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Décisions

CA Versailles, 6e ch., 27 février 2018, n° 16/04357

VERSAILLES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

CGT Renault Guyancourt Aubevoye (Syndicat), Sud Renault Guyancourt Aubevoye (Syndicat)

Défendeur :

Eurodecision (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. de Chanville

Conseillers :

Mme Borrel, M. Dusausoy

Cons. prud’h. Versailles, du 26 août 201…

26 août 2016

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

La société Eurodécision est spécialisée dans le développement de solutions logicielles et d'expertises dans le domaine de l'optimisation et des solutions d'aide à la décision.

Elle emploie environ 60 salariés et applique la convention collective dite Syntec.

M. B. a été embauché en qualité de consultant senior par la société Eurodécision à compter du 3 janvier 2012, selon un contrat à durée déterminée en date du 3 novembre 2011.

Il percevait en dernier lieu un salaire de base s'élevant à 3 427,27 euros brut par mois.

À compter du 1er avril 2015 la société lui confiait une mission auprès du centre Technocentre Renault à Guyancourt, client de la société chez lequel il était de fait déjà en mission depuis le 8 juillet 2014, ce que la société conteste.

Le 16 mars 2016 la société Eurodécision était informée par le responsable de la sous-traitance de la société Renault de l'envoi par M. B., le 15 mars 2016, d'un courriel à caractère politique à des salariés de la société Renault.

Le président directeur général de la société Eurodécision, M. M., demandait à rencontrer Monsieur B. dans le cadre d'un entretien informel afin d'évoquer ces faits.

Au cours de cet entretien le 16 mars à 15h, il informait ce dernier qu'il allait le convoquer à un entretien préalable à une éventuelle sanction disciplinaire et lui notifier une mise à pied conservatoire le temps de réaliser une enquête.

C'est ainsi que par lettre du 18 mars 2016 remise en main propre, la société convoquait M. B. à un entretien préalable, prévu le 25 mars, en vue d'un éventuel licenciement et lui signifiait sa mise à pied conservatoire.

Lors de cet entretien la société lui confirmait sa mise à pied, puis lui notifiait un avertissement par lettre du 31 mars, pour violation du guide d'information de la société et notamment de sa lettre de mission au Technocentre Renault.

Entre-temps, la société avait appris le 22 mars que M. B. avait procédé à l'enregistrement sonore de l'entretien informel du 16 mars avec M. M., sans en informer ce dernier, puis avait laissé diffusé le 21 mars des extraits de cet entretien.

La diffusion d'extraits de cet entretien était la suivante :

M, Montaud dit : "... donc ils surveillent, ils surveillent les mails, et à ton avis les mails de qui ils surveillent en priorité '... Bah les mails des syndicalistes bien évidemment...t'es pas censé, en tant qu'intervenant chez Renault,(de) discuter avec les syndicats Renault. Les syndicats de Renault, ils sont là pour les salariés de Renault..."

C'est pourquoi la société, par lettre du 24 mars, le convoquait à nouveau pour un entretien préalable fixé au 5 avril, mais eu égard aux congés du salarié, cet entretien était reporté au 18 avril 2016.

L'entretien se déroulait le 18 avril 2016, en présence d'un représentant du personnel, de son supérieur hiérarchique et de la responsable des ressources humaines.

Par lettre du 21 avril 2016, la société lui notifiait son licenciement pour faute grave pour manquement grave à ses obligations de loyauté et de bonne foi, en procédant à l'enregistrement sonore de l'entretien informel du 16 mars à l'insu de M. M. et pour avoir communiqué cet enregistrement à des tiers afin d'assurer sa diffusion le 21 mars 2016 dans le cadre d'une vidéo postée sur le site internet Youtube.

M. B., faisant valoir que son licenciement était intervenu en violation de la protection des lanceurs d'alerte prévue par l'article L.1161-1 du code du travail, saisissait en référé le conseil de prud'hommes de Versailles par assignation du 7 juin 2016 reçue au greffe le 20 juin pour solliciter diverses indemnités en réparation du préjudice causé par la nullité de son licenciement, outre l'audition par le conseil de l'enregistrement litigieux.

Les syndicats CGT Renault Guyancourt Aubevoye et Sud Guyancourt Aubevoye se joignaient à ses demandes.

Par ordonnance du 26 août 2016, dont M. B. et les deux syndicats interjetaient appel le 3 octobre, le conseil écartait la demande d'audition de l'enregistrement sonore du CD MEMOREX, déclarait recevable l'intervention volontaire des syndicats, prenait acte que les demandeurs reconnaissaient la régularité formelle de la procédure de licenciement, tout en jugeant n'y avoir lieu à référé sur l'ensemble des autres demandes, laissant les dépens à la charge de M. B., sans faire application de l'article 700 du code de procédure civile.

Par écritures signifiées avant l'ordonnance de clôture du 25 septembre 2017 et soutenues oralement à l'audience du 25 septembre 2017, auxquelles la cour se réfère en application de l'article 455 du code de procédure civile, les parties ont conclu comme suit :

M. B. sollicite l'infirmation de l'ordonnance et maintient ses demandes à l'égard de la société aux fins de paiement provisionnel des sommes suivantes :

- 10 271,71 euros à titre d'indemnité de préavis, outre celle de 1 027,17 euros au titre des congés payés afférents,

- 3 424,88 euros à titre d'indemnité de licenciement,

- 50 000 euros à titre d'indemnité pour nullité du licenciement,

outre, celle de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Les syndicats CGT Renault Guyancourt Aubevoye et Sud Guyancourt Aubevoye concluent dans le même sens, sollicitant chacun la somme provisionnelle de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice porté à l'intérêt collectif de la profession, outre celle de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Eurodecision, ci-après la société, sollicite la confirmation de l'ordonnance, le débouté des appelants en toutes leurs demandes, outre leur condamnation à lui payer chacun la somme de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Selon l'article R.1455- 5 du code du travail le juge des référés peut, dans tous les cas d'urgence, ordonner toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend.

Selon l'article R.1455- 7 du code du travail le juge des référés peut, dans le cas où l'obligation n'est pas sérieusement contestable, accorder une provision au créancier ou ordonner l'exécution d'une obligation y compris une obligation de faire.

Selon l'article R.1455- 6 du code du travail le juge des référés peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent pour prévenir un dommage imminent ou faire cesser un trouble manifestement illicite.

M. B. expose qu'en tant que bénévole du journal Fakir, il avait pris l'initiative de convier les organisations syndicales (CGT, SUD, FO, CFE CGC et CFDT) présentes sur le Technocentre Renault à Guyancourt à la "nuit rouge" qui devait prolonger la manifestation contre le projet de loi El Khomri, tout en leur proposant d'organiser des projections du film "Merci patron" financé par le journal Kafir ; qu'à cette fin, il leur avait envoyé un courriel le 15 mars 2016 à 19h50 de son domicile avec son ordinateur personnel et à partir de sa messagerie électronique personnelle.

À partir des informations données par le syndicat CFE CGC sur le site intranet de Renault, auquel Monsieur B. avait accès, ce dernier envoyait un courriel à deux des salariés de ce syndicat sur leur messagerie professionnelle, avec en pièce jointe un tract d'appel du journal Fakir pour se rendre à la "nuit rouge".

M. B. soutient que lors de l'entretien informel du 16 mars 2016, M. M. lui avait reproché d'avoir envoyé ces deux courriels la veille, lui précisant que la société Renault surveillait les courriels des syndicalistes et que M. B. n'avait pas, en sa qualité d'intervenant chez Renault, à discuter avec les syndicats de Renault.

Il indique que le 22 mars 2016, se présentant sous le pseudo de "Henri" et ne donnant aucune indication sur l'identité de son entreprise et de son PDG il racontait au journal Fakir son entretien du 16 mars 2016 avec M. M., tout en laissant diffuser les propos qu'il avait enregistrés relatant les pratiques de surveillance des courriels des syndicalistes et l'interdiction faite par son employeur de s'adresser aux syndicats de Renault.

Il estime qu'en application du droit à l'information syndicale et du principe de libre détermination du contenu des communications syndicales, la société Eurodecision ne pouvait interdire aux syndicats de la société Renault de communiquer avec lui ou de recevoir de lui des informations relatives à l'actualité politique et sociale, alors qu'il faisait partie de la même communauté de travail (travaillant au Technocentre Renault depuis plus d'un an en continu, de sorte qu'il était comptabilisé dans les effectifs pour les élections professionnelles, et pouvait contacter les délégués du personnel de Renault en ce qui concerne ses conditions de travail, en application de l'article L.2313-3 du code du travail) dont les intérêts sont défendus par ces syndicats.

Il soutient donc que l'avertissement notifié le 31 mars 2016 était injustifié, puisqu'il était légitime de contacter par courriel les organisations syndicales de Renault à partir de sa messagerie personnelle sur son ordinateur personnel et hors les heures de travail.

S'il ne réclame pas l'annulation de son avertissement c'est qu'il ne souhaite pas être réintégré dans la société Eurodécision, qui l'a brutalement licencié, mais obtenir un dédommagement au titre de son licenciement abusif.

Concernant l'enregistrement litigieux et le licenciement qui en est résulté, il précise qu'il a procédé à cet enregistrement car il se sentait incapable de prendre des notes tellement il se sentait dépassé par la situation ; il fait état des éléments juridiques suivants :

- Le juge pénal admet comme moyen de preuve des enregistrements effectués à l'insu d'une personne dans le cadre de l'activité professionnelle, dès lors qu'ils peuvent être discutés contradictoirement (Cass. crim 31 janvier 2012) et qu'ils ne portent pas atteinte à l'intimité de leur vie privée (Cass crim 14 février 2006) ;

- Sur la base de l'article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qui reconnaît le droit à la liberté d'expression, et dont est issu le statut de lanceur d'alerte reconnu par une recommandation du Conseil de l'Europe en date du 30 avril 2014, une protection est accordée au salarié qui révèle des informations concernant un préjudice pour l'intérêt général dans le contexte de sa relation de travail, à condition que les termes de ces révélations ne soient pas injurieux ni outranciers et sans fondement à l'égard des dirigeants de l'entreprise (Cass. soc 28 janvier 2016) ;

- La défense de la liberté syndicale relève de cet intérêt général ;

- L'article L.1132-1 du code du travail interdit les sanctions disciplinaires et le licenciement d'un salarié en raison de ses dénonciations d'agissements discriminatoires notamment liés à ses activités syndicales ;

- L'article L.2141-5 de ce code interdisant à l'employeur de prendre en considération son appartenance à un syndicat ou ses activités syndicales pour arrêter ses décisions en matière de discipline ou de rupture du contrat de travail, ces dispositions étant d'ordre public.

Enfin, il indique ne pas avoir participé à la diffusion et la propagation de l'enregistrement de l'initiative et du ressort des journalistes, et fait état de la préservation de l'anonymat concernant le dirigeant et la société, laquelle n'a fait l'objet d'articles de presse qu'à compter du 31 mars 2016, soit antérieurement à l'engagement de la procédure de licenciement.

La société soutient que les demandes des appelants se heurtent à une contestation sérieuse mais également à l'absence de trouble manifestement illicite, dans la mesure où :

- d'une part l'avertissement ne constitue pas une atteinte à la liberté syndicale, car M. B. n'était pas intégré au sein du Technocentre Renault depuis plus d'un an vu la date de son ordre de mission, et que la communication effectuée le 15 mars 2016 sur les adresses e-mails de salariés du Technocentre Renault n'a aucun lien avec l'idée d'appartenance à une communauté de travail dont les intérêts sont défendus par une organisation syndicale de l'entreprise utilisatrice, l'objet de cette communication, de nature politique, n'ayant aucun lien avec des problématiques de travail rencontrées au sein du Technocentre, au sujet desquelles la société n'aurait pas interdit à M. B. de contacter les organisations syndicales du Technocentre ; en utilisant les ressources du système d'information du client (site internet et messagerie) hors le cadre de l'activité professionnelle et à des fins syndicales, M. B. aurait contrevenu à la charte de bonne conduite, au guide du système d'information et à son ordre de mission ; elle cite une jurisprudence de la Cour de Cassation (25 janvier 2005), interdisant, sauf autorisation de l'employeur ou accord d'entreprise, l'envoi de tracts syndicaux sur la messagerie professionnelle de salariés de cette entreprise ; elle estime donc que le fait d'avoir utilisé des outils professionnels pour envoyer des courriels de nature politique justifiait l'avertissement.

- d'autre part le licenciement est fondé sur la seule violation des obligations contractuelles de loyauté et de bonne foi ; M. B. ne pourrait bénéficier du statut de lanceur d'alerte, car aucune menace ne pesait sur la liberté syndicale suite aux propos de M. M. lors de l'entretien informel, ce dernier ne faisant que des hypothèses sur les pratiques de surveillance des mails des syndicalistes par la société Renault.

***

En matière de licenciement, le juge des référés peut statuer si le licenciement lui apparaît manifestement abusif, notamment lorsqu'il constate que des dispositions relatives aux discriminations syndicales ou à des principes fondamentaux n'ont pas été respectées.

Il rentre donc dans les pouvoirs du juge des référés de rechercher si en l'espèce le licenciement pour faute grave de M. B. est fondé sur de telles atteintes, en examinant le bien fondé de la mise à pied et de l'avertissement, bien que leur annulation ne soit pas demandée, puis celui de son licenciement pour faute grave, les deux étant liés.

En dernier lieu et dans le cadre de la contestation sur le licenciement, il sera examiné si M. B. peut être considéré comme un lanceur d'alerte.

Sur le bien fondé de la mise à pied conservatoire du 18 mars et de l'avertissement du 31 mars 2016

Une décision de mise à pied conservatoire, première étape d'une procédure disciplinaire, écarte le salarié de son poste et de l'entreprise tout en le privant de son salaire, pendant la durée de la procédure de la convocation à entretien préalable à la notification de la décision disciplinaire ; elle suppose que les faits reprochés soient suffisamment graves pour rendre impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée de cette procédure.

Elle peut permettre à l'employeur d'enquêter au sein de l'entreprise sur les faits reprochés sans que le salarié n'interfère, ce qui a été le choix de la société dans le cas présent.

Les motifs invoqués par la société sont la violation du guide d'information de la société et de la charte de bonne conduite et de protection du système d'information inclue dans sa lettre de mission au sein du Technocentre Renault de Guyancourt, par l'utilisation des moyens internes à la société Renault.à sa disposition dans le cadre de sa mission, à savoir l'intranet et la liste des adresses électroniques des salariés de Renault pour assurer l'envoi d'un courriel politique le 15 mars 2016.

Pour rappel, la décision de mise à pied a été notifiée le 18 mars 2016, soit avant la diffusion du 21 mars des extraits de l'entretien litigieux enregistré le 16 mars à l'insu du dirigeant de la société.

Sur la violation du guide du système d'information de la société employeur

Ce guide émanant de la société Eurodécision a été porté à la connaissance de M. B. le 3 janvier 2012, et interdit de véhiculer par la messagerie intranet de la société Eurodécision des informations de nature politique ou religieuse ou de manière générale sans rapport avec l'activité de la société, tout en permettant des courriels à titre privé sous certaines conditions.

Or, les courriels litigieux (envoyés à deux salariés du syndicat CFE CGC sur leur adresse professionnelle chez Renault) n'ont pas été envoyés par M. B. par sa messagerie professionnelle (dont l'intranet partie du système d'information de la société) à savoir son adresse électronique chez la société Eurodécision, ni à partir d'un ordinateur de cette dernière, puisque M. B. a envoyé des courriels à partir de son propre ordinateur et de son adresse électronique personnelle.

En outre, ces courriels n'ont pas été reçus par des salariés de la société Eurodécision sur leur messagerie professionnelle.

Aucune violation du guide du système d'information de cette société n'est donc établie.

Sur la violation de la charte de bonne conduite et de protection du système d'information inclue dans sa lettre de mission au sein du technocentre Renault de Guyancourt

Dans la lettre de mission de M. B. il est mentionné que l'utilisation des ressources du système d'information du lieu de mission (du client Renault) n'est autorisée que dans le cadre de l'activité professionnelle.

M. B. ne conteste pas avoir consulté le site intranet du Technocentre Renault pour avoir les coordonnées des syndicats pour leur envoyer par courriel une invitation à la "nuit rouge", de sorte que des courriels ont été envoyés sur la messagerie personnelle de certains syndicats (ce qui est autorisé par le système intranet de Renault) mais deux ont été envoyés sur la messagerie professionnelle de salariés de Renault représentant le syndicat CFE CGC, ces derniers étant la cause du litige.

Le seul fait, pour M. B., salarié d'une entreprise sous-traitante de Renault, de consulter le site intranet du Technocentre Renault n'apparaît pas interdit, mais il s'agit de savoir si le fait de contacter, à des fins d'échanges à titre politique et/ou syndical, un syndicat par l'intermédiaire de la messagerie électronique strictement professionnelle des représentants de ce syndicat CFE CGC, par ailleurs salariés du Technocentre Renault, est contraire à cette charte de bonne conduite et de protection du système d'information du Technocentre de la société Renault.

Pour répondre à cette question, il faut rechercher d'une part si M. B. faisait partie de la collectivité de travail du Technocentre Renault depuis plus d'un an, ce qui l'autorisait à contacter les syndicats de la société utilisatrice, tant pour des motifs professionnels que dans un but d'échanges inter-syndical sur des sujets, d'actualité ou non, en lien avec le droit du travail et les droits des salariés, puis d'autre part, de vérifier si ces modalités de contact avec une organisation syndicale par courriel sur la messagerie interne du Technocentre Renault contrevient à la charte de bonne conduite et de protection du système d'information du Technocentre, et enfin s'il peut y avoir un contrôle ou une surveillance de l'employeur sur le contenu des échanges entre un salarié et un syndicat, lorsque ces échanges transitent par la messagerie interne de la société employeur ou de celle de sa société cliente.

La première problématique relève de l'article L.1111-2 du code du travail issu de la loi du 20 août 2008, dans le droit fil de la jurisprudence de la Cour de Cassation, laquelle tendait à rapprocher la situation des salariés des entreprises extérieures travaillant au sein des entreprises utilisatrices à celle des salariés de ces entreprises au sein d'une collectivité de travail avec les mêmes droits collectifs ; cet article dispose que pour la mise en œuvre du présent code (du travail) et le calcul des seuils d'effectifs, les effectifs de l'entreprise comprennent notamment les salariés mis à disposition d'une entreprise utilisatrice par une entreprise extérieure et qui travaillent dans les locaux de cette dernière depuis au moins un an, ce qui a des conséquences sur les élections professionnelles, sur les seuils relatifs à la constitution du CHSCT et du comité d'entreprise mais aussi sur l'ensemble des droits et libertés individuelles dans l'entreprise utilisatrice, vu la référence à l'ensemble du code du travail.

Or, contrairement à ce que soutient la société, M. B. faisait partie de la collectivité de travail du Technocentre Renault depuis plus d'un an, au vu des 9 pages de relevés de ses notes de frais du 8 juillet 2014 au 20 mars 2015 indiquant comme motif "Renault Etude 2014"et concernant ses frais de trajet et de repas ; l'ordre de mission signé le 3 avril 2015 par la société est venu poser un cadre à compter du 1er avril 2015, prévisionnellement pour un an, à cette mission qui avait en réalité débuté en juillet 2014.

Ainsi, à la date du 15 mars 2016 M. B. travaillait au sein du Technocentre Renault depuis environ 20 mois.

Les seconde et troisième problématiques concernent les modalités d'exercice et le contenu des droits et libertés dans l'entreprise, dont la liberté syndicale et notamment la libre communication entre les salariés et les organisations syndicales ; l'article L.1121-1 du code du travail dispose que "Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché."

Toute atteinte à la liberté syndicale, qui dérive du droit fondamental à la liberté d'expression, peut conduire le juge des référés à annuler un licenciement prononcé comme sanction de la liberté d'expression du salarié.

En l'espèce, l'article L.2142-6 du code du travail, invoqué par la société, dispose qu'un "accord d'entreprise peut autoriser la mise à disposition des publications et tracts de nature syndicale, soit sur un site syndical mis en place sur l'intranet de l'entreprise, soit par diffusion sur la messagerie électronique de l'entreprise; dans ce dernier cas, cette diffusion doit être compatible avec les exigences de bon fonctionnement du réseau informatique de l'entreprise et ne doit pas entraver l'accomplissement du travail..."

Or, il s'avère qu'en tant que salarié d'une entreprise extérieure appartenant à la collectivité de travail du Technocentre Renault (TCR), comme jugé plus haut, M. B. pouvait à l'évidence consulter le site intranet du Technocentre, comme tout salarié de ce dernier, afin d'avoir les coordonnées des syndicats ; il s'avère, au vu des pièces produites, qu'à l'exception d'un syndicat, le syndicat CFE CGC, les autres syndicats avaient une adresse de messagerie personnelle au syndicat (ex : [email protected]), de sorte que M. B. a pu leur envoyer des courriels sans utiliser leur adresse électronique personnelle professionnelle sur l'intranet du Technocentre ; ce n'est qu'en raison de l'absence de mention sur ce site d'une adresse personnelle au syndicat CFE CGC que Monsieur B. a envoyé le 15 mars 2016 ses deux courriels (respectivement à deux représentants de ce syndicat) à leur adresse électronique personnelle professionnelle sur l'intranet (ex : [...]), déclenchant le contrôle de ces deux courriels par la société Renault et provoquant l'avertissement de M. B. par son employeur.

Il est manifeste que la société Renault avait autorisé les salariés à contacter le syndicat CFE CGC par cette adresse électronique personnelle professionnelle, sinon cette adresse ne serait pas sur son site intranet.

La société reproche aussi à M. B. le contenu des courriels, qui contiendraient un message politique adressé à chacun des deux membres de ce syndicat les invitant à participer à la "nuit rouge" et à la diffusion du film "Merci patron", notamment en ses termes : "...je suis actuellement prestataire au TCR... je suis très humblement bénévole au journal Fakir ; Vous connaissez probablement le film, financé par ce journal, Merci patron, film qui montre un couple de chômeurs faire plier Bernard A.. Les gens se sont aperçus que ce film permettait de galvaniser les gens, de leur redonner l'espoir que la lutte est utile et que l'oligarchie en place craint non pas Le Monde, non pas France Inter, mais le petit Fakir. Il ne faut pas perdre ce regain d'énergie. On veut donc regrouper toutes les contestations qui n'ont eu au final qu'une seule et unique cause : l'oligarchie en place. Si on se regroupe tous on peut au minimum les faire vaciller ! L'idée est de ne pas finir la manifestation du 31 mars en rentrant chez nous après l'arrivée mais d'occuper la place la soirée, la nuit et plus si on est nombreux. Et pour que ce premier essai soit réussi, on va devoir être nombreux. C'est pourquoi je viens vers vous pour vous faire connaître l'événement et pour vous inviter à le faire connaître de votre côté. Si cela vous intéresse, il est également possible d'organiser des projections de Merci patron suivi d'un débat avec quelqu'un de chez vous... Plusieurs sections syndicales ont déjà organisé ce genre d'événement....".

Ce n'est donc pas directement en tant que syndiqué que M. B. s'adresse au syndicat CFE CGC mais à la fois en tant que salarié travaillant sur le site et en tant que bénévole du journal Fakir, ce bénévolat constituant une activité privée mais en lien direct avec les droits des salariés, vu le thème du film et l'objet de la manifestation du 31 mars (contre la loi travail dite El Khomri).

Ces deux courriels ont donc un contenu à la fois politique et syndical, et n'ont pas été envoyés à tous les salariés du TCR mais seulement à deux salariés syndiqués représentant la section syndicale CFE CGC, par hypothèse déjà sensibilisés au thème général de la défense des droits des salariés, objet des courriels.

Pour analyser le contenu prohibé ou non de ces courriels, il convient de se référer à l'objet des syndicats s'est développé depuis la loi du 28 octobre 1982, puisque selon l'article L.2131-1 du code du travail dont il est issu :

Les syndicats professionnels ont exclusivement pour objet l'étude et la défense des droits ainsi que des intérêts matériels et moraux, tant collectifs qu'individuels, des personnes visées par leurs statuts.

Les syndicats défendent donc les intérêts professionnels de leurs membres, grâce à l'étude de leurs droits matériels et moraux, ce qui implique qu'ils soient bien renseignés sur les projets de lois et les lois relatifs aux droits des salariés, comme ici la loi travail objet des courriels.

Les termes des courriels ne mettent pas en cause la société Renault, et il n'est pas allégué que ces courriels aient posé une difficulté technique sur la messagerie intranet du TCR.

Dès lors, en application du droit à l'information syndicale et au principe de libre détermination du contenu des communications syndicales, sous réserve d'abus tels que des propos injurieux, il ne peut être reproché à M. B. d'avoir utilisé l'adresse électronique personnelle professionnelle de deux représentants d'un syndicat au sein du TCR, à des fins de partage d'informations et de participation à la "nuit rouge" et à la diffusion du film "merci patron".

Sur la nullité du licenciement pour faute grave et la protection du lanceur d'alerte

Aux termes de la lettre de licenciement en date du 21 avril 2016, la société Eurovision reproche à Monsieur B. d'avoir diffusé sur le site internet Youtube le 21 mars l'entretien du 16 mars avec son PDG M. M., enregistré à l'insu de ce dernier, apportant ainsi une large diffusion à un échange informel et privé, et nuisant à l'image et la réputation de la société, tout en ayant un impact négatif sur l'ambiance au sein de la société et sur les relations entre la société et la société cliente Renault ; elle estime que cette attitude caractérise une absence de loyauté et un manquement à l'obligation d'exécution de bonne foi du contrat de travail.

M. B. invoque la protection édictée par l'article L. 1132-3-3 du code du travail pour les salariés qui dénoncent de bonne foi des actes de discrimination ou des faits constitutifs d'un délit ou d'un crime dont il aurait eu connaissance dans l'exercice de leurs fonctions ; il sollicite la nullité de son licenciement sur le fondement de cet article et de l'article L. 1132-3-4, lequel prévoit la nullité de tout acte pris en méconnaissance de l'article L. 1132-3-3.

La société soutient que le licenciement est fondé sur la violation des obligations contractuelles de loyauté et de bonne foi dans l'exécution du contrat de travail, estimant que c'est bien M. B. qui, d'emblée, a décidé d'enregistrer l'intégralité de l'entretien du 16 mars, puis de communiquer l'enregistrement litigieux aux journalistes, ne pouvant ignorer que ces derniers en diffuseraient des extraits.

Il sera recherché si M. B. peut bénéficier du statut de lanceur d'alerte et peut être sanctionné pour avoir laissé diffuser publiquement, sans mentionner son nom ni celui de son employeur, les propos de son employeur, qu'il avait enregistrés à son insu et qui portaient en germe une discrimination syndicale ou une atteinte à la liberté syndicale et plus généralement une atteinte à la liberté d'expression, comme établi plus haut.

L'article L.1132-3-3 du code du travail dispose :

Aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L.3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat, pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, des faits constitutifs d'un délit ou d'un crime dont il aurait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions.

En cas de litige relatif à l'application du premier alinéa, dès lors que la personne présente des éléments de fait qui permettent de présumer qu'elle a relaté ou témoigné de bonne foi de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime, il incombe à la partie défenderesse, au vu des éléments, de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à la déclaration ou au témoignage de l'intéressé. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Cet article a été complété depuis la loi Sapin II du 9 décembre 2016 par des dispositions sur le lanceur d'alerte et son statut, dans la continuité de la jurisprudence qui s'est développée à partir de 2015 sur la base de l'article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qui reconnaît le droit à la liberté d'expression, et dont est issu le statut de lanceur d'alerte reconnu par une recommandation du Conseil de l'Europe en date du 30 avril 2014 ; ainsi, la Cour de Cassation a accordé une protection au salarié qui révèle des informations concernant un préjudice pour l'intérêt général dans le contexte de sa relation de travail, à condition que les termes de ces révélations ne soient pas injurieux ni outranciers et sans fondement à l'égard des dirigeants de l'entreprise. (Cass. soc 28 janvier 2016).

Dans un autre arrêt la Cour de Cassation (30 juin 2016) rappelle :

"qu'en raison de l'atteinte qu'il porte à la liberté d'expression, en particulier au droit pour les salariés de signaler les conduites ou actes illicites constatés par eux sur leur lieu de travail, le licenciement d'un salarié prononcé pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits dont il a eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions et qui, s'ils étaient établis, seraient de nature à caractériser des infractions pénales, est frappé de nullité..."

Désormais, ce statut du lanceur d'alerte, qui ne recouvre pas seulement la dénonciation de faits de corruption ou d'autres frais de délinquance économique ou financière, est codifié dans le code du travail, dans les mêmes termes que la jurisprudence antérieure, l'article L.1161-1 du code du travail, issu de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016, dite loi « Sapin II », disposant que le lanceur d'alerte est une personne physique qui révèle ou signale :

' un crime ou un délit ;

' une violation grave et manifeste d'un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d'un acte unilatéral d'une organisation internationale pris sur le fondement d'un tel engagement, de la loi ou du règlement ;

' ou une menace ou un préjudice grave pour l'intérêt général.

Le lanceur d'alerte doit avoir eu personnellement connaissance des faits allégués.

En l'espèce, la révélation des faits d'atteinte à la liberté d'expression dans le cadre d'échanges avec un syndicat est intervenue par la voie de médias par internet, lors de la diffusion de l'enregistrement litigieux le 21 mars puis de l'entretien entre le salarié et le journaliste du journal Fakir le 22 mars 2016 immédiatement diffusé sur Youtube, alors que M. B. avait personnellement et préalablement constaté que son employeur remettait en cause plus généralement son droit à sa libre communication avec les syndicats de la société Renault, au vu des propos tenus par le dirigeant de la société Eurodécision lors de l'entretien informel du 16 mars 2016 (cf plus haut) et de la procédure disciplinaire avec mise à pied conservatoire engagée dès le 18 mars et suivie d'un avertissement puis de son licenciement pour faute grave.

M. B. est donc recevable à invoquer le statut de lanceur d'alerte.

Par ailleurs, si M. B. a laissé diffuser sur internet l'enregistrement des propos de M. M., et ce par le journal Fakir avec lequel il collaborait à titre bénévole, c'est en raison de sa crainte de faire l'objet de manière injustifiée d'une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu'au licenciement, crainte réelle consécutive à la réception de la lettre de convocation à un entretien préalable reçue le 18 mars, soit 3 jours avant la diffusion le 21 mars d'extraits anonymisés de l'enregistrement sur Youtube et 4 jours avant l'interview de M. B. par Fakir le 22 mars.

Il est avéré que cette diffusion a rapidement donné lieu à de multiples articles de presse dénonçant l'attitude des sociétés Eurodécision et Renault sur plusieurs sites internet (arrêts sur images le 31 mars, Free le 2 avril, Médiapart le 7 avril, Yahoo le 8 avril) à partir du 31 mars 2016, soit 7 jours avant l'envoi de la convocation préalable au licenciement envoyée le 24 mars.

Dans la lettre de licenciement, la société émet deux griefs à l'égard de M. B., le fait d'avoir enregistré le 16 mars à son insu une conversation privée entre le dirigeant de la société et le fait d'avoir laissé diffuser le 21 mars cet enregistrement avec des commentaires dans le cadre de l'interview le 22 mars, faits qui auraient entraîné les conséquences préjudiciables suivantes pour la société :

- l'atteinte portée à son image et à sa réputation, avec les conséquences sur le climat social au sein de l'entreprise mais aussi sur l'activité,

- la crainte de certains clients de la société, notamment une diffusion d'informations confidentielles confiées aux salariés de la société dans le cadre de l'exécution de leur mission,

- l'impact négatif sur l'entreprise cliente (Renault) directement visée par cette vidéo et la diffusion publique des propos du PDG de la société à son égard.

Or, M. B. n'a révélé aucune information confidentielle de clients liée à l'exécution de son travail, les informations communiquées dans les courriels reprochés en date des 15 mars 2016 n'ont aucun lien avec une quelconque information confidentielle, puisqu'il s'agissait d'informations sur les manifestations et événements contre la loi El Khomri qui agitaient l'opinion publique à l'époque.

L'entretien informel entre M. B. et M. M. le 16 mars 2016, que ce dernier a souhaité confidentiel, ne constitue pas une conversation privée mais un entretien professionnel dans le cadre de l'exécution du contrat de travail, annonciateur d'une procédure disciplinaire, qui ne saurait donc bénéficier de la protection due à la vie privée ; toutefois, il peut être relevé à l'encontre de M. B. le non respect de son devoir de discrétion à l'égard de son employeur et de la société cliente dans le cadre de sa mission au TCR, en laissant diffuser, même de manière anonymisée en ce qui concerne son employeur, des propos enregistrés à l'insu de ce dernier et pouvant avoir un impact sur l'image de ce dernier et de son client.

Cependant, ces agissements sont intervenus dans un contexte d'angoisse liée à la crainte d'être injustement licencié, crainte qui s'est avérée fondée, ce qui ne permet pas de retenir ce grief comme suffisamment sérieux pour justifier un licenciement, mais tout au plus un avertissement.

En outre, s'il ressort des articles de presse sur internet que l'image et la réputation de la société et de la société cliente ont été manifestement impactées par cette diffusion, pour le reste des griefs, la société Eurodécision ne procède que par affirmation, ne démontrant pas que cette diffusion a eu un impact sur ses propres salariés ni sur son activité, ni encore sur ses relations avec l'entreprise cliente à l'origine des faits.

Par ailleurs, ces deux sociétés ont participé à la réalisation de leur propre préjudice, en ne respectant pas une liberté fondamentale et, pour ce qui concerne la société Eurodécision, en donnant aux faits reprochés initialement, que la cour a jugé non établis, une portée disproportionnée, ce qui a eu pour effet de déclencher dès avant cette diffusion reprochée au salarié une procédure disciplinaire avec mise à pied immédiate, laissant supposer par les termes de la convocation du 18 mars qu'un licenciement pour faute grave allait suivre, provoquant chez le salarié un mécanisme de défense (l'alerte médiatique le 21 mars) qui s'est retourné à la fois contre lui-même (son licenciement effectif) et contre les deux sociétés (atteinte à leur image) protagonistes de l'atteinte à la liberté d'expression.

Si la société invoque à l'égard de son salarié l'atteinte à la loyauté dans les relations contractuelles, cette atteinte peut être considérée comme réciproque.

C'est pourquoi, en application des articles L.1132-3-3 et L.1132-3-4 du code du travail au vu de l'ensemble de ces éléments, il y a lieu de prononcer la nullité du licenciement de M. B. pour faute grave et de condamner la société à lui payer à titre provisionnel les sommes suivantes, sur la base d'un salaire de référence de 3427,27 euros brut et de calculs non contestés :

- 10 271,71 euros brut à titre d'indemnité de préavis (3 mois pour les cadres selon la convention collective), outre celle de 1 027,17 euros brut au titre des congés payés afférents, étant précisé que la somme exacte serait de 10 281,81 euros mais la cour ne peut statuer au delà de la demande,

- 3 424,88 euros à titre d'indemnité de licenciement,

avec intérêts au taux légal à compter du 7 juin 2016, date de l'assignation devant le conseil.

En application de l'article L.1235-3 du code du travail et en l'absence de demande de réintégration à la suite d'un licenciement nul, le juge accorde une indemnité de licenciement qui ne peut être inférieure à 6 mois de salaire, ce qui correspond ici à la somme de 20 563,62 euros.

Au vu de l'ancienneté de 4 ans et demi de M. B., de son salaire, de son préjudice moral subi du fait de l'atteinte à sa liberté d'expression et de son éviction brutale de la société, mais au vu de l'absence d'éléments produits sur sa situation d'emploi depuis son licenciement, la somme de 25 000 euros lui sera allouée à titre provisionnel à titre d'indemnité de licenciement nul.

En conséquence la cour infirmera le conseil.

La société succombant en ses demandes, les dépens de première instance et d'appel resteront à sa charge et elle devra payer à M. B. la somme de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Sur les demandes des syndicats

Selon l'article L 2132-3 du code du travail, les syndicats professionnels ont le droit d'agir en justice concernant des faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'ils représentent.

En l'espèce, les syndicats CGT Renault Guyancourt Aubevoye et Sud Guyancourt Aubevoye contestent le licenciement de M. B. qui est intervenu en contradiction avec le principe de liberté de communication des salariés avec les syndicats, ce qui porte atteinte à la liberté syndicale.

Les deux organisations syndicales, agissant dans l'intérêt des salariés qu'elles représentent au sein de l'entreprise et dont elles défendent la profession conformément à leur statut, sont intervenues pour soutenir M. B. dès avril 2016, au travers de tracts qu'elles produisent.

Elles sont donc recevables et fondées à réclamer des dommages et intérêts au titre de leur préjudice moral, le présent litige ayant nécessairement suscité de la crainte de la part des salariés en cas d'adhésion syndicale, voire de simple contact avec les syndicats.

La somme de 3 000 euros sera allouée à chacun des syndicats à titre de dommages et intérêts, outre celle de 1 000 euros chacun sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS ,

La Cour, statuant publiquement, par arrêt mise à disposition au greffe, contradictoirement et en dernier ressort ;

INFIRME l'ordonnance de référé du conseil de prud'hommes de Versailles en date du 26 août 2016 ;

Et statuant à nouveau,

PRONONCE la nullité du licenciement de M. B. pour atteinte à la liberté d'expression ;

CONDAMNE la société Eurodécision à payer à M. B. les sommes provisionnelles suivantes :

- 10 271,71 euros brut à titre d'indemnité de préavis, outre celle de 1 027,17 euros brut au titre des congés payés afférents ;

- 3 424,88 euros à titre d'indemnité de licenciement ;

avec intérêts au taux légal à compter du 7 juin 2016 ;

- 25 000 euros à valoir sur l'indemnité de licenciement nul, outre celle de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;

CONDAMNE la société Eurodécision à payer, tant au syndicat CGT Renault Guyancourt Aubevoye qu'au syndicat Sud Guyancourt Aubevoye, la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts au titre de leur préjudice moral pour atteinte à la liberté syndicale, outre celle de 1 000 euros chacun sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la société aux dépens de première instance et d'appel.