Cass. 2e civ., 22 septembre 2016, n° 15-22.262
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Poitiers, 26 mai 2015), que la société Paprec France, propriétaire d'une partie du capital social de la société Atlantic métal, active dans la collecte des métaux, en a acquis la totalité à la fin de l'année 2012 auprès des sociétés Daly investissements et Epic finance ayant respectivement pour associé unique M. X...et M. Y..., tous assujettis à une clause de non-concurrence ; qu'entre septembre 2013 et avril 2014, s'est développé un courant d'affaires entre la société Atlantic Métal, dont MM. X... et Y... demeuraient mandataires sociaux, et une société créée par eux, dénommée STT, tandis qu'en janvier 2014, Mme Z..., encore salariée de la société Atlantic métal, créait une société dénommée Trafermet spécialisée dans le transport et le courtage de métaux et qu'en février et mars 2014, la société Atlantic métal vendait des matériaux à une société Cométalimmatriculée depuis janvier 2014 au registre du commerce et des sociétés ; qu'après avoir mis fin aux fonctions de mandataires sociaux de MM. X... et Y..., la société Paprec France a, avec la société Atlantic métal, saisi le président du tribunal de commerce sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile d'une requête tendant à voir désigner un huissier de justice avec mission de se rendre aux sièges des société Daly investissements et Epic finance, respectivement établis aux domiciles de MM. X... et Y..., ainsi qu'au domicile de Mme Z..., afin de se faire communiquer les documents qui auraient été adressés à la société Atlantic métal, ou reçus par elle de ses partenaires commerciaux, concernant les sociétés STT, Trafermet et Cométal, et rechercher dans les systèmes informatiques de MM. X... et Y..., de Mme Z... et des sociétés Daly investissements et Epic finance des fichiers s'y rapportant ; qu'après exécution de la mesure d'instruction le 16 septembre 2014, MM. X... et Y..., les sociétés Daly investissements et Epic finance et Mme Z... ont assigné la société Paprec France et la société Atlantic métal devant le juge des référés aux fins de rétractation de l'ordonnance ayant accueilli la requête ; que les sociétés Paprec France et Atlantic métal ont interjeté appel de l'ordonnance du président du tribunal de commerce ayant rétracté l'ordonnance et ordonné la restitution des pièces saisies ;
Sur le premier moyen :
Attendu que MM. X... et Y..., ainsi que les sociétés Daly investissements et Epic finance, font grief à l'arrêt de rejeter leur demande de rétractation de l'ordonnance sur requête et d'ordonner notamment la remise sous astreinte des copies des documents effectuées le 16 septembre 2014 et restituées aux requis, alors, selon le moyen, que l'existence du motif légitime permettant, sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, de solliciter la mise en oeuvrede mesures d'instruction, s'apprécie à la date de la requête et au vu des seules pièces qui y sont jointes ; qu'en l'espèce, pour estimer que les sociétés Atlantic métal et Paprec justifiaient leur requête par un motif légitime au sens du texte susvisé, la cour d'appel a notamment énoncé que, dans l'instance en rétractation, les intéressées avaient produit de nouveaux éléments, non invoqués dans la requête initiale mais néanmoins chronologiquement antérieurs à sa présentation, concernant les liens existant entre d'une part Hervé Y... et/ ou la SA STT, et d'autre part la SARL Cométal ; qu'en statuant ainsi, quand il résulte de ces motifs que les éléments retenus par la cour d'appel pour admettre l'existence d'un motif légitime au sens de l'article 145 du code de procédure civile n'avaient pas été invoqués au soutien de la requête présentée dans le cadre de la procédure prévue par les articles 145 et 493 du code de procédure civile, de sorte qu'à la date de ladite requête, ces éléments faisaient défaut et, partant, ne pouvaient conférer un caractère légitime à la mesure sollicitée, la cour d'appel a omis de tirer les conséquences légales de ses propres constatations et violé, par fausse application, les textes susvisés ;
Mais attendu que c'est à bon droit que la cour d'appel a apprécié l'existence du motif légitime à la lumière tant des éléments de preuve invoqués dans la requête que de ceux qui ne l'avaient pas été mais qui étaient produits devant elle ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen :
Attendu que MM. X... et Y..., ainsi que les sociétés Daly investissements et Epic finance, font le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen :
1°/ que les mesures d'instruction destinées à conserver ou à établir, avant tout procès, la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, ne peuvent être ordonnées sur requête que lorsque les circonstances exigent qu'elles ne le soient pas contradictoirement ; que pour saisir valablement le juge, la requête présentée sur le fondement des articles 145 et 493 du code de procédure civile doit elle-même exposer les motifs qui justifient qu'il soit dérogé au principe de la contradiction ; qu'à cet égard, ne satisfait pas aux prescriptions légales susvisées la requête qui, en se bornant à énoncer qu'il est nécessaire de ne pas voir disparaître les éléments de preuve recherchés, n'expose aucune circonstance propre au cas d'espèce de nature à démontrer que les personnes physiques et morales visées par cette procédure seraient susceptibles ou auraient manifesté concrètement l'intention de dissimuler ou de détruire les éléments litigieux ; qu'en l'espèce, pour débouter les exposants de leur demande de rétractation de l'ordonnance sur requête du 24 juin 2014, la cour d'appel a énoncé que la requête précisait « le recours à une procédure non contradictoire est justifié par la nécessité de ne pas voir disparaître opportunément les éléments faisant apparaître que MM. Y... et X... ont, notamment avec l'aide de Mme Céline Z... et en pleine connaissance de cause, planifié, organisé et réalisé des actes caractérisant d'une part la violation de leurs engagements souscrits au titre de la clause de non-concurrence, et d'autre part la violation du devoir de loyauté qu'ils avaient à l'égard de la société.. », pour en déduire que le recours à une procédure contradictoire aurait induit un risque d'éventuelle dissimulation, par les défendeurs, des documents litigieux, s'ils existent ; qu'en statuant ainsi, quand la requête, qui se bornait à faire état de la « nécessité de ne pas voir disparaître opportunément les éléments » ainsi recherchés, n'invoquait aucun élément propre au cas d'espèce et susceptible de démontrer l'intention des intéressés de dissimuler effectivement les éléments de preuve litigieux, mais se bornait à paraphraser la loi, la cour d'appel a violé le texte susvisé, ensemble les articles 493 et 494 du code de procédure civile ;
2°/ qu'en tout état de cause les mesures d'instruction destinées à conserver ou à établir, avant tout procès, la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, ne peuvent être ordonnées sur requête que lorsque les circonstances exigent qu'elles ne le soient pas contradictoirement ; qu'en se bornant, pour infirmer l'ordonnance de rétractation entreprise, à énoncer « qu'il n'est pas sérieusement contestable que le recours à une procédure contradictoire induisant la délivrance d'une assignation en référé énonçant nécessairement la teneur de la mesure d'instruction sollicitée et donc la définition des pièces dont la communication ou la prise de copie était recherchée, aurait induit un risque d'éventuelle dissimulation par les défendeurs de ces documents s'ils existent », la cour d'appel s'est prononcée par voie d'affirmation péremptoire à caractère général et impersonnel et a violé les dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ;
3°/ que les mesures d'instruction destinées à conserver ou à établir, avant tout procès, la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, ne peuvent être ordonnées sur requête que lorsque les circonstances exigent qu'elles ne le soient pas contradictoirement ; qu'en se bornant, pour infirmer l'ordonnance de rétractation entreprise, à énoncer « qu'il n'est pas sérieusement contestable que le recours à une procédure contradictoire induisant la délivrance d'une assignation en référé énonçant nécessairement la teneur de la mesure d'instruction sollicitée et donc la définition des pièces dont la communication ou la prise de copie était recherchée, aurait induit un risque d'éventuelle dissimulation par les défendeurs de ces documents s'ils existent », sans rechercher ni préciser en quoi les circonstances propres à l'espèce justifiaient que la mesure demandée ne soit pas prise contradictoirement, ce que les exposants avaient expressément contesté, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles 145, 493, 495 et 812 du code de procédure civile, ensemble l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Mais attendu qu'ayant retenu que le recours à une procédure contradictoire, avec délivrance d'une assignation faisant état de la mesure sollicitée et des pièces recherchées faisant elles-mêmes apparaître, selon les termes de la requête, que les trois requis avaient en toute connaissance de cause commis des actes caractérisant la matérialité et l'ampleur des violations de la clause de non-concurrence et du devoir de loyauté des mandataires sociaux, instituait un risque de dissimulation de ces documents, la cour d'appel, qui ne s'est pas prononcée par voie générale et qui a examiné la situation concrète qui lui était soumise, en a exactement déduit qu'il était justifié de déroger au principe de la contradiction ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le troisième moyen :
Attendu que MM. X... et Y... ainsi que les sociétés Daly investissements et Epic finance font le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen, que selon l'article 145 du code de procédure civile seules des mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées par le juge, à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé ; qu'excède les prévisions de ce texte les mesures permettant à l'huissier de justice de fouiller à son gré un domicile privé ou les locaux d'une société, sans avoir préalablement sollicité la remise spontanée des documents concernés – seraient-ils suffisamment circonscrits quant à leur nature et contenu-et obtenu le consentement du requis ; qu'en l'état des mesures d'instruction définies dans l'ordonnance du 24 juin 2014, autorisant notamment l'huissier de justice à pénétrer dans plusieurs domiciles privés et locaux de différentes sociétés, au besoin avec l'assistance d'un serrurier et de la force publique, à « se faire communiquer » un certain nombre de documents non spécifiés quant à leur nature et, en se faisant accompagner et assister par un expert informatique de son choix, à « rechercher dans les systèmes informatiques » de différentes sociétés et de plusieurs particuliers différents fichiers et « saisir tous les fichiers utiles à l'accomplissement de sa mission », et en exécution desquelles, ainsi que l'avaient fait valoir les exposants, différents huissiers avaient perquisitionné notamment les domiciles de MM. Y... et X... le 16 septembre 2014 à 7 heures du matin, en l'absence de M. Y..., saisi des documents et pris une copie du disque dur de l'ordinateur de M. X... sans son consentement, le tout sans avoir jamais sollicité la remise spontanée des documents concernés ni requis le consentement des intéressés pour la fouille et la copie des informations, la cour d'appel qui retient que la mesure d'instruction ordonnée ne présente pas de caractère non légalement admissible, « dès lors qu'elle n'autorise l'huissier de justice instrumentaire qu'à se faire communiquer des documents matériels, et à se faire remettre les codes d'accès aux systèmes informatiques des intimés aux seules fins de rechercher et de copier les seuls fichiers réunissant les critères précités, l'huissier de justice instrumentaire n'étant autorisé ni à saisir physiquement les unités de stockage des informations, ni à en établir une copie intégrale », n'a pas constaté que l'huissier était tenu d'une part d'agir en présence du requis afin de permettre de solliciter préalablement la remise spontanée des documents concernés, et d'autre part de solliciter et d'obtenir le consentement du requis et a violé les articles 145 et 243 du code de procédure civile ensemble les articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
Mais attendu qu'il ressort des constatations de l'arrêt que l'ordonnance sur requête autorisait l'huissier de justice, avec faculté de substitution, à se rendre aux sièges sociaux des sociétés Daly investissements et Epic finance, également domiciles respectifs de MM. X... et Y..., à y pénétrer en requérant en tant que de besoin l'assistance d'un serrurier et de la force publique, à se faire éventuellement assister par un expert en informatique pour prendre les copies utiles à l'accomplissement de sa mission, à se faire communiquer des documents et des codes et à rechercher des fichiers informatiques qu'elle a désignés, et à procéder à toute audition nécessaire à l'accomplissement de sa mission, de sorte que ni la présence de M. Y... ni le consentement de M. X... n'étaient requis ;
D'où il suit que le moyen est inopérant ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. David X..., M. Hervé Y..., la société Daly investissements et la société Epic finance aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette leur demande ; les condamne à payer à la société Atlantic métal et à la société Paprec France la somme globale de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-deux septembre deux mille seize.