CA Paris, Pôle 5 ch. 3, 24 février 2016, n° 13/24523
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Le Moderne (SARL)
Défendeur :
Sci Mulhouse Gare de l'Est
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Bartholin
Conseillers :
Mme Gallen, Mme Chokron
Faits et procédure :
Suivant acte sous seing privé en date du 11 octobre 1986, M. Fernand R., aux droits duquel vient la SCI Mulhouse Gare de L'Est, a consenti à la société La Chope de L'Est, aux droits de laquelle se trouve désormais la société Le Moderne, un bail commercial portant sur des locaux à usage de brasserie, café, bar, situés [...]. Par effet d'un avenant du 2 août 2002, le bail s'est trouvé renouvelé pour une durée de neuf années à compter du 1er août 2002.
Par acte d'huissier du 10 décembre 2010, la société Mulhouse Gare de l'Est a fait délivrer à la société Le Moderne un congé au 31 juillet 2011 sans offre de renouvellement et de paiement d'une indemnité d'éviction.
Par ordonnance du 6 octobre 2011, le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris a désigné M. R. en qualité d'expert afin de déterminer le montant des indemnités d'éviction et d'occupation au 1er août 2011.
L'expert a déposé son rapport le 25 octobre 2012, concluant à une indemnité d'éviction principale de 500.000 euros, outre 50.000 euros au titre des frais de remploi, 19.000 euros au titre du trouble commercial, 3.500 euros de frais divers et le paiement des frais de licenciement sur justificatifs, et à une indemnité d'occupation d'un montant de 49.750 euros.
C'est dans ces conditions que par acte du 20 novembre 2012, la société Mulhouse Gare de l'Est a fait assigner la société Le Moderne devant le tribunal de grande instance de Paris aux fins de voir fixer le montant de l'indemnité d'éviction principale à la somme de 455.000 euros, les indemnités accessoires à la somme de 35.710 euros, la réparation du trouble commercial à la somme de 19.000 euros et l'indemnisation des frais divers à la somme de 3.500 euros outre paiement des frais de licenciement sur justificatifs.
Par jugement en date du 21 novembre 2013, le tribunal de grande instance de Paris a :
- dit que par l'effet du congé comportant refus de renouvellement signifié le 10 décembre 2010, le bail a pris fin le 31 juillet 2011,
- dit que l'indemnité d'éviction entraîne la perte du fonds exploité par la société Le Moderne dans les locaux appartenant à la société Mulhouse Gare De L'Est,
- fixé à la somme de 572.500 euros le montant de l'indemnité d'éviction, toutes causes confondues, due par la société Mulhouse Gare De L'Est à la société Le Moderne outre les frais de licenciement sur justificatifs,
- dit que la société Le Moderne est redevable à l'égard de la société Mulhouse Gare De L'Est d'une indemnité d'occupation à compter du 1 août 2011,
- fixé le montant de cette indemnité d'occupation à la somme annuelle de 47.800 euros outre les taxes et charges,
- dit que la compensation entre le montant de l'indemnité d'éviction et de l'indemnité d'occupation s'opérera de plein droit,
- débouté la société Mulhouse Gare De L'Est et la société Le Moderne de leurs demandes tendant à faire courir les intérêts légaux sur les indemnités d'éviction et indemnité d'occupation à compter du jugement,
- condamné la société Mulhouse Gare De L'Est à payer à la société Le Moderne la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens, en ce compris les frais d'expertise,
- dit n'y avoir lieu d'ordonner l'exécution provisoire.
La société Le Moderne a relevé appel de ce jugement le 20 décembre 2013. Par ses dernières conclusions signifiées le 10 juin 2014, elle demande à la cour :
- d'infirmer le jugement entrepris,
- fixer l'indemnité d'éviction totale à 623.918 euros sauf à parfaire par tous éléments et justificatifs complémentaires,
- dire que l'indemnité d'occupation ne saurait excéder 43.492 euros,
- débouter la société Mulhouse Gare De L'Est de toutes ses demandes, fins et conclusions plus amples ou contraires,
- la condamner à payer la somme de 2.000 euros supplémentaires sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du même code.
Par ses dernières conclusions signifiées le 10 avril 2014 au visa des articles L.145-14 et L. 145-28 du code de commerce, la société Mulhouse Gare de l'Est demande à la cour de :
- débouter la société Le Moderne de toutes ses demandes fins et conclusions,
- confirmer partiellement le jugement entrepris,
- fixer à la somme de 455.000 euros le montant de l'indemnité principale d'éviction due à la société Le Moderne,
- fixer les indemnités accessoires aux montants suivants :
- remploi : 45.500 euros
- trouble commercial : 19.000 euros
- frais divers : 3.000 euros- frais de licenciement : sur justificatifs
- ordonner l'indexation annuelle de l'indemnité d'occupation à partir du 1er juillet 2010 selon la variation de l'indice INSEE du coût de la construction,
- condamner la société Le Moderne à payer à la société Mulhouse Gare De L'Est la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens d'appel dont le montant pourra être recouvré pour ceux la concernant par la SELARL LVA dans les conditions de l'article 699 du même code.
SUR CE,
I -Sur l'indemnité d'éviction :
I - 1 - Sur l'indemnité principale :
Les parties ne contestent pas la qualité de l'emplacement des locaux sis [...], à proximité de la gare de l'Est, les locaux bénéficiant d'une bonne visibilité depuis la place située [...] quoique les abribus situés sur le terre plein central du boulevard et les véhicules en stationnement gênent la visibilité depuis le trottoir pair du boulevard, l'existence d'une chalandise continue composée majoritairement des voyageurs et d'une très bonne desserte en transports en commun.
Les parties s'accordent également sur la description des lieux faite par l'expert ainsi que la valeur du droit au bail.
L'expert a fait le choix d'évaluer le fonds à partir de l'activité de restauration en l'absence de ventilation entre les deux activités pratiquées, celle de café d'une part et celle de restaurant d'autre part, ayant estimé cette derniére prépondérante sans étre critiqué sur ce choix.
La société Le Moderne demande cependant à la cour de prendre en compte, pour le calcul de l'indemnité principale, les chiffres d'affaires rectifiés après vérifications fiscales, représentant une moyenne sur cinq ans, en intégrant les chiffres reconstitués par le fisc pour 2007 et 2008, de : 661.939 euros + 603.850 euros + 1.594.498 euros = 2.860.287 euros/5 = 572.057 euros ;
Or la bailleresse fait justement observer que l'expert a pertinemment répondu sur ce point que la valeur du fonds est estimée selon les usages en tenant compte des trois derniers exercices 2009, 2010 et 1011 de sorte que les reconstitutions des recettes par le fisc pour 2004 et 2005 ou 2007 et 2008 en vue des rectifications opérées sur les impôts dus sur les bénéfices sont sans portée, s'agissant d'apprécier la valeur du fonds à la date la plus proche de l'éviction.
La société Mulhouse Gare de L'Est demande quant à elle de recouper les deux méthodes de calcul retenues par l'expert, la méthode par le chiffre d'affaires aboutissant à une indemnité d'éviction principale de 500.000 euros et la méthode EBE aboutissant à une indemnité d'éviction principale de 405.000 euros, ce qui représente une moyenne de 455.000 euros.
L'expert a évalué le fonds d'une part suivant la méthode traditionnelle prenant compte la moyenne des chiffres d'affaires des trois années 2009, 2010 et 2011 et en retenant un pourcentage d'évaluation du fonds de 95 % qui n'est pas sérieusement critiqué, ce qui aboutit à un chiffre de 505 000 €. Il a par ailleurs retenu que le fonds bénéficiait d'une rentabilité satisfaisante pour le type d'activité exercée, le restaurant bénéficiant d'une large amplitude horaire, de locaux entièrement rénovés dans un environnement commercial favorable. Il a évalué le fonds suivant la méthode de la rentabilité en choisissant un coefficient de 4,5 à un chiffe de 405 000 €.
Or l'indemnité d'éviction ne peut être le résultat de la moyenne de deux méthodes, la méthode de rentabilité ne devant au cas d'espèce servir au besoin que de méthode de recoupement avec celle plus traditionnelle dite par le chiffre d'affaires et en usage dans les cessions de fonds équivalents ;
Compte tenu de la bonne rentabilité du fonds et du chiffre atteint par la méthode de rentabilité avec un coefficient de 4,5 sur le choix duquel l'expert ne s'est d'ailleurs pas longuement expliqué et qui aurait pu être de 5, la proposition par l'expert d'une valeur du fonds à la somme de 500 000 € est justifiée.
Le jugement sera confirmé sur ce point.
I - 2 - Sur les indemnités accessoires :
La société Mulhouse Gare de L'Est demande à la cour d'entériner le jugement entrepris en tous points.
La société Le Moderne reproche quant à elle à l'expert d'avoir retenu 10 % de l'indemnité principale au titre des frais de remploi en ayant conclu que ces frais pouvaient être fixés à 12 % du montant de l'indemnité principale ; elle demande à la cour d'entériner ce second pourcentage.
Or l'expert a indiqué dans son rapport que le chiffre de 10 % doit être préféré, compte tenu des caractéristiques du fonds, et la société Le Moderne ne critique pas utilement ce choix qui sera entériné.
La société Le Moderne ne conteste pas que le trouble commercial soit indemnisé à hauteur de trois mois du dernier EBE connu mais demande la prise en compte des rectifications fiscales susmentionnées mais qui seront écartées, s'agissant de rectifications opérées sur des éléments comptables antérieurs à ceux à prendre en compte pour évaluer l'indemnité d'éviction ;
Elle demande en outre de porter l'indemnisation des frais divers à la somme de 5.000 euros sans justifier des raisons d'augmenter le chiffre de 3 000 € tel que justement retenu par le premier juge pour l'indemniser notamment de ses frais de résiliation d'abonnements et de modifications au registre du commerce et des sociétés.
II - Sur l'indemnité d'occupation :
La société Le Moderne relève que la moyenne des références citées par l'expert est inférieure au prix retenu par ce dernier de 450 euros/m²P. Par référence à cette moyenne, elle demande à la cour de retenir une valeur locative de : 423 euros x 117 m²P = 49.491 euros, sans majoration de droit de terrasse, et minoré d'un abattement de précarité évalué à 12 % (au lieu des 10 % retenus), soit une indemnité d'occupation finale de 43.492 euros par an.
Elle s'oppose à toute indexation de cette indemnité et à l'évaluation de la partie adverse qui ne justifie pas de la valeur locative qu'elle avance.
La société Mulhouse Gare de L'Est sollicite la confirmation du jugement.
Le tribunal a exactement retenu que l'indemnité d'occupation correspond à la valeur locative de renouvellement hors plafonnement et justement fixé la valeur unitaire de l'indemnité à la somme de 430 €/m², moindre que celle proposée par l'expert et qui tient compte notamment des caractéristiques des locaux et des loyers de comparaison, en la majorant d'un coefficient de 5 % pour droit de terrasse laquelle est couverte et constitue un avantage indéniable pour l'exploitant.
Aucune circonstance particulière ne justifie d'appliquer un abattement supérieur à celui de 10 % habituellement pratiqué pour tenir compte de la précarité résultant du congé.
Il n'y a pas lieu davantage d'indexer cette indemnité.
Le jugement sera également confirmé.
III - Sur les autres demandes :
La société Le Moderne qui succombe en son recours supportera les dépens d'appel et paiera à la société Mulhouse Gare de l'Est une somme de 2 000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Condamne la société Le Moderne aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile et à payer à la société Mulhouse Gare de l'Est la somme de 2 000 € sur le fondement de l'article 700 du même code.