, peut être fixée, compte tenu des conclusions de l'expertise judiciaire, à l'encontre desquelles il n'a pas été apporté d'éléments contraires, à la somme annuelle de 7740 euros après abattement de précarité;

 

Considérant qu'aucune disposition légale ou contractuelle ne prévoyant l'indexation de cette indemnité, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de ce chef;

 

Sur la compensation:

 

Considérant que l'appelante demande la compensation entre, d'une part, les arriérés dus sur le différentiel entre le loyer acquitté et l'indemnité d'occupation fixée et, d'autre part, l'indemnité d'éviction ainsi que le montant du diagnostic de dépollution mis à la charge du preneur;

 

Considérant qu'il y a lieu de rappeler que la compensation étant de droit, les parties étant réciproquement créancières et débitrices l'une de l'autre, le jugement doit être confirmé de ce chef;

 

Sur l'article 700 du code de procédure civile:

 

Considérant que chaque partie qui succombe partiellement supportera les dépens d'appel quelle a exposés, ceux de première instance incluent les frais d'expertise restant à la charge de la société 51/56 ; qu'il n'y a pas lieu en conséquence de faire droit aux demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile .

 

PAR CES MOTIFS

 

Reformant le jugement déféré en ses dispositions relatives au montant de l'indemnité d'éviction ,

 

Statuant à nouveau,

 

Fixe l'indemnité d'éviction due par la SCI 51/56 à M Tirau à la somme de 67 420 euros HT,

 

Déboute les parties de leurs autres demandes,

 

Dit que chaque partie supportera les dépens d'appel qu'elle a exposés .